Que le journal de référence de la bourgeoisie (« Le Figaro » n’est réservé qu’aux couches paléolithiques de celle-ci) publie un hors-série intitulé Marx, l’irréductible est un signe.
Qu’Alain Minc, que Jacques Attali, hommes de main intellectuels du patronat et socialos-sarkoziens, se fendent chacun d’un livre sur Marx, en dit long sur la panique qui gagne ce petit monde.Qu’Alain Bocquet, – qui fut de toutes les dérives mutantes du PCF, et qui, en tant que président du groupe parlementaire du PCF, s’entremit sans relâche de 95 à 2002 pour sauver de la censure le gouvernement euro-privatiseur, social-impérialiste et « euro-constructeur » de Jospin-Buffet – , publie un livre sous-titré « Marx attaque », cela en dit long aussi sur la nécessité pour les révisionnistes mutants de reprendre pied en apparence sur le terrain de la théorie marxiste, qu’ils ont si longtemps décriée au nom de la « modernité ».
La crise « réveille le spectre de Marx » nous dit « Le Monde ». Aussi faut-il allumer des contre-feux. Il y a la méthode lourde, feu sur le « marxisme totalitaire », et la méthode raffinée, celle du « Monde » : Marx « dégagé de l’idéologie, Marx permet de penser nos temps de crise » nous dit Nicolas Truong, qui n’est pas le pire des journalistes du « Monde », il se compromet même parfois avec le « Diplo ». Lequel vient de pousser l’audace, dans le dernier édito d’Halimi, de mettre sur le même plan la dictature totalitaire continentale de Merkozy et d’Angela « Markel », et… l’URSS, sans même comprendre une seconde que la première est précisément l’effet de la destruction contre-révolutionnaire de la seconde : qu’est-ce en effet que l’Europe contre-révolutionnaire de Maastricht, chargée par le grand capital de verrouiller le capitalisme sur tout le continent, sinon un analogon de l’Europe contre-révolutionnaire de Metternich qui, après la défaite des armées post-révolutionnaires de Napoléon, tenta vainement par le Traité de Vienne de verrouiller l’Europe des monarchies menacée par l’exemple (finalement irrépressible) de la Révolution française ?
Qu’est ce que cela veut dire ? Truong répond « on peut se référer à Marx sans être relégué du côté des affreux jojos du soviétisme, des défilés militaires de la Corée du Nord ou des adeptes du stalinisme tropical ». Ben oui quoi on peut être « marxien » sans être marxiste, triturer Marx jusqu’à en faire un penseur « apologiste de la bourgeoisie et du libre-échange », rejeter l’apport au marxisme, cette doctrine essentiellement évolutive parce que scientifique, des penseurs qui l’ont prolongé sur tous les terrains, d’Engels labourant le champ théorique des dialectiques de la nature à Lénine, penseur par excellence de la révolution prolétarienne, du socialisme et du renversement de l’impérialisme (et combien d’autres théoriciens marxiste, avec des mérites très divers et sans gommer les contradictions et les débats « internes » du marxisme-léninisme : Thorez, Prenant, Politzer, Langevin, Aragon, Wallon, Zazzo, Bonnafé, Caveing, ou le premier Lucien Sève en France, ou le courant althussérien dans sa version initiale, Gramsci en Italie, Dimitrov en Bulgarie, Staline, Bakhtine, Eisenstein, Leontiev, Vygotski, Kedrov en URSS, Ho Chi Minh, Tran Duc Tao au Vietnam, Castro, Guevara, à Cuba, Mao en Chine, Lukàcs en Hongrie, Zetkin, Luxemburg, Brecht en Allemagne, et pardon d’en oublier tant !) : bref on peut être « marxien » sans sombrer dans la vulgarité totalitaro-communiste. L’essentiel est de rejeter le marxisme-léninisme et de rallier ce que la première Coordination communiste nommait par dérision le « marxisme-ANTIléninisme »…
L’essentiel, c’est d’oublier cette citation-clé de Marx dans une lettre à Weydemeyer datée du 5 mars 1852 où le fondateur du matérialisme historique définit ainsi son apport propre : « en ce qui me concerne, je n’ai ni le mérite d’avoir découvert l’existence des classes dans la société moderne, ni celui d’avoir découvert leur lutte. Les historiens bourgeois avaient bien avant moi exposé le développement historique de cette lutte des classes, et les économistes bourgeois l’anatomie politique de ces classes. Ce que j’ai fait de nouveau consiste dans la démonstration suivante : 1°) l’existence des classes ne se rattache qu’à certaines luttes définies, historiques, liées au développement de la production ; 2°) la lutte de classe conduit nécessairement à la dictature du prolétariat ; 3°) cette dictature ellemême constitue seulement la période de transition vers la suppression de toutes les classes et vers une société sans classes ».
On aura donc le droit d’être « marxiste » en philosophie, à condition de ne pas être matérialiste. D’être « dialecticien » en logique, à condition de rejeter la dialectique de la nature, ce « barbarisme » d’Engels. D’être « révolutionnaire » en politique à condition d’être, comme les trotskistes, pour la révolution mondiale immédiate sinon rien : c’est-à-dire concrètement, RIEN. D’adopter la « critique marxiste de l’économie politique » à condition d’en déduire qu’il faut taxer les spéculateurs pour financer le progrès social, c’est-à-dire enchaîner les acquis sociaux des masses à la bonne fortune de la Bourse. D’être pour le « communisme » à condition de rejeter totalement le communisme historique, c’est-à-dire l’expérience de 70 ans et plus qui s’est mise en place à la suite de la Révolution d’octobre. De dire comme Marx « prolétaires de tous les pays unissez-vous ! » à condition d’en déduire, comme Thibault vient de le faire avec Chérèque et les autres dirigeants de la C.E.S. qu’il faut « plus d’Europe » (impérialiste !). Et ainsi à l’avenant.
La tentative de « naturaliser » Ché, Marx et tous les grands révolutionnaires, d’extirper de leur pensée la charge critique, radicale, antagonique avec le capitalisme n’est pas nouvelle mais cette nouvelle tentative arrive au moment où le vent change de côté, où renait la pensée critique et celle de Karl Marx en premier lieu.
Mais il y a dans cet article du Monde quelque chose de plus inquiétant à relever : le panégyrique de la revue Actuel Marxproche du PCF et du NPA. « Actuel Marx a gagné en âge et en légitimité » nous dit Le Monde : voila qui devrait rappeler aux responsables de cette revue marxologique ce que disait le communiste allemand August Bebel : « chaque fois que mes adversaires de classe m’applaudissent je me demande quelle bêtise j’ai pu dire ». Il est révélateur que la jonction se fasse entre Actuel Marx et Le Monde pour dénaturer, dé-révolutionnariser, dé-matérialiser, en un mot, « décommuniser »,la pensée de Marx. Quand on lit en effet que « la marxisme est une alternative au populisme » et cela sous la plume, qui jadis fut mieux inspirée, d’Etienne Balibar, on se pince : comment des marxistes même rebaptisés marxiens, un peu par lâcheté idéologique et par goût de la reconnaissance des milieux branchés, il faut bien le dire, peuvent-ils ainsi utiliser des concepts du genre « populisme », utilisés par la bourgeoisie et ses scribouillards et commentateurs divers et variés, pour discréditer toute proposition politique tant soit peu radicale en l’amalgamant en plus à l’extrême-droite sous ce vocable de « populisme », qui n’explique rien mais cherche une excommunication politico-idéologique. Bref, chère amie, vive la révolution, vive la lutte des classes, à bas le capitalisme mondial, vive l’internationalisme prolétarien, mais surtout, surtout, ne cherchez pas à faire sauter le maillon faible du capitalisme mondial, qui est l’Union européenne, ni le maillon faible de ce maillon faible, qui est la zone euro moribonde, pour en extraire la France sur des bases de classes et provoquer ainsi un ébranlement révolutionnaire de portée nationale, continentale, voire mondiale : ce serait du « populisme ». Mais qu’est-ce que ces « marxistes » qui ne savent plus ce qu’est une réunion de cellule ni un blocage d’entreprise à 4 h du matin ni une distribution de tract sur un piquet de grève, connaissent-ils du « peuple » ? Et donc, que connaissent-ils du marxisme ? « O manière savante de ramper devant la bourgeoisie », comme disait Lénine qui connaissait l’œuvre de Marx mieux que personne et qui en avait tiré l’essentiel pour la pratique : « l’analyse concrète d’une situation concrète » !
Il est vrai qu’on pouvait s’étonner que « Actuel Marx » n’ait jamais songé à présenter les travaux de notre camarade Georges Gastaud, un philosophe marxiste assumé, qui travaille la dialectique de la nature, défend le matérialisme philosophique, argumente de manière moderne la dictature du prolétariat, défend (les yeux ouverts, mais de manière constructive, TOUT l’héritage communiste, y compris la 1ère expérience socialiste de l’histoire), dénonce la nature exterministe de l’impérialisme contemporain, démasque la nature de classe de l’Union européenne et appelle les communistes et la classe ouvrière de France à associer le drapeau rouge au drapeau tricolore pour sortir la France de l’UE, fédérer le peuple sur un programme inspiré du CNR, et reprendre, – non dans les mots mais dans les faits – , la route du socialisme pour notre pays et du communisme pour le monde. Nous avons désormais la réponse : on ne peut servir deux maîtres à la fois, ni recevoir les louanges du « Monde » et servir la réflexion critique. Les choses sont ainsi plus claires et il nous revient à nous, tout en dialoguant avec tous ceux qui voudront bien cesser de nous censurer et de nous dénigrer sans nous connaître, de faire nous-mêmes NOS « étincelles » pour que redémarre en grand la pensée marxiste-léniniste moderne dont la classe travailleuse a besoin pour repartir « à l’assaut du ciel ».
Antoine Manessis, le 18 déc. 2011