Il y a un mois, notre camarade Pierre Benjamin Pranchère nous quittait. Avec son accord, initiative communiste vous propose en intégralité le très beau et émouvant discours prononcé par notre camarade Marcelle Sage-Pranchère, son épouse, à l’occasion de ses obsèques. Ce discours retrace de façon indispensable les grandes lignes de la vie exemplaire d’engagement et de résistance de Pierre Pranchère.
A lire :
- Les hommages à Pierre Pranchère
- Hommage à notre ami et camarade Pierre Pranchère
- Décès du camarade Pierre Pranchère, Résistant FTPF, membre de la présidence nationale du PRCF
Monsieur le Préfet, Monsieur Pascal Coste, président du conseil départemental, Monsieur le sénateur Daniel Chasseing, Monsieur le Député Francis Dubois, Mesdames et Messieurs les conseillers départementaux, Madame Marion Guichon, maire de Saint-Merd-de-Lapleau, Mesdames, Messieurs les élus, Monsieur Jean Combasteil, ancien député-maire de Tulle, Monsieur Georges Gastaud, philosophe, fondateur du Pôle de Renaissance Communiste en France, Monsieur Maurice Habrias, président de l’association Redémarrer Redenat, Monsieur Jean-Pierre Combe, président délégué du Collectif Maquis de Corrèze et président du comité ANACR du Plateau des Étangs, chers amis, chers camarades, chère famille, Mesdames, Messieurs.
Je remercie du fond du coeur chacun de vous d’avoir pris un peu de votre temps pour dire adieu à Pierre Benjamin Pranchère, Benjo, mon époux, mon ami, mon camarade, en ce lieu si cher à son coeur, berceau de sa famille, qu’est la commune de Saint-Merd-de-Lapleau et son hameau du Graulier tout près d’ici.
Je remercie les intervenants, personnalités, responsables politiques, associatifs ainsi que les auteurs des messages qui seront lus au cours de cette cérémonie.
Je remercie tous ceux qui, empêchés, ont témoigné l’immense respect et affection qu’ils portaient à Pierre.
Enfin, je suis infiniment touchée par les envois de fleurs. Pierre aimait les fleurs. Cet été encore, lors de nos promenades il s’arrêtait et s’émerveillait devant les prés fleuris. Il avait souhaité que son dernier voyage soit accompagné par de nombreux bouquets et gerbes. Tout comme il avait demandé que soit rappelé ses engagements résistant et politique. Demandé encore d’être inhumé auprès de ses parents qu’il aimait et respectait profondément.
Au cours de notre longue vie commune, nous avons vécu de très beaux moments, joyeux ou sérieux, Nous gardions au cœur de profondes blessures et de grandes déceptions émanant d’organisations dont il est légitime d’attendre le meilleur, tant dans le positionnement politique, qu’au plan humain. Main dans la main nous avons traversé les terribles deuils très prématurés qui l’ont frappé.
Pierre était un lutteur, un Résistant dans le sens strict du terme et en toute circonstance. Jamais il n’a cessé de regarder devant et toujours avec une extrême lucidité. Il avait une confiance inébranlable dans le peuple de France et les peuples du monde. Il était admiratif de l’immense combativité qui s’est manifestée ces dernières années et derniers mois, contre la réforme des retraites notamment. Il était très préoccupé par les effroyables menaces qui pèsent sur la paix mondiale avec la multiplication des foyers de guerre aux quatre coins de la planète, soubresauts mortifères d’un capitalisme à bout de souffle et qui de plus en plus tente de colmater ses brèches avec violence, pour dominer toujours, priver les peuples de leur libre arbitre, voler leur ressources, réprimer les opposants, individuellement ou écraser des peuples sous les bombes, tout cela sous l’égide des États-Unis, de l’Union Européenne, et leur bouclier militaire qu’est l’OTAN.
Venu au monde dans une famille communiste, son engagement dans la Résistance, tout comme celui de ses parents Martial et Henriette, celui de ses sœurs, Lisette et Paulette et son beau-frère Jean Clamadieu, fut tout naturel. À 15 ans, en 1942 avec son père, il aida le groupe du COPA (Centre des Opérations de parachutage et d’atterrissage) rattaché à l’Armée Secrète (AS), avant de rejoindre les Francs-Tireurs et Partisans Français (FTPF) au sein desquels il fut agent de liaison et ravitailleur d’un des maquis du groupe Léopold Réchossière.
Pierre Pranchère n’oublia jamais les moments terribles de la répression pétainiste qui conduisirent son père à cacher le fusil de chasse dans le « bournas » (ruche) afin de le soustraire à la réquisition et dissuader les gendarmes de s’approcher ; ainsi que l’enfouissement dans le sol du dernier numéro de l’Humanité interdite, fermé dans une boîte en fer, hélas jamais retrouvée.
À partir de mai 1944, Il prit sa place dans les combats insurrectionnels de la Libération.
Comme une quinzaine d’autres familles de St Merd, sa famille échappa à la torture et probablement à la mort, après la lettre de dénonciation adressée à la Gestapo par un agent de cette dernière. Heureusement le facteur patriote et résistant Barbazanges interceptait les courriers à destination du siège de la Gestapo installé à l’hôtel Saint-Martin à Tulle.
Depuis ses terribles années de terreur nazie et de collaboration, Pierre n’a jamais failli à l’engagement pris alors au service de son pays et de ses travailleurs. Il n’a jamais cessé d’unir le drapeau rouge et le drapeau tricolore.
Le parti communiste lui a, dès après la guerre, accordé sa confiance en lui attribuant des responsabilités, à la jeunesse communiste, puis progressivement à la fédération de la Corrèze, plus tard au Comité Central et tout naturellement il porta les valeurs de ce parti communiste d’alors, authentiquement marxiste-léniniste, dans les élections. Souvent je lui ai entendu dire « je n’ai pas demandé ces responsabilités, ces mandats, ils sont venus à moi et je les ai acceptés par conviction, par devoir, je les ai accomplis au mieux de mes possibilités, j’ai donné le meilleur de moi-même ». Il formulait ainsi sa reconnaissance envers le Parti communiste : «J’ai conscience de l’aide immense que m’a apporté le Parti pour m’élever et participer ainsi pleinement aux combats de la classe ouvrière pour le socialisme ».
Il était ainsi, humble, dévoué, généreux et il avait su, comportement ô combien précieux, conserver tout au long de sa vie, sa fraîcheur d’esprit, son dynamisme des débuts de son engagement, sa simplicité. Il n’a jamais recherché les honneurs ou reconnaissances. Il a avec constance refusé la Légion d’honneur afin de rester totalement libre. Cependant il voulait cette reconnaissance pour ses camarades et il fut à l’origine de l’action conduite pour honorer de la Légion d’Honneur trois anciens résistants du groupe FTPF Léopold Réchossière, Marcel Boulègue, Georges Bordes et Fernand Sage. Les dossiers de Marcel Boulègue et Georges Bordes aboutirent, hélas et à notre grand regret, pas celui de Fernand, résistant exemplaire.
Pierre, tout au long de son existence consacra une très large part de son activité à la mémoire de la Résistance FTPF au sein du Collectif Maquis de Corrèze, de l’ANACR et de la Résistance Unie. Dans la seconde moitié de la décennie 1990, Pierre œuvra à l’unité des organisations d’anciens résistants avec ses camarades et amis Roger Lescure, Compagnon de la Libération, Charles Montagnac, ancien résistant tulliste, tous deux FTPF, et Albert Uminski, responsable AS, jusqu’à la création de l’association de la Résistance Unie à l’origine du projet de Mémorial Corrézien de la Résistance et de la Déportation et des Martyrs sis à l’Aire autoroutière de Vitrac. Pierre s’investit pleinement dès les années 50 dans les actions réclamant l’extradition du Général Lammerding, responsable des massacres de Tulle et d’Oradour-sur-Glane. Il conduisit notamment avec le Comité des Martyrs une délégation à Düsseldorf, en 1962, pour débusquer le criminel de guerre, après une enquête du journal l’Écho-du-Centre. Jusqu’à très récemment il fut à l’origine de multiples initiatives du Collectif Maquis de Corrèze. Je rappellerai ici les activités les plus marquantes du Collectif des deux dernières décennies : en 2007 et en 2017, les cérémonies en mémoire de Joseph Wertheim, résistant juif allemand inhumé au cimetière de Lafage-sur-Sombre.
Tout au long de l’année 2008 le Collectif organisa une large mobilisation contre des écrits révisionnistes et l’existence de blogs fascistes, racistes et antisémites faisant l’apologie des crimes de guerre de Tulle et d’Oradour sur Glane. Le Collectif riposta avec la pétition Pour l’honneur de Tulle, d’Oradour sur Glane et de la France, et s’adressa aux plus hautes autorités de la République, il se porta partie civile en soutien à la plainte déposée par le maire de Tulle et le Comité des Martyrs.
En décembre 2009, le Collectif engagea une action pour l’imprescriptibilité des crimes de guerre en mémoire des Martyrs de Tulle, d’Oradour-sur-Glane, de Maillé etc.
Toujours en 2009, l’association Maquisarbres animée par Monsieur Franck Lemaire, professeur à l’École Forestière de Meymac, sollicita Pierre pour évoquer la résistance rurale et le rôle des arbres dans les actions de sabotages avec les élèves de terminale et de BTS.
Le 14 mai 2011, Pierre compta au nombre des signataires de l’appel de Thorens-Glières pour un retour aux principes du Conseil national de la Résistance.
Citons encore, en juin 2014, la commémoration de la « Préfecture du Maquis » au village de Nougein, commune de Marcillac-la-Croisille ; en mai 2018, l’hommage à Gilbert Bugeac, Compagnon de la Libération, au cimetière de Louyat à Limoges. Enfin, de 2019 à 2022, le Collectif a oeuvré en faveur de l’obtention de la Légion d’honneur de trois camarades anciens résistants.
Une grande déception demeurait pour Pierre dans cette activité foisonnante, celle de n’avoir pu faire renaître un véritable musée départemental de la Résistance, de la Déportation et de la Seconde Guerre mondiale en Corrèze, celui de Tulle ayant fermé après la mort prématurée de notre cher Bruno Lédée en 2010. Que d’énergie pourtant fut déployée qui ne put venir à bout des obstacles et des mauvaises volontés.
Pierre était un élu pleinement communiste, ses mandats étaient partie intégrante de son engagement, au sein des conseils général et régional, à l’Assemblée Nationale, au Parlement Européen où il a exercé deux mandats. Ses relevés d’activités, qu’elles soient sous forme de projet de loi, de rapports, d’interventions en séance témoignent de son investissement au service de son pays et de ses travailleurs. En Corrèze, ses archives en apportent la preuve avec les gros dossiers sur la défense des révoqués de la MAT et de ses personnels, l’usine de la Marque, Poutrex à Argentat et bien d’autres et ce jusqu’à la liquidation de ces entreprises.
La défense de l’agriculture française était au coeur de ses responsabilités tant à l’Assemblée nationale qu’au Parlement Européen. Lors de son premier mandat de député français (1956-1958), à seulement 28 ans, membre de la commission de la Défense Nationale, il consacra beaucoup d’énergie à la défense des personnels des établissements militaires de l’État et à celle des petits exploitants agricoles. Lors de son second mandat (1973-1978) il fut pendant une année membre de la commission de la Défense Nationale et des forces armées, ensuite membre de la commission des finances, de l’économie générale et du plan et membre de la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif au statut du fermage et du métayage. De même au Parlement Européen où, élu en 1979 et 1984, il agit avec détermination en faveur de la sauvegarde de l’agriculture française et en faveur d’une juste rémunération du travail des agriculteurs.
Il y avait marqué la commission de l’agriculture où il travaillait en étroite collaboration avec Emmanuel Maffre-Baugé, fervent catholique, vigneron syndicaliste et écrivain, et Maurice Martin. Son ami et conseiller sur ces questions, Jean-Paul Le Marec dont le message sera lu, relate cette période, cependant je souhaite vous raconter un évènement assez cocasse. Une dizaine d’années environ après le départ de Pierre du Parlement Européen, Jean-Paul le Marec l’appela et lui dit qu’en séance de la commission de l’agriculture, après une remarque, le président de la commission l’avait interpellé ainsi : « M. Pranchère, taisez-vous ». Cette anecdote témoigne à quel point Pierre avait laissé des souvenirs durables.
Parallèlement à son travail sur l’agriculture, Pierre s’est engagé au sein du groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP), a consacré beaucoup d’énergie au soutien du peuple Sahraoui ainsi qu’au combat pour la reconnaissance du génocide arménien par le Parlement Européen qui intervint le 18 juin 1987. En 1988, il rencontra à Strasbourg Yasser Arafat, figure emblématique de la résistance palestinienne.
Au plan local, Pierre représenta, entre 1973 et 1985, le canton de La Roche-Canillac au Conseil général de la Corrèze dont il fut vice-président et président de la commission des finances entre 1982 et 1985. Au titre de conseiller général pendant la même période, il siégea également au conseil régional du Limousin dont il fut aussi l’un des vice-présidents avant 1986, date de l’élection de cette assemblée au suffrage universel.
Pierre a rompu avec le Parti communiste en 1992 au moment de la mutation idéologique de ce dernier marquée par le renoncement à ses fondements marxistes-léninistes. Cette rupture fut pour Pierre un déchirement et en même temps une évidence. Après quelques temps de réflexion, il rejoignit les communistes qui optèrent pour la résistance et la reconstruction. Comme tant d’autres camarades, Pierre resta fidèle au parti qui fut au cœur de la Résistance antifasciste pendant la décennie qui précéda la Deuxième Guerre mondiale et pendant celle-ci, au parti des luttes anticoloniales, au parti présent au cœur des luttes du peuple de France, du Front Populaire à mai 1968, à l’opposition résolue au traité de Maastricht en 1992, au parti porteur de tant d’espoirs, avec ses militants exemplaires qui sans compter mirent leur intelligence et leur temps à son service.
Il resta fidèle au Parti des fusillés, ce parti dont le général De Gaulle a dit : « l’arrivée de Fernand Grenier, l’adhésion du Parti communiste au Comité National qu’il m’a apportée en votre nom, la mise à ma disposition en tant que commandant en chef des forces françaises des vaillantes formations de Francs-Tireurs que vous avez constituées et animées, voilà autant de manifestations de l’Unité Française ; voilà une nouvelle preuve de votre volonté de contribuer à la libération et à la grandeur de notre pays. »
Tout au long de la décennie 1990 et le début des années 2000 s’instaura un long et riche processus de réflexion théorique et organisationnelle autour de Georges Gastaud, inlassable rassembleur et coordinateur des activités. Tous ces efforts conjoints aboutirent à la constitution de la Fédération Nationale des associations de Renaissance Communiste (FNARC) puis le 18 janvier 2004 à la fondation du Pôle de Renaissance Communiste en France, dont Pierre fut, jusqu’au 30 décembre 2023, vice-président et président de sa commission internationale. La constitution du Pôle de Renaissance communiste est l’étape, indispensable et décisive, elle est le socle sur lequel pourra se reconstruire un grand Parti communiste digne du grand parti révolutionnaire d’avant la mutation, un parti totalement au service du peuple de France.
Mon cher Benjo, il m’est très difficile de mettre le point final à cet hommage, parce que c’est te perdre encore un peu, comme tout à l’heure sera horrible ton inhumation. D’aucuns pensent que tu as atteint un bel âge, que tu as eu une vie très riche. Cela est vrai. Mais l’âge n’adoucit en rien la douleur dès lors que l’on aime la personne qui part.
Avec toi, nous avons tant partagé, nous étions en parfait accord idéologique, nous avons milité ensemble, nous avons tant débattu, souvent avec passion. Notre vie ne fut jamais monotone. Nous avons fait face aux malheurs et aux difficultés de tous ordres, à l’adversité aussi, quelle que soit sa provenance.
Ces dernières années j’ai eu l’honneur de réaliser le classement de tes archives. Tu étais un conservateur né. Je remercie Mme Justine Berlière, directrice des Archives Départementales d’avoir accédé à ma demande de faire ce classement parce que pour Nathalie et moi, il était hors de question de livrer ce formidable fonds en vrac ; parce que je connais bien l’histoire du Parti communiste en Corrèze, l’histoire de ta vie. L’inventaire est terminé il reste juste un petit toilettage et il pourra être mis en ligne. J’ai réalisé ce travail en militante et avec le respect que je te porte, j’ai beaucoup lu, je connaissais beaucoup mais j’ai encore découvert beaucoup. Aucune soustraction de documents n’a été opérée.
Tu te réjouissais que les étudiants et les chercheurs qui le souhaiteront puisent dans tes archives dont le fonds recèle 222 cotes soit environ 20 mètres linéaires.
Je me souviens, longtemps tu as hésité à te départir de tes archives, de ta vie, même si tu pouvais y accéder en permanence. Et puis, tu as décidé et tu as dit : « elles seront un outil de travail, elles vivront ». Et j’ai commencé le classement.
Je suis très fière d’avoir partagé ta vie.
Nous nous sommes beaucoup aimés et je continuerai à chérir ta mémoire.
Pierre Pranchère « Faites ce que j’ai fait à 15 ans rejoignez le mouvement révolutionnaire »
Lors du 100e anniversaire du congrès de Tours, Pierre Pranchère lançait un appel à la jeunesse.