Par Georges Gastaud, directeur politique d’Initiative communiste – 16 mai 2023 – Après la grande journée de lutte du Premier Mai 2023 et dans l’attente de celle du 6 juin prochain, alors que Macron, flanqué du Conseil « constitutionnel » copiloté par les très maastrichtiens Fabius et Juppé, a dictatorialement promulgué sa contre-réforme en encourant la haine compréhensible de l’écrasante majorité des travailleurs, nous aurions aimé directement la question « Que faire? » qui servit jadis de titre à une célèbre étude de Lénine. Mais étant donné le très bas niveau de réflexion stratégique qui caractérise, non pas le mouvement populaire (il a beaucoup progressé en quatre mois de luttes intenses), mais ses états-majors politiques et confédéraux plus euro-complaisants et Macron-compatibles les uns que les autres (1), nous nous contenterons ici de poser la question : « Que NE SURTOUT PAS faire?« , Mesdames et Messieurs les dirigeants de la gauche politico-syndicale établie si vous voulez vraiment aider le mouvement social à reprendre son souffle, empêcher Macron de se remettre en selle et d’aggraver sa politique de casse, faire en sorte qu’émerge dans le pays le « tous ensemble en même temps » qui, par le blocage effectif des profits capitalistes, balaiera l’ensemble des contre-réformes en remettant la France sur les rails du progrès social, de l’indépendance nationale, de la démocratie et de la paix.
UN PROCHAIN « CANOSSA » DES DIRIGEANTS CONFEDERAUX?
Sachant que le principal acquis de la bataille des retraites 2023 est moins d’ordre revendicatif (la contre-réforme a été promulguée), que d’ordre sociopolitique (effondrement de la légitimité politique et morale de Macron, retour en force de la classe ouvrière dans les grèves et blocages, montée d’une C.G.T. de classe contestant l’orientation euro-réformiste incarnée au long cours par les Viannet, Thibault, Le Paon et Martinez, discrédit croissant d’une U.E. orchestrant les contre-réformes et que les confédérations parviennent de moins en moins à protéger, prise de conscience du fait que la « démocratie » actuelle sert de masque de plus en plus transparent à un régime policier…), le « minimum syndical » exigible de véritables chefs de file confédéraux devrait être de ne pas aider Macron à se relégitimer, de ne pas l’aider à « tourner la page », de ne pas contribuer, en discutant avec lui comme si de rien n’était, à rouvrir son « dialogue social » bidon où tout est fixé d’avance par le M.E.D.E.F., Black Rock et l’U.E.- Or, Laurent Berger vient coup sur coup d’annoncer sa retraite syndicale précoce (vraisemblablement dorée, toutes nos félicitations!) et sa prochaine participation au tour de table annoncé par Borne. Dans la foulée, Sophie Binet, la nouvelle secrétaire générale de la C.G.T., a elle aussi annoncée qu’elle se rendrait au rendez-vous de Matignon. Bien entendu, j’entends déjà les éternels suivistes mouliner, voire « touiller », sur le thème bien connu: « pas de politique de la chaise vide« , « il faut peser« , il faut « engranger » (engranger quoi? des humiliations et la répression frappant des centaines d’acteurs courageux des blocages?). La réalité est tout autre: ON SAIT DEJA que Macron veut surtout rassurer Ursula von der Leyen et les agences de notation financière qui viennent de déclasser la France (message subliminal: « c’est pas beau de contester, tas de Gaulois réfractaires! ») et, tout en lâchant des amuse-gueule sociaux sur l’ « amélioration des ambiances de travail », souhaitent surtout lancer sans plus tarder le train de contre-réformes annoncés par Véran sur le RSA, l’immigration, la précarisation de la la fonction publique,, sans oublier la ruineuse loi de programmation militaire visant à préparer la France au « conflit global de haute intensité » préparé par l’O.T.A.N. contre la Chine et la Russie.
Bref, surtout après l’énorme épisode de viol de la volonté populaire et de répression policière que notre classe vient d’endurer (au point que même Washington a fait publiquement la morale au petit vassal français!), aller discuter avec le Macronat, c’est plus que jamais collaborer avec l’ennemi de classe, l’aider à se relégitimer et tenter d’empêcher que les travailleurs ne tirent les conclusions révolutionnaires du constat évident suivant: dans ce régime, il n’y a plus que des coups à prendre, même les miettes sont pourries, le système politique est hyper-verrouillé avec le présidentialisme monarchique, le quinquennat négateur de la « séparation des pouvoirs », un Conseil constitutionnel cyniquement oligarchique, des préfets qui interdisent les concerts de casseroles mais qui laissent manifester de francs nazis, voire une « gendarmerie européenne » et une « armée européenne » qui seront là demain pour tirer dans le tas si les choses finissent par prendre un tour insurrectionnel au pays de 1789, de 1793, des Trois Glorieuses, de février 1848, de la Commune, de 36, de l’insurrection parisienne de 44, de Mai 68… sans oublier les Gilets jaunes d’encore fraiche mémoire! Et toute la question est là: faut-il absolument que les dirigeants confédéraux remettent deux sous, ou plutôt deux sacro-saints euros, dans le fascisant bastringue euro-maastrichtien de l’Elysée, pour obtenir en échange deux sourires de crocodile assortis de 49,3 coups de pied aux c..? Plus, il est vrai, si ces messieurs-dames sont aussi sages que le furent avant eux les confortables retraités d’Etat que sont devenus Notat, Thibault (devenu l’un des responsables de l’organisation des J.O. de Paris..), Le Paon, Chérèque et Mailly, quelques sinécures très rémunératrices, pendant que les travailleurs du rang seront de plus en plus sous-payés, malmenés au boulot, privés de leurs acquis historiques, sous-soignés dans des hôpitaux branlants, payant leur électricité fort cher, voyageant sur des rails non réparés, en un mot, précarisés de toutes les euro-façons possibles?
En réalité, le choix est simple pour les acteurs du mouvement syndical et il n’oppose même plus de gentils « réformistes » obtenant pas à pas des avancées modestes mais bonnes à prendre (le fameux « grain à moudre » cher au défunt Bergeron), à des syndicalistes révolutionnaires associant combat revendicatif et visée sociale transformatrice. Etant donné que le projet euro-atlantiste et néolibéral est de plus en plus ouvertement agressif et « dé-protecteur », tout syndicaliste doit désormais choisir entre l’accompagnement, non pas des « réformes », mais des contre-réformes (le « grain à moudre » de Bergeron, que ce dernier n’a jamais « obtenu » que parce qu’à l’arrière-plan, la C.G.T. de B. Frachon et d’H. Krazucki affrontait durement l’exploitation capitaliste, est maintenant presque entièrement mangé… par les capitalistes), et une résistance sociale effective dont la signification objective ne peut plus être, désormais, que révolutionnaire. Bref, aller discuter avec Borne EN LEVANT LE PREALABLE DU RETRAIT DE LA CONTRE-REFORME DES RETRAITES, signifie pour les principales confédérations affiliées à la C.E.S. (C.F.D.T., F.O., mais aussi C.G.T. hélas!) tirer Macron de l’isolement, le remettre en selle, l’aider à sortir de l’illégitimité politique qui est la sienne et que Berger lui-même n’avait pu s’empêcher d’évoquer quand il parlait récemment de « problème démocratique » en France. Mais il est vrai que les Berger, Martinez et autres syndicalistes « responsables » avaient appelé à voter Macron en juin 2022 sous prétexte de stopper Le Pen… alors que, en se comportant en permanence en commis du M.E.D.E.F. et de l’U.E., Macron n’a jamais fait que rapprocher la possible arrivée de Le Pen à l’Elysée !
Bref, malgré l’habillage « dur » et « contestataire » dont les responsables confédéraux affiliés à la C.E.S. ne manqueront pas de revêtir leur prochaine visite à Matignon, nous assistons bien à un Canossa syndical qui prend à contrepied les millions de travailleurs et de jeunes qui ont manifesté, bloqué, fait grève, affronté courageusement leur direction d’entreprise, perdu de l’argent par temps d’inflation, pris des risques personnels en un mot pour obtenir le retrait de la loi Borne. Une telle visite affaiblirait donc très certainement, sans encore pouvoir le détruire totalement, le résultat sociopolitique de quatre mois de lutte prolétarienne qui ont fait l’admiration du monde: la délégitimation du régime, la nécessité clairement émergeante d’une alternative sociale et politique portant l’aspiration des travailleurs de France à une République sociale, souveraine et pacifique préférant la vie à la poursuite délétère du tout-profit maximal.
UNE GAUCHE ETABLIE ENLISEE DANS L’UNION SACREE SOCIAL-EUROPEISTE ET SOCIAL-BELLICISTE
Même s’il faut reconnaître que les députés insoumis se sont battus vaillamment, sinon toujours astucieusement, contre la loi Borne, la dérive de la gauche politique n’est pas moins dommageable à l’avenir du mouvement social que ne l’est celle des directions confédérales euro-formatées. Si l’on voulait vraiment parfaire l’isolement politique de Macron et donc, l’obliger, selon un mot célèbre de Gambetta, « à se soumettre ou à se démettre » de manière à rouvrir la voie du progrès social, le courage politique et social consisterait d’abord à se souvenir du mot d’ordre du socialiste allemand Karl Liebknecht en 1914 (« L’ennemi principal est dans ton pays« ). Donc, à ne pas nourrir l’union sacrée russophobe et sinophobe que Macron a jusqu’ici construite avec succès autour de sa ligne d’inféodation de la France à la stratégie jusqu’au-boutiste de l’U.E.-.O.T.A.N. qui nous précipite vers ce que le chef d’état-major de l’Armée française nommé par Macron, le général Burckhard, nommait déjà lors de son entrée en fonctions le « conflit global de haute intensité »: en clair, vers la troisième guerre mondiale. Or déjà les députés « communistes » présents ce jour-là en séance, et bien entendu, les députés E.E.L.V. et P.S., ont voté à l’unisson le 30 novembre 2022 l’envoi d’armes lourdes françaises au régime de Zelensky. Déjà, la totalité des députés a accepté, à l’exception de deux élus du P.C.F., qui du reste ne se sont pas frottés aux questions de fond, la résolution macroniste d’orientation dangereusement négationniste qui accuse sans preuves l’U.R.S.S. (3)) d’avoir fomenté un génocide alimentaire en Ukraine au début des années 1930; ce qui revient, non seulement à indexer la recherche historique sur un vote parlementaire digne de la guerre froide, non seulement à criminaliser a posteriori la Russie actuelle héritière du régime soviétique victorieux d’Hitler, mais à renvoyer dos à dos le Reich exterminateur et son principal vainqueur, l’U.R.S.S. (4), voire à dédouaner Hitler: le plan Barbarossa ordonnant l’invasion de la Biélorussie et de l’Ukraine soviétique par la Wehrmacht se mue même un acte libérateur s’il s’est alors agi de renverser un régime d’affameurs génocidaires! Terrifiant recyclage de l’impérialisme allemand (et de l’impérialisme japonais, lui aussi en plein réarmement), du reste en plein réarmement!
Comment s’étonner après cela que l’U.E.-O.T.A.N. de Joseph Biden, d’Ursula von der Leyen et de leur petit commis hexagonal Macron, en soient venus à porter à bout de bras à coups de milliards, et en brisant les acquis subsistants des travailleurs, un régime ukrainien nostalgique du collabo génocidaire et antisémite Stepan Bandera? Comment en outre s’étonner que l’opposition des députés insoumis à la loi macroniste obligeant les mairies à apposer le drapeau européen au fronton de toutes nos mairies se soit avérée totalement inefficace alors que c’est Mélenchon qui a sottement proposé au printemps 2022 de pavoiser toutes les mairies françaises aux couleurs jaune-bleu du douteux Zelensky, l’homme qui a supprimé le Code du travail dans son pays et qui a interdit le parti communiste et toutes les formations ukrainiennes de gauche sans que la « gauche » et l’ « extrême gauche » françaises émettent un mot de désapprobation ?
Mais comment délégitimer socialement un régime, celui de Macron et de ses suppôts du M.E.D.E.F. et de l’U.E., que l’on soutient de toutes ses forces sur le plan international sans faire le moindre effort pour sortir de cette Alliance atlantique que Mélenchon pourfendait encore avec vigueur en 2017? Bref, comment Mélenchon et ses amis pourraient-ils jouer les Jaurès sur le plan social alors qu’ils se comportent en Déroulède sur le plan international en s’affiliant de fait au plus dangereux ennemi de la paix mondiale et de l’indépendance française qui soit, le bloc hégémoniste euro-atlantiste piloté par Washington et supervisé régionalement par Berlin ? Comment par ex. ne pas voir que l’inflation qui contraint des millions de travailleurs payés au-dessous du salaire médian à ne plus manger à leur faim, a partie liée avec les sanctions infligées par l’U.E.-O.T.A.N. au peuple russe et qu’elle découle aussi très directement de la ruineuse course aux armements que l’Oncle Sam nous somme de mener depuis la fin des années Obama en exigeant que tous les pays de l’Alliance atlantique portent à 2% de leurs PIB annuels respectifs le budget des armements? Comment ne pas saisir que la stratégie des classes dominantes ne se débite pas comme des tranches de saucissons : la marche à la guerre mondiale antirusse et antichinoise, l’euro-fascisation assortie d’un anticommunisme d’Etat et d’un flirt continental de l’U.E. avec des gouvernements d’extrêmes droites (pays baltes, Italie, Pologne…), la guerre sociale contre les classes laborieuses, la réduction des libertés syndicales, font partie d’une seule et même politique de classe qu’il faut contrer dans sa globalité en lui opposant une alternative non moins cohérente faite de reconstruction de la protection sociale, du niveau des salaires et des services publics, de reconquête de la souveraineté nationale, de défense de la paix mondiale, toutes choses qui, il est vrai, se heurteraient de toutes parts au carcan euro-atlantique que la gauche établie, adepte toutes tendances confondues du mythe de l’ « Europe sociale (!), écologique (!!), démocratique (!!!) et pacifique (!!!!), ne veut à aucun prix remettre en cause. Jusqu’au N.P.A. hyper-révolutionnaire qui, en pleine marche à la guerre mondiale impérialiste, en plein affrontement de masse avec le pouvoir du capital, ne trouve rien de mieux à faire que de polluer les villes où il sévit avec des affichettes social-bellicistes qui appellent de fait à la guerre à outrance contre la Russie jusqu’à la reconquête de la Crimée !
QUE FAIRE ALORS?
D’abord, NE PAS CONSENTIR, dire « non c’est non! » au dialogue social bidon qui ne vise qu’à briser l’unité ouvrière et la possible unité populaire en marche pour la reconquête et l’élargissement des conquêtes de 36, 45 et 68. Maintenir comme préalable à toute négociation le retrait de la contre-réforme des retraites, mais ne pas craindre, pour le même prix, d’exiger la suspension sine die et la déconstruction de toutes les contre-réformes en cours ou en projet (école, hôpital, EDF, SNCF, RSA, etc.), exiger – puisque Macron dit défendre le produire en France – l’interdiction des délocalisations. Exiger aussi l’augmentation et l’indexation sur les prix des salaires petits et moyens en prenant sur le grand capital. Ensuite, travailler collectivement une grande manif nationale sur les Champs-Elysées (pourquoi devraient-ils être réservés aux manifs de droite?) pour appeler au tous ensemble en même temps, par la grève et dans les entreprises, pour la reprise du progrès social dans notre pays. Sans crainte de nommer l’ennemi, qui n’est pas seulement « Macron », ce fantoche de la finance, mais l’U.E.-O.T.A.N. et leur politique de guerre mondiale, de fascisation politique, de destruction des nations existantes et d’arasement des conquêtes sociales.
Ensuite, et sur le plan de la construction politique proprement dite, cesser de rêver les yeux ouverts à une « bonne N.U.P.E.S. » incluant le P.S. maastrichtien et les bellicistes d’E.E.L.V. dans une « alliance de gauche » qui, telle qu’elle est partie, et faute de vouloir se désarrimer à temps de l’U.E.-O.T.A.N., ne pourra faire mieux si elle gouverne que n’ont fait Mitterrand, Jospin ou Hollande tant la politique euro-atlantiste forme une broyeuse globale dont on ne saurait pas plus sortir à demi qu’on ne pourra, le jour venu, briser à demi la domination du grand capital sur notre pays.
Voilà pourquoi il est du reste utile – il y a le feu à la maison – que les syndicalistes de classe qui ne l’auraient pas encore intégré à leur réflexion, saisissent bien ceci: il y a aujourd’hui un lien, qui a nom Frexit progressiste s’articulant à la perspective du socialisme pour la France – entre ce que le Mélenchon de 2017 appelait encore l’ « indépendantisme français », et la possibilité pour une gauche populaire et patriotique conduite par un parti communiste de combat et alliée à un nouveau syndicalisme rouge, de rompre du même mouvement les chaînes de l’euro, de l’UE, de l’OTAN et du capitalisme-impérialisme. En empêchant du même coup Le Pen de dévoyer au profit de sa classe, la grande bourgeoisie monopoliste, le légitime attachement du peuple travailleur à la protection sociale, à l’indépendance nationale (5) et à la paix mondiale.
RENDEZ-VOUS LES 27 ET 29 MAI PROCHAINS A PARIS
Au déploiement de cette perspective politique, le P.R.C.F. – qui n’a cessé de faire le lien, dans les manifs du printemps, entre la paix, les acquis et les salaires – travaille avec constance. Il le fait en élargissant son implantation dans la jeunesse, en dialoguant avec les syndicalistes rouges de tous les secteurs, en proposant une Convergence d’Action Communiste visant à unir les organisations franchement communistes du pays, en appelant aussi à mettre en place une Convergence Nationale pour les Résistances et la Reconstruction (C.N.R.2). Le 27 mai prochain, une occasion sera donnée d’ancrer dans l’action cette perspective de rupture frontale avec l’U.E., Macron et l’extrême droite, avec l’organisation à Paris d’un meeting célébrant le 80ème anniversaire du C.N.R. tout en appelant, plus que jamais, notre pays à rompre à temps avec la mortifère « construction » euro-atlantique de l’oligarchie.