Ci-après le témoignage et l’analyse d’un camarade cheminot d’Annemasse, Philippe Gauthier, à l’occasion de la journée d’action confédérale du 26 juin qui exprime à la fois la fierté mais aussi l’amertume d’un militant, en même temps que la farouche volonté de poursuivre la lutte.
Intervention journée confédérale du 26 juin 2014
Bonjour à tous,
Normalement, j’aurais du prendre la parole aujourd’hui en tant que cheminot gréviste. Normalement nous aurions dû nous retrouver aujourd’hui tous ensemble sur le Pâquier pour une convergence des luttes qui est l’essence même de la CGT.
Plusieurs fédérations avaient déposé des préavis de grève en ce mois de juin 2014, cette journée d’action aurait dû être une réussite, malheureusement elle ne l’est pas. Si la CGT n’est plus en capacité de fédérer les luttes, c’est qu’il y a un problème. Les salariés de ce pays voient jour après jour, leurs droits les plus fondamentaux attaqués de toute part. Les partis politiques qui se succèdent et qui font office de gouvernants trahissent la classe ouvrière sans aucun scrupule au nom du dogme libéral européen. Si la classe ouvrière ne s’organise pas, si l’organisation syndicale sensée l’aider ne joue plus ce rôle, alors comment allons-nous pouvoir combattre la régression sociale ?
Le service public ferroviaire est mort ce mardi 24 juin. La très grande majorité de la classe politique française l’a décidé ainsi. Le parti socialiste, les verts, les radicaux de gauche et l’UDI ont voté à l’unisson ce projet de loi. L’UMP qui trouvait que cette réforme n’allait pas assez loin à son goût, a voté contre, tout en s’assurant au préalable, qu’elle passerait. C’est aussi ça la noblesse de la tambouille politicienne. Ce qui est plus préoccupant, c’est que certains élus, certains partis politiques réputés proches de nous se sont abstenus, ne se sont pas beaucoup exprimés alors qu’ils avaient l’habitude de le faire ou ont eu même le culot de proposer des amendements peu significatifs, par rapport à l’enjeu, comme une petite victoire. Les cheminots en grève ne se sont pas laissés duper. Ce qu’ils ont compris, c’est que les partis politiques de gauche représentés à l’assemblée nationale les ont soit trahi soit abandonné lors de cette lutte.
Nous les cheminots en grève nous nous sommes sentis seuls pour défendre le service public ferroviaire. Et pourtant, notre lutte était et reste légitime. Nous nous sommes battus quatorze jours durant contre une réforme du ferroviaire destructrice pour le service public. Depuis quelques années déjà nous interpellions notre direction et le gouvernement contre la dégradation savamment orchestrée d’un service public essentiel, le service public ferroviaire.
Au nom du libéralisme européen, le gouvernement par l’intermédiaire de son ministre des transports Mr Cuvillier et la direction de la SNCF représentée, elle, par Guillaume Pepy essaient de démanteler les chemins de fer français. Le but non avoué de cette réforme est la privatisation de la SNCF. Après s’être attaqués à EDF, France Télécom et la Poste, le gouvernement et l’Europe veulent privatiser la SNCF.
A chaque fois la méthode est la même. La concurrence serait saine pour les citoyens. Elle permettrait de faire baisser les prix et d’avoir un meilleur service. Qui aujourd’hui peut oser dire que les tarifs de gaz et d’électricité ont baissé depuis l’ouverture à la concurrence ? Il suffit de regarder sa facture augmenter toutes les années.
Pouvons-nous continuer à accepter que des services publics soient dégradés sous des prétextes fallacieux et que les citoyens soient eux aussi victimes de cette privatisation rampante ? Nous cheminots, nous entendons régulièrement : « vivement que vous soyez privatisés ». La privatisation n’améliorera pas le système ferroviaire, pire, elle le dégradera et ce, dans des conditions que vous ne pouvez même pas imaginer.
Depuis 1997, date de la création de RFF, le fait d’avoir séparé la SNCF et son réseau, fait que les rénovations de lignes ne sont plus faites dans les temps. On préfère abaisser la vitesse sur certaines lignes plutôt que de les réparer. On préfère supprimer des trains pour les remplacer par des bus alors que la pollution aux particules fines est très forte en Haute-Savoie. La séparation par activités mise en place par la direction de la SNCF est responsable de nombreux dysfonctionnements. Impossibilité de faire rouler un train si le conducteur pourtant disponible n’est pas habilité. Correspondances de moins en moins assurées, etc., etc.
La liste est longue, malheureusement trop longue. Qui paie le prix de ces dysfonctionnements sur le terrain ? Ce sont nous, les cheminots, qui défendons un service public ferroviaire de qualité, qui subissons le mécontentement des usagers !!! Les cheminots sont attachés à leur entreprise. Notre fierté est de faire rouler les trains en temps et en heure. Notre fierté est notre savoir-faire qui permet de faire rouler les trains en toute sécurité. Il est très difficile pour nous, de voir tous les jours notre direction contribuer à la désorganisation de la SNCF par des réformes successives qui mèneront inévitablement à la privatisation de celle-ci. L’accident de Brétigny qui a couté la vie à 7 personnes et fait 32 blessés en est le parfait exemple.
Même si je ne peux pas présager du verdict du procès à venir, un rapport accablant contre la direction de la SNCF vient mettre en avant la négligence de l’entretien d’une partie de la voie ferrée. En effet la réduction du personnel cheminot, voir la sous-traitance ne permettent plus dans certains endroits de réparer correctement le réseau. Voulez-vous que les catastrophes ferroviaires se multiplient ? Voulez-vous que l’expérience désastreuse du chemin de fer anglais se reproduise en France ? Les cheminots ne le voulaient pas et se sont battus jusqu’au bout pour l’empêcher.
La communication du ministre des transports et de la direction de la SNCF a été fine. Elle consistait à faire croire aux citoyens que le transport ferroviaire serait réunifié si la réforme passait, c’était un mensonge ! Elle consistait à faire croire que la SNCF resterait une entreprise publique si la réforme passait, c’était encore un mensonge ! La réforme est passée, la SNCF deviendra à plus ou moins long terme une entreprise privée qui n’aura que pour seule logique : dégager des profits. Les effectifs seront réduits à peau de chagrin, l’entretien du réseau sera négligé et inévitablement les accidents ferroviaires augmenteront.
Les cheminots en grève se battaient contre ça. Je ne sais pas s’il y a des journalistes avec nous, aujourd’hui. J’ai honte de la façon dont ils nous ont traités pendant ce conflit. Ils n’ont jamais retranscrit les vrais enjeux de cette réforme, ils ont préféré avancer la caricature du cheminot privilégié et protégé. Comment une profession peut-elle relayer les mensonges du gouvernement et de la direction de la SNCF sans poser sur la table les vrais enjeux de cette réforme. Le traitement médiatique que nous avons subi lors de ce conflit, et je pèse mes mots, est scandaleux.
Presque aucun article sur la « Voie du service public », l’autre réforme du ferroviaire proposée par la CGT, qui est compatible avec le 4ème paquet ferroviaire européen. Sur les blogs des grands journaux il n’y avait que des gens qui nous insultaient. Où étaient ceux qui nous soutiennent ? Il en existe mais on ne les a pas entendu. La CGT et Sud Rail ont demandé la tenue d’un débat télévisé au ministre Cuvillier pour pouvoir exposer les vrais enjeux de cette réforme, il a été refusé ! Ne soyons pas dupes, les chaines de télévisions, les journaux sont tous tenus par les grands patrons du CAC 40.
Les mêmes qui licencient à tours de bras, les mêmes qui délocalisent sans aucun scrupule. Ces patrons n’aiment pas les citoyens qui défendent le service public et leurs conditions de travail. Ils ont bien compris qu’avoir la mainmise sur les médias leur permet de véhiculer de fausses informations ou de faire de la rétention d’informations.
Comment expliquer que le 22 mai dernier alors que 22 000 cheminots manifestaient à Paris pour une autre réforme du ferroviaire, aucun, je dis bien aucun média, n’ait relayé l’information !!! Je ne parle même pas des chiffres de grévistes erronés communiqués par la direction de la SNCF qui tournaient en boucle sur les chaines d’infos. Que dire des prévisions de circulations communiquées par la SNCF et retranscrites comme des trains qui roulaient alors que c’était des bus. Je le dis tout simplement, j’ai parfois honte de voir comment est retranscrite l’information dans notre pays.
La position des autres organisations syndicales sur la réforme du ferroviaire est inacceptable. La CFDT et l’UNSA ont choisi délibérément d’accepter cette réforme qui privatisera la SNCF et dégradera fortement les conditions de travail. Je rappelle quand même que les conditions de travail des cheminots actuelles sont garantes de la santé physique et mentale des cheminots et donc garantes de la sécurité des circulations. Ces deux organisations devront répondre de leurs choix devant les cheminots et les citoyens maintenant que cette réforme est passée.
Aujourd’hui, je suis partagé entre deux sentiments : l’amertume et la fierté. Je suis amer car, dans beaucoup d’endroits, les cheminots grévistes avaient su s’organiser et expliquer aux non-grévistes de rejoindre le mouvement. Alors que notre lutte, avec toutes les fragilités qu’elle contenait, était encore très forte dans beaucoup de villes en France, la stratégie des fédérations CGT et Sud Rail au dixième jour de grève reste encore un mystère. Un mystère au goût très amer. Cette grève était politique et idéologique.
Nous, cheminots en grève défendions les services publics que le conseil national de la résistance avait su mettre en place au sortir de la seconde guerre mondiale. Nous sommes les derniers salariés à nous battre de manière organisée et partout en France contre la libéralisation de notre société. Nous dérangeons les politiques qui défendent le dogme libéral européen. Nous dérangeons les médias, tenus exclusivement par les grands patrons du CAC 40, qui cherchent par tous les moyens à nous discréditer. Nous sommes une poche de résistance, une des dernières, que les libéraux veulent faire disparaitre.
Nous nous sommes organisés pour contrer la désinformation, nous avons su expliquer autour de nous que notre lutte était légitime.
Ce que nous avons construit, dans la difficulté, nous l’avons construit démocratiquement. Toutes les décisions prisent lors de nos assemblées générales l’ont été dans la concertation. La démocratie syndicale c’est ça. La direction de la SNCF a menti sur le taux de grévistes et le plan de transport, nous avons su l’expliquer. Les médias nous ont soit ignorés, soit caricaturés, nous avons su organiser deux rassemblements devant notre gare pour leur montrer notre détermination.
Certains usagers n’ont pas compris notre grève, nous avons pris le temps de les informer en leur distribuant des tracts. J’en veux à nos politiques, aussi bien ceux qui nous détestent et qui nous ont trahis que ceux qui auraient dû nous soutenir mordicus et qui ne l’ont pas fait. Ils se reconnaitront. J’en veux à la direction de la SNCF qui a menti ouvertement et sans scrupule aux cheminots. J’en veux aux médias qui ont relayé sans aucune déontologie le dogme libéral européen. J’en veux aux syndicats de collaborations, la CFDT et l’UNSA et enfin j’en veux aux cheminots non-grévistes qui ont cautionné la casse du service public et la régression sociale.
Nous aurions aimé nous sentir plus soutenus les derniers jours du conflit par les organisations syndicales encore en lutte. La stratégie nationale de la CGT et de Sud Rail peut être discutée, elle est critiquable. Il est évident qu’elle n’a pas toujours été comprise sur le terrain. Comment par exemple expliquer que cette journée d’actions soit si éloignée de la grève des cheminots ?
Comment expliquer les déclarations très « mollassonnes » de notre secrétaire général Thierry Lepaon après 2 jours de conflit? Quel intérêt politique avait notre confédération à vouloir éteindre notre mouvement de protestation ? La Fédération des cheminots dérange t’elle par son pouvoir de nuisance et son côté syndicat révolutionnaire ? Les erreurs commises par la CGT et Solidaires seront discutées après le conflit, même s’il ne faut pas perdre de vue que les premiers responsables de l’affaiblissement de ce conflit restent la direction de la SNCF, le gouvernement, les organisations syndicales qui ont œuvré à valider cette réforme, les cheminots non-grévistes et la désinformation continue des médias.
Par contre je suis fier du mouvement que nous avons su créer ici tous ensemble. Fier de la prise de conscience des cheminots de la Haute-Savoie impliqués pleinement dans cette lutte. Fier de tenir tous les jours le piquet de grève, des tournées de chantiers quotidiennes, des assemblées générales participatives et démocratiques. Fier d’avoir convaincu des cheminots de rentrer dans le mouvement, d’avoir tenu tête à tous ceux qui souhaitaient que notre grève s’arrête et ce, quelques soient les raisons. Fier de défendre le service public, de défendre nos conditions de travail.
Je suis tout simplement fier des cheminots qui luttent et lutteront toujours pour une cause noble. Notre conscience politique s’est élevée au-dessus de notre entreprise, au-dessus des partis politiques et même au-dessus des structures syndicales pour défendre une seule chose, le sort de la classe ouvrière et les conditions d’existence des citoyens français. Nous pouvons et nous devons être fier de ça car personne, je dis bien personne ne pourra nous l’enlever.
Le vrai pouvoir était dans nos assemblées générales et pas ailleurs. Les partis politiques nous trahissent, les organisations syndicales préfèrent parfois préserver leurs structures. Nous avons compris cela. La réforme du ferroviaire est passée mais notre prise de conscience lors de ce conflit n’a pas de prix. La guerre des classes existe, l’adversaire est très puissant, nous savons maintenant que nous ne devons compter que sur nous même pour gagner les prochaines luttes. Il y en aura et nous les gagnerons.
Je vous remercie.
Philippe Gauthier.
@Philippe
Merci de ton article et de tout coeur avec vous tous !
Tu parles de la Guerre des classes , elle est effectivement inéluctable pour permettre à la classe ouvrière (entre autres) de se défendre par un droit qui est inné et acquis pour chaque citoyen (ne) : celui de la LEGITIME DEFENSE !
Mais comme je l’ai souvent répété dans mes différentes interventions sur le Web , cette lutte des classes ne pourra s’avérer EFFICACE que dans la mesure où l’ensemble des médias NE viendront PLUS déformer , désinformer et manipuler l’information à leur convenance partisane ainsi qu’à la convenance de leurs commanditaires politiques (dirigeants droite et gôôôche) , comme syndicaux .
C’est bien connu , la calomnie et le mensonge se fait entendre plus vite que la vérité .
LE PREMIER DES COMBATS DOIT ETRE CELUI « CONTRE » LA DESINFORMATION MEDIATIQUE ! Bien avant celui (légitime) de sa propre entreprise ou de sa situation personnelle .
Dans le cas contraire , tous les derniers acquis sociaux gagnés par les anciens finiront de tomber et ne deviendront plus qu’un souvenir , vite jeté aux oubliettes de l’histoire , le seul souvenir voulu et autorisé par un grand capitalisme vainqueur .
Salutations communistes
« LE PREMIER DES COMBATS DOIT ETRE CELUI « CONTRE » LA DESINFORMATION MEDIATIQUE ! »
C’est bien la lutte que mène les militants du PRCF avec leurs moyens que sont le journal mensuel Initiative Communiste et son site web Initiative-communiste.fr
Un bon moyen d’aider à cette lutte est donc d’aider à faire grandir ces médias, d’aider à accélérer leur croissance.
En s’abonnant à IC, en s’inscrivant et en faisant s’inscrire à la lettre électronique hebdomadaire de ce site internet. En diffusant le plus largement les articles de ce site auprès de vos amis, famille, collègues, connaissance.
Le besoin d’information est réel. Preuve en est d’ailleurs avec le succès de initiative-communiste.fr dont le nombre de visite ne cessent de croitre.