La répression frappe de façon sanglante ces dernières semaines au Sénégal, où le régime de Macky Sall, l’un des piliers de la Françàfric, se maintient par la force. La répression des manifestations de l’opposition a fait plusieurs dizaines de morts (au moins 23 à Dakar et Ziguinchor depuis le 1er juin) et des centaines de blessés d’après la croix-rouge sénégalaises. D’importantes coupures frappent depuis le début juin l’accès internet via les mobiles. Le 1er juin, l’opposant Ousmane Sonko a été condamné à une peine de 2 ans ferme pour « corruption de jeunesse ».
Diagne Fodé Roland membre du comité éditorial du journal communiste, ouvrier, populaire, panafricain Ferñent, répond aux questions d’Initiative Communiste
IC : Peux-tu d’abord, pour nos lecteurs, situer ton ancrage militant au Sénégal? Qu’est-ce que « Fernent »?
Ferñent (Étincelle en Wolof) est un journal communiste, ouvrier, populaire, panafricain né en février 1983 ; Seul clandestin à l’époque vu la légalisation de tous les groupes, partis et mouvements se réclamant de la gauche marxiste-léniniste et maoïste.
Né de l’appel de la Lettre Ouverte d’août 1979 à la démarcation vis à vis de la « théorie maoïste des trois mondes » et de la critique du révisionnisme kroutchévien et brejnévien du camarade feu Assane Samb que vous connaissez pour son apport internationaliste au début de la Coordination Communiste, fut fondé le groupe Vive le Marxisme-Léninisme en 1980 que je vais rejoindre.
C’est de ce groupe qu’est issu Ferñent dont le premier éditorialiste fut feu le camarade Birane Gaye comme outil de « par où commencer » pour « sénégaliser » le socialisme scientifique comme guide pour l’action dans la lutte de libération nationale et sociale dans un contexte néocolonial françafricain, eurafricain et usafricain.
Au milieu des années 90, nous avons maintenu Ferñent comme organe théorique et créer le journal ouvrier et populaire légal Xal Wi (la Braise en Wolof) avant de fonder le Rassemblement des Travailleurs Africains/Sénégal (RTAS) sur la base d’un projet de programme de la Révolution Nationale Démocratique Anti-Impérialiste.
Le RTAS a été frappé de la pandémie des reniements et capitulations qui s’est abattue sur le Mouvement Communiste Internationale suite à la défaite du camp socialiste d’Europe et de la restauration du capitalisme en URSS.
Cette défaite a enclenché une lutte entre communistes révolutionnaires et opportunistes qui se sont engagés dans la collaboration de classe dans les gouvernements des alternances électorales entre sociaux libéraux (PS) et libéraux (PDS, APR). D’où la re-création de Ferñent/Mouvement des Travailleurs Panafricains/Sénégal (MTPS) en 2004/05 avec la mission de préserver le journal communiste tout en saisissant toutes les occasions et opportunités pour rassembler les révolutionnaires communistes résistants d’autres obédiences idéologiques historiques – Maoïstes, Brejneviens – dont les partis se sont engagés dans les pouvoirs néocoloniaux.
C’est ce processus qui a amené la fusion du MTPS avec les ex-maoïstes et les octogénaires du premier parti marxiste-léniniste sénégalais le Parti Africain de l’Indépendance (PAI) né en 1957 sur la base d’un programme minimum tout en maintenant le journal mensuel communiste, ouvrier, populaire, panafricain Ferñent comme outil de lutte idéologique et politique pour le programme maximum.
IC : Peux-tu nous brosser à grands traits un défini comme tableau des forces politiques au Sénégal et de ce qu’elles représentent en termes de classes ?
Historiquement les partis de la bourgeoisie bureaucratique compradore sont le PS parti social démocrate membre de l’Internationale Socialiste et ses démembrements, le PDS parti libéral membre de l’internationale Libérale et ses démembrements dont l’actuel parti au pouvoir l’APR.
Le panafricanisme et le panégrisme, c’est-à-dire la quête d’unité de l’Afrique et des Noirs à travers le monde sans référence de classe a été représenté par le RND du savant Egyptologue Cheikh Anta Diop dont les travaux sur « l’antériorité nègre de l’Egypte pharaonique » et « les fondements économiques et culturels d’un Etat fédéral d’Afrique Noire » promeuvent la souveraineté africaine d’une bourgeoisie nationale soumise à la domination néocoloniale impérialiste.
Le PAI, puis le PIT et la LD qui en sont issus, And Jëff parti maoïste et Ferñent sont les courants idéologiques marxiste-léninistes qui affirment œuvrer à l’édification du parti de la classe ouvrière et des classes laborieuses.
IC : Où en est actuellement le mouvement populaire sénégalais?
La collaboration de classe dans les gouvernements bourgeois néocoloniaux des directions des partis communistes et des principaux leaders de la gauche historique au Sénégal ont annihilé d’importantes avancées du mouvement syndical dont la combativité a été longtemps animée par l’unité d’action qui a fait naître le « syndicalisme autonome de lutte » contre la « participation responsable » sous contrôle du PS bourgeois néocolonial. C’est ce syndicalisme de lutte par exemple qui a empêché la privatisation du secteur de l’électricité au Sénégal contrairement à d’autres pays du « pré-carré » françafricain après la dévaluation de 50 % du franc colonial CFA en 1994 par décision de Miterrand-Balladur.
Toutes les conquêtes démocratiques, notamment la fin du parti unique et les deux alternances bourgeoisies néocoloniales résultent des combats de classe animés par l’unité d’action sur le terrain de la gauche communiste dans sa diversité et des panafricanistes.
La participation aux gouvernements néocoloniaux de la gauche ex-communiste a créé un vide à partir de 2014 qui a été rempli par une rébellion patriotique de la jeunesse intellectuelle qui pointe du doigt la « mal-gouvernance » qui a produit des milliardaires qui le sont devenus par les détournements des deniers publics et le bradage des richesses nationales aux impérialistes, principalement français.
Émergeant de l’illusion longtemps distillée que les plans libéraux d’ajustement structurel du FMI, de la Banque Mondiale, de l’OMC et la « coopération » avec l’impérialisme allaient « développer » le pays, la jeunesse intellectuelle patriotique s’est dotée d’un parti-front, Pastef-Les patriotes, rassemblant, à une vitesse TGV, les éléments les plus combatifs de la petite bourgeoisie intellectuelle, les ouvriers, les paysans, les éleveurs, les pêcheurs, les travailleurs de la débrouillardise du secteur informel, les femmes et des fractions de la bourgeoise d’affaires. La jeunesse sénégalaise et africaine choisi de plus en plus nettement de rester au pays pour le changer que de continuer à subir la tragédie mortelle des traversées du désert du Sahara et des océans pour subir le racisme d’Etat qui en font des « sans papiers » dans les chimériques « eldorados » de la forteresse du bloc impérialiste en construction qu’est l’UE.
C’est ce parti-front que les résistants de la gauche communiste, ceux et celles qui ont rompu avec les renégats participatifs aux gouvernements néocoloniaux, ont rejoints à l’instar de ce que fut le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) fondé à Bamako en octobre 1946 aidé en cela par le PCF de Thorez/Duclos/Frachon et qui réunissait en son sein le bourgeois agrarien Houphouët Boigny, l’enseignant Modibo Keita et le syndicaliste postier Sékou Touré.
Ce parti-front et l’ensemble des organisations démocratiques de la « société civile » comme le FRAPP (Front pour une Révolution Anti-Impérialiste Panafricain et Populaire ou Y en Marre) qui, pour les communistes que nous sommes à Ferñent, constitue notre jambe droite contre le néocolonialisme.
La jambe gauche, c’est le travail idéologique et politique pour rassembler les communistes résistants et les jeunes qui veulent devenir communistes.
Notre travail associe dialectiquement ces deux tâches pour que le mouvement ouvrier et populaire, les classes laborieuses se dotent de leur propre parti de classe dans la perspective de la libération nationale et sociale dans un monde où les rescapés du camp socialiste -communiste que sont la République Populaire de Chine, le Vietnam socialiste, la Corée du Nord et Cuba socialiste sont des exemples vivants que l’avenir appartient au communisme.
IC : Comment les internationalistes français peuvent-ils le soutenir ?
Le soutien doit ici être mutuel et réciproque à l’instar de l’image pédagogique qu’expliquait l’oncle Hô Chi Ming qui disait, à peu près ceci : l’impérialisme est une pieuvre dont la tête se situe au centre et les tentacules à la périphérie ; ceux du centre doivent s’attaquer à la tête et ceux de la périphérie aux tentacules ; c’est comme ça que nous le vaincrons ». Un autre théoricien et praticien communiste africain, Amilcar Cabral, enseignait que la lutte de libération nationale des colonies portugaises est un facteur important de la révolution au Portugal même contre le fascisme colonialiste. On a vu que la révolution des œillets au Portugal est dialectiquement consécutive à la fois de la lutte des classes et populaire à l’intérieur et des défaites que lui ont infligées les peuples en lutte armée pour leur indépendance de Guinée Bissau, du Mozambique et de l’Angola.
Il en sera de même de l’impérialisme français qui sera emporté par la dialectique des luttes de classes en France et des luttes des peuples contre le néocolonialisme françafricain, eurafricain et usafricain.
Dans l’immédiat, le bras de fer entre la dictature fascisante du régime libéral de la seconde alternance néocoloniale et le peuple sénégalais à travers sa jeunesse en rébellion a besoin d’une présence communiste solidaire dans les manifestations des diasporas sénégalaise et africaine en France, d’une propagande et agitation communiste dans le monde du travail et dans les populations dénonçant le pillage des richesses minières et agricoles (pétrole, gaz, fer, zircon, phosphates, etc) par les multinationales françaises et européennes, d’une information qui lie le soutien impérialiste aux régimes dictatoriaux à l’arrivée d’à peine 1 % des émigré(e)s en France et dans les pays de l’UE.
Bien entendu, cela va de soi, dénoncer la répression, les arrestations arbitraires, les atteintes liberticides dans nos pays dont sont complices et parfois même activement impliqués l’État français.