Chers amis et camarades,
Camarade Geo, « frère » !, comme tu le dis souvent par un mot qui te résume à lui seul,
Nous voilà réunis dans notre diversité politique, ceux de l’intérieur, ceux de l’extérieur et ceux qui, très majoritairement j’espère, veulent unir les communistes des deux rives, pour commémorer un anniversaire qui fait chaud au cœur de tous ceux qui t’aiment et qui sont bien plus nombreux que cette petite salle ne peut contenir d’amis. Reçois pour commencer les excuses d’Henri Alleg de Léon Landini et de sa soeur Mimi Pulvermacher, ancienne secrétaire générale du groupe communiste à l’Assemblée,, qui ne peuvent être des nôtres aujourd’hui mais qui se sont bien juré de venir te voir ensemble prochainement pour arroser toutes ces années d’idéaux partagés. Reçois aussi l’hommage fraternel du Pôle de Renaissance Communiste en France, dont tu es le président d’honneur, tant tu symbolises à la fois la fermeté dans les principes et la fraternité unitaire dans le combat pour la renaissance du parti révolutionnaire.
Aujourd’hui, si tu regardes en arrière, tu peux te dire, cher Geo, comme le poète Jean Marcenac, « je n’ai pas perdu mon temps », et comme Gabriel Péri, dont le nom est aujourd’hui usurpé par une clique déshonorée : « si c’était à refaire, je referais ce chemin ».
Homme du nord issu des milieux populaires, tu incarnes d’abord par ton ascendance la grande tradition républicaine française. Combien de fois m’as-tu parlé de ton père, militant radical, qui honorait cette république alors bourgeoise, mais encore partiellement progressiste, qui avait mis en place l’école laïque, dans le prolongement de 1789 et de la philosophie des Lumières ? Une école laïque que tu auras défendue par la suite, comme un fil rouge, durant toute ta vie, contre cette bourgeoisie devenue de plus en plus réactionnaire et cléricale, de plus en plus renégate de la grande Révolution.
C’est donc tout logiquement que, tout jeune alors, tu te tournas vers le parti des ouvriers, le parti communiste français clandestin de Duclos, de Jeanne Colette et d’Arthur Ramette, lorsque fut venue la défaite et l’Occupation. C’est tout naturellement que tu contactas René Lanoy, le chef de file communiste du Front national pour l’indépendance de la France, pour lui apporter les subsides que tu avais récoltés, et l’un de tes grands regrets fut alors de ne pouvoir être pleinement intégré dans la Résistance, les règles draconiennes de la clandestinité ayant interdit à Lanoy de t’ouvrir trop rapidement les portes avant que ce héros ne meure prématurément. Tu n’en fus pas moins résistant de corps et de cœur, comme en ont ensuite témoigné nombre de Douaisiens.
C’est tout naturellement qu’ensuite, le grand sportif, syndicaliste et grand professeur d’EPS que tu n’as cessé d’être, comme ton épouse Odile et ton amie Monique, est devenu l’un des animateurs « rouges » du SNEP, le syndicat de l’Education nationale qui anima longtemps la lutte des classes dans ce secteur alors dominé par le corporatisme étriqué de la FEN. Comment pouvais-tu alors être à la fois international de handball à 11, enseignant, dirigeant syndical, c’est un des mystères de cette vitalité, de cet enjouement, de cet amour de la vie, qui n’a pas fini de nous surprendre et qui te vaut aujourd’hui de devenir peu à peu la mémoire du siècle militant.
C’est alors que tu adhéras au Parti qui, en associant pendant le Front populaire et la Résistance le drapeau rouge frappé des outils d’Octobre avec le drapeau tricolore de l’indépendance nationale, avait mérité de porter le titre de premier parti de la classe ouvrière et de devenir dans les urnes le premier parti de France. Ce parti, tu le servis avec compétence et modestie, et c’est donc très naturellement que les camarades d’alors, nonobstant l’ironie de bon aloi d’Arthur Ramette, te prièrent, non de le « remplacer » mais de lui « succéder » au siège de député de cette circonscription prolétarienne du Douaisis.
Dire que tu n’as pas démérité au Palais-Bourbon serait litote ou euphémisme, pour employer ces jolis mots précieux de notre belle langue, auxquels tu n’as jamais renoncé car les ouvriers méritent qu’on leur donne le meilleur dans la parole comme dans l’action. D’autres avant moi ont dit ton engagement inlassable auprès des mineurs, des verriers, des bateliers, des métallos de l’automobile, des profs, des imprimeurs et j’en passe. Je voudrais simplement dire que lorsque j’ai connu ma femme, professeur de gym’ comme toi, tous les étudiants des UREPS étaient en guerre contre l’odieux plan Soissons, du nom de ce ministre giscardien qui avait résolu de liquider le CAPES d’éducation physique.
Eh bien Geo, même si ce milieu était alors profondément travaillé par les campagnes antisoviétiques contre les Jeux de Moscou, même si le gauchisme, cette variante de l’anticommunisme « de gôôôche, dominait ces jeunes étudiants, je puis te dire que tous parlaient de toi avec respect et que, chargé du sport au groupe parlementaire du PCF, tu étais universellement aimé et respecté comme le porte-drapeau principal de ce combat, qui aboutit en 81 au rattachement de l’éducation physique au ministère de l’Education nationale. J’ai également constaté à l’Assemblée nationale, que tout le personnel, grand et petit, te révérait tant tu te montrais simple et aimable avec tous.
Mais le temps passe et je m’en voudrais d’occuper le micro jusqu’à ton centième anniversaire. Je m’en tiendrai donc au bref rappel des combats de principe qu’à contre-courant de toute l’idéologie dominante ravagée par l’antisoviétisme, par l’autophobie communiste et par l’anti-patriotisme européiste, nous avons menés ensemble depuis cette année 98 où, à la suite d’un appel de la Coordination communiste à l’unité, tu me téléphonas pour m’inviter à mettre en place une structure unitaire des communistes.
Déjà, seul de ton groupe et à contre-courant d’une discipline parlementaire mal comprise, tu avais refusé la confiance à ce funeste gouvernement Jospin à participation PCF, dont l’histoire allait montrer qu’il préparerait l’avènement de la droite dure et la consolidation du lepénisme tant il fut le gouvernement des privatisations, de l’euro, de la guerre en Yougoslavie et du délitement de l’héritage républicain. Et pendant que, sous couvert de modernité, certains s’adonnaient à un effeuillage des principes marxistes qui perturbait profondément les références populaires, pendant que des ministres oublieux de leur classe s’occupaient davantage du dopage dans le Tour de France que de la privatisation rampante de la SNCF ou de la casse de l’école par Claude Allègre, tu redoublas de résistance à l’intérieur du parti que tu continuais, comme moi, d’aimer et de servir. Tu avais compris en effet que l’esprit de parti véritable n’a rien à voir avec le suivisme et tout à voir avec la fidélité aux idéaux révolutionnaires de Babeuf, de Maurice Thorez, de Debarge et de Lénine.
Ensemble, avec l’aide de Rémy Auchedé, d’Henri Alleg et sous l’impulsion de la Coordination des militants communistes du PCF, nous avons hissé le drapeau rouge sur la Mutualité en décembre 2000 pour célébrer la vraie signification du congrès de Tours, qui modernisa le mouvement ouvrier en séparant les communistes des naufrageurs réformistes, soutien de la guerre impérialiste de 14/18.
Ensemble, nous créâmes le CNUC, qui opéra un travail de fond, même s’il fut rapidement traversé de pulsion centrifuges au moment des présidentielles, où plusieurs voulurent jouer leur carte personnelle en privilégiant cet esprit de chapelle qui jusqu’ici, par la faute de chefaillons divers, a empêché la renaissance communiste de s’unir et de parler d’une seule voix aux ouvriers.
Ensemble nous défendîmes le marxisme-léninisme, non par nostalgie, comme le répètent les sots pour ne pas avoir à étudier cette approche scientifique rigoureuse de la politique, mais parce que l’approche de classe, matérialiste, des problèmes de la nation, de la démocratie, de la liberté, de la paix, est la plus pertinente pour s’orienter dans les immenses affrontements de classes nationaux et mondiaux qui nous attendent. Si nous en doutons, écoutons le multimilliardaire américain Warren Buffett, qui écrit dans le NY Times du 26 novembre 2006 : « il y a une guerre des classes, c’est vrai, mais c’est ma classe, celle des riches, qui mène cette guerre, et c’est nous qui la gagnerons ! ». Face à de tels ennemis, combien il est irresponsable de priver les travailleurs de leur boussole théorique, de leur dire qu’on peut démocratiser la dictature de la bourgeoisie de plus en plus fascisante, de leur faire croire qu’on peut changer en se mettant à la remorque de la social-démocratie, qu’on peut en un mot éviter de forger un grand outil révolutionnaire pour mener le combat jusqu’à la victoire finale, comme disait Che Guevara !
Ensemble, nous combattîmes cette criminalisation pan-européenne du communisme historique qui, faisant fonds sur la honteuse annexion de la RDA, aboutit à priver de leur travail des milliers de communistes de base qui, contrairement à leurs chefs gorbatchéviens, ne s’étaient pas reniés pour aller à la gamelle du capital. Et nous avons bien fait, car ce cancer de l’anticommunisme, qui se traduit aujourd’hui par la mise hors la loi de quasiment tous les PC d’Europe de l’est, est une des sources profondes de la fascisation de l’Europe et de la montée de l’extrême droite, grande bénéficiaire de la honteuse équation qui assimile la glorieuse URSS de Stalingrad à l’Allemagne d’Auschwitz et de Treblinka !
Ensemble nous avons défendu la langue française, que tu as cultivée pendant toute ta vie en apprenant des milliers de vers. Une langue qui est aujourd’hui totalement abandonnée par la gauche établie alors même que, de la maternelle à l’université, le gouvernement Sarkozy appuyé de loin par Aubry, Borloo et Cie, soutient une politique de basculement linguistique total vers le tout-anglais patronal. Cette résistance linguistique est pourtant indispensable car si demain l’anglais s’officialise à tous les niveaux, comme le prône JF Copé, ce sont les masses populaires de France, françaises ou immigrées, qui deviendront des étrangères dans leur propre pays !
Ensemble nous avons combattu et nous combattrons l’euro et l’Union européenne qui, sous le masque de l’internationalisme, broient les acquis sociaux et la souveraineté de tous les peuples d’Europe en écrasant la Grèce, mère des Lumières, et en détruisant l’œuvre du Conseil national de la Résistance, base de l’exception française en matière de services publics, de sécurité sociale et de nationalisations. Qui ne voit aujourd’hui que c’est faire un énorme cadeau à Mme Le Pen que de lui abandonner cette dénonciation de l’euro, que la patronne du FN ne mène d’ailleurs que pour la frime puisqu’elle soumet la sortie de l’euro à la bonne volonté d’Angela Merkel en prônant la prétendue « sortie concertée de l’euro ». Oui nous avons eu raison, à l’appel de Marchais et de Krazucki, de combattre l’euro et Maastricht en 92. Oui, toute l’expérience du mouvement ouvrier depuis cette date prouve sans l’ombre d’un contre-argument possible, que l’euro n’a apporté aux peuples que baisse des salaires, envol des prix, casse des services publics, désertion de l’emploi industriel, perte de notre souveraineté budgétaire, surexposition permanente aux mauvais coups de la finance. Dès 2000, c’est toi, mon cher Geo qui insistait pour que nous menions une campagne d’affichage pour dire « à bas l’euro ! ».
Tu avais vu juste, comme tu vis juste quand, seul député du parlement, mais hélas retenu à Douai par la maladie, tu refusas le prétendu élargissement de l’UE aux ex-pays socialistes, dont tu prévoyais qu’il ruinerait ces pays tout en portant un coup fatal aux industries nordistes. Non mon cher Geo, à condition de réfléchir sur des bases de classe, il n’y a pas opposition mais complémentarité entre le patriotisme républicain et l’internationalisme prolétarien et l’exemple des pays sud-américains de l’ALBA prouve qu’on peut parfaitement claquer la porte des traités supranationaux sans s’isoler, mais en échangeant librement d’Etat à Etat souverain hors de le guerre économique du libre-échange mondial cher aux monopoles capitalistes.
Cette unité du patriotisme et de l’internationalisme, tu l’as manifestée avec éclat quand, sous l’impulsion du PRCF et avec toute une série d’organisations internationalistes, tu organisas le 13 novembre 2005, alors que l’état d’urgence pesait sur la France, le grand meeting de solidarité avec Cuba socialiste, alors victime de campagne de la fausse gauche sur le thème « Cuba si, Castro no ! ». Nos amis cubains ne retinrent pas leurs larmes quand tu prononças cette phrase mémorable : « au 19ème siècle, tout démocrate avait deux patries : la sienne et la France. A notre époque, tout révolutionnaire a deux patries, la sienne et CUBA SOCIALISTE ». Et Fidel l’a compris qui t’a proposé pour l’Ordre de l’Amitié entre les peuples, aujourd’hui la plus belle récompense au monde pour un internationaliste.
Enfin, devant cette assemblée où l’idéal rassemble mais où des divisions d’organisation tout à fait respectables et compréhensibles subsistent, je veux reprendre ta citation favorite, celle d’un poème d’Aragon dédié à Gabriel Péri : « quand les blés sont sous la grêle, fou qui fait le délicat, Fou qui songe à ses querelles au cœur du commun combat ». Oui, amis et camarades, alors qu’un plan d’austérité sans précédent se prépare pour saigner la France après la présidentielle, que ce soit sous l’égide de Sarko, d’Aubry ou de Hollande, alors que le FN courtise les classes populaires et peut fort bien accéder au second tour, unissons-nous dans l’action.
Comme l’ont fait, en ta présence, le PRCF 62 et le PCF 62 réunis à Hénin-Beaumont pour célébrer la grève patriotique des mineurs de 41, et quelle que soit notre position organisationnelle, associons méthodiquement les drapeaux rouge et tricolore lors de toutes les manifs populaires, non pour réclamer illusoirement l’utopique « démocratisation » de cette prison des peuples qu’est l’UE, mais pour engager une rupture révolutionnaire avec l’Europe du capital, nous rassembler sur les grands idéaux du CNR, reconquérir notre souveraineté nationale, marcher vers la véritable souveraineté populaire qui a nom : SOCIALISME. Faisons-le si nous aimons notre classe, notre pays, notre idéal, plus que les oukazes contre l’unité d’action de ceux qui ont pour seule vraie devise : « plutôt le premier dans mon village que le second à Rome ». Dans les immenses affrontements de classes qui nous attendent, la parole unie des continuateurs de Lénine et de la Commune, si modeste que soit leur voix, est essentielle pour rendre confiance à la classe ouvrière et briser la tenaille du lepénisme et de l’UMPS qui cherchent à broyer définitivement la République et le mouvement ouvrier.
C’est pourquoi comme tu le vois, mon cher frère de combat, je n’ai pas pu t’honorer aujourd’hui par un discours lénifiant qui n’eût valu que pour le vieillard résigné que tu ne seras jamais : je t’honore comme il sied à « Geo le Bolcho », habitant du présent et citoyen de l’avenir, par un vibrant appel à l’unité des communistes dans la lutte car cet appel est le seul digne de ce que tu incarnes avec ta bonhomie passionnée et ton épicurisme combattant : la fidélité à la cause des exploités, la certitude qu’après la nuit noire des reniements, des trahisons et des autoflagellation, le drapeau rouge des frères Camphin et de Michel Brûlé triomphera irréversiblement!
A dans dix ans, mon cher Geo, mémoire vive de notre avenir résistant, avec la certitude que l’espérance impérissable du Temps des cerises finit toujours par percer la nuit des contre-révolu