Nous partageons avec vous cet entretien donné par Laurent Brun (secrétaire général de la CGT cheminot et membre du bureau confédéral de la CGT) sur la situation du rail en France et dans l’Europe.
Laurent Brun énonce dans cet article l’ensemble des mauvais coups portés par l’Union Européenne contre le rail dans toute l’Europe.
Il explique également comment les mécaniciens européens vont devoir tous parler anglais pour traverser l’Europe.
Ses constations valident donc l’analyse que porte le PRCF sur la casse voulue par l’UE des services publics et d entier pays au nom « de la concurrence libre et non faussée ».
Il est toutefois particulièrement regrettable que Laurent Brun ne tire pas les conclusions de ses propres constats en matière de revendication et d’analyse. C’est à dire que l’UE (sous domination Allemande) a pour objectif premier de casser la France. C’est d’ailleurs l’ancien PDG d’EDF, Henri Proglio, qui en parle le mieux, puisqu’il a avoué que c’est l’Allemagne qui a réclamé la mort d’EDF… et que nos très patriotiques dirigeants lui ont servi sur un plateau !
Il n’y a donc rien à attendre de cette UE de malheur à part austérité, misère, casse sociale généralisée, abandon de notre souveraineté, destruction de notre langue au profit du tout anglais, etc.
Il faut que les syndicalistes de classe comprennent, comme chaque progressiste qui se respecte, qu’il n’y a rien attendre de cette UE et de l’Euro, cette austérité faite monnaie ! Alors plus que jamais : « L’Union européenne il faut en sortir pour s’en sortir ! »
L’Europe du rail déraille ! Laurent Brun*
La politique européenne en matière de transports ferroviaires se caractérise dès ses débuts par une volonté politique de libéraliser le rail sur le continent. L’auteur propose un panorama des conséquences et des réactions à ces politiques de la part des différents gouvernements européens.
Dès le traité de Rome en 1957 (dans son titre IV) émerge la volonté d’une politique européenne des transports au service de la constitution du « marché commun ». Elle est précisée dans un mémorandum en 1961 qui se fixe pour objectif d’éliminer les obstacles à une « concurrence saine », celle-ci étant surtout envisagée – à cette époque – entre les différents modes. Dans le transport des marchandises, le fer représente alors 60 %, la route 22 % et l’eau 18 %.
LIBÉRALISATION À MARCHE FORCÉE
Sous l’impulsion de la vague néoconservatrice états-unienne s’imposent progressivement des conceptions extrêmement libérales. Appliquées au chemin de fer, elles remettent en cause la logique de monopole et d’unicité « naturels », notamment en préconisant la séparation entre la gestion de l’infrastructure et l’activité de transporteur, ce afin de pouvoir mettre en concurrence cette dernière. En Europe, deux pays sont les fers de lance de la libéralisation des chemins de fer : la Suède (qui sépare totalement son gestionnaire d’infrastructure de la compagnie ferroviaire en 1988 puis lance les premiers appels d’offres en 1990) et l’Angleterre (qui privatise et éclate British Rail en 1993).
La séparation devient la règle dans toute l’Europe avec la directive 91/440 de 1991. Par la suite, les différents « paquets » adoptés de 2001 à 2012 visent à lever les barrières (fiscales, réglementaires et techniques) à la concurrence, à harmoniser les règles (certification des compagnies, attribution des sillons…) et à fixer des dates d’ouverture des marchés nationaux (à partir de 2003 pour le transport international de marchandises, de 2006 pour le trafic intérieur, de 2009 pour le transport international de voyageurs et de 2020 pour le trafic intérieur).
Le système mis en place par l’Union européenne a un objectif : faire baisser le prix du transport. L’activité, conçue comme un auxiliaire de l’économie, doit donc contribuer à la compétitivité des entreprises. Les mesures de la politique européenne visent de ce fait à développer la concurrence à l’intérieur de chaque mode, mais aussi à accroître la compétition entre les modes en aggravant successivement le dumping social dans chaque mode par de nouvelles séries de mesures.
Le corollaire de la poursuite du mythe du transport gratuit, c’est que les volumes transportés ne cessent d’augmenter (2 à 3 % par an tous modes confondus !) au détriment des productions locales, de l’environnement, et bien sûr des droits des salariés. Il faut noter que même les pays ne faisant pas partie de l’UE (Suisse, Norvège) subissent une pression pour appliquer la séparation et la mise en concurrence.
L’évolution des différents réseaux ferroviaires depuis la libéralisation est difficile à évaluer, tant elle dépend du tissu industriel et urbain, de l’évolution de l’économie nationale, ainsi que des choix politiques du pays, notamment le niveau de subventions, de péages et de régulation. Deux problèmes majeurs sont néanmoins relevés dans tous les pays : les besoins d’investissements des réseaux face au vieillissement des infrastructures et au besoin de modernisation, et la situation du transport de marchandises qui, à quelques exceptions près, stagne ou régresse.
La séparation devient la règle dans toute l’Europe avec la directive 91/440 de 1991. Par la suite, les différents « paquets » adoptés de 2001 à 2012 visent à lever les barrières à la concurrence, à harmoniser les règles et à fixer des dates d’ouverture des marchés nationaux.
La Commission européenne poursuit son travail en faveur de la libéralisation. Elle prévoit de nouvelles directives pour contraindre encore plus à la concurrence, elle milite pour des investissements qui permettent aux trains de circuler sans interruption d’un pays à l’autre et elle voudrait imposer une langue unique européenne (l’anglais) pour que les conducteurs de train puissent traverser l’Europe. En d’autres termes, elle voudrait appliquer les mesures du mode routier au mode ferroviaire : l’expérimentation de trains de nuit européens assurés par l’Autriche est un test.
Sous couvert de préservation de l’environnement, allons-nous voir se développer des trains assurés par les cheminots des pays de l’Est, ou au contraire allons-nous mettre en place de véritables partenariats pour partager les charges de travail (conduite, accompagnement à bord, entretien du matériel…) ?
REJET EN SUISSE, NORVÈGE ET BELGIQUE
Au-delà des trains internationaux, qui restent rares, la situation des différents pays n’est pas un long fleuve tranquille : si la marche vers la séparation des systèmes et la mise en concurrence semblaient évidentes il y a vingt ans, quelques grains de sable viennent gripper les rouages depuis une dizaine d’années, et le phénomène s’amplifie.
En 2011, la Suisse mandata un groupe d’experts pour examiner l’opportunité de séparer l’infrastructure de l’exploitant. Le résultat est tombé deux ans plus tard, et il est sans appel : c’est non ! Le pays considère que, avec un réseau dense et une utilisation intensive, la séparation produirait de nombreux inconvénients, sans qu’il soit prouvé que cela apporte quoi que ce soit de positif. C’est un véritable camouflet pour les dogmes européens, d’autant que le réseau Suisse est probablement le plus performant d’Europe.
D’autres pays ont signifié leur défiance à l’égard de la libéralisation de manière plus directe encore. En Norvège, les travaillistes élus en 2021 ont annoncé l’abandon de la mise en concurrence des trains de voyageurs, issue de la réforme de 2015 mise en place par les conservateurs. Le nouveau gouvernement considère que le processus, trop coûteux et complexe, pourrait menacer la souveraineté nationale. En Belgique, après de fortes luttes, l’État choisit de préserver la SNCB de la concurrence. Comme le règlement européen le lui autorise jusqu’à 2023, le gouvernement a introduit une procédure d’attribution directe à l’entreprise historique pour 10 ans. La concurrence obligatoire est donc renvoyée à 2033.
[NDLR IC : la Suisse et la Norvège ne font pas partie de l’Union Européenne]
DÉBATS ET RETOURNEMENTS EN ANGLETERRE ET EN ALLEMAGNE
Le retournement le plus spectaculaire est celui de l’Angleterre. L’entreprise historique a été démantelée en 1993 pour créer vingt-six concessions, soumises à appel d’offres. L’infrastructure a été renationalisée en 2002, avec un plan d’investissements publics massifs pour résoudre les énormes problèmes de sécurité des circulations que plusieurs accidents avaient mis au jour. Mais cela n’a pas gommé les difficultés, notamment la hausse effrénée des prix, le vieillissement du matériel roulant et la régularité catastrophique. En 2023, Great Bristish Rail sera donc recréée à la suite de la renationalisation contrainte de toutes les concessions. Il est évident que le gouvernement conservateur ne souhaite pas recréer un monopole public ; il réfléchit déjà à de nouveaux processus d’appels d’offres. Mais la création d’une entreprise unique qui chapeaute l’ensemble du système est issue du constat que la gestion centralisée est gage d’efficacité et d’économie, alors que l’éclatement en concessions autonomes avait produit le contraire. C’est un second camouflet pour les dogmes européens.
En Allemagne, le débat fait rage. La libéralisation a eu lieu assez tôt, en lien avec le processus de réunification du pays, et la séparation entre le gestionnaire de l’infrastructure et l’opérateur s’est faite sous forme de création d’une holding, DB, qui chapeaute les deux entités. Mais le malaise est bien présent car malgré un désendettement total en 1994 (35 Md€) et des subventions importantes, la dette a été reconstituée à plus de 20 Md€ en 2021. Du côté de la qualité de service, la régularité s’établit entre 70 et 75 % selon les années (85 % en France). C’est probablement le résultat de la baisse continue des effectifs et du démantèlement de nombreuses installations (aiguillages, voies, gares) pour motif d’économie.
Non seulement les volumes transportés n’ont pas ou peu augmenté, mais en plus les investissements dans le matériel roulant et dans les infrastructures n’ont pas été réalisés, ce qui place potentiellement le mode ferroviaire dans une impasse.
En début d’année 2022, pour répondre à cette situation, les libéraux voulaient imposer un projet de séparation complète. Mais il a été finalement retoqué par le gouvernement allemand à la suite de la mobilisation des syndicats et des usagers. C’est donc le statut quo qui prévaut, avec quelques couacs tout de même, comme la faillite d’Abelio, filiale des chemins de fer néerlandais NS, qui opérait une cinquantaine de liaisons dans trois Länder : Bade-Wurtemberg, Rhénanie-du-Nord-Westphalie et Saxe-Anhalt. La compagnie, qui avait tiré les prix vers le bas pour obtenir les marchés, n’était plus en capacité de trouver du personnel, subissait des retards de livraison de matériel roulant, et ne pouvait donc plus assurer le service correctement. La covid a fini de l’achever, laissant les autorités et les usagers le bec dans l’eau. La libéralisation est donc loin d’être un long fleuve tranquille dans l’« exemple » allemand.
L’EUROPE FERROVIAIRE DANS L’IMPASSE
L’Union européenne prend elle-même acte des limites de sa politique. Alors qu’elle interdisait largement les subventions nationales au transport ferroviaire de marchandises pour éviter les « distorsions de concurrence », celles-ci sont depuis deux ans largement admises, voire encouragées. Il s’agit d’une entaille au discours, mais pas d’une remise en cause de la marche vers le transport gratuit, au contraire.
Mais ces sommes très importantes permettent de questionner l’efficacité réelle du modèle : non seulement les volumes transportés n’ont pas ou peu augmenté, mais en plus les investissements dans le matériel roulant et dans les infrastructures n’ont pas été réalisés, ce qui place potentiellement le mode ferroviaire dans une impasse. Le fait que les gouvernements soient obligés de voler au secours des compagnies pour éviter qu’elles ne sombrent, et se substituent à elles dans les investissements, montre que l’initiative privée et la libre concurrence ne fonctionnent pas en matière ferroviaire. Ce constat ouvre la voie à une relance du débat sur le caractère unifié, planifié et public du train.
En conclusion, nous pouvons dire que, même si la Commission européenne continue à avancer de manière aveugle et bornée, l’hégémonie idéologique libérale se fissure. Dans de nombreux pays, des bilans peu glorieux de la libéralisation peuvent être dressés. Comme toujours, rien n’est définitif et tout est contrasté. Cela dit, il reste que la lutte pour le service public ferroviaire, pour son développement comme outil de lien social, de progrès économique et de préservation de l’environnement est plus que jamais d’actualité.