Cession du Doliprane : faut-il exproprier Sanofi ?
Ce jeudi 24 octobre 2024, afin de calmer la presse et les gueux, le gouvernement a organisé une grande opération de communication (1) : une audition de la présidente de Sanofi France, pour lui donner l’occasion de se trouver des excuses, et pour donner également une occasion aux députés, soit de se donner une image de défenseur du menu peuple, soit de défenseur de “nos entreprises” (pas la mienne), de “notre compétitivité” (pas la mienne non plus), etc. Bref, tout le monde est content. “Win-win”, comme disent les vieux (ndlr gagnant gagnant en Wall Street english).
Parce-que la question a de quoi énerver. Sanofi souhaite se concentrer sur les médicaments les plus rentables : les nouveaux anticorps monoclonaux, dont le marché est estimé à 8 milliards de dollars en France (2) et qui peuvent monter jusqu’à 11 480€ le flacon de Yervoy (et si vous pesez plus de 66 kg, il vous en faudra deux !) (3). Ces anticorps pèsent déjà pour 4,5% des dépenses de l’Assurance Maladie (2), un pactole juteux comme une mangue bien mûre.
Pour ce faire, Sanofi a une stratégie : revendre la production des molécules moins rentables, voire pas rentables, comme le Doliprane touché par des pénuries, que Sanofi a déjà regroupées dans une filiale destinée à ces petites opérations, Opella, à un fonds de pension Américain, CD&R, pour la modique somme de 16 milliards d’euros.
- le dossier spécial Sanofi d’IC : cliquez pour accéder à une quinzaine d’articles
- Plan de licenciement chez SANOFI : » il faut que l’industrie pharmaceutique nous appartienne. » Entretien avec le délégué CGT SANOFI.
- Grève historique pour les salaires : l’entretien avec Jean Loup Peryen de Fadi Kassem (CGT Sanofi)
Premier problème : aucune réelle garantie de maintien d’emploi si ce n’est une petite amende si CD&R décide de délocaliser (en sachant que Sanofi en est à son quatrième plan de licenciement en 10 ans). Deuxième problème : la vente aurait dû revenir à un concurrent, mais CD&R a proposé à la présidente d’Opella un “management package” de 200 millions d’euros. En français, ça veut dire que si la PDG pousse la vente de sa boite à CD&R, elle touchera personnellement 200 millions d’euros. Certains pourraient être tentés de traduire cela sous l’horrible mot de corruption. Enfin, la corruption, c’est pour les autres pays, les plus pauvres. Nous, on est plus civilisés, on fait pareil, mais on appelle ça autrement.
Durant cette audition donc, plusieurs orateurs ont profité de l’occasion. Mathilde Panot (LFI) a fait une très belle intervention, et il est bien dommage de savoir qu’elle peut être aussi incisive face à Mme Duval lorsqu’on la voit roucouler devant l’Union européenne ou les aides à l’Ukraine. Critiquer les décisions libérales d’une entreprise pharmaceutique tout en défendant la participation réformiste à une UE irréformable qui pilote la destruction de notre système de santé, ça ne manque pas d’air.
Mais la palme de l’hypocrisie revient à Alexandre Loubet, député du “Rassemblement” “national”, qui a tenté de se faire passer pour le grand pourfendeur du CAC 40, alors que le lendemain même il a personnellement et en coordination avec son groupe et la Macronie refusé d’adopter l’amendement n° 2277 du PLF qui proposait de taxer sérieusement les recettes des entreprises qui font plus de 3 milliards de chiffres d’affaires, et dont Sanofi fait bien évidemment partie (4).
Face aux accusations de tous bords, Mme Duval s’est défendue comme elle l’a pu : comme une élève de CM2, dépassée, répétant des éléments de langage creux, répondant à côté des questions, et jouant les offusquées lorsque la question du management option est soulevée, jouant la carte du sexisme (les féministes apprécieront). La présidente de la commission, à ses cotés, a même dû la réconforter plusieurs fois, en lui disant qu’elle savait bien que c’était un exercice difficile (mais le salaire console et c’est pas la honte qui la tue), et en la remerciant pour ses éclairages (lesquels ?).
Heureusement, elle a pu compter sur l’intervention de Thomas Lam pour Horizons qui a défendu l’intérêt du rachat pour injecter de l’investissement (dont les bénéfices reviendront aux investisseurs… états-uniens), et espère un “développement vers de nouveaux marchés, de nouveaux clients”.
Mais de quoi parle-t-on ? Développer de nouveaux marchés ? Trouver de nouveaux clients ? Nous parlons de médicaments ! De produits vitaux pour les enfants et les vieillards malades ! M. Lam souhaite-t-il que nous créions de nouveaux malades pour que Sanofi puisse conquérir ce marché ? Laissons-faire ce système et c’est toute la France qui sera en état de mort clinique !
La vraie question n’est pas “devons-nous exproprier Sanofi ?”, mais “quand enfin allons-nous exproprier Sanofi ?”
Alors face à toutes ces discussions, le verdict doit tomber : on bloque ou on ne bloque pas cet accord ? Non, pas ce verdict-là. Cette histoire n’est qu’une énième histoire dont M. Lam nous compte la trame : l’histoire des bénéfices exceptionnels du privé (70 milliards de chiffre d’affaires en France ! (5)) sur des produits qui ne sont ni un moyen de spéculer ni de faire pression : les produits de santé qui dans une société civilisée doivent être accessibles à tous ceux qui en ont besoin.
La grande bourgeoisie s’est gavée pendant des siècles sur ces produits de première nécessité. La vraie question n’est pas “devons-nous exproprier Sanofi ?”, mais “quand enfin allons-nous exproprier Sanofi ?”, car cette situation morbide n’a que trop duré. Le crime de s’enrichir sur le dos des malades doit être puni d’emprisonnement et Mme Duval sera bien contente d’être mise au chômage avant que cette loi entre en vigueur, elle bénéficiera de la clémence du peuple.
La nationalisation de tout le système de santé est une question de santé publique pour assurer l’égalité d’accès au soin, la réduction des coûts de santé, et le retour du plein emploi via la réindustrialisation qu’elle occasionnera. Cette idée vient même petit à petit à l’Académie nationale de médecine qui ne supporte plus que des traitements aussi prometteurs que les nouvelles biothérapies soient vendus à des prix dignes des mafieux par des groupes qui se cachent derrière le prétendu important investissement en recherche et développement qu’ont nécessité ces traitements, alors qu’ils n’ont fait que réduire leurs effectifs de chercheurs depuis des années (6). Alors écoutez votre médecin.
Contre le capitalisme terminal, un seul traitement, le socialisme radical !
Commission Santé PRCF – le 30 octobre 2024
- https://www.youtube.com/live/2WqqpdyBefk?si=9vR7kg-a91ef08Nc
- https://www.medecinesciences.org/en/articles/medsci/full_html/2019/12/msc190283/msc190283.html
- https://www.vidal.fr/medicaments/yervoy-5-mg-ml-sol-diluer-p-perf-108942.html#prescription-delivrance-prise-en-charge
- https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/17/scrutins/122
- https://youtu.be/TLUs1jeHZwI?si=ElAT023cr3m2Lr4t
- https://francais.medscape.com/voirarticle/3610810?form=fpf
Définition de la corruption selon l’agence française anti-corruption : à chacun de se faire son idée
Corruption
Articles 432-11 et s, 433-1 1° et s, 434-9 et s, 435-1 et s, 445-1 et s du Code pénal
La corruption est une infraction ancienne (déjà visée dans le code pénal de 1810), qui a longtemps été unique dans la catégorie des manquements au devoir de probité, avant l’ajout du trafic d’influence à la fin du XIXe siècle.
Elle vise le comportement par lequel sont sollicités, acceptés, reçus des offres, promesses, dons ou présents proposés à des fins d’accomplissement ou d’abstention d’un acte, d’obtention de faveurs ou d’avantages particuliers.
L’infraction n’a cessé au fil des années, de voir son champ d’application étendu : fonctionnaires, agents publics étrangers, élus, mais aussi personnes travaillant dans le secteur privé.
La corruption active et la corruption passive sont deux infractions complémentaires mais autonomes. Les agissements du corrupteur (corruption active) et ceux du corrompu (corruption passive) peuvent être poursuivis et jugés séparément et la répression de l’un n’est nullement subordonnée à la sanction de l’autre.
En fait, le corrompu accepte, des promesses, des présents des dons et peut même les solliciter alors que le corrupteur, offre des présents et des dons, fait des promesses jusqu’à céder aux sollicitations du corrompu en lui remettant l’objet de la corruption.
Quelques exemples tirés de la jurisprudence :
- un agent d’un ministère qui sollicite et reçoit des dons de sinistrés pour contrôler leurs dossiers, et les remettre ensuite au service d’ordonnancement des fonds
- un vice-président du conseil départemental et président de la commission d’appel d’offres qui exige de certaines entreprises candidates à l’attribution du marché le versement direct ou indirect de sommes d’argent, ou la prise en charge de certaines dépenses personnelles
- un élu qui sollicite des fonds destinés au financement d’activités politiques
- un salarié chargé de négocier les meilleurs tarifs auprès des fournisseurs de son employeur qui obtient de fausses ristournes sur lesquelles il perçoit des commissions
- un magistrat qui, en s’affranchissant du secret que lui imposent ses fonctions, divulgue des pièces contenant des informations confidentielles sur une instance en cours contre la promesse d’embauche d’un ami
- le versement par le directeur d’une filiale de pots-de-vin pouvant aller jusqu’à 455 000€ et la remise comme cadeaux de montres d’une grande marque de luxe à des agents publics étrangers en marge d’un contrat
- le fait pour le dirigeant d’une société d’offrir une somme d’argent à un inspecteur de police pour qu’il s’abstienne de dresser un procès-verbal
- un policier qui annulait le procès-verbal moyennant des faveurs sexuelles
- un membre du corps préfectoral qui promet d’accélérer le traitement d’une demande d’autorisation moyennant une enveloppe de 200 000€