Voici 2 textes de deux auteurs différents:
Combien de divisions, d’Uri Avnéry ;
Vivre en en sursis sur une terre volée, de Gilad Atzmon, janvier 2009
« Combien de divisions », d’Uri Avnéry, 11 janvier 2009
(Article écrit en hébreu et en anglais le 10 janvier 2009, publié le 11 sde Xavier Dubois, Xarlo@aol.cur le site de Gush Shalom – Traduit de l’anglais « How Many Divisions ? » : SW ; parmi ses sources : http://www.france-palestine.org/article10814.html); traduction retenue : celle de l’association France Palestine Solidarité)
Dans cette guerre, comme dans toute guerre moderne, la propagande joue un rôle majeur. La disparité entre les forces, entre l’armée israélienne – avec ses avions, ses hélicoptères de combat, ses drones, ses navires de guerre, son artillerie et ses tanks – et les quelques milliers de combattants du Hamas légèrement armés, est peut-être de un à un million. Sur le plan politique, le fossé entre eux est encore plus grand. Mais en termes de propagande de guerre, le fossé est presque infini.
Il y a près de soixante dix ans, au cours de la Seconde guerre mondiale, un crime odieux fut commis dans la ville de Leningrad. Pendant plus de mille jours, une bande d’extrémistes appelée « l’Armée rouge » ont pris les millions d’habitants de la ville en otage et provoqué les représailles de la Wehrmacht allemande dans les centres de population à l’intérieur de la ville. Les Allemands n’ont eu d’autre alternative que de bombarder la population et d’imposer un total blocus qui a causé la mort de centaines de milliers de personnes.
Quelque temps avant cela, un crime semblable avait été commis en Angleterre. La bande à Churchill se cachait dans la population londonienne, utilisant les millions de citoyens comme boucliers humains. Les Allemands ont été obligés d’envoyer leur Luftwaffe et de réduire la ville en ruines. Ils ont appelé cela le Blitz. C’est la description qui serait faite dans les livres d’histoire aujourd’hui – si les Allemands avaient gagné la guerre. Absurde ? Pas plus que les descriptions quotidiennes dans nos médias, qui répètent ad nauseam : Les terroristes du Hamas utilisent les habitants de Gaza comme « otages » et exploitent les femmes et les enfants comme « boucliers humains », ils ne nous laissent aucune alternative que de procéder à des bombardements massifs, dans lesquels, à notre grand regret, des milliers de femmes, d’enfants et d’hommes désarmés sont tués et blessés.
Dans cette guerre, comme dans toute guerre moderne, la propagande joue un rôle majeur. La disparité entre les forces, entre l’armée israélienne – avec ses avions, ses hélicoptères de combat, ses drones, ses navires de guerre, son artillerie et ses tanks – et les quelques milliers de combattants du Hamas légèrement armés, est peut-être de un à un million. Sur le plan politique, le fossé entre eux est encore plus grand. Mais en termes de propagande de guerre, le fossé est presque infini.
Presque tous les médias occidentaux ont au début répété la ligne de propagande officielle israélienne. Ils ont presque entièrement ignoré la version palestinienne de l’histoire, et n’ont fait aucune mention des manifestations quotidiennes du camp de la paix israélien. La raison avancée par le gouvernement israélien (« l’Etat doit défendre les citoyens contre les roquettes Qassam ») a été acceptée comme la pure vérité. L’autre version, selon laquelle les lancements de Qassam sont des représailles pour le siège qui affame le million et demi d’habitants de la bande de Gaza, n’a pas du tout été mentionnée. C’est seulement quand les horribles scènes venant de Gaza ont commencé à être montrées sur les écrans des télévisions occidentales, que l’opinion publique mondiale a commencé à changer. Certes, les chaînes occidentales et israéliennes n’ont montré qu’une toute petite partie des événements meurtriers qui apparaissent 24 heures sur 24 chaque jour sur la chaîne arabe Al Jazira, mais une photo d’un enfant mort dans les bras de son père terrifié est plus forte qu’un millier de phrases bien structurées du porte-parole de l’armée israélienne. Et c’est ce qui est décisif à la fin.
La guerre, toute guerre, est le royaume des mensonges. Si on en appelle à la propagande ou à la guerre psychologique, tout le monde accepte l’idée qu’on a le droit de mentir pour son pays. Celui qui dit la vérité prend le risque d’être traité de traître. L’ennui est que c’est pour celui qui la porte lui-même que cette propagande est la plus convaincante. Et après, vous vous convainquez qu’un mensonge est la vérité, vous falsifiez la réalité, et vous ne pouvez plus prendre de décisions rationnelles. Un exemple de ce processus entoure l’atrocité la plus choquante de cette guerre : le bombardement de l’école de l’ONU Fakhura dans le camp de réfugiés de Jabaliya. Dès après que l’événement a commencé à être connu dans le monde, l’armée a « révélé » que des combattants du Hamas avaient tiré des obus de mortier depuis l’entrée de l’école. Pour preuve, ils ont fourni une photo aérienne qui montrait en effet l’école et le mortier. Mais peu de temps après, le menteur officiel de l’armée admettait que la photo datait de plus d’un an. En bref : une falsification.
Par la suite, le menteur officiel a déclaré que « nos soldats étaient ciblés de l’intérieur de l’école ». Il fallut à peine un jour pour que l’armée soit obligée d’admettre vis-à-vis d’un agent de l’ONU que c’était un mensonge aussi. Personne n’a tiré de l’intérieur de l’école, et aucun combattant du Hamas ne se trouvait dans l’école, qui était pleine de réfugiés terrifiés. Mais cette reconnaissance n’avait plus vraiment d’impact. Entre temps, les Israéliens avaient été complètement convaincus qu’ »ils tiraient de l’intérieur de l’école », et les présentateurs de télévision avaient annoncé cela comme un fait. Il en va de même pour les autres atrocités. Chaque bébé est transformé, en mourant, en terroriste du Hamas. Chaque mosquée bombardée devient instantanément une base du Hamas, chaque immeuble d’habitation une cache d’armes, chaque école un poste de commande terroriste, chaque bâtiment du gouvernement civil un « symbole de l’administration Hamas ». Ainsi l’armée israélienne garde sa pureté et reste « l’armée la plus morale du monde ».
La vérité est que les atrocités sont le résultat direct du plan de guerre. Il reflète la personnalité d’Ehoud Barak – dont le mode de pensée et les actions sont ce que l’on appelle « aliénation morale », un trouble sociopathe. L’objectif réel (à part gagner des sièges aux prochaines élections) est de mettre fin au gouvernement Hamas dans la bande de Gaza. Dans l’imagination de ses concepteurs, Hamas est un envahisseur qui a pris le contrôle d’un pays étranger. La réalité est bien sûr toute autre.
Le mouvement Hamas a obtenu la majorité dans des élections éminemment démocratiques qui ont eu lieu en Cisjordanie, à Jérusalem-est et dans la bande de Gaza. Il a gagné parce que les Palestiniens étaient arrivés à la conclusion que l’approche pacifique du Fatah n’avait rien obtenu d’Israël – ni gel de la colonisation, ni libération des prisonniers, ni aucun pas en direction de la fin de l’occupation et de la création d’un Etat palestinien. Le Hamas est profondément enraciné dans la population – pas seulement comme mouvement de résistance qui lutte contre l’occupant étranger, comme l’Irgun et le groupe Stern dans le passé – mais aussi comme organisation politique et religieuse qui fournit des services dans les domaines social, éducationnel et médical. Pour la population, les combattants du Hamas ne sont pas un corps étranger, mais les fils des familles de la bande de Gaza et d’autres régions de Palestine. Ils ne « se cachent pas derrière la population », la population ne les considère que comme ses défenseurs.
Donc, toute l’opération est basée sur de fausses hypothèses. Transformer sa vie en enfer ne conduit pas la population à se soulever contre le Hamas, mais au contraire, à l’unir derrière le Hamas et à renforcer sa détermination à ne pas se rendre. La population de Leningrad ne s’est pas dressée contre Staline, pas plus que les Londoniens ne se sont retournés contre Churchill.
Celui qui donne l’ordre d’une telle guerre avec de telles méthodes dans un territoire si densément peuplé sait qu’il causera des massacres de civils. Apparemment cela ne l’a pas troublé. Ou il a cru qu’ »ils changeront de voie » et que « cela engourdira leur conscience » de sorte qu’à l’avenir ils n’oseront plus résister à Israël. Une autre priorité pour les donneurs d’ordre de la guerre était de réduire au maximum les victimes parmi les soldats, sachant que l’état d’esprit d’une large partie de l’opinion pro-guerre changerait s’il y avait de telles victimes. C’est ce qui est arrivé dans la première et la seconde guerres du Liban.
Cette considération joue un rôle particulièrement important parce que toute la guerre fait partie de la campagne électorale. Ehoud Barak, qui a remonté dans les sondages dans les premiers jours de la guerre, savait que son score chuterait si des images de soldats morts défilaient sur les écrans de TV. Donc une nouvelle doctrine a été utilisée : pour éviter les pertes parmi nos soldats, tout détruire sur leur passage. Les auteurs de cette idée n’étaient plus seulement prêts à tuer 80 Palestiniens pour sauver un soldat israélien, come c’était le cas, mais 800. L’économie de victimes de notre côté est le commandement premier, qui cause un record du nombre des victimes civiles de l’autre côté. Cela signifie le choix conscient d’une sorte de guerre particulièrement cruelle – et c’est son talon d’Achille.
Un homme sans imagination, comme Barak (son slogan électoral : « Pas un brave type, mais un leader ») ne peut pas imaginer comment les braves gens à travers le monde réagissent aux actions comme l’assassinat de familles entières, la destruction de maisons sur la tête de leurs habitants, les cortèges de garçons et de filles dans leur linceul blanc prêts à être inhumés, les reportages sur les gens qui trouvent la mort au bout de plusieurs jours parce que les ambulances n’ont pas pu arriver à temps, l’assassinat de médecins et d’infirmiers en route pour sauver des vies, l’assassinat de chauffeurs de l’ONU apportant de la nourriture. Les images des hôpitaux, avec la mort, les morts et les blessés étendus ensemble sur le sol par manque de place, ont choqué le monde. Aucun argument n’est assez fort après l’image d’une petite fille blessée gisant sur le sol, se tordant de douleur en criant : « Maman ! Maman ! »
Les commanditaires de la guerre ont pensé qu’ils arrêteraient la diffusion de ces images en empêchant la couverture de la presse. Les journalistes israéliens, pour notre honte, ont accepté de se contenter des reportages et photos fournis par le porte-parole de l’armée, comme si c’était des informations authentiques, alors qu’eux-mêmes restent à des kilomètres du théâtre des événements. D’autre part, les journalistes étrangers n’étaient pas autorisés, jusqu’à ce qu’ils protestent et soient pris, pour des tours rapides dans des groupes sélectionnés et contrôlés. Mais, dans une guerre moderne, un tel point de vue stérile fabriqué ne peut pas complètement exclure les autres – les caméras sont à l’intérieur de la bande de Gaza, au centre du brasier, et ne peuvent pas être contrôlées. Al Jazira diffuse les images au fil des heures et entre dans toutes les maisons.
La bataille pour l’écran de télévision est une des batailles décisives de la guerre.
Des centaines de millions d’Arabes, de la Mauritanie à l’Irak, plus d’un milliard de musulmans du Nigéria à l’Indonésie voient les images et sont horrifiés. Ceci a un fort impact sur la guerre. Beaucoup de téléspectateurs considèrent les dirigeants d’Egypte, de Jordanie et de l’Autorité palestinienne comme des collaborateurs d’Israël qui commet ces atrocités contre leurs frères palestiniens. Les services de sécurité des régimes arabes enregistrent une dangereuse tendance parmi les peuples. Hosni Moubarak, le dirigeant arabe le plus exposé parce qu’il est près du passage de Rafah face aux réfugiés terrifiés, a commencé à faire pression sur les décisionnaires de Washington, qui jusqu’à présent ont bloqué tout appel au cessez-le-feu. Ceux-ci commencent à comprendre la menace pour les intérêts vitaux américains dans le monde arabe et ont soudain changé d’attitude. – ce qui a causé la consternation parmi les diplomates israéliens.
Les gens qui sont en état d’aliénation morale ne peuvent pas comprendre les motivations des gens normaux et deviner leurs réactions. « Combien de divisions a le Pape » ironisa Staline [Annie Lacroix-Riz, cette citation apocryphe est stupide, comme je l’ai montré par ailleurs, mais le problème est ailleurs]. « Combien de divisions ont les gens de conscience ? » pourra demander Ehoud Barak. Comme c’est en train d’advenir, ils en ont. Pas nombreuses. Pas très rapides de réaction. Pas très fortes et organisées. Mais, à un certain moment, quand les atrocités dépassent les bornes, et que les masses de protestataires se regroupent, cela peut décider d’une guerre.
L’erreur de compréhension de la nature du Hamas a conduit à une erreur d’appréciation des résultats. Non seulement Israël est incapable de gagner la guerre, mais Hamas ne peut pas la perdre. Même si l’armée israélienne parvenait à tuer tous les combattants du Hamas jusqu’au dernier, le Hamas gagnerait. Les combattants du Hamas seraient considérés comme les parangons de la nation arabe, les héros du peuple palestinien, les modèles pour l’émulation de tous les jeunes du monde arabe. La Cisjordanie tomberait dans les mains du Hamas comme un fruit mûr, le Fatah disparaîtrait dans un océan d’oubli, les régimes arabes seraient menacés d’effondrement. Si la guerre prend fin avec le Hamas encore debout, meurtri mais invaincu, face à la puissante machine militaire israélienne, elle ressemblera à une fantastique victoire, une victoire de l’esprit sur la matière.
Ce qui restera dans la conscience du monde sera l’image d’Israël comme un monstre tâché de sang, prêt à tout moment à commette des crimes de guerre et pas prêt à accepter la moindre contrainte morale. Ceci aura de graves conséquences pour notre avenir à long terme, notre place dans le monde, notre chance de parvenir à la paix et à la tranquillité.
Au final, cette guerre est un crime contre nous-mêmes aussi, un crime contre l’Etat d’Israël.
« Vivre en en sursis sur une terre volée », de Gilad Atzmon, 3 janvier 2009
Source: http://palestinethinktank.com/2009/01/03/gilad-atzmon-living-on-borrowed-time-in-a-stolen-land/
Discuter avec des Israéliens a de quoi laisser pantois. Même en ce moment, alors que l’aviation israélienne assassine au grand jour des centaines des civils, des personnes âgées, des femmes et des enfants, le peuple israélien parvient à se convaincre qu’il est la véritable victime de cette saga violente.
Ceux qui sont intimement familiers du peuple israélien réalisent que ce dernier n’est absolument pas informé des racines du conflit qui domine son existence. Assez souvent, les Israéliens en viennent à des arguments d’un genre bizarre qui ont tout leur sens dans le discours israélien, mais sont dénués de toute signification hors la rue juive. Un de ces arguments est le suivant: ‘ces Palestiniens, pourquoi insistent-ils pour vivre sur notre terre (Israël), pourquoi ne s’installent-ils pas tout simplement en Égypte, en Syrie, au Liban ou dans n’importe quel autre pays arabe ?’ Une autre perle de sagesse hébraïque est du genre : qu’est-ce-qui ne va pas avec les Palestiniens ? Nous leurs avons apporté l’eau, l’électricité, l’éducation et tout ce qu’ils trouvent à faire c’est d’essayer de nous jeter à la mer.’
De manière assez étonnante, les Israéliens même ceux de la soi-disant ‘gauche’ et même ceux de la ‘gauche’ intellectuelle sont incapables de comprendre qui sont les Palestiniens, d’où ils viennent et le pourquoi de leur résistance. Ils n’arrivent pas à comprendre qu’Israël a été créé aux dépens du peuple palestinien, de la terre palestinienne, des villages, des villes, des champs et des vergers palestiniens. Les Israéliens ne réalisent pas que les Palestiniens de Gaza et des camps de réfugiés de la région sont en réalité les populations dépossédées de Ber Shive, Jaffa, Tel Kabir, Sheikh Munis, Lod, Haïfa, Jérusalem et de bien d’autres villes et villages. Si vous vous demandez comment il se fait que les Israéliens ignorent leur histoire, la réponse est très simple, on ne la leur a jamais racontée. Les circonstances qui ont conduit au conflit israélo-palestinien sont bien cachées à l’intérieur de leur culture. Dans le paysage, les traces de la civilisation palestinienne d’avant 1948 ont été effacées. Non seulement la Nakba, le nettoyage ethnique en 1948 des indigènes palestiniens, ne fait pas partie des programmes scolaires israéliens, elle n’est pas même mentionnée ni discutée par aucun forum officiel ou universitaire israélien.
Dans le centre de presque chaque ville israélienne on peut trouver une statue commémorative en forme bizarre, presque abstraite, de tuyauterie. Cette tuyauterie est appelée Davidka et est en réalité un canon de mortier israélien de 1948. Il est intéressant de savoir que le Davidka était une arme particulièrement inefficace. Ses obus n’avaient pas une portée supérieure à 300 mètres et causaient peu de dégâts. Mais si le Davidka causait un minimum de dommages, il était par contre très bruyant. Selon l’histoire israélienne officielle, les Arabes, c’est à dire les Palestiniens, s’enfuyaient tout simplement pour sauver leurs vies dès qu’ils entendaient le Davidka au loin. Selon le discours israélien, les Juifs, c’est à dire les Israéliens ‘récents’ faisaient quelques feux d’artifices et les ‘Arabes poltrons’ couraient tout simplement comme des idiots. Dans la version israélienne officielle, on ne trouve aucune mention des nombreux massacres planifiés et perpétrés par la jeune armée israélienne et les unités paramilitaires qui l’ont précédée. Il n’y a aucune mention non plus des lois racistes qui interdisent aux Palestiniens de revenir sur leurs terres et dans leurs maisons. La signification de ce qui précède est assez simple. Les Israéliens ne sont absolument pas familiers avec la cause palestinienne. Dès lors, ils ne peuvent interpréter la lutte palestinienne que comme une lubie meurtrière irrationnelle. A l’intérieur de l’univers israélien avec son caractère judéo-centré et de seule réalité existante, l’israélien est une innocente victime et le Palestinien rien moins qu’un meurtrier barbare.
Cette grave situation qui laisse l’Israélien dans l’ignorance totale de son passé mine toute possibilité de réconciliation future. Dès lors que l’Israélien n’a pas un minimum de compréhension du conflit, il est incapable d’envisager la possibilité d’une solution qui ne serait pas l’extermination ou le nettoyage de ‘l’ennemi.’ Tout ce que l’Israélien a la possibilité de savoir sont des variations du récit de la souffrance juive. La souffrance des Palestiniens lui est complètement étrangère. ‘Le droit au retour des Palestiniens’ lui semble une idée farfelue. Même les ‘humanistes israéliens’ les plus en pointe ne sont pas prêts à partager le territoire avec ses habitants indigènes. Ce qui ne laisse guère d’autre possibilité aux Palestiniens que de se libérer eux-mêmes. A l’évidence, il n’y a pas de partenaire pour la paix du côté israélien.
Cette semaine, nous en avons appris un peu plus sur l’arsenal balistique du Hamas. Il est évident que le Hamas a fait preuve d’une certaine retenue avec Israël depuis trop longtemps. Le Hamas s’est retenu d’étendre le conflit à l’ensemble du Sud d’Israël. Il m’est venu à l’esprit que les volées de roquettes qui se sont abattues sporadiquement sur Sderot et Ashkelon n’étaient en réalité rien d’autre qu’un message des Palestiniens emprisonnés. C’était d’abord un message à la terre, aux champs et aux vergers volés : ‘Notre terre adorée, nous ne t’avons pas oubliée, nous combattons encore pour toi, au plus vite nous reviendrons, nous reprendrons là où nous avons été arrêtés’. Mais c’était aussi un message clair aux Israéliens. ‘Vous là-bas, à Sderot, à Beer Sheva, Ashkelon, Tel Aviv et Haïfa, que vous le sachiez ou pas, vous vivez en réalité sur la terre qui nous a été volée.’
Voyons les choses en face, en réalité la situation en Israël est assez grave. Il y a deux ans, c’était le Hezbollah qui bombardait à la roquette le Nord d’Israël. Cette semaine, le Hamas a prouvé sans doute possible sa capacité à distribuer au Sud d’Israël quelques cocktails de missiles vengeurs. Dans le cas du Hezbollah comme dans celui du Hamas, Israël n’a pas trouvé de réponse militaire. Il peut certes tuer des civils mais ne parvient pas à enrayer les tirs de roquettes. L’armée israélienne n’a pas les moyens de protéger Israël sauf si recouvrir Israël d’une toiture en béton peut être vu comme une solution viable. Au bout du compte, c’est peut-être ce que les responsables israéliens essaieront de faire.
Mais nous ne sommes pas à la fin de l’histoire. En fait ce n’est que le début. Tous les experts du Moyen-Orient savent que le Hamas peut prendre le contrôle de la Cisjordanie en quelques heures. En fait, le contrôle de l’Autorité Palestinienne et du Fatah sur la Cisjordanie est maintenu par l’armée israélienne. Dès que le Hamas se sera emparé de la Cisjordanie, les plus grands centres urbains israéliens seront à sa merci. Pour ceux qui ne parviennent pas à le voir, ce serait la fin de l’Israël juif. Ça peut arriver dès ce soir, dans trois mois ou dans cinq ans, la question n’est pas de savoir ‘si ça se produira’, mais ‘quand.’ A ce moment là, l’ensemble d’Israël sera à portée de tir du Hamas et du Hezbollah et la société israélienne s’effondrera, son économie sera ruinée. Le prix d’une maison individuelle de Tel Aviv Nord équivaudra à celui d’un cabanon à Kiryat Shmone ou à Sderot. Au moment où une seule roquette touchera Tel Aviv, c’en sera terminé du rêve sioniste.
Les généraux israéliens le savent, les dirigeants israéliens le savent. C’est pourquoi ils intensifient la guerre d’extermination contre les Palestiniens. Les Israéliens n’envisagent pas d’occuper Gaza. Ils n’ont rien perdu là-bas. Tout ce qu’ils veulent c’est terminer la Nakba. Ils larguent des bombes sur les Palestiniens dans le but de les anéantir. Ils veulent les Palestiniens hors de la région. Il est évident que ça ne marchera pas et que les Palestiniens resteront. Non seulement ils resteront, mais le jour de leur retour chez eux ne fait que se rapprocher vu qu’Israël a épuisé ses tactiques les plus meurtrières. C’est précisément à ce moment que le déni israélien de la réalité entre en jeu. Israël a dépassé le ‘point de non-retour’. Son destin funeste est gravé au creux de chaque bombe qu’il largue sur les civils palestiniens. Il n’y a rien qu’Israël puisse faire pour se sauver lui-même. Il n’y a pas de stratégie de sortie. Il ne peut pas négocier une issue à ce conflit car ni les Israéliens ni leurs dirigeants n’en comprennent les paramètres fondamentaux. Israël n’a pas les moyens militaires d’achever cette bataille. Il peut réussir à tuer les leaders de la base palestinienne comme il le fait depuis des années, pourtant la résistance et l’opiniâtreté des Palestiniens ne font que se renforcer au lieu de faiblir. Ainsi que l’avait prédit un général des services de renseignements israéliens pendant la première Intifada, ‘pour vaincre, tout ce que les Palestiniens ont à faire est de survivre.’ Ils survivent et ils sont en fait en train de vaincre.
Les dirigeants israéliens comprennent tout ça. Israël a déjà tout essayé, retrait unilatéral, famine et maintenant extermination. Ils ont cru se débarrasser du problème démographique en se recroquevillant dans un ghetto juif intime et douillet. Rien n’a marché. C’est la ténacité palestinienne incarnée par la politique du Hamas qui définit l’avenir de la région. Tout ce qui reste aux Israéliens c’est de s’accrocher à leurs œillères et à leur déni de la réalité pour fuir leur le triste destin qui leur est déjà fixé. Tout au long de leur déchéance, les Israéliens entonneront les divers chants de victimisation dont ils sont coutumiers. Imprégnés d’une réalité faite de suprématie égocentrée, ils seront hypersensibles à leurs propres souffrances tout en restant aveugles à celles qu’ils infligent aux autres. De façon assez singulière, les Israéliens se comportent comme un collectif uni quand ils bombardent les autres mais, s’ils sont légèrement blessés, ils deviennent des monades de vulnérabilité innocente. C’est cet écart entre la façon dont les Israéliens se voient et celle dont les autres les voient qui transforme les Israéliens en monstrueux exterminateurs. C’est cet écart qui les empêche de comprendre les tentatives nombreuses et répétées de détruire leur État. C’est cet écart qui empêche les Israéliens de comprendre la signification de la Shoah et d’être capable d’éviter la prochaine. C’est cet écart qui empêche les Israéliens de faire partie de l’humanité.
Une fois encore, les Juifs devront errer vers une destinée inconnue. D’une certaine manière, j’ai personnellement commencé mon voyage depuis un moment.
Traduit par Djazaïri, révisé par Fausto Giudice.
[Annie Lacroix-Riz : Gilad Atzmon, musicien de jazz, ex-Israélien, a quitté Israël pour l’Angleterre depuis 1994, d’après sa fiche Wikipedia en langue anglaise]C