Mon propos n’est pas de mettre en doute la valeur esthétique de The Artist. De même qu’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments, il peut arriver qu’un bon film, esthétiquement parlant, soit aussi une mauvaise action sur les plans éthique et politique…
Et c’est peut-être bien le cas de The Artist.
Ce film a été ouvertement conçu pour être plus américain que tous les films américains: son titre est en anglais, son sujet est Hollywood et il est formaté de A à Z pour plaire aux « pros » du cinéma états-unien ; quant au « petit Frenchie » Dujardin, il a participé durant plusieurs mois à une intense campagne d’influençage qui tient plus du marketing que du Paradoxe du comédien…
Et surtout, « The Artist » est muet, ce qui lui permet de flanquer d’emblée aux orties ce « boulet des boulets » : la langue française… Ce choix génial a-t-il été fait pour contourner les lois républicaines qui protègent notre langue et pour briguer les subventions publiques qui, au pays de l’ « exception culturelle » honnie par l’Oncle Sam, permettent encore à des films indigènes en idiome local de braver l’hégémonie mondiale du film « made in USA » ?
A l’arrivée, on est ravi d’apprendre que J. Dujardin, qui jurait encore il y a peu de rester à jamais fidèle à l’hexagone, se débrouille enfin, sinon dans la langue de Shakespeare, du moins dans celle de Donald Duck… Bonne carrière aux States, Mister Gardiner !
Instruit par ce triomphe sous influence, nous ferons donc une suggestion à la patronne de France-Télévision qui, depuis tant d’années, s’efforce de contourner l’ « obstacle » du français en présentant à l’Eurovision des chansons en anglais (ou même en corse, triste dévoiement de la belle langue de Pascal Paoli !) : que cette dame élise donc cette année une chanson « française » dont le titre sera libellé en américain, dont le sujet sera Lady Di ou Back from Bagdad et dont l’interprète se contentera de simuler le non-texte et de mimer les non-paroles ! Voilà qui serait original, inédit, rigolo et qui plus est, si reposant pour nos tympans martyrisés !
La « Success Story » de The Artist et de John Gardiner aura tout de même eu un grand mérite : celui de révéler combien, dans l’Euro-Frenchland actuel, l’autophobie nationale, – et plus spécialement l’autophobie linguistique de nos « élites » patronales, politiques et « culturelles », fait bon ménage avec le chauvinisme le plus niaiseux. Au point qu’on prend un risque quand on n’applaudit pas à un succès planifié qui (encore une fois, quels que soient les mérites esthétiques du film !) doit plus au formatage commercial qu’à cette vertu foncière de l’Artiste véritable : l’authenticité, la capacité de nager contre le courant, de « tirer la langue », aux puissants.
Quant à l’auteur de ces lignes, il continuera à railler imperturbablement les victoires de « nos » équipes de mercenaires sportifs et culturels, si teintées de « bleu horizon » qu’elles soient, leurs World Cups, leurs Davis Cups pour millionnaires de la raquette, leurs Oscars, Césars, Nestors, Babars, Zozor et autres grands messes débilitantes et chamarrées que nos petits maîtres en médiacrité destinent à leur autocélébration incestueuse.
Quitte à cultiver la langue de Gavroche et d’Arthur Rimbaud, à défendre les acquis sociaux du CNR et l’héritage de la Commune et du Front popu, et à préférer à jamais ceux qui résistent à ceux qui collaborent à la banalisation et à l’autodestruction du « créer en France et en français ».
C’est l’heure de gloire pour « The Artist » muet et américano-formaté.
Mais quand donc sonnera de nouveau l’heure des Artistes prenant fièrement la parole, LEUR parole, pour « tirer la langue » aux forces de banalisation, d’uniformisation et d’autodestruction ?
Georges Gastaud, président du CO.U.R.R.I.E.L.
·Collectif Unitaire Républicain pour la Résistance, l’Initiative et l’Emancipation Linguistique.