Faisant actuellement l’objet de plusieurs mises en scène, cette pièce sera jouée au Théâtre Gérard Philipe de St Denis jusqu’au 22 octobre.
En termes d’intensité dramatique, c’est réussi. Relayé par la traduction, le texte est efficace. La pièce de Stéphano Massini se veut naturaliste. Le spectateur est intégré sans médiation au débat : Accepter ou non un recul social sous la menace implicite d’un licenciement ?
Mais ce naturalisme est intellectualisé et on sent la grille d’analyse de l’auteur. Y a-t’il dans cet enjeu tragique, place pour les arguments en terme de dignité et pour le respect de la qualité du débat ? C’est parfois posé de manière très lourde alors que les limites de l’anti-intellectualisme et de la recherche d’une solution immédiate sont bien montrées. Pourquoi faut-il que l’expression des réflexes de classe soit obligatoirement accompagné d’éructations racistes ? C’est fort dommage quand cette expression, justement, fait constater au spectateur que le monde du travail doit élaborer ses propres mots… Malgré la pression de l’intérêt extérieur, le point de vue de classe s’élabore spontanément, fruit de l’expérience. Il a aujourd’hui du mal à trouver les relais nécessaires.
Ces interrogations distinguent ce travail d’un Théâtre ouvrier pré-brechtien. Mais sans combler les insuffisances de celui-ci. Qu’est-ce qui amène un femme de trente ans à accepter de rogner sur sa pause ? Pourquoi veut-elle garder son premier CDI comme un précieux bijou ? De tels comportements ont des racines sociales dont la logique ne sera pas abordée.
L’auteur se veut contemporain. Il esquisse des allusions à l’idéologie publicitaire. Il fait référence à la casse sociale et aux guerres à l’Est qui amènent une immigration nouvelle. Avec des mentalités parfois perverses.
Une usine de tissage sert de cadre à l’action. Ce choix provoque un décalage (voulu ?) par rapport au brut réalisme du propos. Car en Europe de l’Ouest, le capital s’est chargé depuis une génération de faire disparaître la production textile. Cela se vérifie en quasi-totalité.
Le recours à des « trucs » de la démocratie bourgeoise, comme le vote secret apparaît plaqué. Bien que l’auteur soit italien, on adhère mal au caractère « soupe au lait » de plusieurs personnages. Cela brouille la réflexion sur l’influence du relationnel en matière de délibération collective.
On comprend mieux pourquoi cette pièce au sujet apparemment décapant et aux neuf personnages peut faire sa (coûteuse) route dans les institutions du théâtre officiel.
Olivier RUBENS