Par Gilda Guibert – commission culture – A l’heure où tout est bon pour nous montrer les Russes comme des brutes épaisses qui, déjà lors de la Seconde guerre mondiale, auraient violé à tour de bras tant de femmes allemandes innocentes, il serait bon de voir le documentaire diffusé le mardi 20 juin à 00h30 sur la chaîne parlementaire LCP : Ok Joe !
À l’automne 1944, lors de la Libération de la Bretagne, l’écrivain Louis Guilloux travaillait comme interprète auprès des tribunaux militaires américains dans une Bretagne fraîchement libérée. Il accompagnait deux officiers américains qui enquêtaient le plus souvent sur des viols, des meurtres, commis par des GI’s sur les populations civiles françaises. Profitons-en tout de même pour rappeler que, contrairement aux soldats russes qui, après quatre ans d’effroyables et titanesques combats contre les hordes nazies, se vengèrent sans doute sur les populations civiles allemandes, les troupes américaines débarquaient, elles, en amies pour sauver la France, ce qui rend « ces crimes et actes de violence les plus odieux que commirent les troupes alliées sur la population civile qu’elles avaient mission de libérer ».[1] Ces crimes commis par des soldats américains aboutirent le plus souvent à la peine de mort des auteurs. Or ces auteurs, constata Louis Guilloux, étaient presque toujours des noirs, ce qui le choqua profondément.
Hanté par ses horribles souvenirs durant trente ans, il finit par les compiler en 1976 dans un court roman : « Ok, Joe ! »[2] qui passa totalement inaperçu dans les librairies. Ce documentaire vidéo confronte son récit aux souvenirs des ultimes témoins de ces crimes oubliés et de leurs châtiments.
Selon l’historien américain J. Robert Lilly, il y aurait eu 3 500 viols commis par des soldats américains en France entre juin 1944 et la fin de la guerre[3]. En fait, le nombre de viols fut difficile à établir car de nombreuses victimes n’osèrent jamais rapporter les faits auprès de la police.
Toujours d’après les recherches de J. Robert Lilly, des 116 soldats qui passèrent en cour martiale en France pour viol, 81 % étaient noirs et 19 % blancs. Les tribunaux militaires condamnaient les soldats afro-américains à des peines plus sévères que les soldats américains blancs : ainsi l’armée américaine a-t-elle exécuté 29 de ses soldats pour viol dont 25 afro-américains, pendus au milieu des villages français afin que la population puisse constater que les Noirs auteurs des horribles crimes étaient punis comme ils le méritaient.[4]
En fait, si l’on remet les événements dans leur contexte, celui-ci est double :
Tout d’abord, tout le monde sait bien qu’en temps de guerre les femmes ont toujours été des proies vulnérables aux agressions sexuelles. Du fait du mouvement constant des armées, les troupes américaines étaient fort mal encadrées et largement alcoolisées afin de résister à la terreur des combats.
Mais ce qui a marqué le plus Louis Guilloux c’est le fait que l’US Army était une armée ségrégationniste qui, afin de conserver son image glorieuse de libératrice, utilisa les Noirs comme boucs émissaires. Ceux-ci en effet, faute d’être autorisés à combattre, en raison de leur race, étaient assignés à l’arrière, à des postes sédentaires dans l’intendance, dans l’approvisionnement dans les bases de Brest, Cherbourg, Le Havre, etc… On pouvait donc les attraper plus facilement qu’un fantassin en route pour le front. Ainsi les tribunaux militaires américains purent-ils sans remords se montrer beaucoup plus sévères dans leurs jugements pour une même faute avec les Noirs qu’avec les blancs.
Aujourd’hui encore, les célébrations du 6 juin sont, sur les plages du débarquement, l’occasion d’un véritable culte à « l’armée de libération américaine » (gommant ainsi bien volontairement le sacrifice de 27 millions de soviétiques) et jamais, au grand jamais personne n’osera ternir cette belle image en rappelant les horreurs subies par toutes ces femmes de la part de leurs libérateurs.
Ce documentaire repassera :
-le lundi 24 juillet 2023 à 20h30
-le dimanche 30 juillet 2023 à 18h
-le lundi 31 juillet 2023 à 00h30
[1] L’armée américaine et les viols en France, Juin 1944-mai 1945, J. Robert Lilly, François Le Roy, dans Vingtième Siècle. Revue d’histoire 2002/3 (no 75), pages 109 à 121 ; https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2002-3-page-109.htm
[2] Louis Guilloux, Salido suivi de Ok Joe ! Gallimard, Paris, 1976.
[3] Op.cit, L’armée américaine et les viols en France
[4] British revisionists historian challenge D-Day story, Hugh Schofield; https://storiainrete.com/revisionists-challenge-d-day-story/