Passé par l’Assemblée nationale en procédure accélérée (article 47.1 de la Constitution), le projet de loi de contre-réforme des retraites n’a pas été jusqu’au terme de l’examen de tous ses articles, les députés de la France Insoumise (LFI) ayant fait le choix de l’empêcher.
Pour faire simple, LFI a parié sur le durcissement du mouvement social, en démontrant, à juste titre, que le gouvernement refusait le temps démocratique parlementaire sur son texte. L’objectif était donc de décrédibiliser Borne/Macron au profit du mouvement de grève, ce qui, que les députés LFI en soient ou non très conscient, revient à soutenir les secteurs en lutte dure qui rejettent, à juste raison, le syndicalisme d’accompagnement et d’atermoiement.
Au terme de la première lecture, partielle donc, devant l’Assemblée, les députés insoumis ont appelé à « bloquer le pays » (expression maladroite, les syndicalistes de classe, comme le PRCF parlent plutôt du blocage des profits) à partir du 7 mars.
Si nous avons bien des désaccords lourds avec LFI (laquelle refuse de sortir de l’Union européenne et de l’€uro, de condamner les livraisons d’armes à la junte pronazie de Kiev, de voter contre les crédits de guerre à l’OTAN — l’abstention sur un tel sujet, dont peut découler le glissement à la guerre nucléaire mondiale, relève de la dérobade coupable –, enlisement dans la NUPES aux côtés des bellicistes du PS et des Verts, etc), au cas présent force est de constater que :
- le blocage de l’examen du projet de loi est le fait du gouvernement, qui a décidé de passer en force en recourant aux articles les plus antidémocratiques de la Constitution fort peu républicaine de 1958 ;
- le soutien affiché au mouvement social en cours, en faisant du 7 mars le début du blocage des profits, va clairement dans le bon sens pour faire barrage au projet de casse des retraites.
Mais voilà, cette stratégie est loin de plaire à Roussel… et à Martinez, qui ne s’est pas fait prier pour la critiquer ouvertement, en accusant LFI de « s’approprier le mouvement social pour faire passer les syndicats au second plan ». Alors que les députés insoumis appelaient précisément à rejoindre le mouvement sur la date du 7 mars… décidée par les syndicats ! Et que dire du paradoxe qui consiste à dénoncer l’immixtion du politique dans le syndical en critiquant par la voie syndicale la stratégie du politique du premier groupe d’opposition de « gauche » (fut-il très inconséquent !) à l’Assemblée nationale : un tantinet paradoxal non ? Bref, quand un mouvement politique appuie un mouvement de lutte dur, c’est de la « récup politicienne » ; mais quand un syndicaliste, qui par ailleurs a appelé à voter Macron en mai 2022, critique une stratégie parlementaire, c’est quoi?
Bref, on l’a bien compris : Philippe Martinez suit Laurent Berger (qui n’a d’ailleurs pas tardé à critiquer, lui aussi, la stratégie de LFI et qui ne se prive pas, lui, de fouler l’indépendance syndicale prolétarienne vis à vis de la bourgeoisie — car là réside la seule véritable indépendance syndicale qui vaille) en lui laissant de fait la direction du mouvement. Autrement dit, il laisse les clefs de la contestation à un stratège qui a déjà 1000 fois trahi le mouvement social et dont la collaboration de classes n’est plus à démontrer.
Mais voilà : les bases combatives de la CGT, notamment emmenées par les camarades de la Fédération Nationale des Industries Chimiques (FNIC-CGT), ont bien compris que cette « stratégie de la défaite » nous menait droit dans le mur et tentent de construire le « tous ensemble et en même temps » en organisant une puissante contre-attaque le 7 mars et les jours qui suivront. Ainsi, les fédérations Chimie, Énergie, Ports et Docs, Cheminots et Verrerie, appellent les travailleurs de leur secteur professionnel à la grève reconductible à partir de cette date. Qu’on se le dise, si ces secteurs sont effectivement tous en grève reconductible à cette date, il y aura clairement un air de grève générale et un blocage des profits supérieur à décembre 1995 ! Encore faut-il les aider, et non pas faire chorus avec Berger, dont le nom résume le programme « revendicatif »…
Cette stratégie potentiellement gagnante semble déplaire au plus au point à Philippe Martinez, surtout à l’approche du congrès de la CGT prévu fin mars et qui s’annonce bouillant si ce n’est explosif : 18 fédérations sur les 33 que compte la CGT, représentant les 2/3 des syndiqués de la Confédération, ont indiqué lors du Comité Confédérale Nationale (CCN) de février qu’elles s’opposaient à la candidature de Marie Buisson (qui veut faire passer le sociétal au-dessus du social en s’appuyant sur des organisations petite-bourgeoises comme Greenpeace, ennemie acharnée d’EDF, qui se contrefichent du sort des ouvriers industriels de notre pays, coeur de la classe ouvrière !) sa successeur désignée… par ce même Martinez.
Dans ce contexte, l’actuel secrétaire général de la CGT paraît jouer la carte de la division du mouvement en s’appuyant sur certains cadres intermédiaires du P« C »F-PGE dans la CGT, pour les opposer au reste des troupes, dont une part non négligeable est sympathisante de la LFI, n’a pas d’ancrage politique précis (ou, pour les plus conscients, aspirent à retrouver un véritable parti communiste de combat), le tout en s’appuyant sur le ressentiment (légitime) des militants du P« C »F-PGE trahis par le refus de Mélenchon lors des législatives de 2017 de signer un accord équitable avec leur organisation. Il espère probablement en profiter pour rabatte ces troupes vers la candidature de Marie Buisson lors du congrès confédéral, faisant ainsi coup double.
On imagine bien la position inconfortable de certains militants CGT cartés au P« C »F-PGE. Pour ne donner qu’un seul exemple, le plus emblématique, celui de Laurent Brun, le secrétaire général de la fédération cheminote encarté au P« C »F-PGE, soutien affiché de Fabien Roussel et pourtant à la tête d’une fédération CGT favorable au durcissement du mouvement le 7 mars.
On rappellera que le secrétaire national du P« C »F-PGE considère que l’article 7 (celui de l’âge légal de départ à 64 ans) est le plus problématique du projet (aux oubliettes les 43 annuités imposées successivement par Balladur, Fillon et Touraine !) et qu’il appelle à un référendum sur la question, parce que « mieux vaut ça plutôt qu’un blocage du pays, avec manifs, grèves et compagnie » (sic)… Qui croirait qu’un tel propos pût émaner d’un « communiste identitaire », comme ses soutiens acritiques aiment à qualifier Roussel ? Une proposition extrêmement dangereuse alors que la contestation prend de l’ampleur : appeler au référendum, c’est contourner et affaiblir le combat de classes en cours tout en oubliant au passage de rappeler que le vote du 29 mai 2005 refusant la Constitution européenne a été torpillé par Sarkozy… et par le PS auquel le P« C »F-PGE est pieds et poings arrimé. Imaginons que mai 1936 ou 1968 se soient terminés par un référendum et non par les accords de Matignon et de Grenelle : la portée en aurait été tout autre et aurait offert une porte de sortie aux gouvernements bourgeois ou social-démocrate de l’époque, tout en laissant bien tranquille le grand patronat…
Mais Philippe Martinez et Fabien Roussel sont à bien des égards sur la même longueur d’onde : l’un participe à une manifestation en faveur de la guerre contre la Russie (1), quand l’autre vote les crédits de guerre à l’organisation criminelle qu’est l’OTAN (2) ; l’un modère la contestation par l’absence de stratégie claire et par l’arrimage à la CFDT et à la C.E.S., pendant que l’autre ne conteste que l’article 7 du projet et appelle au référendum pour se placer au-dessus de la contestation… Rappelons que ce même Roussel s’était déjà signalé par ses ronds de jambe quand Macron avait parlé de mettre en place un gouvernement d’union nationale en juillet dernier et craignait une explosion dont la seule question est de savoir dans quel sens politique irait cette explosion.
Cette stratégie caoutchouteuse n’en est pas moins risquée pour Philippe Martinez et le bureau confédéral, tout comme pour Fabien Roussel. En effet, le poids du P« C »F-PGE s’est considérablement amenuisé dans la CGT et les camarades à la base de la CGT affichent une détermination sans faille à en découdre et la stratégie des fédérations rouges pourrait bien faire tâche d’huile, y compris du côté des cartés CGT, voire à la base dans la Jeunesse communiste.
Alors plus que jamais, le mot d’ordre doit être « grève inter-pro reconductible jusqu’au retrait total » comme on l’entonne de Lille à Marseille en passant par Lyon et Rennes, ainsi que « ils cassent nos acquis, bloquons leurs profits » et « l’argent pour les pensions, pas pour les marchands de canon » ! C’est à cela et rien d’autre qu’œuvreront les militants syndicalistes proches du PRCF : à construire le 7 mars pour en faire le début de la grande explication par le « tous ensemble en même temps et dans le même sens » pour stopper Macron/MEDEF/UE et lancer la grande contre-offensive de la classe ouvrière pour arracher de nouveaux conquis et sauver la paix mondiale !