Par Georges Gastaud, secrétaire national du PRCF [1]
Carte des régions éditée en 2002 par l’Assemblée des Régions d’Europe
Depuis plusieurs années, le PRCF, son journal Initiative communiste et sa revue théorique Etincelles, mettent en garde les communistes, les syndicalistes, les patriotes républicains, les véritables internatio-nalistes, contre l’existence et la mise en œuvre méthodique d’un plan européen de l’oligarchie capitaliste visant à asservir et/ou à démanteler les États historiquement constitués, qu’ils soient déjà membres de l’UE ou qu’ils demandent à y adhérer.
Le but de ce plan, dont l’application subit aujourd’hui une sensible accélération, est de constituer un Empire européen du grand capital. Centré sur Berlin (avant-poste : Bruxelles) et largement téléguidé par Washington au moyen de l’OTAN et du FMI, cet Empire dont le nom de code est « Europe fédérale », aurait pour mission d’araser les ultimes obstacles nationaux qui freinent encore la concentration monopoliste et la chasse au profit maximal sur le sous-continent européen.
Bien que l’Axe Washington-Berlin soit le vrai pivot de cette manœuvre giga-impérialiste, la grande bourgeoisie « française » est totalement complice de ce suicide organisé des nations d’Europe, à commencer par celui de la nation française – laquelle fut pourtant à la base du « mouvement des nationalités » qui défia les Empires féodaux dans la foulée de la Révolution française et du Printemps des peuples de 1848.
Nous avons souvent signalé au PRCF le Manifeste patronal typiquement impérialiste et antinational publié par Laurence Parisot et intitulé Besoin d’aire : le MEDEF y exige cyniquement de « nouveaux transferts de souveraineté », la « reconfiguration des territoires » (en fait, la länderisation à l’allemande – ou mieux, l’hol/länderisation – de l’ex- « République française une et indivisible ») et bien entendu, les « Etats-Unis d’Europe » nommément désignés comme sa « nouvelle patrie » par l’organisation patronale. C’est d’ailleurs ensemble que le 8 octobre 2012 les représentants qualifiés des grandes entreprises allemandes, françaises et italiennes ont fixé la feuille de route institutionnelle de leurs gouvernements respectifs : les vrais maîtres de l’Union européenne y exigent un « bond en avant » vers une « intégration européenne plus ,poussée » qui déboucherait sur un « nouveau traité » (sous-entendu : constituant) apportant une « Union politique et économique plus étroite » : en clair, les grands patrons d’Allemagne, d’Italie et de France exigent un Etat fédéral européen dans lequel les Etats européens forgés par l’histoire – qu’il s’agisse d’Etats-nations comme la France ou l’Italie, ou d’Etats plurinationaux comme l’Espagne ou la Belgique – ne seraient plus que des euro-provinces destituées de toute souveraineté politique[2]…
Il s’agit là clairement d’un projet doublement impérialiste puisque,
· dans le cadre des limites de l’UE émerge clairement un nouvel Empire – nommément appelé de ses vœux par D. Strauss-Kahn, quand ce glauque personnage participait encore à la course pour l’Elysée ;
· à l’extérieur des limites de l’UE, les oligarchies européennes travaillent à mettre en place une « Union transatlantique » (figurée en bleu à la Une de Besoin d’aire) fusionnant peu à peu l’UE et l’Amérique du nord avec de claires projections hégémoniques ciblant la Russie, le Proche-Orient, la Chine, la Méditerranée et l’Afrique. En plein cœur de la crise de l’euro, les représentants du CAC 40 « français » et de son équivalent « allemand » avaient d’ailleurs publié un communiqué commun sommant les gouvernements de l’UE d’avancer à marche forcée vers « l’Europe fédérale », quitte à balayer les réticences populaires que venaient d’étayer une série de « non » retentissants lors des référendums français et néerlandais sur la Constitution européenne…
On sait par ailleurs que le cœur de ce projet typiquement impérial serait la mise en place d’une « Françallemagne », voire d’une nouvelle « Carolingie[3] » unissant l’Allemagne et son arrière-cour (Autriche, pays de l’embouchure du Rhin) aux zones « utiles » (pour la production de profit !) à la France et à l’Italie du nord.
A l’arrière-plan de ce projet féodal-capitaliste, il y a la contre-révolution capitaliste qui, sur la base de l’Europe occidentale intégrée à l’OTAN et dans le cadre de la seconde guerre froide antisoviétique (1975/1991), a permis la restauration capitaliste en Europe de l’Est et l’annexion de la RDA à la RFA capitaliste. Dopée par la « réunification », l’Allemagne capitaliste s’est notablement renforcée économiquement, démographiquement et géopolitiquement. « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » : la « réunification » allemande a permis la satellisation par la RFA[4] et les USA des Pays baltes ex-soviétiques, la semi-recolonisation de la Pologne et la partition-satellisation de l’ex-Tchécoslovaquie et de l’ex-Yougoslavie (une partie de cette dernière basculant carrément dans la zone mark !) ; le démantèlement ethnique de la République socialiste fédérative de Yougoslavie, qui fut déclenchée par la reconnaissance unilatérale de la Croatie par Helmut Kohl et par le Vatican, fait d’ailleurs figure de ban d’essai de la balkanisation en cours de notre sous-continent…
L’Oncle Sam et l’Allemagne fédérale sont ainsi les grands vainqueurs de la seconde guerre froide qui vit l’implosion sous influence de l’URSS et du camp socialiste ; une implosion applaudie par tous les partis euro-« communistes » et par toute la « gauche » petite-bourgeoise comme un grand « bouleversement démocratique » (!), alors que toute la partie orientale de l’Europe était livrée à la chasse aux sorcières, au négationnisme anticommuniste et antisoviétique, ainsi qu’à la réhabilitation rampante du fascisme et de l’intégrisme religieux !
La mise en œuvre de ce plan féodal-capitaliste subit actuellement une brutale accélération du fait de la crise récurrente de l’euro et de la réponse austéritaire et supranationaliste qui lui est donnée, non seulement par l’oligarchie financière, mais par les forces politiques interpénétrées du Parti Maastrichtien Unique (le PMU bis, composé de la droite libérale, de la « Démocratie » chrétienne et du PS Européen) : le « saut fédéral européen » commande de détruire les Etats constitués à la fois par le haut (« Europe fédérale » centrée sur Bruxelles et Francfort – en réalité sur Berlin et Washington – provisoirement unis ?) et par le bas (les euro-régions, les métropoles européennes, les euro-régions transfrontalières).
Notons enfin qu’il est faux, du point de vue des rapports de forces réellement existants, de mettre un trait d’égalité entre les rôles respectifs de l’impérialisme allemand et de l’impérialisme français dans la marche vers l’Europe fédérale. Non pas que les usuriers rapaces de l’impérialisme français méritassent la moindre indulgence de la part des progressistes de notre pays[5], mais parce que les rapports de forces géopolitiques résultant de l’implosion contre-révolutionnaire du camp socialiste et de la re-mondialisation du système capitaliste ont « remis en circuit » et fortement relancé les ambitions continentales et planétaires de l’impérialisme allemand ; à l’inverse, la politique néo-gaullienne de l’oligarchie française a été déstabilisée par la disparition de l’URSS, par l’annexion de la RDA, par le recul géopolitique de la Russie et par l’hégémonie planétaire du complexe militaro-industriel états-unien. L’Oncle Sam est désormais délesté du contrepoids politico-militaire de l’URSS (désormais Washington détient 80% de l’arsenal mondial des armes de guerre !) ; celle-ci contenait en effet l’hégémonisme états-unien depuis 1945 en favorisant l’émergence mondiale du Mouvement de Libération national et du Mouvement des non-alignés.
Le gaullisme classique s’est en effet historiquement construit sur un subtil jeu d’équilibre géopolitique entre les deux « superpuissances » (sic) américaine et soviétique. Tout en restant solidement arrimé au camp occidental, de Gaulle[6] s’employait, en effet, à faire valoir la « grandeur » française contre les USA en flirtant avec l’URSS et avec la Chine populaire[7]. Cette forme subtile de bonapartisme international[8] qu’était la politique internationale gaulliste est devenue plus difficile à tenir depuis que les Etats-Unis et l’OTAN ont pris barre sur toute l’Europe de l’Est et que l’Allemagne capitaliste[9], décomplexée par la mythique « révolution démocratique en RDA », s’est remise à exporter ses troupes d’occupation et/ou ses ventes d’armes, de l’Afrique à la Syrie en passant par les Balkans et par l’Afghanistan. Aujourd’hui, l’armée française – dont la langue de travail officielle est devenue l’anglais ! – s’est muée en une pure force de projection impérialiste sur des théâtres lointains[10] et elle se désintéresse, de fait, de la protection directe du territoire national. Symboliquement, un régiment allemand campe d’ailleurs à deux pas du Struthof de brunâtre mémoire. Militairement, la force de frappe française est sur la table des négociations inter-impérialistes[11], comme l’est implicitement le siège dont dispose historiquement la France au Conseil de sécurité de l’ONU[12] et les enragés de l’effacement euro-atlantique de notre pays pressent les autorités d’abandonner à l’Union européenne ces deux « exceptions françaises » scandaleuses…
Et surtout, la dissymétrie est flagrante entre les positions respectives de la France et de l’Allemagne à l’égard du fait supranational européen. Alors que le Conseil constitutionnel « français » a piteusement proclamé la suprématie des directives européennes et des traités supranationaux sur les lois nationales et sur la constitution française – au point que très officiellement les « Sages » ne vérifient plus que les misérables 20% de lois « nationales » qui ne sont pas des transpositions des directives bruxelloises – la Cour constitutionnelle allemande de Karlsruhe a plusieurs fois proclamé, sans que cela émeuve les autorités françaises, la subordination des décisions et des traités européens aux délibérations du Bundestag. Il en va de même en Grande-Bretagne, où l’obéissance aux directives européennes reste tout-à-fait conditionnelle, où les dérogations aux Traités européens sont systématiques et où l’allégeance directe à Washington interdit structurellement toute « indépendance » de l’U.E. à l’égard du tuteur états-unien où le drapeau de l’UE est totalement ignoré. Même le récent TSCG n’a été accepté par Karlsruhe – la ville où repose le corps de Charlemagne, premier Empereur allemand d’Occident et précurseur du St-Empire romain germanique – que du bout des lèvres et avec certaines réserves – alors que ce bon Monsieur Hollande a très « normalement » accepté, sans réserve, ce traité inégal (RFA créditrice, France débitrice, qui décidera du sens de rotation de l’« Axe franco-allemand » ?) qui anéantit à la fois notre souveraineté budgétaire et la possibilité pour notre pays de nationaliser son industrie, de se réindustrialiser et de mener une politique intérieure progressiste…
Bref, la construction supranationale s’opère très officiellement à deux vitesses, y compris au cœur de ce qu’il est convenu d’appeler l’Axe franco-allemand. Car tout en parlant d’Europe fédérale et en réclamant pour autrui un strict cadrage supranational des décisions budgétaires (fédéralisme), l’Allemagne capitaliste dispose unilatéralement d’un droit de veto en Europe, à l’égal de la Grande-Bretagne, ce cheval de Troie européen des Etats-Unis… Ce n’est pas là une « opinion », c’est un fait juridique des plus constants. Alors pourquoi diantre tout l’arc politique français, du FN aux euro-trotskistes en passant par un certain nombre de « marxistes-léninistes » d’apparat, fait-il pudiquement silence sur cette asymétrie délétère, qui dénote clairement le caractère inégal, foncièrement germano-américain de la « construction » fédérale européenne[13] ? Pourquoi diable ceux qui pointent le fait patent de cette inégalité, sont-ils taxés de « germanophobie », alors qu’ils se contentent de refuser l’inégalité entre les peuples en tant qu’elle signifie forcément l’inégalité entre les gens[14] ? Pourquoi d’ailleurs serait-il « germanophobe » de dénoncer l’arrogant hégémonisme de l’impérialisme allemand, qui a « dikté » sa loi durant toute la crise de l’euro aux peuples grec, italien, irlandais, espagnol et portugais qualifiés de « PIGS », et qui la prescrit aussi désormais au peuple français par commissaires européens interposés, surveillant le débat budgétaire français jusque dans les travées de l’Assemblée « nationale » ? Rappelons aussi que les fondateurs du PRCF – parmi lesquels figure l’auteur de ces lignes – ont toujours été parmi les plus actifs militants de la solidarité internationale franco-allemande au bénéfice des communistes de l’ex-RDA persécutés pour délit d’opinion par les « réunificateurs »[15]? Pourquoi ne pas voir qu’il y a deux Allemagne(s), l’Allemagne progressiste héritière de Kant, Heine, Marx, C. Zetkin, Brecht… et l’Allemagne impérialiste qui ne cache même plus[16] sa volonté politique d’atteindre par d’autres moyens – pour l’instant, ceux de la domination économique, du chantage financier et de l’euro-bidouillage institutionnel – les sinistres objectifs continentaux de domination qui furent ceux des trois premiers « Reich » ?
Pour compléter cette étude de l’hégémonisme allemand, il faudrait bien entendu étudier les différentiels économiques écrasants entre les balances commerciales allemandes et françaises, l’inégalité encore plus marquée (ou « markée » ?) des deux économies dans le domaine industriel – la base réelle de toute puissance politique durable – et surtout, il faudrait analyser de près la farce du libre-échangisme européen et mondial, telle que nous la vend la « Troïka » et ses innombrables zélateurs médiatiques. Nous avançons en effet l’idée que la zone euro, en réalité, la zone euro-mark, est d’abord une zone crypto-protectionniste germano-yankee. Globalement, cette zone monétaire permet en effet aux Etats-Unis de continuer à écouler leur dollar – monnaie mondiale de référence (essentiellement gagée sur la puissance de l’US Army) – tout en surfant sur le dollar faible pour dynamiser leurs exportations ; parallèlement, l’euro fort permet d’imposer aux pays européens du sud – interdits de « dévaluation compétitive » puisqu’ils ont abandonné leur arme monétaire nationale – les exportations industrielles allemandes libellées en euro fort, ce clone du mark. Libre-échange de l’Empire anglo-saxon vers l’UE et de la RFA vers l’Europe du sud donc, mais protectionnisme caché de la RFA à l’encontre des exportations de l’Europe méridionale : la voilà la réalité de ce libre-échange inégal qu’est en réalité la zone euro, cette sous-continentalisation de la zone mark qui, à l’arrivée, gave l’Europe du sud des produits allemands et américains, tout en interdisant aux « PIGS » d’exporter largement vers l’Allemagne et l’Amérique…
En réalité, dans une telle épure, l’Europe du sud est vouée à la tiers-mondisation et à la sous-industrialisation à perpétuité : que la Grèce, l’Espagne, l’Italie, la Costa Brava se contentent donc à l’avenir de vendre du tourisme et de l’immobilier, voire de céder quelques îles méditerranéennes au Minotaure berlinois quand la balance commerciale hellène, espagnole ou italienne redeviendra à nouveau par trop déficitaire ! De plus ces pays connaissent, de nouveau, une vague d’émigration qui les prive de forces vives, en attendant de former, pour ceux qui restent, une main d’œuvre sous payée, comme le chantage de Renault en Espagne le montre bien.
Quant à la France bourgeoise, elle a scellé son sort industriel quelques décennies plus tôt ; c’est en effet au sortir des grèves de masse à répétition qui eurent lieu en France dans les années 1968/1974, que le « libéral » français V. Giscard d’Estaing et que le social-démocrate allemand Helmut Schmidt se sont partagé les « créneaux » dans la chaotique division capitaliste internationale du travail : effrayée par la puissance socio-politique de la trop frondeuse classe ouvrière française, alors très influencée par le PCF et la CGT (qui étaient sortis renforcés des combats de la Résistance) – l’oligarchie « française » a fait une croix sur sa grande industrie, notamment sur la machine-outil, cette mère de tout développement usinier, qui formait le noyau dur de la grande usine combative de Renault-Billancourt (cerveau et poumon de la grève de masse de mai 1968) ; l’oligarchie monopoliste « française » s’est délibérément spécialisée dans la banque – en réalité dans le prêt usuraire international – dans le transport transeuropéen (autoroutes, TGV, aéroports), dans l’industrie d’armement (avec ses retombées aéronautiques et énergétiques) ainsi que dans le tourisme, pendant que la RFA – où le prolétariat était alors moins remuant[17] – mettait le paquet sur l’industrie et sur la recherche-développement, ces sources durables de la puissance… A l’inverse, de gouvernement de droite en gouvernement de « gauche », c’est à qui, en France, aura le plus sabré les Charbonnages de France, la sidérurgie lorraine, le textile du nord, l’électronique, les Chantiers navals, et maintenant la production automobile et équipementière, sans parler de ces deux autres secteurs productifs méthodiquement démantelés que furent la pêche artisanale et l’agriculture familiale où, là aussi, l’influence « rouge » était loin d’être négligeable, des vignerons de l’Hérault aux pêcheurs du Guilvinec…
Tout en poussant les feux de la Nouvelle-Carolingie (belle « modernité » en vérité !), le « saut fédéraliste » actuel se complète désormais d’une « reconfiguration » à marche forcée des territoires et des rapports de forces inter – faut-il encore dire « intra » ? – nationaux dans les pays extérieurs au Saint-Empire germano-romain en voie de reconstitution. Tout le monde garde en mémoire la manière dont les gouvernements en place en Grèce, au Portugal ou en Italie ont été grossièrement congédiés par la « Troïka ». Sans qu’il soit question une seconde d’idéaliser les reptiles politiques que furent et que restent les Papandréou (Grèce, PS), Socrates (Portugal, PS) et autre Berlusconi (Italie, droite dure), en quoi les actuels gouvernants de ces pays, proconsuls zélés de l’UE et exécutants même pas dissimulés de l’hyper-banque américaine Goldman Sachs (on pense en particulier à Mario Monti, qui appartint à son directoire) sont-ils encore des gouvernements grec, portugais ou italien ? Il s’est agi là, dans des formes manifestement « post-démocratiques », d’un coup d’Etat européen quasi-permanent[18] ; seuls les aveugles volontaires n’auront pas saisi que la seule valeur absolue servie par l’UE n’était pas la « démocratie », mais le sauvetage à tout prix de la monnaie unique !
Et surtout, l’euro-balkanisation sous influence impériale des Etats historiquement constitués d’Europe subit actuellement un coup d’accélérateur brutal et généralisé.
La Belgique poursuit un processus d’« évaporation » rapide – que nous avions annoncé parmi les premiers dans un article alors paru dans L’Humanité – sous la pression de la droite patronale dure (la NVA, flanquée du fascisant Vlaams Belang) ; et le gouvernement fédéral belge présidé par le « socialiste francophone » E. Di Rupo est plus empressé à renier la Francophonie internationale qu’à défendre l’intérêt national belge ou qu’à protéger les droits grossièrement bafoués des francophones vivant dans la partie nord du pays. Qui peut croire une seconde que la grande bourgeoisie portuaire d’Anvers puisse pousser les feux de l’indépendance flamande (formelle ou seulement… réelle !) sans avoir reçu l’aval, pour ne pas dire plus, du grand voisin allemand dont Anvers constitue un important débouché maritime à proximité de l’axe rhénan ?
Provisoirement en recul en raison des démêlés judiciaires de son chef de file, l’extrémiste de droite Umberto Bossi, la Lega del Norte continue de caresser l’espoir d’une indépendance – ou d’une autonomie quasi-totale de la « Padania » – c’est-à-dire du Nord de l’Italie désireux de divorcer d’avec le Mezzogiorno pauvre. Berlusconi vient d’ailleurs de signer avec Bossi un accord électoral qui, de l’aveu même du journal Le Monde[19] peut mener à l’éclatement de l’Italie avec des conséquences imprévisibles. Est-il si difficile pour des marxistes de démêler la signification de classe de ce nationalisme-là qui, de la Slovénie à la Tchéquie, de la Flandre belge à l’Alsace, de la « Padanie » milanaise à la Catalogne, du (relativement) riche Pays basque à l’Ecosse pétrolière, est toujours un nationalisme des régions riches visant à se délester des régions pauvres (de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie, de la Belgique, de la France, de l’Italie, du Royaume-« uni », etc.) de manière à réduire obsessionnellement l’impôt dû par les privilégiés au titre de la « solidarité nationale » ?
C’est l’Espagne qui est présentement sur le trajet direct du « front cyclonique » de l’euro- balkanisation. Confronté à d’intenses luttes de classe (mineurs asturiens, personnels de la santé et de l’Education, pompiers, etc.), les composantes castillane, catalane et basque de la grande bourgeoisie espagnoles jouent une étrange… partition – c’est le cas de le dire : pour reporter sur « Madrid » la responsabilité de la méga-austérité infligée aux habitants de la Catalogne, et pour obtenir la mise en place d’une « union sacrée » euro-austéritaire entre la droite indépendantiste d’A. Mas et la Gauche républicaine catalane (ERC), les autorités de Barcelone prévoient un référendum sur l’indépendance (ou sur l’autodétermination, les contenus restent encore flous) en 2014, si possible au moment même où sera convoqué… le référendum sur la séparation de l’Ecosse et de l’Angleterre auquel D. Cameron vient de donner son feu vert. Comme on le voit, les « coïncidences » dans la désarticulation des Etats constitués relèvent d’une planification mal dissimulée à l’échelle du continent, même s’il est vrai que certaines forces s’inquiètent ici et là d’un processus qui pourrait échapper aux apprentis-sorciers. Néanmoins le cap reste fixé principalement par les « dé-nationaliseurs » et, sous couvert d’aider les « minorités opprimées », un slogan fait le tour du Vieux Continent : « euro-sécessionnistes de toute l’Europe, épaulons-nous » !
Croyant ainsi avoir éradiqué la lutte armée de l’ETA (laquelle se référait au socialisme), la bourgeoisie basque s’apprête à imiter son homologue barcelonaise… et à dire elle aussi bye-bye à « Madrid ». Certains ultra-catalanistes réclament même déjà le « rattachement » de la « Catalogne-Nord », en clair des Pyrénées-Orientales françaises, de même que nombre d’indépendantistes basques du « Pays basque sud » rêvent d’annexer au futur Euzkadi indépendant la partie « basque » des Pyrénées-Atlantiques : bref, si les choses continuent, « il n’y aura plus de Pyrénées » : à l’avantage des travailleurs ou au bénéfice des capitalistes avides de « reconfigurer les territoires » tout en divisant les populations ?
Bien entendu, la grande bourgeoisie madrilène – dans laquelle abondent les nostalgiques du franquisme – pousse des cris d’orfraie ; mais est-elle si fâchée que cela de se poser en championne de l’unité espagnole menacée par les sécessions ? Diviser les travailleurs d’Espagne sur une base linguistique pour pouvoir mieux imposer l’ultra-austérité du fascisant gouvernement Rajoy et des gouvernements provinciaux, tous plus austéritaires les uns que les autres, n’est-ce pas une tactique gagnante pour un patronat espagnol qu’a fait récemment trembler la Marche noire qui vit des milliers de mineurs asturiens envahir Madrid en ravivant les craintes patronales mal éteintes d’une insurrection prolétarienne (et républicaine !)
Bien entendu, les marxistes ne peuvent ignorer que la problématique « décentralisatrice » – en réalité dé-nationalisatrice – ne se pose pas du tout sous les mêmes auspices de part et d’autre des Pyrénées. En Espagne, la centralisation et l’uniformisation linguistique drastique mise en place par le fasciste Franco portait un caractère entièrement réactionnaire et l’on sait que nombre d’autonomistes basques et catalans se sont vaillamment battus du côté républicain (chacun garde en mémoire le Guernica de Picasso). En France au contraire, le processus centralisateur, entrepris dès le 10ème siècle par la Royauté capétienne, était globalement progressiste ; il était porté par l’alliance historique qui a longtemps lié la monarchie capétienne à la bourgeoisie « communaliste » et il visait principalement à limiter le pouvoir régressif des grands feudataires, souvent tentés de s’allier à l’étranger pour brider la monarchie francilienne et agrandir leur propre duché. Appuyée par les Sans-Culotte, la République jacobine de Robespierre a repris l’œuvre centralisatrice entreprise par la monarchie sur de tout autres bases sociales : le but, éminemment progressiste, était d’offrir à tous l’égalité devant la loi, alors que la grande bourgeoisie « girondine » – celle-là même qui mettra en place par la suite le Consulat et l’Empire – eût préféré « fédéraliser » la jeune République pour diviser un peuple français, marginaliser les Sans-culotte parisiens et ancrer localement le pouvoir des notables bourgeois. Notons que cette centralisation républicaine-révolutionnaire s’est avérée parfaitement compatible en son principe avec la dévolution de pouvoirs étendus aux communes, et qu’il est abusif de parler avec dédain de « centralisation jacobine » à propos des mesures ultra-autoritaires mises en place par Napoléon pour stabiliser sa dictature thermidorienne[20].
Bien entendu, il faut considérer avec faveur tout ce que porte de justes revendications à la dignité nationale, l’aspiration légitime des peuples à préserver leur langue historique, voire, dans le cas espagnol, à constituer un Etat confédéral démocratique et multinational (comme le propose par ex. le PC des Peuples d’Espagne). Mais le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, que Lénine n’a pas moins invoqué que Bolivar, Marti ou Garibaldi – doit toujours s’interpréter dans un contexte de classe global et international. Si complémentaires qu’ils soient dans leur concept, l’articulation du patriotisme et de l’internationalisme[21] doit se lire à notre époque dans le contexte géopolitique ultraréactionnaire et impérialiste de la mise en place de l’Union transatlantique, du saut fédéral européen et de l’ « évaporation »[22]-balkanisation des nations d’Europe dont nous venons de montrer à quel point il est déterminant : si paradoxal que ce soit, alors que le mouvement des nationalités du 19ème siècle était autogène et tourné contre les Empires féodaux (russe et autrichien notamment), les mouvements sécessionnistes actuels sont déterminés, voire pilotés et cadrés de manière exogène, et à partir du projet ouvertement impérial d’Europe fédérale, d’Union transatlantique, d’Europe des régions… et d’austérité tous azimuts contre les acquis sociaux.
On pourrait certes imaginer que la possible sécession de l’Ecosse en 2014, peut-être suivie d’un référendum sur l’indépendance du Pays de Galles, peut présenter un caractère partiellement progressiste : après tout, ces peuples celtiques ont été niés par l’Angleterre qui n’a eu de cesse d’arracher leur langue et de noircir leurs héros nationaux, comme le « ténébreux » Macbeth. Après tout, l’émergence d’un « Royaume désuni » au nord du continent pourrait être une bonne nouvelle pour tous ceux qui veulent combattre le tout-anglais mondial, réunifier l’Irlande sur des bases républicaines, réhabiliter le gaélique et revitaliser la noble culture celte ! Il n’est jamais exclu, comme l’a montré Lénine dans son analyse de la Première Guerre mondiale, que des éléments politiques minoritairement progressistes soient enchâssés dans des processus globalement réactionnaires (et vice-versa, d’ailleurs !). Mais là encore, les internationalistes doivent d’abord analyser les dynamiques politiques à l’échelle globale en cherchant leur signification de classe principale ; car, comme l’enseigne la science linguistique, un « joli mot » isolé n’a jamais de sens qu’en fonction du contexte global de la phrase dans laquelle il est placé…
D’abord, le tout-anglais est bien moins porté par le Royaume-Uni comme tel que par les Etats-Unis d’Amérique (il s’agit en réalité d’un tout-américain) et par leurs vassaux des pays européens eux-mêmes, qui se moquent bien de Shakespeare et qui veulent surtout disposer d’une novlangue unique pour « fluidifier » le futur marché unique mondial, d’un code linguistique idéologiquement aseptisé permettant de dominer les esprits et d’une « langue de classe » permettant à la nouvelle oligarchie euro-mondialisée de se distinguer du bas peuple. A l’heure où j’écris ces lignes j’ai sous les yeux le projet de « jeunes décideurs » européens qui proposent carrément que l’anglais devienne la seconde langue officielle (en réalité, la première !) de chacune des « nations » d’Europe… En réalité, les « sécessions » prévues à la chaîne pour 2013/2015 s’effectueront dans une UE qui est en passe d’adopter officiellement le tout-anglais comme la seule langue véhiculaire de l’Union, laquelle se conçoit elle-même comme le pilier européen de l’Union transatlantique centrée sur Washington : dans ce contexte, la défense du gaélique, du catalan ou du corse risque fort d’être un pur prétexte ! Il serait très risqué de parier qu’une future Ecosse indépendante, fût-elle sympathiquement dirigée par des travaillistes formellement anti-thatchériens, imposera réellement le gaélique dans les échanges commerciaux et les entreprises pétrolières…
Enfin et surtout, répétons-le, en Ecosse, comme en Catalogne, au Pays basque comme en « Padanie », en Flandre comme en Savoie ou dans le riche « Comté de Nice » (où l’oligarchie semi-mafieuse garde en réserve la carte indépendantiste actuellement marginale), ce sont toujours les riches qui veulent « claquer la porte, ce sont toujours les gavés et les repus qui refusent de payer l’impôt pour les « assistés » des régions prolétariennes et paysannes qu’ils ont précédemment exploitées jusqu’à la corde (régions désindustrialisées d’Angleterre, Nord-Pas-de-Calais, Andalousie, etc.). Et toujours, ces bourgeoisies séparatistes veulent sortir des Etats nationaux ou multinationaux historiquement constitués, non pas pour sortir de l’UE réactionnaire, mais pour s’ériger en « régions d’Europe » (c’est le thème du référendum prévu en Alsace pour février 2013). Quant aux « républicains » bourgeois catalans, ils viennent clairement, en échange du référendum sur l’autodétermination, d’accepter une série de hausses d’impôts que mettra en application le gouvernement de droite d’Artur Mas. Qu’auront à gagner à cette union sacrée entre la droite patronale et la « gauche » indépendantiste les travailleurs catalans et castillans de Barcelone, sinon des divisions supplémentaires et des difficultés plus grandes encore pour s’unir à leurs frères de classe du reste de l’Espagne pour combattre la misère, l’injustice et les inégalités galopantes ?
L’ultime signification de classe de cette évaporation-balkanisation organisée des nations est bien, en résumé, que les euro-régions riches – y compris le futur « domaine royal » francilien que le ternissime « socialiste » Huchon 1er désire proclamer à… Paris[23] – veulent se délester du « boulet » que constituent, dans la conquête de « nouvelles aires », les régions pauvres de leur Etat-nation d’origine, pour jouer EN SOLO, ou en association avec d’autres régions riches, leur carte égoïste dans la chasse euro-mondialisée au profit maximal. Peut-on concevoir projet de classe plus égoïste, plus rétrograde, moins patriotique, moins internationaliste, moins humaniste et solidaire, plus impérialiste en un mot ?
En 1914, Lénine concédait volontiers que la lutte nationale du peuple serbe, qui fut un des déclencheurs – ou plutôt un des prétextes – de la 1ère guerre mondiale, portait un caractère national progressiste face à l’Empire autrichien. Mais Lénine n’en montrait pas moins que cette dimension patriotique et anti-impérialiste légitime était SECONDE à l’échelle mondiale et dans le cadre d’une période historique donnée – celle de la montée des impérialismes mondiaux – comparée au caractère globalement impérialiste du premier conflit mondial. De même les soldats français qui allaient mourir pour rendre Strasbourg à la « mère-patrie » étaient-ils abusés par la propagande impérialiste (« on croit mourir pour la patrie, on meurt pour les industriels », écrivait Anatole France, l’un des premiers intellectuels à rallier le tout jeune PCF) : car le but principal de la première Guerre mondiale était bien le repartage impérialiste-colonialiste du monde et non l’affranchissement de l’Alsace ou l’émancipation des Serbes du joug autrichien ! Or aujourd’hui, est-il progressiste ou réactionnaire de voir la banderole de tête de la manifestation indépendantiste catalane de l’automne 2012 proclamer – en anglais ! – « Catalunya, the next nation in Europe » ? Même si des centaines de milliers de « petites gens » abusées portent ces banderoles au lieu de mener la lutte aux côtés de leurs frères de classe hispanophones contre les capitalistes catalans et castillans, qui ne voit que c’est la bourgeoise qui, principalement, mène le bal indépendantiste et qui, au moment où il faudrait crier España fuera del euro y la UE !, crient au contraire « Catalunya out of Spain and into the EU ! ».
Quant à la France, la décomposition nationale s’y accélère également : en février 2013 devrait avoir lieu un référendum portant sur la fusion des trois collectivités territoriales alsaciennes et instituant une région d’Europe tournée vers l’espace germano-suisse et ébréchant sérieusement le principe de la République une et indivisible… A qui le tour ensuite et pour le bénéfice de quels secteurs de la population française ?
Par ailleurs, l’Acte III de la décentralisation porté par F. Hollande est déjà dans les tuyaux législatifs : il devrait accorder aux régions, et plus encore aux « métropoles », la réalité du pouvoir politique en matière de développement économique et de subventionnement patronal, avec un « pouvoir réglementaire » leur permettant de moduler la loi nationale et de négocier directement avec Bruxelles. Le MEDEF disposerait alors de leviers institutionnels décisifs pour démolir les statuts nationaux, les conventions collectives, le SMIG, le droit du travail national, et pour mettre en concurrence les territoires « français » : ce sera très vite à qui, « président de région » (sic) ou de « métropole », accordera les plus grosses subventions au patronat pour l’attirer sur son « territoire », à qui offrira aux « entrepreneurs européens » le cadre salarial le plus minimaliste, à qui privatisera au maximum les services publics d’Etat et de territoire, à qui contournera le plus la loi laïque de 1905, etc. Bonjour aux délocalisations internes à l’hexagone et à la ronde des entreprises dans le cadre de feu le territoire national, bienvenue aux « compétences » scolaires et à l’ « apprentissage pour tous » exigés par le patronat sur le modèle anglo-saxon, exit le bac et les diplômes nationaux, welcome au détricotage des syndicats nationaux et à la recomposition du mouvement ouvrier « français » sur des bases ethnolinguistiques… Et bienvenue à la compétence linguistique dévolue aux euro-régions, donc au désétablissement de la langue française, déjà si malmené bien que la langue nationale jouisse encore en France du statut de « langue de la République » de par l’article II de la Constitution…
Car déjà le président du conseil régional corse, Dominique Bucchini[24] demande que la France ratifie la Charte européenne des langues minoritaires et régionales. Un texte dangereux qui dévalue l’idée même de langue nationale, qui « ethnicise » le territoire national au lieu de considérer les langues régionales comme un patrimoine culturel de toute la nation et d’offrir à ces langues, basque, breton, occitan, corse, catalan, alsacien, etc. – mais aussi, pourquoi pas, aux langues de l’immigration de travail[25] – les moyens budgétaires de leur diffusion par l’Education nationale. Qui ne voit que le but réellement poursuivi par l’oligarchie (et pas seulement en France !) est d’utiliser le prétexte de la régionalisation linguistique pour dés-officialiser le français et pour officialiser l’anglais (que peut bien être une langue européenne minoritaire et non régionale dans la France actuelle ?). Pendant que le béarnais, le français et le basque se disputeront la Navarre historique, le vorace Raminaglobish promu par l’UE ne fera qu’une bouchée des trois langues « indigènes » de ladite Navarre, et le business-English deviendra très vite la langue officielle bis[26] de notre pays – et plus vite encore, au rythme où vont les choses, celle de plusieurs pays voisins, où la résistance linguistique est inexistante. A marché unique et à monnaie unique, langue unique, culture unique, pensée unique, économie unique et politique unique, le tout sous les auspices mensongers de la « diversité linguistique » et de l’ « ouverture culturelle »…Déjà en octobre dernier l’ensemble des associations de défense de la langue française avait lancé ensemble une Alerte rouge sur la francophonie en constatant combien le tout-anglais patronal progressait en France et en Europe, combien la Francophonie internationale était délaissée par la France officielle, mais aussi en réalité, par la Wallonie, par la Suisse romande et même, à un moindre degré, par les élites capitalistes de plus en plus anglophiles du Québec ![27]
Le tableau serait incomplet si l’on n’y ajoutait pas la mise en place insidieuse de régions transfrontalières – dont le prototype est l’euro-région mise en place par Martine Aubry avec le regroupement du Nord-Pas-de-Calais, du Kent et de la Flandre belge sur la base d’une anglicisation à outrance de Lille, de Lens et du Littoral français. D’un côté on feint de s’étrangler d’indignation quand B. Arnault, J. Hallyday, G. Depardieu – ces ‘bons Français’ friqués qui ont tous soutenu Sarkozy – répudient leur nationalité pour payer moins d’impôts : mais qui, sinon MM. Hollandréou et Zapat-Ayrault travaille avec acharnement, après Sarkozy, à effacer les limites internes et externes de l’hexagone ? Les mêmes qui veulent fermer les frontières aux étrangers pauvres et qui traquent les sans-papiers surexploités du bâtiment, de la restauration et du maraichage, les mêmes qui, comme Manuel Valls, « reconduisent à la frontière » des milliers de prolétaires étrangers NON-EUROPEENS (ni « blancos » ni « white », en clair : africains) sont les premiers à diluer les frontières d’Etat dès lors que cela satisfait au « besoin d’aire » du MEDEF. Lequel importe dans les pires conditions des centaines de milliers de travailleurs des pays de l’Est, et masque aux « intellectuels », dénués d’esprit critique, cette idée dialectique fort simple que la frontière, selon la manière dont elle est conçue, peut à la fois être la limite qui me définit et la membrane vive par laquelle j’échange de manière équilibrée avec tout ce qui n’est pas moi !
En dépiautant de manière aussi acharnée l’Etat-nation et la langue de la francophonie, l’oligarchie hexagonale – nous ne pouvons ni ne devons plus dire « française » – est fidèle à la honteuse tradition de trahison nationale des grands privilégiés de France, de l’Evêque « français » Cauchon condamnant Jeanne d’Arc au bûcher à P. Pétain kollaborant avec Hitler, en passant par les Emigrés de Koblenz ralliant les armées autrichiennes pour étouffer la Révolution, sans oublier A. Thiers, le « nabot sanglant » qui appela Bismarck à la rescousse pour l’aider à écraser les Communards défenseurs de Paris.
Aujourd’hui, parce qu’il a « besoin d’aire » pour projeter ses prédations sur toute la planète, pour préserver ses lambeaux de domination sur l’Afrique et la Méditerranée, pour gagner sa « place au soleil de la mondialisation » et disputer ses surprofits monopolistes et néocoloniaux[28] à ses concurrents de la mondialisation capitaliste, parce qu’il veut obtenir de l’impérialisme allemand, son frère-ennemi traditionnel, un appui décisif pour reprendre à la classe ouvrière de France les acquis lâchés par les patrons en 36, 45 et 68, l’impérialisme français démonte pas à pas la France républicaine, y compris l’héritage des Lumières et de la Révolution bourgeoise de 1789/94. Réitérant le « choix de la défaite » et de la Kollaboration qui fut celui du Comité des Forges patronal en 1940, les maîtres du CAC 40 croient le moment venu d’araser les conquêtes populaires obtenues dans l’« étouffant » et si « ringard » cadre national : Sécu, régimes de retraite, mais aussi laïcité, indivisibilité de la République, existence de 37 000 communes parfois indociles aux désirs des monopoles et plus généralement, cette culture millénaire de la Gabaude, de la Jacquerie, de la Fronde et de la Révolution que symbolise la Liberté guidant le peuple de Delacroix. Quelle aubaine si, à la faveur d’une évaporation en douceur de la nation, les maîtres du capital pouvaient reléguer au musée le drapeau tricolore, encore vibrant de Ça ira ! et d’appels aux armes citoyennes, ainsi que le drapeau rouge brandi en 1792 en Place de Grève, afin de leur substituer le drapeau de l’UE avec ses douze étoiles apostoliques rayonnant sur fond bleu-marial ! Et quelle aubaine pour le MEDEF si, demain, les euro-régions de la Dé-France hyper-décentralisée se font concurrence pour « attirer l’emploi », impulser le moins-disant social et désosser les marchés national et local qui permettent encore l’existence de PME échappant encore à l’emprise des donneurs d’ordres des monopoles capitalistes !
Communistes héritiers des Francs-Tireurs et Partisans de France et des FTP-MOI, syndicalistes ouvriers, enseignants, étudiants, paysans, gaullistes sincères attachés à l’indépendance du pays, républicains laïques fidèles à l’universalisme révolutionnaire, socialistes héritiers du patriotisme internationaliste et anti-impérialiste de Jean Jaurès, pouvons-nous assister sans nous insurger – car à quoi bon « s’indigner » si l’on n’est pas près à tout donner pour son peuple – à l’évaporation sous influence des acquis sociaux, des conquêtes démocratiques et des nations souveraines qui ont coûté à nos peuples d’innombrables sacrifices héroïques ?
D’autant qu’il faut s’y attendre : quand le grand dépiautage européen aboutira à l’effacement doucereux ou brutal des frontières d’Etat au sein du futur Quatrième Reich en gestation, qui peut croire, contre-exemple yougoslave à l’appui, que ce monstrueux redécoupage digne du Traité de Vienne, Maastricht faisant écho à Metternich, pourra s’accomplir sans que le sang des peuples d’Europe ne finisse par couler ? Que chacun regarde une carte de l’Europe, qu’il avise la position géographique centrale de l’hexagone au cœur de l’explosif puzzle-monopoly actuel, et il comprendra qu’il faut éteindre l’incendie MAINTENANT, avant que l’« Europe de la paix » qu’on inculque aux enfants de la maternelle à l’Université, n’ait montré son visage barbare !
Pour cela, la première des choses à faire est d’ouvrir enfin les yeux sur la réalité. Assez d’oppositions factices entre la « lutte nationale » et la lutte des classes, entre le drapeau des nations indépendantes et le drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau, entre la Marseillaise et l’Internationale ! Assez de ces combats à retardement menés par des « marxistes », voire par des « léninistes » (sic) contre l’idée même de sortir de l’euro[29], assez de ce déni de réalité de la part de ceux qui nient ou minimisent la décomposition de leur propre pays, qui n’aident pas, par leurs analyses, les syndicats de lutte à rejeter sur le fond la décentralisation et à nationaliser les luttes, qui manifestent une parfaite indifférence face à la subversion linguistique du tout-anglais et qui vont jusqu’à prétendre, quand les textes patronaux et les agissements de l’UE prennent leur nihilisme national à contrepied, que tout ce qui annonce la liquidation de la République française et l’émergence d’un Empire germano-yankee (aussi contradictoire et explosif que l’on voudra, car qui nie la persistance des rivalités inter-impérialistes au sens de la construction européenne en marche ?) n’est que fantasme nationaliste ou que propagande patronale en trompe-l’œil ? Alors, agissons, et vite, dans nos syndicats pour refuser à 200% l’Acte III de la décentralisation et la « Charte » linguistique destinée à allumer la réaction en chaîne de l’euro-balkanisation.
A l’inverse, appelons ensemble plus que jamais la France à sortir de l’euro, de l’UE, de l’OTAN… et in fine du capitalisme, sans mettre la charrue avant les bœufs en subordonnant toute espèce de lutte démocratique au préalable néo-bordiguiste[30] de la révolution socialiste immédiate, de « l’insurrection pan-continentale sinon rien » et de la dictature du prolétariat tout de suite comme condition sine qua non de toute offensive progressiste. On ne rapproche pas le socialisme d’un millimètre en l’opposant aux luttes pour l’indépendance nationale, les libertés démocratiques et le progrès social : au contraire, on éloigne la révolution et on fait involontairement le jeu des opportunistes de droite, des trotskistes, des européistes, des nationalistes bourgeois, voire des fascistes, quand on exige de l’ensemble du mouvement populaire français qu’il ait rallié des positions révolutionnaires conséquentes AVANT même de s’engager dans les luttes sociales, patriotiques et démocratiques que les masses peuvent mener ici et maintenant sur des bases virtuellement MAJORITAIRES en isolant l’oligarchie et en unissant le peuple autour de la classe ouvrière et de ses militants d’avant-garde.
Et cela ne signifie nullement qu’il faille symétriquement réduire les tâches socialistes (qui seules, certes, peuvent assurer la souveraineté réelle des peuples) aux tâches démocratiques les plus brûlantes, celles-là même que les peuples – qui haïssent de plus en plus l’euro – peuvent prendre à bras le corps tout de suite, sur la base de leurs intérêts vitaux et de leur dignité nationale élémentaire. Contre l’opportunisme, qui envisage on ne sait quelle étape démocratique « consolidée » entre le capitalisme et le socialisme et qui réduit de fait les luttes révolutionnaires aux luttes démocratiques, mais aussi contre le sectarisme dogmatique, qui ne sait que répéter « vive le socialisme, à bas le capitalisme ! » – et qui abandonne de fait le peuple à l’opportunisme, au régionalisme, au communautarisme et au nationalisme – il faut faire preuve du même courage politique que celui que montrèrent jadis Maurice Thorez et Jacques Duclos finalement approuvés avec chaleur par l’Internationale communiste (en son VIIe Congrès), quand ils associèrent le drapeau rouge frappé des « outils » au drapeau tricolore de leur pays[31] pour diriger la lutte du peuple français, classe ouvrière en tête, pour le pain, la démocratie et l’indépendance nationale.
C’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, où toute la grande bourgeoisie ou presque se coalise pour le « salut de l’euro »[32], la lutte pour l’indépendance nationale menée jusqu’au bout conduit à la révolution socialiste parce qu’elle signifiera inévitablement, non pas on ne sait quel « compromis historique » ou quelle « troisième voie » entre le capitalisme et le socialisme, mais un affrontement de classes majeur, national et international, avec l’oligarchie capitaliste arc-boutée sur ses positions euro-atlantiques ! C’est en dernière analyse pour éluder cet affrontement que l’opportunisme de droite et le dogmatisme sectaire « de gauche » se coalisent pour refuser l’idée d’un large Front de résistance antifasciste, patriotique et populaire, conduit par la classe ouvrière et par ses militants franchement communistes. Car un tel front antimonopoliste large, dont le socle ne peut être que le combat de classe, tous ensemble et en même temps, contre l’euro-austérité, sera le meilleur moyen d’isoler le grand capital et de faire de la révolution socialiste une perspective pratique, et non pas une pieuse et inoffensive incantation inaccessible aux larges masses.
Alors que les oligarques s’efforcent de diviser les ouvriers, les peuples et les Etats historiquement constitués, l’heure est aussi à une réflexion méthodologique ouverte des partisans de l’internationalisme prolétarien. Un piège énorme, « à la yougoslave », est tendu à tous les communistes et progressistes d’Europe, y compris aux plus internationalistes, pour que demain, les peuples d’Europe s’entredéchirent au sujet des « frontières » d’Etat et de la redistribution ethnique des nationalités dans la future Europe « reconfigurée » et « fédéralisée » des provinces néo-féodales. Quelle aubaine pour le patronat si demain l’ouvrier castillan devient un étranger en Catalogne (et vice-versa), comme l’ouvrier russophone (près de 40% de la population des Etats baltes !) est déjà devenu un étranger en Lituanie, en Estonie ou en Lettonie, et si l’ouvrier gallois devient demain un étranger à Manchester ou à Sheffield !
Il faut donc que chaque marxiste, se référant à l’histoire révolutionnaire de son propre pays et respectant totalement celle, souvent fort différente, du pays voisin, travaille à constituer une union de combat anti-UE, anti-euro et anti-OTAN, qui mette l’accent à la fois sur ce qui unit les travailleurs de son pays et sur ce qui unit les travailleurs de son pays à ceux des pays voisins.
Pour cela il faut refuser le supranationalisme impérial ET l’infra-nationalisme « provincial » en liant plus étroitement que jamais le patriotisme républicain au véritable internationalisme prolétarien !
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[1] Philosophe, militant du Pôle de Renaissance Communiste en France ; derniers ouvrages parus Sagesse de la révolution (Temps des cerises, 2009), Patriotisme et internationalisme, Editions du CISC, 2010.
[2] Si, par bonté d’âme, nos bons sires patronaux consentent à laisser subsister quelque temps les susdits Etats nationaux à l’intérieur de leurs actuelles frontières tracées par l’histoire (« reconfigurer les territoires » : de francs projets de redécoupage « transfrontalier » sont déjà à l’œuvre).
[3] Le terme est repris du marxiste italien Marco Rizzi.
[4] L’impérialisme français a obtenu quelques miettes juteuses, notamment en Roumanie.
[5] Cf le comportement néocolonial persistant de la France officielle en Syrie ou en Afrique – tout au contraire, plus « notre » impérialisme détruit la nation française qui lui sert de base dans sa conquête d’ « aire » et plus il mérite que les progressistes français se réfèrent à son encontre à la formule du communiste allemand Karl Liebknecht : « l’ennemi principal est dans ton propre pays ».
[6] Puis, en allant decrescendo… Pompidou, Giscard, Mitterrand et Chirac, Giscard et Mitterrand ayant été de loin les plus atlantistes de la série. Le dernier acte tangible de cette opposition française à l’hégémonisme et à l’ « unilatéralisme » US fut l’opposition de la France, via l’intervention de D. de Villepin à l’ONU, à la seconde invasion US de l’Irak.
[7] Rappelons que, durant la guerre, le PCF a officiellement envoyé Fernand Grenier à Londres pour soutenir De Gaulle contre Giraud, la marionnette des Américains. Dans les années soixante, De Gaulle a retiré la France du commandement intégré de l’Alliance atlantique et expulsé les bases américaines de France. On se souvient du voyage triomphal de De Gaulle à Moscou en 1966, de sa reconnaissance de la Chine populaire (au grand dam de Washington), de son appui aux peuples arabes contre les prédations d’Israël, du « discours de Phnom Penh », qui fut vécu comme une critique de la France avec la guerre américaine au Vietnam, etc. Tout en maintenant son opposition radicale au « pouvoir personnel » issu du coup d’Etat de 1958, le PCF publia un communiqué en 1966 pour souligner les « aspects positifs » de la politique internationale gaulliste,
[8] Marx nomme bonapartisme, en général, l’émergence d’une puissance politique en apparence neutre, qui utilise un rapport des forces équilibré entre deux puissances de classe pour mener une politique autonome. Il n’a parlé à notre connaissance de bonapartisme que dans un cadre national. Nous proposons d’employer cette expression en l’internationalisant, d’autant que le caractère néo-bonapartiste du gaullisme ne fait guère de doute à l’intérieur de la France. Rappelons que l’usage de tels concepts est exclusif de tout jugement de valeur.
[9] On connaît le mot attribué à l’écrivain gaulliste F. Mauriac : « j’aime tellement l’Allemagne que je préfère qu’il y en ait deux ».
[10] … ou de maintien de l’ordre « contre-insurrectionnel » sur le territoire national…
[11] On évoque tantôt des projets de fusion entre les marines française et anglaise – donc, en réalité, états-unienne – tantôt des projets d’européanisation de cette force dans le cadre de l’armée européenne adossée à l’OTAN, dont la France a réintégré le commandement sur décision de Sarkozy avalisée par Fabius.
[12] Historiquement, l’élévation de la France au rang de membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU est liée à l’alliance objective ponctuelle, et bien entendu, tacite, entre De Gaulle et Staline contre l’hégémonisme anglo-saxon à la fin de la Seconde Guerre mondiale.
[13] J’insiste ici à dessein sur l’Europe allemande. Mais l’influence américaine, à laquelle se soumet encore délibérément Berlin, n’est évidemment pas moindre sur l’UE, et c’est un euphémisme. Il n’est pas nécessaire à ce sujet de partager les conceptions idéologiques de François Asselineau et du groupe gaulliste UPR pour conseiller aux personnes curieuses d’assister aux conférences de ce dernier établissant l’origine américano-formatée, voire carrément brevetée CIA, de tout le haut personnel politique bruxellois, à commencer par celle de Manuel Barroso.
Bien entendu l’hégémonisme allemand s’exprime de manière plus « pateline » à l’égard du partenaire français (4ème économie du monde, la France possède encore une force de frappe dont la RFA est officiellement dépourvue) qu’à l’adresse des « PIGS », c’est-à-dire du Portugal, de l’Italie, de la Grèce et de l’Espagne. La position de la France peut à tout moment basculer du « premier cercle » de la domination vers la périphérie de ce cercle, puis de l’état de « brillant second » de Berlin à celui de « chef de file des PIGS », ce qui impliquerait un décrochage dramatique du niveau de vie de la majorité des Français appartenant à la classe ouvrière ou aux couches moyennes « inférieures ». Rien n’est encore joué cependant à cet égard car, comme on le sait depuis Lénine, le développement capitaliste est foncièrement inégal et la situation de l’industrie allemande, largement dépendante de l’euro et des commandes des « PIGS », est elle-même beaucoup moins assurée que ne veulent bien le dire les béats admirateurs du « Modell Deutschland ».
[15] En fait de réunification, les Ossies ont été brutalement placés sous tutelle des administrateurs Wessies de la Treuhandanstalt ! (Institution financière allemande dont l’objectif fut de procéder aux privatisations des sociétés publiques d’Allemagne de l’Est après la « réunification »).
[16] Sans atteindre la germanolâtrie et la peu discrète francophobie de l’intouchable Cohn-Bendit, certaines déclarations de l’ex-ministre allemand « vert » (de gris ?) Joschka Fischer ou de l’eurocrate Von Tadden sont fort éclairantes à ce sujet. Le premier a déclaré que l’Allemagne était en train d’atteindre par d’autres moyens les objectifs qu’elle n’avait pas pu atteindre lors des trois conflits guerriers précédents. Le second n’a jamais caché que pour faire l’Europe il faudra un peu défaire la France. Rappelons qu’en français, le mot « défaire » à deux sens…
[17] Et où la « Mitbestimmung » (qu’on traduit par « cogestion ») permettait de discipliner les relations sociales. La RFA portait une politique sociale forte, non pas pour récompenser la « sagesse » des syndicats de collaboration de classe (DGB et IG Metall), mais pour contrer la concurrence politico-sociale de la RDA (10ème puissance industrielle au monde, on ne le dit jamais…). Preuve a contrario : quand la RDA s’est écroulée, le patronat allemand a aussitôt entrepris de liquider la fumeuse « soziale Marktswirtschaft » ; c’est même le SPD de G. Schröder qui a drastiquement abaissé le niveau de vie des ouvriers allemands en faisant adopter le honteux « paquet » des lois Hartz IV. En réalité, c’est d’abord pour les travailleurs allemands que la montée en puissance de « leur » impérialisme est une très mauvaise affaire !
[18] L’expression est de Marco Rizzi, dirigeant du CSP-PC italien.
[19] Lequel finit presque par s’inquiéter des « excès » des dérives qu’il encourage quotidiennement !
[20] Notons aussi – mais tel n’est pas le propos du présent article – que Marx et Lénine n’ont jamais opposé l’aspiration des Communards à la démocratie communale et le principe de la « république démocratique » centralisée, dont le principe est éminemment souhaitable, si les conditions historiques le permettent, sans qu’il soit nécessaire de violenter les peuples. Toutes les réflexions de Lénine dans Que faire ? et surtout, dans L’Etat et la révolution démontrent que, du moment que cette dialectique est portée par les classes révolutionnaires de la société, il est parfaitement possible de concilier planification et intervention ouvrière dans les entreprises socialisées, « centralisme démocratique » et droit des peuples « allogènes » à l’autonomie de gestion, dans le cadre d’une République des soviets ouvriers et paysans.
[21] Cf G. Gastaud, Patriotisme et internationalisme. Editions CISC, 2009, 9 €.
[22] C’est le terme utilisé par les chefs de la NVA flamande à propos de la Belgique, qu’il s’agit de vider de son contenu, pour pouvoir la quitter quand il ne s’agira plus que d’une appellation géographique.
[23] Dans Patriotisme et internationalisme, je cite de nombreuses phrases-choc du lugubre Jean-Paul Huchon et de son livre si bien nommé De battre ma gauche s’est arrêtée : cet individu, qui préside la région capitale de la France, ne cesse d’y vomir le peuple français et très cyniquement, il ne reconnaît plus que deux « patries » : l’Europe, avec une préférence attendrie pour l’Europe du nord – et la « petite patrie » francilienne qui permettrait à ce féodal-démocrate de dialoguer directement avec Bruxelles sans passer par … Paris ( !!!). En réalité, là aussi, une partie de la bourgeoisie multinationale francilienne ne veut plus s’encombrer de la Creuse et de la Lozère et elle veut, elle aussi, conquérir directement de nouvelles « aires » pour faire de Paris une métropole de l’Union transatlantique. Rappelons le mot de Michel Serres : « il y a déjà plus de mots anglais sur les murs de Paris qu’il n’y avait de mots allemands sous l’Occupation »…
[24] L’ancien maire de Sartène est membre du PCF, et son parcours politique républicain était jusqu’ici très honorable !
[25] Car l’immigration de confort, celle des riches bourgeois anglophones de l’Europe du nord, a déjà largement imposé l’anglais comme langue d’usage sur notre territoire.
[26] En réalité la langue n°1. Si l’anglais est officialisé à côté du français en France, à côté de l’allemand en Allemagne, à côté de l’italien en Italie, il en ira de cette langue « bis » comme d’une monnaie internationale bis qui aurait cours partout « à côté » des monnaies « seulement » nationales. En réalité, il s’agit d’officialiser l’anglais comme langue n°1 officielle de l’Europe et comme langue officieuse n°1 des Etats-membres de l’UE. CQFD.
[27] Ciblé par une politique agressive et parfaitement concertée des tenants patronaux du tout-anglais, le français recule partout, de la Wallonie à la Suisse, de la France à certains pays africains, du Québec au Gabon, comme s’en plaint amèrement Abou Diouf, le président de l’O.I.F. Le fait que notre langue nationale soit la première « langue seconde » enseignée dans le monde est une consolation vraisemblablement très provisoire.
[28] La Françallemagne, la Franceurope et la Françamérique sont sœurs de la sanglante Françafrique. Vive la France des travailleurs chantée par Ferrat. L’auteur de ces lignes est si peu nationaliste qu’il ne se réjouirait nullement du « rattachement » de la Wallonie à la France, lequel résulterait sans doute, à plus ou moins long terme, de l’éclatement de la Belgique. « Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre », disait Engels. Il s’en suit qu’aujourd’hui, le véritable patriote français est aussi patriote italien, belge, grec, portugais, etc., et qu’il souffre de l’oppression subie par un autre peuple, comme il souffre de la destruction de la France par l’oligarchie qui domine la France. C’est en ce sens que nous parlons parfois, pour faire image, d’ « interpatriotisme prolétarien » (naturellement, celui-ci ne se substitue en rien à l’internationalisme prolétarien, dont le rôle historique direct est appelé à se développer à une époque de socialisation sans précédent de la production et des échanges).
[29] Une sortie de l’euro trop souvent opposée de mauvaise foi à la sortie de l’UE et à la rupture avec le capitalisme, alors qu’il s’agit d’un « paquet » global et d’une réaction en chaîne de portée révolutionnaire, dont le terme est la révolution socialiste !
[30] Bordiga était ce dirigeant du PC d’Italie des années vingt qui refusait toute alliance antifasciste ; il résumait la stratégie communiste à la mise en accusation propagandiste du capitalisme et à l’attente messianique de l’insurrection prolétarienne. Bordiga fut évincé – trop tard hélas pour le prolétariat italien – par Gramsci et Togliatti. C’est contre le bordiguisme et ses équivalents allemands, hollandais, anglais etc., que Lénine écrivit « La maladie infantile du communisme », que Thorez construisit le Front populaire antifasciste et que Dimitrov prononça son rapport historique au 7ème congrès de l’Internationale communiste. Rejetant à la fois l’opportunisme de droite, qui cherche à éluder la révolution socialiste en inventant une « troisième voie » entre capitalisme et socialisme, et le sectarisme dogmatique, qui rabâche les principes politiques sans chercher la moindre médiation politique, stratégique et tactique permettant de marcher pratiquement vers le socialisme, Dimitrov déclare : les communistes doivent toujours « appliquer une politique bolchévique active de masse au lieu de se borner à la seule propagande, à la critique et aux seuls appels à la lutte pour la dictature du prolétariat ». Et le secrétaire général de l’IC ajoute : « les opportunistes de droite tendaient à établir un certain « stade intermédiaire démocratique » entre la dictature de la bourgeoisie et la dictature du prolétariat pour inculquer aux ouvriers l’illusion d’une paisible promenade parlementaire d’une dictature à une autre. Ce « stade intermédiaire » fictif, ils l’intitulaient aussi « forme transitoire » et ils se référaient même à Lénine ! Mais il n’était pas difficile de dévoiler cette filouterie ; car Lénine parlait d’une forme de transition et de rapprochement conduisant à la « révolution prolétarienne », c’est-à-dire au renversement de la dictature bourgeoise et non d’on ne sait quelle forme de transition entre la dictature bourgeoise et la dictature prolétarienne ». Et c’est évidemment cette sortie révolutionnaire du capitalisme qu’il s’agit de favoriser, non dans les incantations « anticapitalistes » dans le style NPA, mais par une « politique bolchevique active de masse » en activant une large alliance populaire, patriotique et progressiste visant à sortir la France de l’euro, de l’UE et de l’OTAN.
[31] « L’internationalisme prolétarien doit, en quelque sorte, être « acclimaté » dans chaque pays », disait G. Dimitrov.
[32] TOUT le CAC 40 « français » a signé un texte commun avec ses homologues allemand et italien sommant les gouvernements bourgeois à sauver l’euro au prix de l’enterrement des nations européennes : ce n’est pas là une estimation « à vue de nez » du PRCF, c’est un fait politique de première importance pour des militants du mouvement ouvrier se réclamant du marxisme !