A la suite de la publication d’un message des camarades du Rassemblement communiste (RC) adressé au Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF), la commission des Relations politiques (Corpol) du PRCF propose une analyse-réponse « à propos de nos convergences et de nos différences ». Une analyse qui aborde au fond et loin d’une rhétorique polémique, dans la perspective très pratique et immédiate des combats du moment, trois sujets fondamentaux : la question patriotique, à propos de laquelle le PRCF pratiquerait selon le RC un « fétichisme » ; la question de la stratégie du Front et de l’indépendance vis-à-vis de la « France insoumise », question à propos de laquelle le PRCF pratiquerait selon le RC un « purisme » ; et surtout la question essentielle du Parti communiste à reconstruire.
Des sujets qui nécessitent une clarté et une cohérence à tous les niveaux, si l’on souhaite que le processus de reconstruction d’un vrai Parti communiste aboutisse. D’où la nécessité de clarifier les positions de chacun, comme le fait le PRCF dans l’analyse circonstanciée qui suit à propos de laquelle on peut signaler en introduction les points suivants :
Il est stupéfiant, s’agissant de la manière dont le RC minore de notre point de vue la question de l’indépendance française dans la conjoncture présente, que ne figure nulle part dans son interpellation au PRCF la mention du « saut fédéral européen » en marche, c’est-à-dire, celle de la mise en place d’un État impérial dirigé depuis Berlin et/ou Washington, et d’une armée européenne arrimée à l’OTAN, dont l’avènement, qui pourrait suivre de près les européennes, ne peut que signifier l’effacement précipité d’une République française ne serait-ce que formellement indépendante. Rappelons le vote en ce sens intervenu le 22 novembre dernier au parlement européen suivi de la résolution du 29 novembre de l’Assemblée Nationale. Après quoi on viendra nous dire, comme ce fut explicitement le cas des représentants du RC à la dernière et récente rencontre PRCF/RC, que « la question patriotique n’a pas d’urgence, la Nation n’est nullement en danger ».
Lorsque le RC et l’ANC ont annoncé leur fusion, c’était avec l’objectif affiché d’une « unité dans une organisation régie par le centralisme démocratique ».
D’ailleurs le RC y insiste dans son adresse au PRCF en revendiquant une fusion reposant tout à la fois sur » un manifeste-plateforme et de[s] règles de fonctionnement fondées sur le centralisme démocratique ». L’écart à la réalité de la pratique a de quoi laisser perplexe. Ainsi, il est troublant que, à la première occasion de montrer son unité, le regroupement « fusionnel » RC/ANC en marche appelle , pour l’un, le RC, par communiqué du 20 mars, à voter et soutenir la liste conduite par l’anticommuniste, antisoviétique et euro-atlantiste Manon Aubry aux européennes, tandis que, de son côté l’ANC par un communiqué unilatéral du 2 mai annonce avoir déposé sa propre liste. Fusion ou schizophrénie ?
Et c’est d’autant plus troublant que les statuts de l’ANC stipulent que cette dernière « a pour objet de rassembler les communistes dans leur diversité sur la base du projet défini ci-après. Elle veut être un lieu de fraternité, d’échanges politiques et de repères communistes. En aucun cas elle ne peut se situer en concurrence avec les organisations existantes et dans cette optique aucun membre ne peut se présenter aux échéances électorales ou soutenir des candidatures opposées à des partis existants en se réclamant de l’ANC. Par conséquent l’adhésion à l’association, aux buts qu’elle s’assigne, n’est nullement incompatible avec l’appartenance à une autre organisation existante se réclamant du communisme. » (https://paris.demosphere.net/files/docs/f-9cef5807aa-empty-fname.pdf). Rappelons que selon ces statuts « la qualité de membre de l’ANC se perd par la candidature à une élection au nom de l’ANC ».
Étrange « centralisme démocratique » comme on voit et qui explique pourquoi le PRCF, qui ne joue pas avec le mot d’ordre prématuré de fusion hors de toute base de principe solide, n’a cessé de proposer que les organisations se réclamant de la reconstruction communiste commencent plus modestement par mettre en place régulièrement l’unité d’action sur les principaux fronts du moment, le front pour la paix mondiale et contre l’UE-OTAN qui la menace, le front antifasciste contre l’extrême droite et la Macronie qui la nourrit, le front patriotique et républicain contre le saut fédéral européen et, bien entendu, le front anticapitaliste pour la reconstruction des conquêtes sociales de la Résistance. Le tout dans la perspective du socialisme pour notre pays.
A lire :
- Avancer autant que possible vers l’unité d’action : compte rendu des récents échanges du PRCF avec l’ANC RC
- UNIR LES COMMUNISTES POUR RECONSTITUER LE PARTI FRANCHEMENT COMMUNISTE DONT LA FRANCE POPULAIRE A BESOIN
- Union, action !
- La reconstruction d’un vrai Parti communiste doit passer par la clarté, la cohérence et la confiance
- Reconstruction du Parti communiste de combat : la clarté idéologique comme ciment principal.
- Marche à l’unité des communistes : procéder en matérialistes! – par Georges Gastaud
Analyse de la Commission des relations politiques (Corpol) du Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF)
En réponse à l’analyse des camarades du Rassemblement communiste
Depuis des décennies se pose la question de la reconstruction d’un vrai Parti communiste en France, c’est-à-dire d’un parti centré sur la classe ouvrière, affranchi de l’influence délétère de la petite bourgeoisie euro-soumise et appliquant strictement une ligne et des principes marxistes-léninistes reniés par le P« C »F-PGE depuis très longtemps. C’est la raison pour laquelle a été fondé le Pôle de Renaissance communiste en France (PRCF) il y a 20 ans, le 18 janvier 2004. C’est aussi la raison pour laquelle le PRCF œuvre, depuis des années, à l’unité d’action avec d’autres groupes communistes affichant l’objectif de reconstruction d’un vrai Parti.
Unité d’action autant que possible (combat pour la paix, contre la fascisation, etc.), comme l’ont démontré de nombreux événements organisés en 2023 : 80 ans de la victoire de Stalingrad et de la création du Conseil national de la Résistance (CNR) ; rassemblements pour la paix à Saint-Denis ; soutien aux militants politiques et syndicaux poursuivis par le pouvoir fascisant, etc. Sans oublier les communiqués communs sur plusieurs sujets, la plupart du temps proposés et portés par le PRCF sur le terrain.
Unité d’action cependant insuffisante à elle seule pour reconstruire un vrai Parti communiste, tant il est indispensable de fixer une ligne politique claire et cohérente sur tous les sujets politiques, syndicaux, internationaux, etc., expliquant les échanges visant à traiter les divergences que l’on ne saurait étouffer – au risque de nourrir dans un parti créé précipitamment des tendances hostiles au centralisme démocratique, que Lénine combattit de toutes ses forces.
Ici, nulle question de purisme, mais de clarté et de cohérence, donc d’efficacité. C’est la raison pour laquelle le PRCF ne peut soutenir, en l’état, le « processus de fusion » enclenché il y a quelques mois – pour des raisons qui leur sont propres – entre le Rassemblement communiste (RC) et l’Association nationale des communistes (ANC), alors même que les débuts d’une unité d’action régulière proposés par le PRCF n’ont nullement été tant soit peu consolidés. Car un tel processus ne peut aboutir que si la clarté et la cohérence ont été clairement déterminées à tous les niveaux. N’en déplaise au RC qui vient d’écrire aux camarades du PRCF, les contradictions théoriques et pratiques sont trop importantes pour que la fusion annoncée avec l’ANC favorise la reconstruction d’un vrai Parti communiste en France, posant trois questions majeures au sujet de la ligne politique, de la stratégie politique… et de la forme politique que doit être le parti à reconstruire.
I) La ligne politique face à la question patriotique : « fétichisme » du PRCF… ou inavouable aversion du RC ?
A) Le drapeau tricolore, objet de la lutte des classes
L’une des principales divergences concerne la question patriotique au sujet de laquelle les camarades du RC affirment : « nous ne fétichisons pas le drapeau tricolore ». Ainsi, brandir le drapeau tricolore au côté du drapeau rouge reviendrait à « fétichiser le drapeau tricolore ». Le Parti communiste français – quand il méritait encore ce nom – de Maurice Thorez, Marcel Cachin, Jacques Duclos et Benoît Frachon le fétichisaient-ils quand ils l’associaient au drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau ? Les résistants francs-tireurs et partisans français – dont notre regretté ami et camarade Pierre Pranchère, cofondateur du PRCF – et main d’œuvre immigrée, à l’image du président du PRCF Léon Landini, qui ont combattu le régime de Vichy et les nazis avec le drapeau tricolore en main, sont-ils « fétichistes » ? Est-ce du « fétichisme », par exemple, comme l’a magnifiquement fait Léon Landini récemment, d’imposer l’entrée au Panthéon du drapeau tricolore des FTP-MOI de Carmagnole-Liberté en obligeant Macron à célébrer l’engagement 100% patriotique et 100% internationaliste du Parti communiste français sous le Front populaire et l’Occupation ?
Ce n’est pas « le drapeau tricolore qui est dialectiquement contradictoire » – et pour cause puisqu’il « reste et demeure celui de la nation », donc du peuple comme le disait le philosophe Georges Politzer rappelant que « la nation, en définitive, c’est le peuple » –, mais l’usage matériel et réel qui en est fait par les classes sociales en lutte. Faut-il rappeler que c’est bel et bien le drapeau tricolore – auquel nous associons le drapeau rouge – qu’arborent depuis l’automne 2018 les gilets jaunes, mouvement pré-insurrectionnel et ultra populaire dont la principale revendication est le référendum d’initiative citoyenne (RIC), mettant ainsi, et fort justement, au cœur de leurs revendications la souveraineté populaire et l’indépendance nationale ?! Pendant ce temps, le drapeau tricolore est allègrement piétiné :
– par la bourgeoisie capitaliste de France qui, derrière des discours pseudo « patriotiques », finit par piétiner le drapeau tricolore pour collaborer avec les forces extérieures afin d’arrêter et/ou écraser la Révolution française en 1792, la Commune de Paris en 1871 ou la Résistance antifasciste pendant la Deuxième Guerre mondiale… et désormais pour y substituer petit à petit le drapeau bleu étoilé jaune mâtiné de jaune de l’Europe supranationale… ou de l’Ukraine néo-bandériste.
– par les trotskistes en toute responsabilité, à l’image de Jean-Pierre Mercier qui, à l’occasion du rassemblement de soutien pour le secrétaire de l’UD CGT du Nord Jean-Paul Delescaut le 28 mars 2024 à Lille, a affirmé, toute honte bue, que face au « drapeau tricolore des capitalistes » (!), il fallait opposer le « drapeau rouge des travailleurs ». Comme Si Missak Manouchian et ses camarades – évoqués ce jour-là par Sophie Binet notamment –, ainsi que Léon Landini et Pierre Pranchère, avaient arboré le « drapeau tricolore des capitalistes » pour libérer la France du joug vichysto-nazi ! Et comme si Jean Moulin était mort pour « l’impérialisme français » comme osait récemment le dire, en toute ignoble indécence, un cadre trotskiste lillois – la même accusation grotesque équivaut pour les dirigeants soviétiques qui ont mené la « grande guerre patriotique » entre 1941 et 1945 ! La sortie de Jean-Pierre Mercier n’a rien d’étonnant puisque Arlette Laguiller, qui appela à s’abstenir lors du référendum sur le traité de Maastricht et qui a déclaré « ne pas regretter » ce choix en septembre 2023, a toujours dit « se sentir plus européenne que française » – raison pour laquelle elle a toujours bénéficié de la complaisance de la bourgeoisie antinationale de ce pays.
« Rompre la soumission à la bourgeoisie » nécessite donc de combattre frontalement le prétendu « drapeau européen » et de s’approprier le drapeau tricolore comme outil d’émancipation révolutionnaire et de souveraineté populaire au côté du drapeau rouge de l’Internationale, comme y invitait la formule complète de Jean Jaurès affirmant qu’« un peu d’internationalisme éloigne de la patrie, beaucoup d’internationalisme y ramène. Un peu de patriotisme éloigne de l’Internationale ; beaucoup de patriotisme y ramène ». Une indispensable association contre la bourgeoisie qui piétine et détruit allègrement la souveraineté nationale, que réalisèrent : la Commune (oui, le drapeau tricolore flottait aussi, des photos en témoignent, du côté des partisans de la Commune, poussant les Versaillais à se l’approprier pour prétendre représenter la légitimité de l’Etat bourgeois réactionnaire) ; le Front populaire sous l’impulsion du PCF – quand il méritait ce nom ; et la Résistance sous l’impulsion des FTPF et FTP-MOI. Nul « fétichisme » là-dedans, mais simplement l’intelligence politique de Maurice Thorez, chaleureusement appuyé par Georges Dimitrov et le Komintern, afin de répondre à l’objectif prescrit aux prolétaires par le Manifeste du Parti communiste : celui de « devenir la nation » pour en arracher la direction à la bourgeoisie. N’est-ce pas précisément ce qu’ont fait nos camarades cubains, à commencer par Fidel Castro qui a adopté le slogan « la patrie ou la mort, le socialisme ou mourir, nous vaincrons ! » tout en brandissant le drapeau tricolore cubain (dont les couleurs ne sont pas sans rappeler celles du drapeau de la Révolution française !), construisant ainsi la révolution sur deux fondamentaux indissociables dans un engagement internationaliste exemplaire : le socialisme ET l’indépendance nationale ?
C’est aussi le meilleur moyen de lutter contre l’extrême droite, plutôt que de la laisser pavoiser indûment avec le drapeau tricolore au service de l’ultra-nationalisme belliciste comme en 1914, de la colonisation et de la Françafrique ou de la xénophobie et du racisme anti-immigrés et antimusulmans. Et ce, alors que l’extrême droite a, historiquement, toujours piétiné le drapeau tricolore derrière son prétendu « patriotisme » pour s’incliner, pêle-mêle, devant le drapeau blanc monarchiste, le drapeau à croix gammée flottant dans la France occupée – alors que le pavoisement tricolore était puni de mort ! –, ou encore… le drapeau bleu étoilé jaune que le Rassemblement lepéniste et Reconquête ne contestent absolument pas (et pour cause !).
« Rompre la soumission à la bourgeoisie » revient donc à rompre avec le drapeau devant lequel elle s’incline réellement : celui de la prétendue « souveraineté européenne » (et celui du « saut fédéral européen » imminent, totalement sous-estimé voire ignoré par les camarades du RC) que défendent la Macronie, ses satellites et les pseudo alternatives du type RN ou… la « France insoumise », à l’image d’une Manon Aubry qui célébrait Robert Schuman le 9 mai 2020 (jour de la « Fête de l’Europe ») en déclarant : « Robert Schuman construisait l’Europe sur la solidarité de fait ». Drôle de manière d’être « insoumise à la bourgeoisie » ! Et puissante manière en réalité de nourrir la nouvelle « Union sacrée » belliciste de l’Empire euro-atlantique en marche vers la guerre mondiale antirusse et antichinoise.
B) L’offensive girondiniste contre le jacobinisme
Au-delà du drapeau tricolore, le RC aborde la question patriotique en dénigrant la République une et indivisible, pourtant défendue avec raison par… Lénine par toute la tradition bolchevique.
Selon le RC, la « République une et indivisible est bourgeoise et n’a été historiquement progressiste que pour se débarrasser de la monarchie et de la féodalité avec l’aide du peuple. » Drôle d’interprétation de la Première République proclamée le 21 septembre 1792 et qui aura apporté, pêle-mêle sous l’impulsion des Jacobins et des Sans-culottes, l’abolition de l’esclavage (4 février 1794 – restauré par Napoléon 1er, que le PRCF ne vénère certainement pas, en 1802), la loi du maximum, la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) du 24 juin 1793 proclamant le droit à l’assistance, aux secours publics et à l’éducation… ainsi que « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs » qu’est l’insurrection. Une République une et indivisible garantissant au moins l’unicité de la loi sur tout le territoire national ainsi que l’égalité des citoyens (non appliquée par le bourgeoisie au pouvoir), et qui est un enjeu central du combat de classe actuel. Une République une et indivisible désormais honnie par la bourgeoisie partisane d’un « pacte girondin » et de l’autonomisme que fustigeait Lénine quand, confronté au gouvernement provisoire menchevik de l’été 1917, il posa l’alternative suivante :
« ou bien un gouvernement bourgeois avec les « plans » de réformes qu’on nous a exposés, qui ont été proposés des dizaines de fois dans tous les pays et sont restés sur le papier ; ou bien l’organisme auquel on en appelle aujourd’hui, ce « gouvernement » de type nouveau créé par la révolution, et dont on ne trouve des exemples que dans l’histoire des plus grands élans révolutionnaires, comme ceux de 1792 et de 1871 en France, et de 1905 en Russie. » Et pour Lénine, la réponse est claire : « Nous voulons une république de Russie une et indivisible, et un pouvoir ferme » (« Premier congrès des soviets des députés ouvriers et soldats de Russie », Pravda, juin-juillet 1917).
Ainsi, Lénine rejettait-il par avance le « pacte girondin » et l’autonomisme que d’aucuns rêvent d’appliquer à la Corse, d’autres préférant fétichiser le « bonnet rouge breton » promu par le MEDEF local. Lénine, que ses adversaires mencheviques et trotskistes surnommaient par dérision « Maximilien » (Robespierre), revendiquait clairement son affiliation jacobine, comme il le précisa dans une lettre adressée au communiste arménien Stepan Chahoumian :
« « Le droit à la libre disposition ne signifie pas seulement le droit à la séparation. Il signifie aussi le droit à un lien fédéral, le droit à l’autonomie », écrivez-vous. Absolument pas d’accord. Il ne signifie pas le droit à la fédération. La fédération est une union entre égaux, une union qui exige l’accord général. Comment peut-il donc y avoir le droit d’une partie à l’accord avec elle d’une autre partie ? C’est une absurdité. Nous sommes dans le principe opposés à la fédération : elle affaiblit les liens économiques, elle représente un type sans valeur pour un seul Etat. Tu veux te séparer ? Va-t-en à tous les diables, si tu peux rompre les liens économiques, ou plutôt si l’oppression et les tiraillements de la « cohabitation » sont tels qu’ils gâtent et détruisent l’œuvre des liens économiques. Tu ne veux pas te séparer ? Alors, excuse-moi, ne décide pas à ma place, ne pense pas que tu as un « droit » à la fédération.
« Droit à l’autonomie » ? C’est encore faux. Nous sommes pour l’autonomie pour toutes les parties, nous sommes pour le droit à la séparation (et non pas pour la séparation de tous). L’autonomie, c’est notre plan d’organisation d’un Etat démocratique. La séparation n’est pas du tout notre plan. Nous ne prônons nullement la séparation. Dans l’ensemble, nous sommes contre la séparation. Mais nous sommes pour le droit à la séparation, à cause du nationalisme grand-russe réactionnaire, qui a tellement souillé la cause de la cohabitation nationale que, parfois, il y aura davantage de liens après une libre séparation !
Le droit à la libre disposition est une exception à notre prémisse générale, le centralisme. Cette exception est absolument nécessaire, face au nationalisme grand-russe réactionnaire, et la moindre renonciation à cette exception est de l’opportunisme (comme chez Rosa Luxemburg), c’est un jeu niais qui profite au nationalisme réactionnaire grand-russe. Mais il ne faut pas interpréter l’exception dans un sens élargi. Il n’y a là, et il ne doit y avoir rien, absolument rien d’autre, que le droit à la séparation. » (lettre de Lénine à Stepan Chahoumian, novembre-décembre 1913).
Et Lénine de rappeler que « c’est le parlement central lui-même qui fixera les limites de l’autonomie ! Nous sommes pour le centralisme démocratique, absolument. Nous sommes contre la fédération. Nous sommes pour les Jacobins contre les Girondins. » Héritage dont se réclama Maurice Thorez également lorsqu’il proclama devant le comité central du PCF en mai 1939 : « Ce que nous avons adopté des jacobins de 1793… n’est pas seulement la foi inébranlable et passionnée en la Révolution, mais également la vertu de l’honnêteté pour laquelle Robespierre fut appelé « l’Incorruptible ». En cette période où tout le monde est corruptible, il n’y a qu’un seul parti qui est resté intègre, notre Parti communiste. »
C) Un rejet inavoué des Lumières et de la langue française
Par ailleurs, le RC affirme catégoriquement, et en révision totale de la tradition marxiste, que « les « Lumières universalistes » ont été la base idéologique de l’abolition du féodalisme et du renversement par la bourgeoisie de la noblesse, de l’aristocratie. Elles ont donc été « universelles » pour l’époque des révolutions bourgeoisies antiféodales, mais ne peuvent l’être pour l’époque du passage au socialisme première étape du communisme. » Rien de plus non-dialectique qu’une telle affirmation sous-entendant qu’il n’est plus utile de faire référence aux « Lumières universalistes » alors qu’elles portent en elles le combat contre tous les obscurantismes fondamentalement anti-Lumières – comme l’a notamment rappelé Lénine dans son texte « La portée du matérialisme militant ».
Là encore, comme pour le drapeau tricolore et la République une et indivisible, une véritable dialectique consiste à analyser les « Lumières universalistes » (expression semble-t-il péjorative pour le RC) selon l’usage réel et matériel qui en est fait pour s’apercevoir qui les défend réellement. Est-ce le bloc bourgeois qui, derrière son évocation des « Lumières », cherche à maintenir sa domination de classe en n’hésitant pas à soutenir, selon les moments, les forces les plus obscurantistes – des talibans afghans aux nazis ukrainiens en passant par les évangélistes protestants états-uniens et les colons fanatiques ultra-sionistes ? Ou est-ce le camp de l’émancipation du genre humain sous l’impulsion des communistes et du prolétariat qui, grâce aux Lumières – qu’il faut évidemment retravailler à partir du matérialisme dialectique –, dispose une nouvelle fois d’un outil d’émancipation individuelle et collective ? Un outil insuffisant en soi, qui doit être complété par l’indispensable lutte des classes en faveur de la rupture avec l’ordre capitaliste et par le grand rebond en vue de la philosophie marxiste. Mais un outil indispensable comme principe et comme objectif afin de construire une société communiste éclairée et émancipée, sous peine de faire le jeu de tous les essentialismes et les obscurantismes (ethniques, religieux, etc.) qui détestent les Lumières. Faut-il rappeler que le fascisme honnit par-dessus tout les Lumières et que Joseph Goebbels pouvait déclarer, admirant le grand autodafé de Berlin en avril 1933 : « L’être allemand du futur ne sera pas un être du livre : il sera un être de volonté » ? Faut-il rappeler la manière grandiose dont Georges Politzer a défendu, dans Révolution et contre-révolution au XXe siècle, le grand héritage français rationnel de Descartes et de la philosophie des Lumières face à l’idéologue nazi Alfred Rosenberg venu le diffamer en plein Palais-Bourbon ?
Rejeter ainsi les Lumières constitue le même geste en réalité toujours défensif et défaitiste, consistant, parce que le drapeau tricolore, le patriotisme républicain, le rationalisme universaliste, ont été dévoyés et salis par la bourgeoisie devenue impérialiste, à les abandonner à l’adversaire de classe. Une attitude que contestait Léon Landini quand, répondant à ces trotskistes qui qualifiaient le drapeau tricolore de « torche-cul » parce qu’il avait été violé et dévoyé par le colonialisme, déclarait ceci à l’intention de ces faux révolutionnaires : « Si ta fille est violée par des salauds, la rejetterais-tu en la déclarant « salie », ou l’en aimerais-tu davantage tout en punissant ses violeurs comme ils l’auraient mérité ? ».
Ainsi, ce n’est pas parce que les penseurs qui ont développé les premières Lumières étaient de condition bourgeoise que les « Lumières universalistes » ne serviraient que la bourgeoisie. Robespierre ne rappelait-il pas à raison que « la plus grande partie des hommes qui habitent nos villes et nos campagnes, sont abaissés par l’indigence, à ce dernier degré de l’avilissement où l’homme, absorbé tout entier par les soins qu’exige la conservation de son existence, est incapable de réfléchir sur les causes de ses malheurs, et de connaître les droits que la nature lui a donnés » ; en quoi Marx, Engels ou Lénine s’opposeraient-ils à une telle affirmation de la part d’un partisan des « Lumières universalistes ? ». Plus que jamais, comme y invitaient Diderot et d’Alembert dans la préface à l’Encyclopédie : « hâtons-nous de rendre les Lumières populaires » !
De même, ce n’est pas parce que les partisans de la colonisation s’abritaient derrière le caractère réellement universaliste et progressiste des Lumières pour justifier leurs conquêtes que les Lumières seraient en soi instrument de domination coloniale et obstacle à la construction du socialisme. Que trouvera à redire le RC face à Abdoulaye Maïga, ancien Premier ministre par intérim du Mali après la prise du pouvoir par les partisans du colonel Goïta en août 2022, qui déclara à la tribune de l’ONU un mois plus tard : « Les autorités françaises, profondément anti-françaises pour avoir renié les valeurs morales universelles et trahi le lourd héritage humaniste des philosophes des Lumières, se sont transformées en une junte au service de l’obscurantisme ». Une déclaration faisant écho à ce qu’affirmait Georges Politzer en 1939 :
« La « philosophie des lumières » fut « cette brillante école de matérialistes français qui firent du XVIIIe siècle en dépit de toutes les victoires terrestres et navales remportées sur les Français par les Allemands et les Anglais, un siècle éminemment français, avant même qu’il fût couronné par cette Révolution française, dont nous, qui n’y avons pas pris part en Allemagne, comme en Angleterre, essayons encore d’acclimater les résultats ». Ainsi parlait en 1892, du matérialisme français du XVIIIe siècle, Engels qui fut, avec Marx, le créateur génial du matérialisme historique. La réaction a tout fait pour escamoter les idées qui ont dominé le « siècle des lumières ». Ses professeurs font de grands développements théoriques sur l’importance des idées dans l’histoire en général, mais escamotent ce mouvement d’idées qui fit du XVIIIe siècle « un siècle éminemment français ». Notre Parti, au contraire, associe étroitement, en célébrant le 150e anniversaire de la Révolution, les hommes qui l’ont accomplie et « cette brillante école de matérialistes français » qui l’a préparée.
« Le matérialisme philosophique français du XVIIIe siècle fut, dit Engels, la croyance de la Révolution française ». Il représente une étape décisive de ce développement qui aboutira au matérialisme dialectique, et à travers le socialisme utopique, au socialisme scientifique. Nous devons donc connaître le rôle historique de la « philosophie des lumières ». Sa genèse et son évolution montrent d’une manière indiscutable, sur le plan scientifique, que c’est nous, communistes, qui en sommes les héritiers véritables et les seuls continuateurs, au sens historique du mot. » (Georges Politzer, « La philosophie des Lumières et la pensée moderne », juillet 1939).
Enfin, le RC explique que « la défense de la langue française contre l’hégémonie du globish ne sera prolétarienne que dans l’unité des prolétaires et du peuple français contre l’hégémonie culturelle du français dans l’ex-empire colonial français. » Une « hégémonie » très largement remise en cause du fait du désétablissement de la langue française dans une partie de l’ancien empire colonial comme au Maroc – où l’anglais séduit de plus en plus de jeunes… et en France même où le tout-anglais devient rapidement la langue unique de référence dans le cadre de l’« Etat fédéral européen » en voie de constitution. Un tout-anglais qui est déjà, sans la moindre réaction de nos camarades du RC pour le combattre, la langue unique de la Commission européenne, du « Parquet européen » et de la « Cour des comptes européennes » !
Au-delà, il est frappant que le RC ne mentionne nullement la question de la Francophonie, qui constitue là encore un enjeu de classe, alors que le MEDEF a créé en août 2021 l’Alliance des patronats francophones à Tunis, s’emparant ainsi de la langue française avec pour objectif « d’augmenter les échanges économiques » – comprenez : de renforcer l’exploitation au sein de l’espace francophone. Comme pour le drapeau tricolore, assimiler la langue française à un simple instrument de domination coloniale – alors que, au passage, les langues des peuples d’Afrique comme le pulaar ne sont pas éradiquées (au contraire !) – et ne pas se servir de son potentiel émancipateur, y compris pour les peuples d’Afrique contre leurs élites corrompues, contre l’hégémonisme mondial des Etats-Unis et contre la Françafrique – exactement comme l’a fait Abdoulaye Maïga qui s’exprimait à l’ONU dans un remarquable français et comme le font de très nombreux chanteurs et écrivains africains et québécois –, c’est faire le plus beau cadeau au bloc bourgeois antinational.
C’est la raison pour laquelle l’abbé Grégoire, dans son discours sur « l’unité de la langue » du 4 juin 1794 – encore une « Lumière universaliste » « bourgeoise » –, tout en étant conscient que « l’état politique du globe bannit à jamais l’espérance de ramener les peuples à une langue commune », affirmait au sujet de l’« idiome de la liberté » qu’est la langue française : « l’ignorance de la langue compromettrait le bonheur social ou détruirait l’égalité ». Plutôt que de désétablir la langue française au sein de l’Afrique francophone ou du Québec – et ainsi, de nourrir l’hégémonisme du tout-anglais –, ne convient-il pas plutôt de permettre aux populations, sans éradiquer les langues locales (ce qui n’a jamais été l’objectif des révolutionnaires !), d’y avoir accès de manière démocratique et progressiste pour combattre « leurs » élites corrompues et autoritaires qui, elles, manient la langue française pour servir leurs intérêts de classe ? Quant à la France, il faut non seulement garantir l’enseignement public de la pluralité linguistique – et déjà de la langue arabe, l’une des plus répandues dans notre pays et qu’il faut enseigner, là où le besoin existe, dans le cadre de l’école publique et laïque –, mais aussi réaffirmer le français comme seule langue administrative de la République une et indivisible. Ce serait sinon favoriser l’euro-régionalisme auquel poussent les indépendantismes corse, breton, alsacien et autres catalan ou savoyard… de servir la soupe à un tout-anglais dont le baron Seillière vantait son mérite d’être la « langue des affaires » en 2004 ; cette évolution funeste pousse au basculement complet des entreprises à l’anglais, au risque de provoquer d’énormes souffrances et discriminations au travail pour des millions de salariés français ou de travailleurs immigrés francophones.
En somme, refuser de disputer les éléments constitutifs de la souveraineté nationale au bloc bourgeois, qui piétine et détruit la patrie comme outil d’émancipation pour le peuple de France dans toutes ses composantes, c’est valider l’interprétation de la question patriotique par la bourgeoisie comme la seule possible et, ainsi, se soumettre à la bourgeoisie. Soit le contraire de ce qu’une démarche franchement communiste nécessite, à savoir une insoumission totale à partir des éléments matériels existants.
En réalité, ce prétendu refus de « fétichiser » les symboles patriotiques acceptés par la grande majorité de la population, nous semble masquer une soumission (inavouée) à la petite-bourgeoisie euro-complaisante. En déconstruisant le patriotisme républicain, cette dernière, tantôt sous le drapeau du PS maastrichtien, tantôt sous l’étendard de l’eurocommunisme liquidateur, tantôt sous les couleurs du trotskisme, d’EELV ou même de l’anarchisme, tantôt sous l’égide d’une « France insoumise » de plus en plus euro- et atlantico-soumise (et à laquelle le RC ne reproche pas de refuser le drapeau rouge dans ses meetings…), fait place nette au nationalisme raciste et constitue un obstacle culturel permanent à la renaissance pleinement indépendante du Parti prolétarien de classe. Raison de plus pour clairement définir la stratégie du Front, en toute indépendance à l’égard de la social-démocratie dans toutes ses composantes.
II) La stratégie politique du Front : alignement sur la social-démocratie… ou franche indépendance au service des travailleurs
A) De l’importance du contenu du Front
La question patriotique, au-delà d’un sujet de ligne politique, renvoie à une question de stratégie politique dont la composante la plus déterminante est celle du Front à construire pour faire face au bloc euro-atlantique menant le pays à la marche à la guerre généralisée, à la fascisation décomplexée, à l’euro-dislocation de la République une et indivisible et de la souveraineté nationale, à l’euro-destruction des services publics, des conquêtes sociales, des libertés démocratiques, du produire en France, à la violation permanente de la séparation des Eglises et de l’Etat ainsi qu’à la relégation insidieuse de la langue française, etc.
Le rappel des enjeux du Front est indispensable pour construire ce dernier, qui ne saurait être une simple application des principes léninistes – nouer des alliances avec les forces non ouvrières et non prolétariennes qui acceptent de « frapper ensemble et marcher séparément » – sans prise en compte du contenu politique ni du centre d’impulsion dudit Front. C’est ainsi que lorsque le Front populaire fut formé, il était alors dominé socialement et politiquement (mais pas électoralement) par le Parti communiste et la CGT en France sur un contenu populaire et patriotique : antifascisme, conquêtes sociales, libertés syndicales, culture populaire, Défense nationale et (timides) réformes coloniales. Dans ce Front, le PCF gardait son indépendance en apportant son soutien critique au gouvernement Blum… et en n’hésitant pas à le désavouer du fait de son refus d’intervenir au côté du Frente popular dans la guerre civile espagnole.
En 2024, la question du contenu politique d’un nouveau Front se pose plus que jamais. En 2012, lorsque le Front de gauche s’était créé, le PRCF avait appuyé de manière critique la candidature de Jean-Luc Mélenchon à la présidentielle. En 2017, le PRCF en fit de même avec encore plus de détermination du fait de la ligne politique qu’incarnait alors le porte-parole de la France insoumise qui venait d’être créée : sortie de l’OTAN, République une et indivisible, confrontation avec les forces du Capital du fait d’un programme ambitieux sur le plan social… et surtout une dialectique permettant d’ouvrir une perspective politique à travers le slogan : « l’UE, on la change ou on la quitte ! ». Il en résulta une campagne enthousiasmante et porteuse d’espoirs pour des millions de travailleurs et une percée fulgurante.
Percée que les camarades du RC rappellent en justifiant leur tactique : « La fraction la plus radicale, social-démocrate de gauche, de ce camp antilibéral, malgré ses insuffisances, a été d’abord le Front de Gauche (constitué du PG et du PCF) puis aujourd’hui la FI. Il s’agit là d’une réalité objective qui implique de notre point de vue une participation des communistes révolutionnaires de ce côté de la barricade contre la social-démocratie de droite de plus en plus social-fasciste, contre la droite et l’extrême droite fasciste. C’est la tactique que nous n’avons cessé de décliner, dans les Collectifs Anti-libéraux après 2005, puis le Front de Gauche et enfin en soutenant la FI qui a obtenu à la dernière présidentielle 22 % de l’électorat. »
Si cette affirmation est arithmétiquement juste, elle est en revanche politiquement biaisée par le contenu de la ligne de l’actuelle « France insoumise » (LFI). De ce point de vue, le RC ne tient pas compte, en réalité, de l’évolution funeste impulsée par la nomination de l’euro-atlantiste et antisoviétique débridée Manon Aubry pour conduire la liste au scrutin européiste de mai 2019, ni de l’appel de Clémentine Autain à un « big bang de la gauche radicale » au lendemain du résultat désastreux dudit scrutin. Un appel au sujet duquel le PRCF mettait alors en garde Jean-Luc Mélenchon au sein d’une lettre ouverte publiée sur le site « Initiative communiste » :
« L’offensive enclenchée par Clémentine Autain – dont, de fait, la ligne s’est incarnée dans la campagne de Manon Aubry – en faveur d’un « big bang de la gauche radicale » (reprenant au passage une formule de… Michel Rocard en 1993 ! ») et d’un énième rassemblement d’« insoumis, communistes, anticapitalistes, socialistes et écologistes décidés à rompre avec le néolibéralisme », autrement dit autant de forces malheureusement euro-compatibles et eurobéates dont le positionnement va totalement à l’encontre et des intérêts et du positionnement politique de la grande majorité des classes populaires (à commencer par la classe ouvrière et par un nombre croissant de Gilets jaunes), nous paraît dangereux pour l’avenir d’une gauche patriotique et populaire en France. »
B) La grave dérive électoraliste et social-démocrate de LFI
Car c’est la réalité du « Front antilibéral » visant à faire des « concessions acceptables » défendu par le RC : ce Front vire de plus en plus vers les « sociaux libéraux européistes » avec lesquels LFI s’est alliée au sein de la « Nouvelle Union populaire écologique et sociales » (NUPES). Le PRCF avait, là encore, mis en garde au moment des législatives de mai 2022 sur une grave déviation de droite et l’abandon d’une position franchement insoumise à l’UE du Capital telle qu’elle avait été exprimée en 2017 – abandon déjà clairement énoncé lors de la campagne présidentielle de 2022. Le PRCF y voyait, à raison, « un « nouveau PS » [est] en train de se reconstituer, sous le séduisant vocable de NUPES », et s’interrogeait :
« Comment justifier le fait que des anciens macronistes comme Cédric Villani et Aurélien Taché, qualifiés d’« hommes de gauche », se retrouvent investis « candidats NUPES» dans des circonscriptions (comme le fut déjà Matthieu Orphelin dans le Centre-Val-de-Loire pour les régionales en 2021) après avoir, pêle-mêle, approuvé la destruction du Code du Travail et de la SNCF, le « saut fédéral européen » ou la contre-« réforme » des retraites ? Comment justifier le fait que Mélenchon, qui déclarait en 2017 : « l’UE, on la change ou on la quitte ! », s’entend avec EELV en expliquant que « la France ne peut avoir pour politique ni la sortie de l’Union, ni sa désagrégation, ni la fin de la monnaie unique » et, « mieux » encore, appelle à « faire bifurquer les politiques européennes vers la justice sociale, l’écologie, le progrès humain et le développement des services publics » ? La méthode est toute trouvée : la « désobéissance » (comme un enfant qui désobéit à ses parents), ce non-respect de certaines règles de l’UE qui « n’est pas un objectif politique en soi mais un outil ». Ah, « l’Europe sociale », « l’Europe sera socialiste ou ne sera pas » et autres fadaises du genre ! A croire que les travailleurs de France n’ont pas assez goûté à plus de quatre décennies d’euro-reniements « sociaux-démocrates » … N’est-ce pas finalement une fantastique résurrection du mitterrandisme (dont Mélenchon ne cesse de revendiquer l’héritage) et de la « gauche plurielle » (ou plutôt, « gauche » plus rien) jospinienne ? »
Car c’est bien le problème de fond : la NUPES est une antithèse du « Front antilibéral » dont le déplacement de centre de gravité toujours plus vers la droite doit alerter tout marxiste-léniniste conséquent souhaitant différencier « aile anti-libérale, eurocritique, anti-raciste, antifasciste, écologiste et antiguerre et sociaux libéraux européistes fascisants, pro-guerre et capitalistes verts de plus en plus rejoints par le trotskisme par essence européiste. » C’est ce que prédisait là encore le PRCF dès le lendemain du second tour de la présidentielle de 2022 :
« Un tel rapprochement, qui s’est déjà produit dans les Hauts-de-France lors des régionales (pour un résultat très décevant), illustre le virage euro-compatible et de moins en moins « insoumis » à l’UE du Capital pour lequel vous optez. Car qui peut sincèrement croire qu’un rapprochement avec des forces européistes, atlantistes (EELV, le PS et même le NPA sont des boutefeux prêts à partir en croisade contre la Russie !), antijacobines et anticommunistes (faut-il rappeler que le PS et EELV ont, aux côtés des LR, du RN et de LREM, approuvé la honteuse résolution adoptée par le Parlement européen le 19 septembre 2019, assimilant le communisme au nazisme ?!), permettra l’application de votre programme en cas de miraculeuse victoire aux législatives ?! A moins que, dans la continuité de vos prises de position depuis près d’un an, vous renonciez définitivement au Frexit, à la République une et indivisible (comme pour la Corse, les élus de Bretagne prenant le même chemin, sans parler de la « Collectivité européenne d’Alsace »), à la réindustrialisation, à la rupture avec le FMI (au sein duquel vous souhaitez « porter des propositions de rupture avec le néolibéralisme » !), etc. »
Cette évolution funeste s’est confirmée et même accentuée depuis 2022, en dépit de certaines positions courageuses et dignes comme sur la question palestinienne – positions qui ont suscité le soutien du PRCF et qui ont permis de mesurer la solidité politique des « partenaires » de LFI composant la NUPES… En effet :
– Comment peut-on parler d’« aile eurocritique » quand on reconduit une admiratrice de Robert Schuman à la tête de liste LFI pour le scrutin européiste de 2024 et qu’on annonce par avance ne vouloir « ni la sortie de l’UE, ni sa désagrégation, ni la fin de la monnaie unique » ?!
– Comment peut-on parler d’ « aile antifasciste » quand, le 15 décembre 2022, les ainsi dits « eurodéputés » LFI ont adopté une résolution – comme le RN, les LR, Renaissance, le PS et EELV – intitulée « 90 ans après l’Holodomor : qualifier l’extermination par la faim de génocide » et qui « considère l’Holodomor comme un génocide du peuple ukrainien, dès lors que cette famine artificielle a été commise par le régime soviétique dans l’intention de détruire un groupe de personnes en infligeant délibérément des conditions de vie menant inexorablement à leur anéantissement physique » ? Une résolution adoptée à son tour par ladite « Assemblée nationale » en mars 2023 (au moment des 70 ans de la mort de Staline) et qui participe encore plus à l’offensive anticommuniste et clairement fascisante tous azimuts de l’UE du Capital qui, déjà le 19 septembre 2019, avait adopté une résolution faisant du communisme un équivalent du nazisme. Et malgré l’euro-fascisation galopante qui s’apprête à triompher le 9 juin prochain, il ne faudrait « ni la sortie de l’UE, ni sa désagrégation, ni la fin de la monnaie unique » ?!
– Comment peut-on parler d’« aile antiguerre » alors que les bases électorales de la NUPES – à commencer par l’électorat soi-disant « insoumis », et bien entendu celui d’EELV et du PS – sont les plus favorables à l’envoi de troupes en soutien au régime pronazi de Kiev, comme l’a révélé un sondage CSA fin février dernier : « Les clivages politiques transparaissent clairement dans les opinions sur l’envoi de soldats français en Ukraine. Les affiliés de gauche affichent une plus grande ouverture, avec 32 % en faveur d’une telle action, tandis que ce pourcentage tombe à 17 % parmi les sympathisants de droite. Les soutiens de La France insoumise se démarquent avec 37 % prônant l’intervention. Les partisans du Parti socialiste et d’Europe Écologie-Les Verts plaident respectivement à 34 % et 32 % pour l’intervention. » (JDD, 28 février 2024) – encore heureux que les députés LFI aient voté contre l’infâme accord franco-ukrainien en mars 2024, ce que n’a pas manqué de saluer le PRCF. De même, comment peut-on parler d’« aile antiguerre » quand des dirigeants de LFI, pêle-mêle, affirment qu’il faut « avoir un devoir d’assistance mutuelle (avec la Pologne) » et « faire preuve de solidarité » si un pays de l’OTAN est attaqué (Manon Aubry, 3 avril 2024) ; ou que « face à la Russie de Vladimir Poutine, « menace pour la paix et la sécurité internationale », la France et l’Europe doivent bâtir leur défense » et il faut « renforcer notre « assistance militaire et civile » à l’Ukraine » car « l’Ukraine attend de l’armement, de l’équipement, du matériel, des munitions, pas des grandes déclarations » (François Ruffin, 12 mars 2024) ?!
En réalité, soutenir une telle liste totalement engagée dans l’« Union sacrée » belliciste et euro-atlantiste aux côtés d’un régime scandaleusement pronazi comme celui de Kiev, ce n’est clairement pas résister ni à la guerre impérialiste en marche, ni même hélas à l’euro-fascisation du continent. Nous le disons en toute franchise aux camarades du RC, non par goût de la polémique mais en ressentant une profonde tristesse mêlée d’inquiétude.
C) De l’urgence d’une véritable Alternative Rouge et Tricolore
Le RC pose la question suivante : « Avec quelles forces politiques représentant quelles classes sociales nos camarades du PRCF comptent-ils, eux, édifier leur « Front de Résistance Antifasciste, Pacifique (anti-impérialiste), Populaire, Patriotique et Ecologique (FRAPPPE) » ? » Réponse : avec les forces communistes, insoumises, syndicalistes, gaullistes patriotiques et toutes les forces sincèrement antifascistes et pacifiques (ce qui nous éloigne très clairement de la NUPES !) désireuse d’être franchement insoumises à l’Axe UE-OTAN. Ce qui nécessite, comme le fit Maurice Thorez en son temps, de tendre la main au-delà de la prétendue « gauche » établie, comme l’a récemment fait le PRCF dans sa « main tendue des marxistes aux travailleurs catholiques » – et précisant qu’« il va de soi que nous ne sommes pas moins disposés avec des militants musulmans, protestants, bouddhistes ou juifs disposés à combattre l’injustice, à dialoguer en vérité, à défendre la paix, l’indépendance nationale, les libertés et les acquis sociaux, bref à combattre à nos côtés pour la fraternité humaine et contre les injustices sociales. » En somme, un véritable Front élargi et non sectaire, s’adressant aux masses qui, à l’exception de la présidentielle, optent massivement pour… l’abstention vis-à-vis de forces politiques fortement discréditées et incapables de proposer une ligne politique de franche insoumission à l’Axe UE-OTAN. Car de toute évidence, le soutien quoi qu’il arrive à LFI en dépit de ses dérives toujours plus euro-mutantes – à l’image de celles du PCF à partir du milieu des années 1970 sous le vocable grotesque d’« eurocommunisme » dont on voit les résultats aujourd’hui… –, sous prétexte d’un score arithmétique à la présidentielle, ne servira pas la cause des travailleurs dont la grande majorité se réfugie dans l’abstention ou, malheureusement, dans le soutien à l’antipatriotique et antipopulaire Rassemblement lepéniste.
Ce qui nous donne l’occasion de retourner la question au RC : quelles forces réellement patriotiques et populaires au sein de LFI et en dehors forment l’« aile anti-libérale, eurocritique, anti-raciste, antifasciste, écologiste et antiguerre », alors même que la NUPES et une partie croissante de la base de LFI correspond aux « sociaux libéraux européistes fascisants, pro-guerre et capitalistes verts de plus en plus rejoints par le trotskisme par essence européiste » ?
C’est la raison pour laquelle le PRCF ne cesse de proposer – y compris aux éléments (de moins en moins nombreux) franchement insoumis de LFI – une Alternative Rouge et Tricolore prônant une rupture totale et définitive avec l’Axe UE-OTAN. Une stratégie qui pousse les militants du PRCF quotidiennement dans les luttes et dans les campagnes en faveur de la paix, du boycott du scrutin européiste, du combat pour la défense des libertés et contre la fascisation, du soutien aux travailleurs matraqués par un patronat réactionnaire. Une stratégie non sectaire et non opportuniste, comme le rappelait Lénine fustigeant à la fois le gauchisme sectaire et les compromissions petites-bourgeoises :
« Tout prolétaire, vivant dans une atmosphère de lutte de masse et d’exaspération des antagonismes de classes, peut se rendre compte de la différence qui existe entre un compromis imposé par les conditions objectives (la caisse des grévistes est pauvre, ils ne sont pas soutenus, ils sont affamés et épuisés au-delà du possible), compromis qui ne diminue en rien chez les ouvriers qui l’ont conclu le dévouement révolutionnaire et la volonté de continuer la lutte, – et un compromis de traîtres qui rejettent sur les causes objectives leur bas égoïsme (les briseurs de grèves concluent eux aussi un « compromis »), leur lâcheté, leur désir de se faire bien voir des capitalistes, leur manque de fermeté devant les menaces, parfois devant les exhortations, parfois devant les aumônes, parfois devant la flatterie des capitalistes : ces compromis de trahison sont particulièrement nombreux dans l’histoire du mouvement ouvrier anglais, du côté des chefs des trade-unions, mais presque tous les ouvriers dans tous les pays ont pu observer, sous une forme ou sous une autre, des phénomènes analogues. […]
La juste tactique des communistes doit consister à utiliser ces hésitations, et non point à les ignorer ; or les utiliser, c’est faire des concessions aux éléments qui se tournent vers le prolétariat, et n’en faire qu’au moment et dans la mesure où ils s’orientent vers ce dernier, tout en luttant contre ceux qui se tournent vers la bourgeoisie. Grâce à l’application de cette juste tactique, le menchevisme s’est de plus en plus disloqué et se disloque chez nous, isolant les chefs qui s’obstinent dans l’opportunisme et amenant dans notre camp les meilleurs ouvriers, les meilleurs éléments de la démocratie petite-bourgeoise. » (Lénine, La maladie infantile du communisme, 1920).
En somme, ce n’est pas en se plaçant à la remorque, comme en 1981 ou en 1997, de la social-démocratie toujours plus opportuniste et euro-atlantique – alors que le camp du Capital, lui, se radicalise dans son ancrage… euro-atlantique identitaire et fascisant – que l’on œuvrera à une Alternative Rouge et Tricolore franchement insoumise conformément aux propos de Georges Politzer : « L’indépendance intellectuelle, l’esprit critique ne consiste pas à céder à la réaction, mais au contraire à ne pas lui céder. » Une Alternative qui, de surcroît, placerait le monde du travail, ainsi qu’une CGT de combat et un vrai Parti communiste au cœur du Front, faisant ainsi de la reconstruction de ce dernier la priorité absolue.
III) Trois conditions inévitables pour reconstruire un vrai Parti communiste
A) L’unité d’action, une nécessité militante régulière
Comme signalé plus haut, le PRCF a appelé dans plusieurs déclarations bilatérales, avec les partenaires du RC et de l’ANC, à promouvoir l’unité d’action le plus régulièrement possible – en tenant compte des contraintes et des capacités de mobilisation de chaque groupe. C’est la raison pour laquelle le PRCF a convié le RC et l’ANC aux événements évoqués en 2023 et, déjà avant, à des rassemblements (parfois co-organisés) comme pour la défense de la paix, par exemple à Lille en avril 2024. De même, le PRCF répond présent s’il est convié à un événement favorable à l’unité d’action, comme lors d’une formation commune à Lille en mars 2024.
Le véritable enjeu consiste donc à ce que l’unité d’action soit la plus régulière possible, ce qui nécessite d’en faire une priorité militante en toutes circonstances, y compris électorales. A ce sujet, le RC rappelle que « cette unité d’action stratégique a organisé le 10e anniversaire de la victoire du TCE devant l’Assemblée Nationale en 2015, publié de multiples déclarations communes, notamment sur la nécessaire sortie de l’UE et a abouti à la publication d’un numéro d’« Échanges Communistes » sur nos convergences et divergences sur le lien dialectique entre sortie de l’UE/OTAN et révolution socialiste en France. » Puisque le RC évoque un événement en date de près de 10 ans, nous disons : chiche de refaire la même chose en 2025 ! Mais cette fois-ci, avec la présence de tous les partenaires, ce qui n’avait pas été le cas en 2015 à la suite de l’organisation à la dernière minute d’un rassemblement à Marseille qui avait torpillé tout le travail accompli pour faire du 29 mai 2015 un authentique événement national. Et avant même une telle perspective, mobilisons le plus possible les différentes forces militantes quand un événement est organisé, comme pour les 80e anniversaires de la victoire de Stalingrad en février 2023 ou de la création du CNR le 27 mai 2023 ainsi que pour le rassemblement anti-guerre à Saint-Denis le 11 novembre 2023.
Cela nécessite de définir les priorités de mobilisation, à la fois avec l’objectif de rassemblements le plus large possible et avec la clarté dans les propos. Hors de question, par exemple, d’organiser des rassemblements avec des forces qui, tout en crachant sur le PRCF à longueur de temps, optent pour un « ni-ni » suicidaire renvoyant dos-à-dos l’hégémonisme états-unien et la Russie bourgeoise et réactionnaire Poutine – qui serait autant « impérialiste » dans la forme et l’intensité que les Etats-Unis… –, assimilent le drapeau tricolore à celui des capitalistes et/ou des fascistes comme le font les trotskistes ou jurent fidélité absolue à l’Axe UE-OTAN. Nulle question ici d’« insulter l’avenir » … mais nulle question tout autant de laisser insulter le présent. Pour preuve : des rassemblements larges et clairs dans les propos, y compris avec des forces non-communistes, sont possibles, comme l’a prouvé le PRCF du Pas-de-Calais en s’associant au Parti de gauche et aux militants locaux de la France insoumise à Lens en mars 2024, où comme l’ont fait les camarades franciliens du PRCF contre l’Axe UE-OTAN avec les partenaires du Parti de la démondialisation (Pardem), de la Dynamique populaire constituante (DPC) et du groupe France indépendante et République sociale (FIERS) toujours en mars 2024.
B) De la nécessité d’un programme unique et cohérent
Pour expliquer la fusion avec l’ANC, le RC précise que « le processus vers la fusion que nous enclenchons avec nos camarades de l’ANC, disponibles pour cette avancée, est le « pas en avant » dans une organisation unique dotée d’un manifeste-plateforme et de règles de fonctionnement fondées sur le centralisme démocratique et qui tienne compte du nécessaire réapprentissage théorique et pratique consécutif au recul idéologique subi par le mouvement communiste ouvrier dans notre pays. » « Manifeste-plateforme » qui, si l’on comprend bien, ne saurait être un programme à proprement parler puisque, toujours selon le RC, « le moment est venu de mettre en application l’enseignement de K. Marx selon lequel « tout pas en avant, toute progression réelle vaut mieux que 12 programmes ». »
Rappelons que Karl Marx énonça cette affirmation dans une lettre adressée à Wilhelm Bracke, social-démocrate allemand ayant contribué à la formation du Parti ouvrier social-démocrate (SDAP, futur SPD), le 5 mai 1875. Une lettre au sein de laquelle Marx critique… la fusion du SDAP avec l’Association générale des travailleurs allemands (ADAV) – dont s’était pourtant détaché le SDAP en 1869 sous l’impulsion d’August Bebel et Wilhelm Liebknecht pour ériger le programme d’Eisenach. Mais l’affaiblissement de l’ADAV – sous l’influence du « grand-allemand » Ferdinand Lassalle qui avait coopéré avec Bismarck – poussa à la fusion des deux formations qui adoptèrent alors le programme de Gotha, traduction d’un manifeste commun des deux formations. C’est ce « programme » que critiquèrent Marx et Engels, du fait des terribles « concessions » – pour ne pas dire trahisons – faites par le SDAP aux conceptions lassalliennes sur, pêle-mêle : la lutte des classes (réduite à la simple résolution de la « question sociale ») ; la dictature du prolétariat progressivement abandonnée au nom d’un « Etat social » ; ou encore l’absence de la référence internationaliste du prolétariat allemand.
C’est en ce sens qu’il faut apprécier la formulation de Marx, lui qui, avec son alter ego Friedrich Engels, rédigea un véritable programme – progressivement dévoyé par leurs adeptes prétendument « marxistes » au sein de l’ADAV et du SDAP (puis du SPD) – communiste en 1848, le fameux Manifeste. Programme dont naturellement, comme le signalèrent Marx et Engels dans la préface de 1872, « l’application des principes dépendra partout et toujours des circonstances historiques existantes » ; mais dont « les principes généraux exposés dans ce Manifeste conservent en gros, aujourd’hui encore, toute leur exactitude ». Et c’est pourquoi Karl Marx peut affirmer dans la lettre à Bracke :
« Après le congrès de fusion, nous publierons, Engels et moi, une brève déclaration dans laquelle nous dirons que nous n’avons absolument rien de commun avec ce programme de principes et que nous gardons nos distances vis-à-vis de lui. […] c’est mon devoir de ne pas reconnaître – fût-ce par un silence diplomatique – un programme qui, j’en suis convaincu, est absolument condamnable et démoralisateur pour le parti.
Tout pas en avant du mouvement réel vaut plus qu’une douzaine de programmes. Si l’on ne pouvait pas, à cause des circonstances présentes, aller plus loin que le programme d’Eisenach, il fallait se contenter tout simplement de conclure un accord pour l’action contre l’ennemi commun. En revanche, si l’on élabore un programme de principes (qu’il vaut mieux remettre à un moment où une longue activité commune en aura préparé le terrain), c’est pour poser des jalons qui signalent, aux yeux du monde entier, à quel niveau en est le mouvement du parti. »
Quelques semaines plus tôt, Engels avait mis en garde August Bebel avec des propos similaires dans une lettre rédigée en mars 1875 :
« Je m’arrête, bien que chaque mot ou presque soit à critiquer dans ce programme sans sève ni vigueur. C’est si vrai qu’au cas où il serait adopté, Marx et moi nous ne pourrions jamais reconnaître comme nôtre ce nouveau parti, s’il s’érige sur une telle base […]. Vous comprenez bien que ce programme marque un tournant, qui pourrait très facilement nous obliger à décliner toute responsabilité vis-à-vis du parti qui l’a fait sien.
En général, le programme officiel d’un parti importe moins que sa pratique. Cependant, un nouveau programme est toujours comme un drapeau que l’on affiche en public, et d’après lequel on juge ce parti. Il ne devrait donc en aucun cas être en retrait par rapport au précédent, celui d’Eisenach en l’occurrence. Et puis il faut réfléchir aussi a l’impression que ce programme fera sur les ouvriers des autres pays, et à ce, qu’ils penseront en voyant tout le prolétariat socialiste d’Allemagne ployer ainsi les genoux devant le lassalléanisme. Je suis d’ailleurs persuadé qu’une fusion sur cette base ne tiendrait pas un an. »
En somme, si un programme ne remplace pas une pratique militante communiste et s’il peut être révisé en ce qui concerne les mesures concrètes à appliquer selon les circonstances, il en fixe les grands principes non négociables sur lesquels l’accord et l’adhésion initiaux doivent être acquis – sous peine de créer les conditions d’un potentiel échec que redoutaient déjà Marx et Engels en leur temps.
De ce point de vue, comme le montre la première partie de cette analyse et comme l’affirment eux-mêmes les camarades du RC, les divergences sur des principes majeurs portant en particulier sur la question patriotique ou sur la stratégie du Front rendent encore plus aléatoire la reconstruction d’un vrai Parti communiste sans clarification préalable à toute fusion. Or, dans un paysage politique marqué par une grave dérive droitière – y compris dans la « gauche » établie et dans le mouvement syndical euro-formaté –, libre à certains de partir à la pêche aux moins impérialistes des impérialistes au sein de la « gauche » bourgeoise – pour laquelle il serait bienvenu d’avoir plus d’esprit critique que pour les Lumières ou pour l’héritage de la Révolution française.
C’est pourquoi nous, PRCF, pensons que l’urgence est de se tourner vers la classe ouvrière et la jeunesse populaire avec l’objectif de reconstruire un parti d’avant-garde clair et discipliné, tout en travaillant concrètement au regroupement d’action des syndicalistes de classe (extrêmement menacés, y compris par les directions euro-mutantes) et en faisant converger tous ceux qui refusent sans mégoter sur le fascisme, la guerre d’extermination ET la dissolution de la nation, les trois allant de pair. Car l’indépendance d’un Parti franchement communiste ET l’indépendance nationale vont de pair : s’émanciper de la social-démocratie euro-atlantique dans toutes ses composantes (même la plus critique par moments comme sur la question palestinienne) nécessite d’affirmer une franche insoumission vis-à-vis de toutes les instances de domination du Capital (UE, OTAN, FMI, OMC, Banque mondiale), et non de laisser se répandre l’illusion chez les travailleurs que « désobéir aux traités » sans sortir du cadre oligarchique et réactionnaire permettra de combattre efficacement le Capital. Et réciproquement, rompre avec l’Axe UE-OTAN nécessite de conserver une indépendance totale à l’égard de toutes les composantes de la social-démocratie, sous peine de toujours rabattre sur le prétendu « moins pire » au moment d’une échéance électorale ; et ce, malgré une ligne politique de plus en plus droitière sur la question de la paix, la question patriotique… et même la question sociale du fait du funeste et mensonger slogan ‘ »Europe sociale » – ou le tout autant mensonger projet d' »harmonisation sociale, fiscale et environnementale » que se vante de porter Manon Aubry ! Avec pour inévitable conséquence, de retarder – et non accélérer – la reconstruction URGENTE d’un Parti franchement communiste. En somme, un peu d’indépendance nationale éloigne de la reconstruction d’un vrai Parti communiste indépendant de la social-démocratie, beaucoup d’indépendance y ramène, et réciproquement.
C) La bolchévisation, condition cardinale pour un Parti vraiment communiste
Il en résulte dès lors la question décisive de l’organisation du Parti à proprement parler, à propos de laquelle la « Résolution politique de la conférence nationale du RC de juillet 2023 », pour justifier la fusion avec l’ANC, rappelle qu’« il est urgent d’accélérer le processus de convergence des organisations de la Reconstruction communiste par l’unité d’action tout en travaillant idéologiquement à rapprocher les analyses par le débat et la confrontation, prélude à la nécessaire fusion à terme des organisations communistes aujourd’hui éclatées. » Urgent car, comme le rappelle le communiqué du RC, le contexte national et international est marqué par « l’aggravation accélérée de la crise systémique du capitalisme impérialiste, l’implosion avec le macronisme de la tactique du bipartisme « droite/gauche » de la bourgeoisie, la fascisation de la démocratie libérale en crise, la montée du racisme d’État négrophobe, arabophobe, islamophobe diviseur du monde du travail, du peuple, la menace montante du fascisme d’extrême droite et du danger de guerre. »
En ce sens, la « fusion » constitue aussi une réponse à l’urgence du moment, comme ce fut le cas à l’occasion de la fusion du SDAP et de l’ADAV face à la répression antisocialiste féroce impulsée par Bismarck. Mais elle n’aborde pas réellement la question décisive, celle de la « forme-parti », alors que des dirigeants des groupes fusionnant déclarent à toute occasion qu’ils « s’interrogent sur la forme-parti » ou sur le prétendu « excès de verticalité du centralisme démocratique ». Dans ce cas-là, y a-t-il volonté et, au-delà, possibilité, de vraiment reconstruire un parti, a fortiori un Parti communiste ?
C’est cette contradiction que Lénine et les bolcheviques ont affrontée et progressivement résolue – tout en tirant les leçons de l’histoire des partis en Allemagne et en France – en optant pour le centralisme démocratique hérité… du jacobinisme. Cette question était tout aussi urgente à l’époque de Lénine et se matérialisa au moment où s’opérait la fusion de différents cercles, révélant l’existence d’un conflit entre bolcheviques et menchéviques au sujet de la forme et du fonctionnement du Parti dans Un pas en avant, deux pas en arrière (1904) :
« Pourquoi auparavant n’avions-nous pas besoin de statuts ? Parce que le Parti était formé de cercles isolés qui n’avaient entre eux aucune liaison organique. Passer d’un cercle à un autre dépendait uniquement du « bon vouloir » de tel individu, qui n’avait par devers lui aucune expression matérialisée de la volonté d’un tout. Les questions controversées, à l’intérieur des cercles, n’étaient pas tranchées d’après des statuts, « mais par la lutte et la menace de s’en aller », comme je l’écrivais dans la Lettre à un camarade, en m’appuyant sur l’expérience d’un certain nombre de cercles en général, et en particulier sur celle de notre propre groupe de six rédacteurs. A l’époque des cercles, la chose était naturelle et inévitable ; mais il ne venait à l’esprit de personne de la vanter, de voir là un idéal ; tous en souffraient et attendaient avec impatience la fusion des cercles isolés en un parti régulièrement organisé. Et maintenant que la fusion s’est faite, on nous tire en arrière ; on nous sert, sous couleur de principes supérieurs d’organisation, une phraséologie anarchiste !
Aux gens accoutumés à l’ample robe de chambre et aux pantoufles de la molle et familiale existence des cercles, des statuts formels paraissent étriqués, gênants, accablants, humiliants, bureaucratiques, asservissants et étouffants pour le libre « processus » de la lutte idéologique. L’anarchisme de grand seigneur ne comprend pas que des statuts formels sont nécessaires précisément pour remplacer les liens limités des cercles par la large liaison du Parti. Le lien, à l’intérieur des cercles ou entre eux, ne devait ni ne pouvait revêtir une forme précise, car il était fondé sur la camaraderie ou sur une « confiance » incontrôlée et non motivée. La liaison du Parti ne peut et ne doit reposer ni sur l’une ni sur l’autre, mais sur des statuts formels, rédigés « bureaucratiquement » (du point de vue de l’intellectuel indiscipliné), dont seule la stricte observation nous prémunit contre le bon plaisir et les caprices des cercles, contre leurs disputailleries appelées libre « processus » de la lutte idéologique. »
Cette question est capitale pour reconstruire le parti et subordonne « l’unité dans les questions de programme et de tactique, condition nécessaire, mais insuffisante, de l’unification du Parti, de la centralisation de son travail. » Et Lénine de préciser :
« Pour obtenir ce dernier résultat, il faut encore l’unité d’organisation, inconcevable dans un parti dépassant tant soit peu le cadre étroit d’un cercle sans des statuts validés, sans soumission de la minorité à la majorité, de la partie au tout. Tant que nous n’avions pas d’unité dans les questions fondamentales de programme et de tactique, nous disions tout net que nous vivions à l’époque de la débandade et des cercles ; nous déclarions franchement qu’avant de nous unir, il fallait nous délimiter ; nous ne parlions pas des formes d’organisation commune, nous traitions exclusivement des questions nouvelles (elles l’étaient alors) de la lutte contre l’opportunisme en matière de programme et de tactique. Maintenant cette lutte, de notre aveu à tous, a assuré déjà une unité suffisante, formulée dans le programme et dans les résolutions du Parti sur la tactique ; maintenant il nous faut faire le pas suivant, et nous l’avons fait d’un commun accord : nous avons élaboré les formes d’une organisation unique englobant tous les cercles. Or, on nous a ramené en arrière en détruisant à moitié ces formes, ramenés vers le comportement anarchiste, vers la phrase anarchiste, vers le rétablissement du cercle au lieu de la rédaction du Parti, et l’on justifie maintenant ce pas en arrière en disant que l’alphabet est plus utile au parler correct que la connaissance de la syntaxe ! »
Si la « fusion » entre l’ANC et le RC a lieu, nous en déduisons alors que « l’unité dans les questions fondamentales de programme et de tactique » ont eu lieu – sous peine de tomber dans le « pas en arrière » craint à juste raison par Lénine. Pourtant, alors que le PRCF a proposé l’unité d’action à l’ANC et le RC à travers le boycott des « élections européennes » de juin 2024 – sans succès car il s’agirait d’un « simple problème électoral » … alors que se profile le « saut fédéral européen » mortifère pour les travailleurs, les syndicalistes de combat et les communistes, qu’il convient dès lors de combattre en le délégitimant le plus fort possible –, voici que :
– le RC a annoncé, le 21 mars 2024, « voter pour la liste « Union populaire » aux Européennes (sic) de juin 2024 », liste conduite par l’euro-atlantiste Manon Aubry…
… et que l’ANC annonce, le 24 avril 2024, une « liste de rassemblement pour dire NON à l’UE et pour la SORTIE IMMEDIATE DE L’OTAN » à l’occasion du scrutin européiste.
Ainsi la fusion, à peine annoncée, se heurte à une divergence tactique, allant à rebours des conditions fixées par Lénine pour construire un vrai Parti communiste, donc régi par le centralisme démocratique. A quoi s’ajoute une question politique : que signifie le « NON à l’UE » – et pourquoi ne pas mettre « SORTIE IMMEDIATE DE l’UE » ? S’agit-il d’une simple « désobéissance aux traités européens » comme le préconise « la fraction la plus radicale, social-démocrate de gauche, de ce camp antilibéral » que choisit de soutenir le RC ? Ou s’agit-il, en attestent les déclarations communes PRCF-ANC-RC ou les déclarations bilatérales comme du 11 janvier 2023 entre l’ANC et le PRCF, de « sortie de l’UE et de l’euro » (en plus de « mener le combat pour la dissolution de l’OTAN ») ? « Nécessité de sortie de ce carcan impérialiste » qu’est l’UE elle-même reconnue par le RC… qui appuie malgré tout une liste promettant « ni la sortie de l’UE, ni sa désagrégation, ni la fin de la monnaie unique ».
Conclusion : « Le Jacobin lié indissolublement à l’organisation du prolétariat, conscient de ses intérêts de classe, c’est justement le social-démocrate révolutionnaire » (Lénine)