Par Gilda Guibert – Au début des années trente en Allemagne, la crise était là et bien là. Point d’empathie patronale à l’égard des masses ouvrières. Dès 1929, avant même le déclenchement de la crise en Allemagne, les patrons afin de gagner en compétitivité et accroître leurs marges, souhaitèrent l’allègement de la fiscalité des entreprises, ainsi qu’une sévère politique budgétaire avec compression des dépenses publiques. Le gouvernement SPD renonça donc aux hausses d’impôts prévues en 1923-1924 sur les hauts revenus et les profits (1,4 milliards de marks de réduction d’impôts pour les plus riches), mais augmenta les impôts indirects, taxa les produits de première nécessité et fit des coupes drastiques dans les toutes dépenses sociales (allocations chômage, logement, enseignement). Ces mesures d’austérité avaient été imposées par la BRI à Bâle en 1930 : l’ancêtre du FMI. Voilà qui n’est pas sans rappeler ce qui s’est passé en France et plus largement en Europe toutes ces dernières années.
Ce fut d’autant moins difficile que l’un des principaux représentants du syndicalisme, Fritz Tarnow, se prenant pour « un médecin au chevet du capitalisme », prônait, par ces sacrifices indispensables à l’intérêt national, « un mariage de raison avec les patrons ». Il faut donc rappeler à nos états-majors syndicaux la phrase de Krasucki : « La régression sociale ne se négocie pas, elle se combat ». Et rappeler aussi que les représentants de la République n’eurent aucun scrupule à bafouer ses lois en utilisant les moyens de faire passer leur volonté en dehors du cadre républicain. Ainsi Hindenburg a-t-il utilisé pas moins de soixante fois durant l’année 32 le fameux article 48 de la constitution qui lui permettait de statuer par décret plutôt que par la législation, tout comme notre tristement célèbre 49.3 utilisé pas moins de 23 fois par Mme Borne en deux ans de mandat, se rapprochant ainsi du record de Michel Rocard (28 fois) : quel bel esprit démocratique. La République était déjà étouffée avant d’être abattue.
Le sentiment « national » fut exacerbé par le grand magnat médiatique Alfred Hugenberg, dont Bolloré s’est très sûrement inspiré. Il lui fallait un nationaliste soutenu par les classes ouvrières qu’il saurait manipuler afin d’attiser le sentiment populaire de mécontentement. Adolf Hitler était le seul candidat correspondant à ce schéma et Hugenberg décida donc qu’il utiliserait le chef du parti nazi pour arriver à ses fins. En conséquence, le parti nazi devint durant toute cet automne et hiver 1929 le bénéficiaire des largesses de Hugenberg, à la fois en termes de dons monétaires et de couverture favorable de la presse appartenant à Hugenberg, exactement ce qui s’est passé une première fois avec la tentative (avortée) de Bolloré de nous coller Zemmour, et aujourd’hui Bardella, plus jeune et plus fringant…
Pour Hitler ce fut la reconnaissance de la force que représentait dorénavant son parti alors que l’année d’avant, en 1928, il ne représentait encore que 2,6% des voix ! Ces gens hauts placés semblaient enfin le reconnaître comme partenaire. Cette propagande gratuite « telle qu’on n’en avait encore jamais vu en Allemagne », permit au NSDAP fin 1929 de gagner des voix dans différentes villes (dont Berlin) ou différents états : En Thuringe il atteignit 10% des voix : soit trois fois plus qu’il n’en avait eu l’année précédente dans cet état. Mais malgré ces premiers succès électoraux le pouvoir central restait encore lointain puisque les prochaines élections du Reich devaient avoir lieu en 1932. La crise de 1929 et surtout l’aide accrue des dieux de la finance, de l’industrie et des Junkers, affolés devant les succès électoraux des communistes et désireux d’en finir avec la République de Weimar, permirent sa très rapide ascension. Sinon où aurait-il trouvé l’argent nécessaire pour les campagnes présidentielles et législatives de 1932 ? Les nazis ont collé des millions d’affiches, imprimé douze millions de numéros spéciaux de leur journal et organisé 3000 meetings. Pour la première fois, ils firent usage de films et de disques. Hitler utilisait un avion privé pour se rendre d’un meeting à l’autre. Les SA se déplaçaient par trains entiers et les dignitaires nazis paradaient dans de somptueuses Mercédès (pour un parti représentant les couches populaires !).
Mais les élites n’avaient pas oublié l’échec des putschs de Kapp en 1920 et d’Hitler en 1923. Elles avaient compris qu’il valait mieux procéder par étapes afin de ne pas permettre à la classe ouvrière de s’unir contre elles.
Celui qui l’a le mieux explicité ce fut Georges Dimitrov, lors du VIIè Congrès de l’Internationale communiste le 2 août 1935. « Avant l’instauration de la dictature fasciste, les gouvernements bourgeois passent ordinairement par une série d’étapes préparatoires et prennent une série de mesures réactionnaires contribuant à l’avènement direct du fascisme ». Et ce fut ainsi que sans hésiter ces gens-là plantèrent les derniers clous dans le cercueil de la démocratie, tout comme c’est sans hésiter que les dieux de la finance et de l’industrie d’aujourd’hui enterrent notre République née de la grande Révolution française afin de faire le grand saut fédéral européen, appelé de tous les vœux tant de Macron, de Bardella que de Glücksman et compagnie.
Les capitalistes font semblant de s’accommoder du système démocratique tant qu’ils peuvent y réaliser de juteux bénéfices, mais cela ne les empêche pas de rechercher dans le secret de leurs organisations (Bildenberg, Commission Trilatérale…) les moyens de gagner toujours plus en faisant plier de gré ou de force le prolétariat. Et s’il ne plie pas de gré, il pliera de force : c’est sans hésiter donc qu’ils contribueront par tous les moyens à l’installation d’un pouvoir dictatorial. Et si la paix ne leur permet plus de d’engranger de substantiels bénéfices, les riches sont prêts à se lancer dans des guerres aventureuses dans lesquelles comme disait Sartre « ce sont les pauvres qui meurent ».
Comme l’Allemagne de décembre 1932 ressemble à la France de 2024 : Hitler est arrivé au pouvoir avec 33% seulement des voix (après il en fut fini du système électoral). Si cette fois-ci, leur coup n’est pas entièrement réussi puisque Le R Haine n’a pas obtenu la majorité absolue – bien qu’il ait réalisé une effroyable percée – les capitalistes sont aux aguets pour les présidentielles, car la coalition dite du Nouveau Front Populaire ne pourra jamais, dans le cadre des règlements de l’Union européenne, appliquer passer son programme, comme l’écrit Mélenchon lui-même dans son ouvrage de 2021 L’Avenir en commun : « En effet, certaines règles européennes sont aujourd’hui incompatibles avec la mise en œuvre de notre programme ». Il donne ainsi raison au PRCF qui n’a eu de cesse de dire qu’il faut sortir de l’Union européenne, de l’Euro, de l’OTAN, du capitalisme en alliant les deux drapeaux : rouge et tricolore.
Soyons tous prêts, camarades, car RESISTER est un verbe que nous devons tous conjuguer au temps présent !