Quel rapport entre le camp de la Courtine en 1917 et le camp de la Courtine en 2024 ? L’anticommunisme et l’impérialisme !
I. La mutinerie du camp de la Courtine 1917
Moins de deux ans après le déclenchement de la Grande Guerre, en 1916, des milliers de soldats russes furent appelés à venir se battre sur le sol français. En effet, sur le front Ouest, les armées franco-britanniques étaient exsangues et le front s’était transformé de guerre de mouvements en guerre effroyable de tranchées où les soldats tombaient comme des mouches sous le feu des mitrailleuses et des obus sans que rien ne bougeât. C’est alors que les Etats-Majors franco-russes, peu soucieux des vies humaines firent d’abord appel aux troupes coloniales puis ils eurent la brillante idée de « puiser », comme le disent les responsables politiques et militaires, dans les « immenses réserves » du « réservoir » humain russe1, véritable chair à canon qui semblait inépuisable. Ces soldats furent vendus comme du vulgaire bétail en échange de 150 000 fusils à la Russie.
En avril 1916, 20 000 hommes furent donc envoyés sur le front français. Certains débarquèrent à Marseille où ils furent accueillis en héros. Leurs officiers étaient issus de la noblesse russe tandis que les soldats étaient soit d’origine paysanne soit, comme ceux de la « Première brigade », ouvriers de la région moscovite (purgés préalablement de ceux qui étaient connus pour leurs activités politiques). Tous avaient déjà connu l’expérience des combats et portaient en eux les germes révolutionnaires des soldats russes. Léon Trotsky l’évoque d’ailleurs dans son Histoire de la révolution russe. « Le premier régiment, qui avait été formé à Moscou et se composait presque entièrement d’ouvriers, de commis et employés de magasin, en général d’éléments prolétariens et à demi prolétariens, était arrivé le premier sur la terre de France, un an auparavant et, pendant l’hiver, avait combattu sur le front champenois. Mais « la maladie de la décomposition atteignit avant tout ce régiment même ». Le deuxième régiment, qui avait dans ses rangs un fort pourcentage de paysans, garda son calme plus longtemps. »2
Le calme ne dura guère puisque dès le mois d’août une première petite mutinerie eut lieu. Tous les soldats français, britanniques et même coloniaux avaient eu des permissions de sortie, mais pas les soldats russes. Ces derniers manifestèrent et se révoltèrent. Les meneurs furent fusillés.
Les causes profondes de la mutinerie.
Un an après une arrivée triomphale dans le port de Marseille en avril 1916, le souvenir des fleurs lancées sur leur passage s’était fané. Les horreurs de la guerre de tranchées, la poigne de fer de leurs officiers, les dos marqués par le fouet3 en avaient effacé les belles images. Les soldats russes se plaignaient d’être particulièrement maltraités y compris lors des soins dans les hôpitaux où ils étaient plus mal traités, disaient-ils, que les prisonniers allemands. En outre, ils étaient aussitôt renvoyés sur le front – sans même de congé de convalescence. Là, ils s’empressaient de porter les idées révolutionnaires venues de l’arrière devenant ainsi « le fer de lance de la démoralisation des brigades russes ». Les nouvelles de Russie, ils les avaient apprises par des Français, des émigrés russes, des journaux qui parlaient de de la révolution russe. Le simple fait d’apprendre que le tsar honni était tombé était un immense coup de tonnerre dans un ciel qui n’était plus serein depuis des années.
Les causes directes de la mutinerie et l’isolement au camp de la Courtine
Soldats de la Courtine, sur la banderole Vive la Russie libre, démocratique, socialiste En effet, la révolution venait d’éclater en Russie et des soviets s’étaient organisés un peu partout dont le plus important était celui de Petrograd. Au début du mois de mars de 1917, les soldats russes en France prirent ainsi connaissance d’un décret du soviet de Petrograd, qui indiquait que soit interdit désormais le tutoiement et les mauvais traitements des gradés à l’égard des soldats. Immédiatement sur le front français, ils créèrent leurs propres comités de soldats, semant la panique dans l’Etat-major français. Mais ce fut l’énorme boucherie et l’échec de l’offensive Nivelle du 16 avril 1917, qui fit 271 000 morts dont 6 000 soldats russes du corps expéditionnaire, qui mit le feu aux poudres.
Les soldats russes manifestèrent le 1er mai russe (le 14 mai du calendrier grégorien) en chantant La Marseillaise des travailleurs4 et en ayant inscrit sur les drapeaux « Socialisme, Liberté, Égalité », malgré l’interdiction de leurs généraux5. Cette crainte de l’onde de choc des mutineries russes et de la contagion aux unités françaises explique en grande partie la volonté des Etats-Majors de les isoler en éloignant ces deux brigades russes tout d’abord dans les Vosges puis vers un camp de l’intérieur, situé à plusieurs centaines de kilomètres du front, dans la Creuse au camp de la Courtine le 26 juin 1917, faisant de ces soldats les otages de l’impérialisme français. Ils refusèrent de rendre leur arsenal militaire et par crainte d’une révolte armée, l’Etat-major le leur laissa. Les soldats exigèrent alors leur rapatriement immédiat en Russie. Durant les trois mois où ces mutins restèrent enfermés au camp de la Courtine, rejetant même les émissaires de Kerenski qui réclamaient la poursuite des combats, les réunions et les mots d’ordre contre la guerre impérialiste, pour le partage des terres en Russie et pour le pouvoir aux soviets, se succédèrent.
L’ambassadeur de France à Petrograd, Joseph Noulens, qui suivait l’affaire de près, en donna un tableau frappant dans ses mémoiresavec toute la morgue qui caractérisait les diplomates français : « Des moujiks d’une ignorance complète, venus du fin fond de l’Oural ou des rives de la Volga, péroraient à l’infini, tranchaient, décidaient non seulement sur les devoirs des officiers envers les soldats, l’administration des corps de troupes ou les problèmes tactiques, mais encore sur les buts de la guerre mondiale, sur l’impérialisme des gouvernements occidentaux, sur les droits de la France au Maroc et dans ses colonies »6
C’est au même moment, rappelons-le, que l’armée française fut touchée à son tour par une vague de mutineries d’une profondeur et d’une étendue sans précédent depuis août 1914. Ces soldats russes devinrent ainsi, si loin de leur terre natale, à l’exemple de leurs camarades qui se battaient en Russie, des bolchéviques.
« Réduire les hommes de la Courtine à l’obéissance » (général Kornilov)
Ces trois mois d’intense activité politique s’achevèrent lorsque l’assaut fut donné le 16 septembre à 10h sur les quelques dix mille mutins qui s’y trouvaient retranchés, le combat cessa le 19 septembre au matin. Plus de cinq mille autres soldats russes, restés aux ordres de leur commandement et complétés par des troupes et des munitions françaises, assiégèrent le camp. Les soldats avaient parfaitement compris que l’attaque était orchestrée par les autorités françaises maladivement antibolchéviques. Ce fut donc une véritable guerre antibolchévique à des milliers de kilomètres de la Russie. L’armée française, sous les ordres du général Comby dirigeant la XIIème région militaire, mobilisa elle-même 5000 soldats supplémentaires formant un deuxième cordon autour du camp au cas où les unités russes auraient failli dans leur tâche ignoble. En trois jours plus de 800 obus, fournis par l’armée française, furent tirés sur le camp. Le bilan officiellement reconnu par l’armée française (la Grande Muette) fut de neuf morts. Qui peut croire que 800 obus tirés durant trois jours n’auraient touchés que neuf soldats ? D’autres bilans recensent 600 hommes disparus de toutes les listes par la suite.7 Plusieurs centaines de soldats furent faits prisonniers, des dizaines de « meneurs », c’est-à-dire les dirigeants que les soldats s’étaient donnés, plus d’autres « fortes têtes » (au total, près de 250), furent emprisonnés loin de toute agitation à l’île d’Aix où ils restèrent jusqu’en 1920.
Malgré la répression, la dispersion des unités en de multiples détachements8, la déportation de milliers d’hommes en Algérie où, sous une discipline de fer, ils durent effectuer des travaux harassants pour le compte de l’Etat ou de riches colons, l’enfermement de ceux qui étaient suspectés de jouer un rôle d’agitateur et de meneur, la propagande contre-révolutionnaire incessante qu’ils subissaient, les anciens soldats du corps expéditionnaire russe devinrent les défenseurs déterminés de la révolution d’octobre.
« Les soldats russes avaient apporté une terrible contagion à travers les mers, dans leurs musettes de toile, dans les plis de leurs capotes et dans le secret de leur âme. »9.
II. La formation des néonazis ukrainiens au camp de la Courtine 2024.
Pourquoi avoir rappelé longuement les horreurs qui ont eu lieu au camp de la Courtine en cet automne 1917 ? Parce que 106 ans plus tard, c’est tout l’inverse qui s’y produit : mais le but est le même réduire les communistes au silence et favoriser une politique impérialiste.
Vidéo publiée par Zelenski sur son compte Instagram https://www.instagram.com/reel/Cv7pNgKuiea/
https://archive.ph/1V3p8 Automne 2023 : « Des hommes revêtus de treillis de l’armée française s’entraînent au champ de tir. » : cette phrase est issue d’un article de Médiapart, qui n’est vraiment réputé pour être un opposant déclaré du soutien à l’Ukraine, du 22 mai 202410. Le média rapporte la présence de plusieurs soldats ukrainiens néo-nazis en formation dans le camp militaire de La Courtine en Creuse. France 3 Limousin par ailleurs a pu suivre la formation d’un contingent lors de ce fameux stage. « La formation de quatre semaines s’achève avec l’assaut d’un village, une zone urbaine, où plusieurs unités de combat attaquent de manière coordonnée. »11 Ces soldats appartiennent à la 3e brigade d’assaut de l’armée ukrainienne, héritière du tristement célèbre régiment Azov. Le régiment Azov s’était fait connaître en 2014 lorsque ses quelques 800 combattants avaient contribué à reprendre la ville de Marioupol aux séparatistes prorusses en 2014. Dommage que le journaliste de Mediapart, Sébastien Bourdon, ait omis de préciser qui était le commandant en chef de cette brigade. Il s’agit d’Andriy Biletsky, qui fut le premier commandant du bataillon Azov et le dirigeant des organisations d’extrême droite, Assemblée sociale-nationale et Patriotes d’Ukraine. C’est lui qui a repris le commandement du régiment autonome d’opérations spéciales « Azov » depuis le 24 février 2022. C’est ce régiment qui a été engagé dans la bataille de Bakhmout depuis plus d’un an mais a dû revoir à la baisse ses ambitions militaires malgré l’aide massive des pays occidentaux.
Ce « sympathique » Andriy Bilestky – avec lequel le « grand démocrate » Zelenski pose sur une vidéo mise en ligne sur son compte Instagram le 14 août 202312 – avait déclaré en 2008 que la mission de l’Ukraine consistait à « mener les races blanches du monde dans une croisade finale… contre les Untermenschen (les sous hommes) dirigés par les Sémites.13 Et les simagrées des dirigeants ukrainiens et occidentaux pour tenter de faire croire que les liens d’Azov avec le national-socialisme se seraient dissous avec le temps ne tiennent absolument pas la route.
La preuve : dans les rangs de ce « groupe venu en France à la fin de l’année 2023 », détaille le journaliste Sébastien Bourdon,« d‘authentiques néonazis, une donnée que l’armée française ne pouvait ignorer : l’un portait le symbole de la SS tatoué sur le visage » […] Un couteau croisé avec une fleur sur l’extrémité de la joue, la formule « My princess » (« Ma princesse ») sur l’arcade sourcilière avec les deux dernières lettres (« ss ») accentuées, une faux sur l’autre arcade, mais surtout la rune de Sieg sur la tempe, celle-là même qui, doublée, forme l’emblème de la Schutzstaffel, la SS du régime national-socialiste ». Le journaliste a aussi obtenu des informations sur les autres membres du groupe présents au camp de Courtine. Saluts hitlériens, croix celtiques, emblèmes de plusieurs divisions SS, têtes de mort, fresque d’Adolf Hitler… Une demi-douzaine de ces soldats affiche ouvertement leurs accointances avec le national-socialisme. La Wolfsangel, la Rune du Loup qu’ils arborent fièrement, était rappelons-le, l’emblème de la Panzer division SS Das-Reich – celle-là même qui a rasé le village d’Oradour-sur-Glane et exterminé sa population le 10 juin 1944.
Le 9 mai 2022, Volodymyr Zelensky avait publié sur son compte Instagram une photo avec un soldat portant la tête de mort de la 3e Panzer division SS Totenkopf Et Macron sans aucune honte, est allé parader à Tulle et Oradour sur Glane, lors des commémorations des massacres commis dans ces deux villes, pérorant des trémolos dans la voix – auquel il nous a habitués avec toutes les commémorations – sur la nécessité de faire renaître « la sève de notre projet européen ». Projet dans lequel non seulement la France disparaîtrait mais projet dans lequel bien sûr il veut inclure la si démocratique Ukraine représentée par le bataillon Azov…. Tout comme le reste de la fausse « gauche » qui sans aucune culture historique ni politique, continue à réclamer à corps et à cris une aide militaire précieuse à ces courageux combattants du bataillon Azov. Le 14 juin 2024, Raphaël Glucksmann a expliqué sur France Inter : « ça a été un rapport de force idéologique, cela a été dur. Mais nous avons obtenu un engagement extrêmement clair sur les livraisons d’armes à l’Ukraine, sur les frontières de l’Ukraine, sur le soutien indéfectible de la résistance ukrainienne ». Bref, comme l’expliquait son père, le non-regretté André Glucksmann en son temps : « Je préfère succomber, avec mon enfant que j’aime, dans un échange nucléaire, plutôt que de l’imaginer entraîné vers quelque Sibérie planétaire.»14. Autrement dit vaut mieux que mon fils meure dans une déflagration atomique plutôt qu’il vive dans un pays communiste ! La boucle est bouclée : Papa en a rêvé, Fiston va le faire.
Puisque le Ministère des Armées revendique sur son site la formation comme étant « l’un des volets du soutien français avec la cession d’équipements et le soutien financier », ni Raphaël Glucksman, ni le chef de nos armées, en l’occurrence le sieur Macron ne songent à mettre en doute les valeurs soi-disant démocratiques des « valeureux combattants » du bataillon Azov. C’est ainsi qu’au total la France aurait formé environ 10 000 soldats ukrainiens dont 8 800 sur l’année 2023. Lorsque les journalistes de Mediapart ont demandé des explications au Ministère des armées, celui-ci a répondu avec la même morgue que les autorités françaises de 1917 : « Ce sont les forces armées ukrainiennes qui organisent le flux et la sélection des militaires ukrainiens envoyés en France et en Europe. Nous n’apportons donc pas de commentaire sur cette organisation. » Pas de commentaires. Circulez. Y a rien à voir.
Suite à la lecture de l’article de Médiapart, la députée LFI de la Creuse Catherine Couturier a tenu à exprimer dans un communiqué sa « plus ferme indignation face à ces révélations ». Elle souligne que « bien que la majorité de ces soldats ne partagent pas cette idéologie, nombre des soldats présents auraient ouvertement tenu des propos nazis sur les réseaux sociaux ». Elle a réclamé « des explications et des excuses » de la part du ministère des Armées. C’est bien gentil, mais LFI, à l’instar des autres partis réunis dans le soi-disant Front Populaire, a accepté « de s’engager sur les livraisons d’armes à l’Ukraine, sur les frontières de l’Ukraine, sur le soutien indéfectible de la résistance ukrainienne ». Alors ? Une seule chance de sortie : une France indépendante, démocratique pacifique et souveraine, affranchie de l’Europe suicidaire et de l’OTAN guerrier. Seul le PRCF est porteur de cet idéal de paix !
1 La mutinerie des soldats du corps expéditionnaire russe en France en 1917.
http://www.lacourtine1917.org/spip.php?article203
2 Léon Trotsky, Histoire de la révolution russe, « les masses exposées aux coups »,
https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr35.htm
3 Les châtiments corporels dans l’armée tsariste abolis en 1904 avaient été réintroduits à la veille de la première guerre mondiale, y compris le fouet.
4 Qui était devenue l’hymne national russe du gouvernement provisoire.
5 Trotsky écrit dans son Histoire de la révolution russe : « Les soldats des deux brigades russes, d’après l’officier Lissovsky, dès janvier 1917, par conséquent avant la révolution de février, étaient fermement persuadés d’avoir été vendus aux Français contre des munitions »,
https://www.marxists.org/francais/trotsky/livres/hrrusse/hrr35.htm
6 Joseph Noulens, Mon ambassade en Russie soviétique. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k1412383
7 Christian Bélingard, Limousin, Bordeaux, Éd. Sud-Ouest, 2006, p 48.
8 Selon Rémi Adam, Les révoltés de La Courtine. Histoire du corps expéditionnaire russe en France (1916-1920). Agone, 2020, 11 000 d’entre eux préférèrent – plutôt que de devoir retourner sur le front – être incorporés dans des compagnies de travail en France comme bûcherons, mineurs, ouvriers agricoles ou dans des usines, disséminés par petits détachements, sous le contrôle des autorités « ce furent deux années de travaux forcés, de privations, d’isolement, de surveillance et de brimades imposées par les autorités françaises. Mais elles furent marquées par le développement prodigieux de leur conscience révolutionnaire »
9 Léon Trotsky, ibidem.
10 https://www.mediapart.fr/journal/international/220524/l-armee-francaise-entraine-des-neonazis-ukrainiens-au-combat
11 https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/haute-vienne/limoges/video-les-images-exclusives-de-la-formation-des-soldats-ukrainiens-dans-les-camps-militaires-francais-2870936.html
12 https://www.lecanardrépublicain.net/spip.php?article1040
13 Ibidem.
14 André Glucksmann : La force du vertige, Grasset, 1984.