Nous reproduisons ci-après un argumentaire du COURRIEL adressé aux parlementaires contre la ratification de la charte européenne des langues régionales. La « tenaille » linguistique entre le tout-anglais et l’ethnicisation linguistique du territoire national est l’analogue pour la langue française de l’étau politique dans lequel notre peuple est pris par l’UMPS, l’UM’Pen et, désormais, les euro-régionaliseurs de la République, du type « bonnets rouges ».
Le Président de la République s’est engagé pendant la campagne présidentielle à faire ratifier la charte des langues régionales et minoritaires. Cette volonté a été confirmée par le premier Ministre Jean-Marc Ayrault qui souhaite profiter de la prochaine modification de la constitution pour introduire cette charte dans l’ordre juridique français et va rencontrer les différents partis prochainement dans cet objectif.
Si nous estimons que les langues régionales et minoritaires doivent être préservées, la ratification de la charte des langues régionales et minoritaires soulève d’inextricables difficultés et est contraire aux principes républicains.
Pour vous en convaincre et envisager les conséquences d’une ratification, nous allons nous appuyer sur deux documents qui donnent une idée des conséquences concrètes d’une telle ratification : la proposition de loi 3008 déposée 7 décembre 2010 à l’Assemblée nationale et le rapport 657 du 22 juin 2011 présenté au Sénat.
Un dispositif inutile
Le rapport susmentionné pointait la diversité des situations des différents langues concernées tant en termes de nombre de locuteurs que d’étendue géographique. En outre, la constitution a de fait confié la responsabilité des langues régionales aux collectivités locales en les introduisant dans la partie consacrée aux dites collectivités.
A cela il faut ajouter que les dispositions existantes permettent de proposer une offre déjà conséquente qu’il ne semble pas nécessaire d’accroître, ce à quoi s’ajoute une action importante de l’audiovisuel public.
En outre, l’investissement déjà fort de l’éducation nationale permet de répondre largement aux demandes exprimées. De même le service public de l’audiovisuel est également mobilisé à travers les contrats d’objectifs de France Télévision et Radio France.
Enfin, il convient de signaler que le coût potentiel des mesures énumérées par le texte pourrait se révéler extrêmement important pour des finances publiques.
Une application problématique
On peut citer ici quelques exemples où l’application du dispositif serait proprement quasi impossible à réaliser.
Dans le domaine juridique, l’application de la charte induirait l’obligation de traduire les dizaines de milliers de page de la loi française. On imagine combien cela serait coûteux, à supposer même que ce soit possible même à long terme. En outre, l’usage des langues régionales dans la vie commerciale serait source d’immenses difficultés : cela obligerait les tribunaux à traduire des documents en français avec toutes les difficultés inhérentes à ce genre d’exercice. Et quid du cas où les échanges se feraient, par exemple, entre l’Alsace et la Bretagne ?
De même, dans la fonction publique ou dans les assemblées délibérantes, la co-officialité supposerait que les personnels de l’état maîtrisent la langue régionale concernée. On imagine la difficulté : une même personne, en changeant d’affectation, devrait apprendre au cours de sa carrière une ou plusieurs langues régionales avec un degré de maîtrise suffisant pour faire face à la complexité des situations juridiques. Il est évident que cela s’avère parfaitement irréaliste.
Enfin, la volonté de rendre l’enseignement obligatoire (avec droit de refus de la part des parents) ou de créer un droit opposable à l’enseignement des langues régionales dans l’enseignement public semble tout aussi illusoire. Dans les deux cas, cela amènera l’enseignant à professer alternativement en deux langues, situation insupportable pour les enseignants ainsi que pour les enfants.
Un danger pour la République
La République française se définit comme une et indivisible. La ratification de la charte des langues régionales et minoritaires serait en contradiction avec ce principe puisqu’elle aboutirait à la création de droits collectifs et à la reconnaissance de minorités.
En outre, le fait d’enseigner en France dans une autre langue que le français apparaît particulièrement dangereuse dans la mesure où cela conduirait à faire de certains français de véritables étrangers les uns pour les autres par le biais de la langue. Ce serait la fin de la conception universaliste de la citoyenneté et l’éclatement des territoires de la Nation laquelle serait intégrée de facto dans une Europe fédéraliste des régions.
On peut noter, à ce propos, que l’ancien ministre de la Justice Robert Badinter s’est opposé à cette ratification, considérant que celle-ci « serait donner un fondement légal, sur la base d’une convention internationale, à la revendication collective des régionalistes les plus radicaux ».
Enfin, la France n’est pas le seul pays à ne pas avoir ratifié ou signé la charte : vingt-trois membres du Conseil de l’Europe ne l’ont pas fait y compris des pays comme l’Italie, le Portugal ou la Belgique dont nul ne saurait dénier le caractère démocratique. La non ratification ne constitue en rien une anomalie qui révélerait un mépris ou une détestation des langues régionales mais relève d’un choix politique que nul n’est contrait de faire sous peine d’indignité.
Un danger pour la langue française
La ratification de la Charte européenne serait en outre un nouveau coup porté à la langue française et à la francophonie internationale. Notre langue déjà harcelée, en France même, par les tenants du tout-anglais serait ainsi prise en tenaille entre le Business Globish en pleine expansion et les langues régionales. L’affaiblissement de fait du statut officiel du français ferait triompher les partisans de l’anglais, devenu « langue officielle de l’Europe ».
En fait, plus qu’un droit aux langues régionales, il s’agirait en réalité, bien davantage, d’un droit à ne pas parler le français, celui-ci devenant une langue parmi d’autres.
Conclusion
Inutile et problématique concrètement, la ratification de la charte est une erreur dramatique pour notre pays. La promotion des langues régionales est aujourd’hui assurée pleinement avec les dispositifs existants. Ce texte n’est pas un texte visant à protéger la diversité culturelle mais un texte politique qui vise à mettre à bas le modèle républicain français.
Développons notre patrimoine linguistique régional, enseignons-le avec les moyens nécessaires dans le cadre du service public de l’éducation et donnons les moyens financiers aux collectivités et aux associations de développer des initiatives sans pour autant créer des droits spécifiques pour des groupes particuliers de locuteurs.
Madame, Monsieur le(a) député(e), nonobstant l’engagement de campagne du Président de la République, voter ce changement de la constitution constituerait une grave atteinte aux fondements républicains de notre pays. Ainsi nous nous permettons de vous rappeler les conclusions de la plus haute cour de justice de notre pays.
Le Conseil constitutionnel en 1999, avait noté qu’en conférant « des droits spécifiques à des “ groupes ” de locuteurs de langues régionales ou minoritaires, à l’intérieur de “ territoires ” dans lesquels ces langues sont pratiquées, [cette Charte] porte atteinte aux principes constitutionnels d’indivisibilité de la République, d’égalité devant la loi et d’unicité du peuple français »
Prendrez-vous le risque d’une aussi grave rupture ? Nous sommes confiants dans votre sagesse et sommes convaincus qu’après mûre réflexion vous renoncerez à ce dramatique projet en votant contre ce texte lorsqu’il vous sera soumis.
Nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur le(a) député(e), nos plus respectueuses et républicaines salutations.
Ratifier la charte des langues régionales et minoritaires – Texte définitif 2
À l’occasion de la création en mars 2013, par Mme la Ministre de la culture et de la communication, d’un Comité consultatif sur les langues régionales, j’ai rédigé un document qui pose la question des langues régionales, « Charte ou loi ? ».
Arrêté le 24 mai, ce document en version papier, accompagné de lettres personnalisées, a été remis le lundi 27 aux services du courrier de l’Élysée, de l’hôtel Matignon, des Ministères de la culture et de la communication, de l’intérieur, de l’éducation nationale, de l’Assemblée nationale (pour 3 députés) et du Sénat (1 sénatrice).
J’en envoie la version .pdf à qui me donne son adresse de courriel.
En voici le résumé :
Depuis que M. Hollande a renoncé à « faire ratifier » le Charte européenne des langues régionales ou minoritaires, ceux qui réclament cette ratification se manifestent bruyamment. Mais au delà des arguments toujours ressassés, une approche pluridisciplinaire pourrait mieux éclairer le débat.
L’histoire, d’abord, montre que l’expansion du français a commencé il y a 750 ans sous St Louis, par le choix spontané des élites, même étrangères au royaume ; à partir de la Révolution, elle a résulté de la volonté politique d’en étendre l’avantage au peuple, dans un consensus général qui n’est remis en cause que depuis quelques décennies ; le déclin des langues locales en a été la conséquence, malgré leur entrée à l’école à partir du régime de Vichy.
La sociolinguistique montre les conditions de revitalisation des langues en présence d’une langue officielle ; partir d’une langue encore pratiquée par une proportion relativement importante de locuteurs effectifs est une condition nécessaire, mais pas suffisante.
Cela étant, les langues régionales de France ont un statut officiel, mal connu et peu mis en œuvre, notamment par les collectivités territoriales ; or depuis 2008, elles ont la responsabilité première de la conservation de leurs langues, donc de larges possibilités juridiques.
Une loi nouvelle ne parait pas indispensable dans l’immédiat, mais plutôt une circulaire récapitulant ce statut et suggérant des actions légalement possibles.
La Charte européenne ne prévoit rien pour les langues qui ne sont plus « pratiquées » ; et pour celles qui le sont, à moins de renoncer à quelques principes qui fondent notre droit public depuis plus de deux siècles et de s’engager à d’énormes dépenses qui paraitront vite intolérables, la Charte n’offre rien qui ne puisse être fait par une loi nationale. Il serait donc inutile et surtout dangereux de la ratifier.
Cordialement,
J.L.