Coup de tonnerre populaire : le 53e congrès de la CGT aura consacré d’entrée le vote sanction contre le rapport d’activité de la direction confédérale de la CGT (commission exécutive confédérale et son dirigeant sortant, le secrétaire national Philippe Martinez). Cautionnement de la destruction du produire en France et tout particulièrement de l’industrie, prise de position anti-populaire contre les gilets jaunes le tout au service d’un alignement dans l’inaction derrière la CFDT de Laurent Berger placé à la tête de la Confédération Européenne des Syndicats chapeautant la CGT – en n’appuyant que partiellement par défaut de coordination du tous ensemble les innombrables luttes pour les salaires et l’emploi menées dans les entreprises pas les syndicats CGT et leurs fédérations … Des orientations stratégiques à rebours de l’histoire et des valeurs de la CGT, qui plus est imposées de façon descendante en écartant les travailleurs, c’est-à-dire les syndicats qui sont la base de la confédération syndicale du processus de décision. En dépit d’un mode de désignation des 942 délégués et de distribution des mandats favorisant structurellement la stabilité pour la direction sortante – via la forte représentation des Unions Départementales –, ce premier vote a témoigné de la sanction de masse de l’orientation réformiste poursuivie par Martinez dans la foulée de Lepaon et Thibault. Un vote intervenant qui plus est alors que Philippe Martinez, se permettant de s’exprimer au nom de la CGT dont il n’était déjà plus secrétaire national, avait indiqué souscrire à la simple « pause » du plan Macron dans le cadre d’une médiation demandée par Laurent Berger. Un véritable coup de poignard dans le dos des centaines de milliers de travailleurs en grève reconductible depuis des semaines, des raffineurs aux éboueurs, des cheminots aux énergéticiens gaziers… Qui aura légitimement scandalisé le congrès (lire ici)
Symboliquement, c’est aussi un autre vote majoritaire qui aura imposé un amendement retirant du tête d’orientation l’adhésion au collectif Plus Jamais Ca.
En dépit du vote du congrès désavouant la direction sortante, la liste de composition de la direction élargie de la confédération, sa commission exécutive confédérale (CEC), n’était que peu modifiée – malgré des échanges très âpres au comité confédéral national (CCN). Une proposition de liste pour la CEC validée par un vote par mandat dans des scores historiquement faibles avec 45,84% des mandats s’y opposant. De fait, cette CEC apparait minoritaire auprès des fédérations syndicales et ne doit sa validation que par le large soutien des représentants des Unions Départementales, très loin des scores habituels d’une proposition de CEC dans la centrale. Un score obtenu uniquement grâce au soutien d’un nombre très important d’unions départementales (60) et de seulement 11 fédérations – 17 fédérations et 24 unions départementales ayant en revanche voté contre ; 11 fédérations, fédérations qui plus est minoritaires en nombre d’adhérents de la CGT.
La très mauvaise surprise entachant ce vote est par ailleurs la mise à l’écart d’Olivier Mateu, secrétaire de l’UD CGT 13, et d’Emmanuel Lepine, secrétaire de la fédération de la Chimie, deux syndicats pourtant à l’avant-garde de la bataille pour le retrait du plan Macron. Une très mauvaise magouille d’appareil a empêché le très populaire Olivier Mateu, de pouvoir être partie du vote de désignation au poste de secrétaire national, celui-ci n’étant statutairement pas direct : le mode de désignation, indirect, se faisant parmi les membres de la CEC et sur sa proposition et après validation par un vote du parlement de la CGT, le CCN. Une manipulation d’appareil visant aussi à préserver la majorité de la dauphine désignée de Philippe Martinez, Marie Buisson, et de son clan réformiste au sein de cette CEC que, rappelons-le, le congrès a pourtant clairement sanctionné au niveau de son orientation et de ses résultats !
Un blocage qui provoquera la colère de nombreux délégués tout au long de la journée du jeudi. Parmi les interventions en congrès, on aura ainsi entendu : « il est incroyable que de grosses fédérations et unions départementales à la pointe de tous les combats ne soient pas présentes à la CEC. J’appelle les camarades à rajouter les noms d’Olivier Mateu et Emmanuel Lépine pour une CEC plus ouverte. » Ou encore : « le rapport d’activité a été rejeté, on ne comprend pas pourquoi vous remettez les mêmes noms qu’avant ».
Une fronde qui aura beaucoup de mal à s’exprimer, ces interventions légitimes étant bloquées par la tribune coupant les micros.
Céline Verzeletti, l’une des candidates officieuses au remplacement de Philippe Martinez en contrepoint de Marie Buisson, indiquera à propos des critères prétendument censés justifier ces aberrations évidentes : « Ces critères sont importants car ils permettent la parité, mais ils ne doivent pas exclure certaines candidatures. » Tandis qu’Olivier Mateu avait proposé, de façon très rassembleuse, un ticket avec Céline Verzeletti, dans une intervention très applaudie, il appelait au tous ensemble pour la lutte : « Le rassemblement n’est pas une option. On n’est pas là en attente d’une CGT qui demande une médiation. Les camarades sont en attente d’une CGT qui les mène à la victoire (…) travaillons ensemble »
C’est donc une liste de composition de la CEC très contestée qui sera soumise au vote du congrès – une proposition valant forte recommandation à la voter puisque bénéficiant du soutien du CCN. Rappelons que si les délégués au congrès votent individuellement, ils ne le font qu’en exécution des mandats délivrés par leurs syndicats mandants. Pour pouvoir être élu à la CEC en dehors de cette liste, les noms proposés devaient donc l’être de façon volontaire et recueillir plus de 50% des mandats : une gageure. Pour donner un parallèle de circonstance, une modification de la CEC aurait nécessité l’équivalent du vote d’une motion de censure.
En définitive, cette liste comprend quelques entrées. Les plus remarquées sont celles de Laurent Brun, secrétaire national de la Fédération CGT cheminots, par ailleurs militant déclaré du PCF et proche de Fabien Roussel. Ainsi que celle de Fabien Menesplier, secrétaire national de la puissante et très combative Fédération Mines et Energie. Deux entrées « compensées » par celles de réformistes imposés pour garantir leur majorité au sein de cette CEC.
Dans le détail, cette CEC de 66 membres comprend 27 membres représentants 23 unions départementales – les Alpes-Maritimes, l’Isère, la Manche et la Seine-Saint-Denis sont doublement représentées. Les départements comportant les plus grosses UD de France sont exclus (Nord, Seine-Maritime, Bouches-du-Rhône, Val de Marne, etc., pour ne citer que ces exemples). La forte présence dans ces syndicats des organisations ouvrières doublés pour certains de leur adhésion à la FSM n’est pas qu’une coïncidence.
Sur les 32 fédérations composant la confédération CGT, seules 19 fédérations sont représentées tandis que 13 ne le sont pas. Notamment les fédérations très ouvrières des Industries chimiques, des Ports et Docks, de l’intérim, des marins, du livre ou du verre ; parmi elles, singulièrement des fédérations adhérentes de la FSM (FNIC CGT) ou rejetant la CES (Port et Docks).
Ce mode de représentation apparait d’autant plus déséquilibré que certaines fédérations bénéficient de plusieurs représentants (28 des 35 délégués pour 12 fédérations). Si pour certaines qui forment les plus gros bataillons d’adhérents de la CGT, c’est pleinement explicable (Cheminots, Mines et Energie,…), pour d’autres de taille très modeste et dont la contribution dans le rapport des forces et dans les luttes et bien souvent pointé du doigt, cela interpelle. A l’image des trois déléguées de la très réformiste FERC (dont Marie Buisson) ou les deux délégués de la structure confédérale de l’Union des cadres (UGICT dont est issue Sophie Binet, qui elle-même n’est professionnellement pas une cadre). La fédération de la métallurgie, dont est issue Martinez, se voit primée de quatre représentants ; une fédération qui s’est illustrée en excluant en bloc le très fort syndicat CGT de l’usine PSA de Poissy. FERC, UGICT, Métaux : on se demande bien comment la direction de la CGT peut expliquer aux dockers, aux raffineurs et aux pétrochimistes, qui sont une part majeure du rapport de forces dans les luttes de l’ensemble du monde du travail, qu’ils méritent d’être exclus de la direction de la CGT, au profit de dirigeants de l’Union des Cadres et de la Fédération de l’éducation et de la recherche qui représentent une minorité très petite des adhérents, mais non pour seul « avantage » d’évidence que leur position politique ultra réformiste.
C’est dans des circonstances particulièrement discutables que cette liste initiale de 66 noms aura donc malgré tout été déclarée élue très tardivement, et cela avant même la publication des résultats des votes. Promis sous la pression du congrès pour 23h, ces résultats qui ne seront publiés qu’après que plus de 300 délégués sur les millier composant le congrès ne soient obligés jusque très tard dans la nuit de se mobiliser pour obtenir leur publication. Des conditions très troubles de parution des résultats qui, ne dépareillant pas de celles d’un vote ouvert, puis fermé, puis rouvert, entachent d’évidence le résultat. Webdiffusé, les conditions de tenue de ce congrès provoquaient d’ailleurs la stupéfaction très large sur les réseaux sociaux.
Des résultats qui démontrent le rejet par le congrès de la candidate désignée de la direction sortante emmené par Martinez : Marie Buisson ne recueille, malgré sa mise en avant depuis des mois et sa prise de parole en ouverture du congrès, que 57,2% des mandats quand tous les autres noms de la liste sont à près de 80% et plus. D’après les résultats du scrutin sur les noms ajoutés, Olivier Mateu et Emmanuelle Lépine recueillent 206.000 voix. Il s’agit là d’un très large soutien de la base de la CGT : ces voix sont celles des mandats qui se sont exprimés pour ajouter ces noms volontairement qui n’était pas proposé de façon générale au vote. Une mobilisation qui démontre combien est incompréhensible qu’ils aient été écartés de la liste de la CEC, si ce n’est pour d’évident motifs politiques.
Les arcanes de la désignation de Sophie Binet
Cette composition de la CEC aboutit à un blocage. Marie Buisson et les réformistes sortent très fortement affaiblis des votes du congrès puisque leurs orientations et leurs bilan ont été rejetés et condamnés. A l’inverse, le blocage de l’entrée d’Olivier Mateu et Emmanuel Lépine ne permet pas plus de dégager de majorité claire pour obtenir la validation par le CCN des propositions formulées par la CEC . A l’issue de ces « votes » de composition de la CEC, Buisson et ses partisans tentent un coup de force en proposant au CCN une direction conduite par cette dernière, conformément à la décision arrêtée dès avant le congrès qui, dans leur esprit, devait être une simple chambre d’enregistrement. Le CCN la refuse, démontrant que les réformistes n’ont, à l’image de Macron, pas la majorité. Puis c’est Céline Verzeletti qui tente de formuler une proposition elle aussi bloquée, sans surprise puisque la composition de la CEC comprend toujours une majorité réformiste favorable à Marie Buisson. En effet, une partie de ceux s’opposant à Martinez et Buisson, représentant de l’ordre de 15% des mandats, se seront aussi positionnés pour bloquer dans les faits les au moins 35% regroupés autour de Mateu et Lépine afin d’accéder à la CEC – eux qui avaient fait preuve d’un remarquable esprit unitaire au service de la CGT. Résultat : vendredi à 7h du matin, le clan Martinez-Buisson bloquait toujours la proposition formulée par Verzeletti.
C’est donc à la faveur de l’urgence des aiguilles de l’horloge tournant de plus en plus près des 10h, horaire officiel de la désignation de la nouvelle direction exécutive auprès du congrès, qu’une proposition de bureau – semble-t-il sur proposition de Laurent Brun – était validée par le CCN. Sophie Binet (SG n°1), Laurent Brun (administrateur n°2), Catherine Giraud, Nathalie Bazire, Sebastien Menesplier, Boris Plazzi, Gérard Re, Mireille Stivala, Thomas Vacheron et Céline Verzeletti. Sophie Binet, candidate non déclarée mais dont le nom circulait comme une alternative à Marie Buisson dans le camp réformiste (mais seulement officieusement puisqu’elle n’avait pas la préférence de Philippe Martinez, accordée à Marie Buisson), sans doute du fait de liens préexistants de Sophie Binet avec le prédécesseur de Martinez, un certain Thierry Lepaon. Rappelons que Sophie Binet, fait partie dès le 25 mars 2013, il y a de cela dix ans, du bureau confédéral de Thierry Lepaon, le prédécesseur de Philippe Martinez, débarqué à la suite de travaux de son bureau et d’indemnités somptuaires, et bénéficiaires de bonnes places depuis sous les largesses de Valls puis de Macron. Déjà au titre de l’UGICT. Pour ceux qui ont de la mémoire, elle avait tout juste un an plus tôt était l’une des signataires de la motion de congrès majoritaire d’un autre congrès en 2012, celui du parti socialiste, alignant son nom au coté de François Hollande, Jean Marc Ayrault, ou encore Manuel Valls.
Un changement sans changement ?
Le résultat final apparaît, en quelque sorte, comme un changement apparent pour que pas grand-chose ne change. Si l’image symbolique d’une femme dirigeant pour la première fois la CGT pourrait séduire dans le cadre d’une campagne de communication bien orchestrée, les travailleurs, eux, ne manquent pas d’observer que Sophie Binet est positionnée sur la même ligne réformiste que Marie Buisson ; cette ligne qui, depuis 30 ans, conduit les travailleurs de défaites en recul et le syndicalisme à son affaiblissement. Son parcours n’est d’ailleurs pas pour rassurer : cacique de l’UNEF, cette militante encartée au PS n’aura fait qu’un court passage de 5 ans au sein du monde du travail comme conseillère principale d’éducation avant de rejoindre une structure confédérale de la CGT, l’Union des cadres. De fait, la direction de la CGT est confiée ) une représentante des cadres, alors même que son exécutif leur fait la part belle tout en excluant de larges pans des fédérations et syndicats ouvriers (à l’image de la FNIC ou de d’UD CGT telle celle des Bouches-du-Rhone) : c’est particulièrement détonnant. Sophie Binet est par ailleurs membre de la FERC, au coté de Marie Buisson et faisait déjà partie de la direction confédérale de Thierry Lepaon. La direction de la CGT par une revendiquée cadre n’est pas sans poser de vraies questions pour une organisation syndicale devant représenter les travailleurs et travailleuses qui sont très majoritairement des ouvriers et employés. C’est ce que souligne par exemple Nadia Beloum, syndicaliste à la RATP : « Moi ça me choque, parce qu’elle n’est pas représentative des quatre cinquièmes des travailleurs de la CGT. C’est une cadre, donc moi je ne me sens pas représentée par cette femme. Elle n’a pas eu mon travail, elle n’a pas travaillé avec ses mains, elle n’est pas productive comme moi. Elle a un métier certes, mais elle n’est pas ouvrière. » »Je suis en colère parce que moi je suis sur le terrain tous les jours, pour régler des petits soucis, des injustices. Et en fait on m’annonce que la secrétaire générale de mon syndicat, c’est une cadre. Mais qu’est-ce qu’elle y connait ? Qu’est-ce qu’elle sait de ce qu’il se passe en bas ? »
On remarquera également que ceux qui n’ont eu de cesse de vitupérer contre une CGT trop proche des communistes n’auront cette fois-ci rien à redire à ce que ses rênes soient confiés à une militante du Parti socialiste. Et pas n’importe quel « Parti socialiste » ! Sophie Binet a en effet pris volontairement sa carte dans ce « Parti socialiste » des années 2000, celui de la « gauche » plus rien, celui des Hollande,Valls et… Macron ou Dussopt. De même, chacun peut entendre le silence assourdissant de ceux qui prétendaient faire campagne contre LFI en cognant d’une façon absurde contre Mateu. Mais il est vrai que chez certains au P« C »F, même pour une partie de ceux se parant de grande déclarations identitaires, l’alliance avec le PS et la mutation réformiste ne sont jamais un problème dès lors que cela semble profitable à la lutte des places plutôt qu’à la lutte des classes. Cela s’était déjà vu au dernier congrès du P« C »F et se confirme avec la disparition de tout texte d’opposition communiste pour le prochain congrès qui s’ouvrira ce 10 avril.
Le bureau confédéral de 8 membres est composé de la façon suivante. Sophie Binet (SG ), Laurent Brun (administrateur ), Catherine Giraud, Nathalie Bazire, Sebastien Menesplier, Boris Plazzi, Gérard Re, Mireille Stivala, Thomas Vacheron, Céline Verzeletti. Parmi eux, et de notoriété publique selon la presse nationale, Sophie Binet est membre du Parti Socialiste, Laurent Brun et Céline Verzeletti du PCF.
La volonté majoritaire d’un syndicalisme de classe et de masse finira par trouver son débouché
Ce 53e congrès CGT n’aura, de toute évidence, pas donné une image à la hauteur de l’exemplaire et héroïque mobilisation populaire, de ce courageux mouvement social de classe et de masse, très largement conduit sur le terrain par les syndicalistes CGT et leurs organisations. Solidement tenu dans son déroulé, il aura tout à la fois exprimé la volonté majoritaire des syndicalistes CGT faisant irruption pour un syndicalisme de classe et de masse, clair et offensif pour servir les intérêts de la classe des travailleurs, mais également assuré la continuité de la direction existante et de ses orientations pourtant fondamentalement remises en cause. Une contradiction dans les termes qui, si elle ne se reflète pas dans les instances exécutives, demeure au niveau du CCN, le parlement de la CGT, et qui ne manquera pas d’appeler à la poursuite d’une dynamique de classe et de masse pour tous ceux qui veulent une CGT permettant aux travailleurs non pas de « dialoguer » et de « concerter », mais de lutter et gagner.
Le résultat de cette bataille de congrès ne doit pas entacher l’exemplaire mobilisation du monde du travail. C’est elle qui, avec les secteurs de classe et de masse de la CGT, peut conduire la classe des travailleurs à la victoire ainsi qu’à la reconstitution de ses outils d’organisation pour aller à la victoire.
C’est d’ailleurs dans cet esprit de lutte des classes, et non de lutte des places, qu’Oivier Mateu lançait un appel à renforcer et poursuivre la bataille pour le retrait du plan Macron :
JBC pour www.initiative-communiste.fr
Ci dessous , retrouvez la tribune analysant les significations et perspectives politiques qui découlent de ce 53e congrès de la CGT et de l’actuelle mobilisation populaire pour le retrait du Plan Macron UE MEDEF