Nous publions ci-après une interview de Frédéric Lordon, économiste, et son intervention dans l’émission de France Inter Là-bas si j’y suis du 2 et 3 avril dernier.
Comme nous l’avions déjà signalé, le PRCF apprécie positivement les dernières prises de positions d’un certain nombre de personnalités progressistes (François Ruffin, Jacques Sapir, Frédéric Lordon, Aurélien Bernier, etc.), sur des thèmes tels que la sortie de l’euro, la rupture avec l’Union européenne, la question de la souveraineté nationale et populaire. Que ces personnalités « médiatiques » rejoignent ce que le PRCF dit grosso modo depuis 10 ans, nous n’en sommes pas peu fiers ! Cela montre que notre ligne politique, patriotique, de classe, internationaliste et antifasciste, rencontre un écho et avance de plus en plus dans la gauche de gauche en allant à la rencontre de la réflexion propre de chercheurs et d’intellectuels de talent..
Doit-on préciser pour autant que nous ne partageons pas toujours à 100 % les analyses ou prises de position de ces camarades ? Non, cher Fredéric Lordon, l’internationalisme ne se résume pas aux rencontres ATTAC des années 1990. Oui, l’on peut (et l’on doit !) mêler patriotisme et internationalisme, combat de classe sans frontière et combat pour la souveraineté. D’ailleurs, Frédéric Lordon y vient dans son propos. F Ruffin et A Bernier le disent également. Mais il est vrai que pour nous, communistes, cette ligne politique n’est pas une nouveauté, nous ne l’avons pas inventée. Elle correspond au marxisme-léninisme de notre époque. D’ailleurs, dès 1997 dans son livre Mondialisation Communiste et Projet Communiste, le philosophe Georges Gastaud écrivait à propos de l’Union Européenne :
« Face à l’axe Berlin/Paris, forme moderne des traditions collaboratrices séculaires des bourgeoisies allemande et française, les travailleurs ont défendu l’intérêt national. La défense de la nation apparaît donc comme un enjeu de classe primordial: ce qui ne signifie pas que le combat de classe se réduise désormais à sa dimension strictement patriotique mais suppose au contraire que la survie de la nation face à la mondialisation capitaliste passe plus que jamais par l’abolition de l’exploitation capitaliste. Cette défense de la souveraineté nationale repose donc sur la solidarité de classe de tous les travailleurs d’Europe dont l’ennemi a deux visages: le cosmopolitisme maastrichtien et le chauvinisme réactionnaire. Mais pour pour battre ces deux « monstres » politiques, le prolétariat dispose aussi de deux armes maîtresses: le patriotisme populaire et républicain et l’internationalisme prolétarien. »
Extrait du livre de « Mondialisation capitaliste et projet communiste« , écrit par Georges Gastaud, le Temps des Cerises, 1997. Auteur également de Patriotisme et Internationnalisme. G Gastaud est secrétaire national du PRCF
Nous espérons que le mouvement social s’en saisira, en débattra, fraternellement, et participera à son évolution future.
Il en va de la responsabilité de chacun, face à l’offensive tous azimuts du capital et de ses armes de d’exploitation et de domination massive que sont l’UE et l’€uro, face à cette offensive relayée avec zèle en France par Sarkhollande, Ayrault et maintenant Valls, face à la fascisation qui monte, face aux menaces contre la paix, que les républicains sincères, les progressistes et bien entendu les communistes remettent les travailleurs à l’offensive. En se rassemblant en un puissant front du peuple ! En faisant front tous ensemble, pour la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN par la voie du progrès social, par la voie de la souveraineté populaire, par la voie de la défense et de l’extension des conquis du CNR aujourd’hui menacés de mort, par la voie d’un CNR 2.0. C’est d’ailleurs comme cela que l’on reprendra l’avantage dans la lutte des classes. Que l’on ouvrira la possibilité d’avancer vers le socialisme.
Vous noterez qu’à la fin de l’entretien, le journaliste de Marianne sans doute très mal renseigné (et pourtant, nous avons des raisons de penser que Marianne ne peut pas ignorer le PRCF…) indique que seul le FN défend la sortie de l’Euro. C’est doublement faux. Le FN n’est pas sérieusement pour la sortie de l’Euro. D’ailleurs lors de la campagne présidentielle, la présidente du FN questionnée par M Calvi avait répondu que non, elle ne sortirait pas de l’Euro mais négocierait. Mais,outre le PRCF qui depuis maintenant sa création il y a plus de 10 ans défend le mot d’ordre de sortir de l’UE, sortir de l’Euro, de l’OTAN et du capitalisme, il y a bien un large mouvement pour la sortie de l’UE, de l’Euro et de l’OTAN qui existe déjà. Le rassemblement des CPF, du M’PEP et du PRCF lançant ensemble l’Appel pour un nouveau CNR. Ou encore le mouvement de l’Appel des Assises du Communisme réunissant de très nombreux communistes – dont le PRCF – dans et hors du PCF organisés ou non, autour d’un appel à sortir de l’UE, de l’Euro, de l’OTAN et du capitalisme.
Frédéric Lordon indique que son objectif est de faire bouger le FdG sur ses questions. Le PRCF, dans un esprit unitaire et de responsabilité, n’a jamais cessé d’interpeller dirigeants et militants du FdG à ce sujet, à réclamer que puisse se tenir ce débat. Mais quoi de plus efficace pour faire bouger les lignes que de porter ensemble et en même temps ces arguments et ces analyses que nous sommes de plus nombreux à partager. Les militants du PRCF y sont prets, ils y travaillent. Alors, chiche on organise ensemble un large débat très ouvert sur « l’euro, l’UE, en sortir par la voie progressiste » ??
Ecouter Frédéric Lordon chez D Mermet :
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2972
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=2973
Interview de F Lordon suite à la publication de son livre Malfaçon
Marianne : Le débat que nous allons avoir n’a pas besoin de faire le procès de l’euro. Nous tenons pour acquis que la monnaie unique, telle qu’elle a été instituée, dysfonctionne, que les règles qui la gouvernent sont, comme vous l’affirmez, «intrinsèquement stupides». Ce qui nous intéresse d’abord, c’est que vous présentez la crise comme «politique avant d’être économique»…
Frédéric Lordon : En effet, je ne situe pas l’enjeu majeur de la sortie de l’euro dans une stratégie économique de dévaluation du change mais dans une entreprise politique de restauration de la souveraineté. Dont la monnaie unique a opéré une invraisemblable destruction. Il faut d’abord y voir l’effet de l’ordolibéralisme allemand [courant libéral apparu dans les années 30] pour lequel le caractère souverain des politiques publiques est une abomination de principe, l’arbitraire et la déraison étatiques par excellence. Sans surprise, c’est en matière de politique monétaire que cette phobie a été portée à son plus haut point. Imposée telle quelle à l’Europe par l’Allemagne, elle a conduit à un modèle qui asservit la conduite des politiques économiques à des règles a priori, celles des traités. Mais dans «politique économique» il y a bien «politique» ! Terme qui se trouve pourtant purement et simplement annulé par réduction à une automatique de la «stabilité». Pour faire bonne mesure, l’Allemagne, anticipant non sans raison que les règles pouvaient être violées, a obtenu que les politiques économiques soient exposées au jugement permanent des marchés de capitaux, instance disciplinaire à la puissance sans équivalent et infaillible garante du respect des normes de l’orthodoxie, le nom convenable dont s’habillent les intérêts de la rente. Les tares économiques de cette construction sont maintenant parfaitement connues. Mais ses tares politiques sont bien pires. L’ordolibéralisme euro-allemand a eu pour effet de barrer l’essence même de la souveraineté politique. Et l’Europe présente nous oblige à répondre à cette question : acceptons-nous de vivre dans un monde d’où toute substance politique a été retirée ?
A vous entendre, on a changé de régime, passant de la souveraineté au pouvoir du capital. Or, on n’a pas l’impression que les buts poursuivis par les gouvernements et les majorités différaient fondamentalement d’aujourd’hui. Le personnel politique du «monde d’avant» est toujours en place. Nous serions passés en dix ans de la lumière à l’ombre. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
F.L. : Comme souvent, le paradoxe n’est qu’apparent. Il est tout à fait exact que les orientations présentes de la politique économique française sont en place depuis les années 80, et, en cela, ne doivent rien à l’union monétaire, qui les a redéployées dans son cadre propre. Mais avec une différence radicale : en leur donnant un caractère non seulement supranational mais constitutionnel ! La tare congénitale de l’euro se tient précisément ici : dans le fait d’avoir constitutionnalisé des contenus de politiques publiques, économique et monétaire en l’occurrence. Rêve néolibéral assurément, mais monstruosité scandaleuse à quiconque conserve un peu de sens aux mots de «souveraineté démocratique». On constitutionnalise les principes généraux de l’organisation des pouvoirs publics, ou bien des droits fondamentaux. Mais la sanctuarisation irréversible, sous la norme juridique la plus haute, donc la moins atteignable, de ce que doivent être et de ce que doivent faire les politiques publiques, c’est une infamie qui ruine jusqu’à l’idée même de modernité politique. Il nous reste donc le loisir d’organiser à notre guise la flicaille et les Vélib’. Mais de ce qui pèse le plus lourdement sur les conditions d’existence de la population, les politiques économiques, nous ne pouvons plus discuter : les réponses sont déjà tout écrites et enfermées dans d’inaccessibles traités. C’est une monstruosité politique contre laquelle il faut redire que la démocratie consiste dans le droit irrécusable à la réversibilité, à la possibilité permanente et inconditionnelle de la remise en jeu, dans le cadre de la délibération politique ordinaire. La montée générale des extrêmes droites n’est pas autre chose qu’une pathologie réactionnelle, qui doit tout ou presque à cette atteinte fondamentale à la conception que les collectivités politiques se font d’elles-mêmes comme communautés de destin souveraines.
Vous affirmez donc qu’il faut retrouver la souveraineté. Et, dites-vous, «c’est plus facile dans le cadre national, qu’au niveau européen». Certes, mais on ne parle pas de la même échelle. Au niveau national, on récupérerait les instruments de pouvoir d’un pays de 65 millions d’habitants. Au niveau de la zone euro, de la puissance de feu de 324 millions d’âmes. Par exemple, un protectionnisme européen serait plus productif vis-à-vis du reste du monde qu’un protectionnisme national…
F.L. : Je soutiens en effet que la base nationale a pour rustique vertu que les structures institutionnelles et symboliques de la souveraineté y sont là, tout armées, et prêtes à être instantanément réactivées en cas de besoin. Cependant, qu’une stratégie de protectionnisme à l’échelle européenne soit plus efficace, j’en conviens sans la moindre difficulté. Mais en principe seulement. Car, en pratique, qui peut imaginer un seul instant qu’une Commission intoxiquée de libre-échangisme jusqu’au trognon puisse jamais vouloir une chose pareille ? A moins, bien sûr, qu’il ne se produise une miraculeuse unanimité intergouvernementale pour le vouloir à sa place… Mais, si votre question est plus largement celle de la sortie «par le haut» d’un fédéralisme européen souverain, il y a malheureusement loin de l’idée générale à sa réalisation.
Certes, mais qui est réticent ? Les Allemands ? Non ! Ce sont les Français qui refusent constamment les propositions des Allemands pour rétablir un niveau de souveraineté au niveau européen. Jacques Chirac et Lionel Jospin ont refusé en 2000 les propositions démocratiques de Joschka Fischer. La Cour constitutionnelle de Karlsruhe affirme périodiquement que l’on ne peut pas continuer à gouverner la zone euro sans le consentement des citoyens et demande un saut démocratique…
F.L. : Que l’Allemagne soit plus allante – très relativement – que la France pour se diriger vers un fédéralisme européen, ça ne m’est pas coûteux non plus de l’accorder. Mais quel fédéralisme l’Allemagne a-t-elle en tête exactement ? Comment imaginer qu’elle puisse le concevoir autrement qu’en y reconduisant l’absolu sine qua non du modèle de politique économique qu’elle a imposé à l’Europe, et dont elle a fait, dès le début, la condition non négociable de toute participation ?
L’idée d’un fédéralisme européen est très aimable en principe, mais ses défenseurs oublient systématiquement de s’interroger sur ses conditions de possibilité. Or on ne s’en tirera pas avec un simple bricolage institutionnel qui penserait avoir fait de la politique en posant une nouvelle chambre dotée de quelques prérogatives élargies au milieu de nulle part. Cette croyance formaliste, à laquelle le philosophe Jürgen Habermas a donné le nom de «patriotisme constitutionnel», est pour l’heure une chimère. Car les institutions n’instituent pas leurs propres prérequis, et notamment celui qui garantit un fond de communauté tel que pourra s’appliquer une loi de la majorité européenne, à laquelle une minorité consentira à se soumettre sans avoir aussitôt envie de faire sécession. Or, voici l’expérience de pensée à laquelle je conditionne toute idée fédéraliste européenne : l’Allemagne accepterait-elle, non seulement que soient réintégrées dans le périmètre de la délibération démocratique ordinaire toutes les matières qu’elle s’est évertuée à sanctuariser dans les traités, mais aussi d’être mise en minorité si d’aventure la démocratie européenne décidait de revenir sur l’indépendance de la banque centrale, de monétiser les déficits ou de rompre avec l’obsession anti-inflationniste ? Tant qu’on n’aura pas prouvé que la réponse à cette question peut être positive, l’idée de fédéralisme européen demeurera une abstraction politique nulle et non avenue.
La réponse est non aujourd’hui. Mais les choses changent historiquement. Les Allemands bougent, certes lentement et sans entrain, mais les majorités successives outre-Rhin ont toujours fait le pas nécessaire. Rien ne dit par exemple que la Cour de Karlsruhe ne finisse pas par accepter le soutien que la BCE de Mario Draghi a apporté aux Etats en difficulté… Vous désespérez un peu vite !
F.L. : Comme toute société, l’Allemagne évolue et ses invariants symboliques de longue période (pas si longue d’ailleurs, tout ça ne remonte jamais qu’aux années 20) finiront évidemment par changer, en matière monétaire comme pour le reste. Mais la question est ici toute concrète : quand ? Des peuples crèvent et l’urgence est extrême. Le seul accélérateur de l’histoire possible viendrait de ce que l’Allemagne, à son tour, se mette à souffrir des dégâts que ses principes infligent à toute l’Europe. Eventualité improbable cependant, car les principes allemands sont… adéquats à l’économie allemande !
Certains critiques de l’euro affirment qu’il faut «casser l’euro pour sauver l’Europe». Mais ce n’est pas votre propos : votre projet de monnaie commune, alternative à l’euro, exclut l’Allemagne, et de fait ses satellites : Autriche, Pays-Bas, Finlande, Belgique. Une Europe sans ces pays, ce n’est pas l’Europe…
F.L. : Oui, la monnaie commune se ferait, dans un premier temps, sans l’Allemagne ni ses satellites. Le projet européen y survivrait-il, comme à une sortie unilatérale de l’euro, d’ailleurs ? Je ne sais pas, et, pour tout vous dire, c’est une question que je ne trouve pas très importante. Ou plutôt que je trouve mal posée telle quelle. Il faut en finir avec ce fétichisme européen, qui cherche à «faire l’Europe» sans jamais s’interroger sur les conditions de possibilité politiques de ses lubies successives. Et il faut en finir aussi avec ces imprécations, moitié débiles, moitié hallucinées, qui nous promettent l’enfermement façon forteresse et la régression obsidionale en cas d’abandon de l’euro, comme si la France d’avant l’euro, comme si les 170 nations hors Union européenne n’étaient que des Corée du Nord. La bêtise d’une certaine éditocratie est sans fond. Il n’y a que des avantages à cesser de poursuivre des fantasmes de constructions mal conçues, pensée défectueuse qui a produit suffisamment de désastres pour qu’on s’en avise. On peut ne pas faire monnaie unique ni libre-échange sans rivage, et pourtant continuer d’approfondir tous les autres liens entre peuples, précisément en déshérence aujourd’hui : scientifiques, artistiques, éducatifs, culturels. Incroyable : il y a une vie possible entre les nations hors la circulation des marchandises et des capitaux !
Reste une question politique. Vos propositions, comme celles de Jacques Sapir, ne sont portées que par une formation en France, à l’extrême droite, dont vous dites que vous «l’exécrez». Vous-même, vous êtes pour la sortie du capitalisme. Alors êtes-vous «l’idiot utile» du Front national, c’est-à-dire un homme aux convictions sincères mais qui fournit à d’autres les marrons à retirer du feu ? Que faire pour ne pas être récupéré ?
F.L. : A part répéter que l’entreprise politique du FN m’est odieuse, rien. Ou plutôt si : refuser à toute force la démission intellectuelle et politique qui consent à se laisser dépouiller de tout – euro, mais aussi critique de la finance, et même lutte des classes ! – dès lors que le FN y a mis ses pattes sales. Les idiots utiles me semblent plutôt à trouver du côté des tenants de cette désertion qui a pour effet de laisser au FN le monopole et de la critique et de la défiguration de la critique. Si mon travail a un sens politique, c’est bien celui de lui ravir ce monopole, que d’autres partis, le Front de gauche notamment, s’emparent de ces idées et nous délivrent de ce fléau où d’ailleurs l’européisme abstrait trouve désormais son premier et dernier argument. Car les alliances objectives ne sont pas toujours celles qu’on croit.