Alors que Trump ne cesse de menacer ses propres « alliés » (en fait, ses vassaux) et qu’il accable de taxes les Canadiens, les Mexicains, les Chinois, les Européens, lesquels ne savent du reste comment continuer de ramper sous ses pas sans perdre la face (donc, à tout hasard, prétendent s’armer encore plus contre… la Russie!), Initiative Communiste publie cet extrait d’un texte de Georges Gastaud à paraître sous le titre générique Dialectique de la forme et du contenu en matière de catégories économiques.
MONDIALISATION OU DÉMONDIALISATION (capitalistes…), est-ce bien là la question?
Par Georges Gastaud, responsable du Secteur études et prospective du PRCF – 3 février 2025 [1]
Où l’on voit que la vraie problématique de classes n’est pas « Mondialisation ou bien démondialisation ? », « libre-échange ou bien protectionnisme ? ».
Certains militants et intellectuels très critiques à l’égard de « la » mondialisation (capitaliste et « néolibérale »…) croient pouvoir résumer les principales problématiques politiques mondiale et nationale de notre époque en leur conférant la forme de l’alternative selon nous biaisée « Mondialiser ou démondialiser ? »… Politiquement parlant, cette approche non classiste, non matérialiste, non dialectique et, tendanciellement… non antifasciste, peut alors pousser ces mêmes militants parfaitement estimables à occulter ou à minimiser à la fois…
– Ce que pourrait être une mondialisation socialiste-communiste future (c’est-à-dire combinant la reconquête des souverainetés nationales, la coopération internationale régulée d’État à État, la décolonisation véritable du Grand Sud, la planification démocratique mondiale de la transition écologique urgente, etc.),
– Les souffrances que ne manquera pas d’apporter aux peuples une démondialisation réactionnaire (à la Trump) s’articulant à un euro-délitement effectué sur des bases réactionnaires (et dont le peu concluant Brexit piloté par les conservateurs anglais a inauguré le principe),
– Les graves dangers (mondiaux et nationaux) de fascisation et d’ultra-droitisation politique qui accompagnent nécessairement, y compris dans les masses des pays impérialistes, la tendance elle-même… mondiale à une démondialisation réactionnaire (Trump, Le Pen, Meloni, A.f.D., Hongrie d’Orban, etc.), aux guerres commerciales protectionnistes, etc.
Du reste les mondialistes néolibéraux ne sont pas moins embarrassés que les dé-mondialistes non marxistes pour rendre compte de plusieurs « profonds mystères » qui caractérisent la géopolitique actuelle : par exemple, les gauches occidentales, soi-disant « antitotalitaires » et éprises de « démocratie universelle » par-delà les classes, renforcent systématiquement l’État policier dès qu’elles accèdent au pouvoir (Valls en France, Starmer en Angleterre, Scholz en RFA…). De leur côté, et du fait même qu’ils minimisent l’analyse géopolitique en termes de classes, les « mondialistes » libéraux n’échouent pas moins que leurs frères-ennemis « démondialistes » à expliquer l’alliance paradoxale que l’hégémonisme euro-atlantiste noue partout avec les pires réactionnaires de la planète (talibans afghans, ultra-sionistes israéliens, islamistes radicaux syriens, néo-mussoliniens transalpins, néonazis d’Ukraine, émirs semi-esclavagistes du golfe Persique, secte bouddhiste Falungong de Chine, etc.). Si l’on fait abstraction du primat objectif, fût-il provisoirement latent (nous sortons, bien trop lentement hélas d’une période contre-révolutionnaire de l’histoire…), de la lutte des classes dans la détermination profonde des phénomènes sociopolitiques, si l’on ne comprend pas que, dans les deux expressions « mondialisation capitaliste » et « démondialisation non moins… capitaliste », les adjectifs marquant le contenu de classe comptent tout autant que les substantifs, comment rendre compte du fait que, gauches euro-réformistes et droites « libérales » mondialistes soi-disant si opposées encouragent ou orchestrent toutes deux les mêmes persécutions anticommunistes, le même harcèlement anti-cubain, la même extermination des Palestiniens que mènent tout autant aux USA et ailleurs les mondialistes libre-échangistes et les démondialisateurs néo-protectionnistes ? Enfin, les ultra-droites « nationalistes » états-uniennes et européennes mettent présentement en place une forme encore balbutiante d’Internationale… nationaliste et c’est ce qu’a d’emblée symbolisé la présence provocante de Meloni et de Zemmour à l’investiture de Trump le 20 janvier 2025.
Partant de ces postulats partiellement erronés, nos « démondialistes » patentés seront logiquement enclins à refuser que les forces véritablement anticapitalistes et anti-impérialistes n’assument offensivement et comme telles, en les disputant à la fausse gauche et en s’opposant à la vraie droite, les « valeurs de gauche » telles que Paix, Progrès social, Antiracisme, Antifascisme, Démocratie populaire, Décolonisation, Égalité H/F, Souveraineté des peuples, Services publics, Lumières, Laïcité, Universalisme véritables (en gros, ce que portent en France les références à Jean-Jacques Rousseau, à la Commune de Paris, à Jean Jaurès, au Front populaire, à Ambroise Croizat, à Manouchian, voire à Jean Moulin…). Une telle attitude foncièrement défensive conduit alors non moins logiquement à abandonner aux faux « républicains » et aux pseudo-« démocrates » l’ensemble des signifiants séculaires du combat émancipateur. Mais en agissant de la sorte, il est clair qu’on laissera certains courants populaires radicaux en rupture avec la gauche officielle dériver eux-mêmes vers le trumpisme ou, s’agissant de la France, vers l’accompagnement « social » du lepénisme (le thème confusionniste de l’union des souverainistes des deux rives mène tout droit à cela, ainsi que l’idée que « le mondialisme » en général, et non pas l’exploitation capitaliste en général, serait l’ennemi numéro Un !)… L’antimondialisme plat laisse ainsi la fausse gauche et la fausse extrême gauche atlantistes arrimées à l’OTAN usurper les références au « progressisme » et à l’ « émancipation » alors qu’il faudrait relever et repenser ces nobles références que portent depuis le XVIIIe siècle les idées de souveraineté nationale et populaire, et cela au nom du prolétariat universel. Sans risque d’être contredite, l’ultradroite peut ainsi tranquillement expliquer aux travailleurs que la gauche, c’est Harris en Amérique, Hollande en France, Delors en Europe, D’Alema en Italie, Starmer en Angleterre, etc. : de manière parfaitement contre-productive, on laisse ainsi l’ultra-droite présenter comme « la gauche » ces social-traîtres qu’une expérience pluridécennale a appris aux travailleurs à mépriser partout – et à raison !
Sur le fond, il faut saisir qu’à notre époque, la socialisation/mondialisation de la production et des échanges portée par la révolution techno-scientifique (internet, satellites, câbles sous-marins, I.A., infrastructures mondiales liées aux « nouvelles routes de la soie », prochainement l’ordinateur quantique, etc.) et par la baisse tendancielle du taux de profit moyen constitue un phénomène objectif irréversible dont le déni, sauf s’il est très temporaire, par exemple durant une période révolutionnaire historiquement brève, serait inévitablement porteur de guerres sans fin (pour s’ouvrir des marchés étrangers par la force), de régressions sociales et de reculs civilisationnels colossaux. D’autre part parce que le capitalisme peut à sa guise mondialiser les échanges (inconvertibilité du dollar et fin de Bretton Woods) et/ou les démondialiser (retour de Trump et de son MAGA hyper-dominateur) en fonction des intérêts fluctuants de ses fractions dominantes rivales, et notamment en fonction des intérêts transitoirement antagoniques des principaux secteurs monopolistes s’affrontant dans l’orbe nord-américaine. On voit ainsi que l’actuelle démondialisation qui se dessine sur fond d’unilatéralisme politico-militaire nord-américain et de droits de douane états-uniens massifs est tournée contre l’ensemble Russie-Chine, et plus globalement contre les BRICS, de même que la mondialisation néolibérale inaugurée à l’époque de Reagan et Thatcher était orientée contre l’URSS et la RDA (avec, hélas, le renfort tactique initial fort dangereux à terme de la Chine maoïste, puis de la Chine « denguiste » qui lui succéda au prix d’un virage à 180°). D’un point de vue dia-matérialiste et classiste, la question n’est donc pas, pour les peuples, de mondialiser « ou » de démondialiser l’économie car en réalité, les deux pôles néolibéral et protectionniste du turbo-capitalisme contemporain ont toujours fonctionné ensemble, fût-ce avec une dominance provisoire d’accent affectant l’une ou l’autre des deux orientations.
Du reste, la mondialisation néolibérale a toujours été profondément asymétrique et déséquilibrée, de même que la prétendue « concurrence libre et non faussée » des traités européens, puisque les USA n’ont jamais totalement ouvert leur marché intérieur : c’est flagrant sur le plan culturel où, d’un point de vue hégémonico-culturel planétaire, le « tout-anglais » mondial joue depuis 1945 (Churchill prononça un célèbre discours à ce sujet !) le rôle d’un effet de cliquet mondial permettant d’exporter partout les productions anglo-américaines tout en protégeant fort efficacement le marché intérieur US (la masse des Anglo-Saxons étudiant de moins en moins les langues étrangères alors que la masse des non-Anglo-Saxons du monde se voient forcés d’ingurgiter la langue de l’Hégémon mondial dès l’école maternelle… ce qui, d’ailleurs, ne choque en rien nos « anti-impérialistes » boboïsés).
Politiquement et idéologiquement parlant, la mondialisation capitaliste a d’ailleurs toujours carburé clandestinement… au nationalisme bourgeois et elle a toujours eu besoin, voire de plus en plus besoin, de la montée, si possible universelle, d’extrêmes droites xénophobes enchaînant au capitalisme les éléments les plus retardataires de la classe laborieuse et des couches moyennes spoliées. Symétriquement, la démondialisation trumpiste en cours de lancement ne serait rien sans les « sanctions économiques » et les « lois extraterritoriales » mondiales portées, bien avant l’avènement de Trump… par MM. Clinton-Obama-Biden ciblant à la fois la Chine, l’Iran, la Corée du nord et Cuba ; voire… quand cela arrange l’Oncle Sam, les « alliés » occidentaux et japonais de Washington (cf. la scandaleuse annulation survenue en 2022 de la vente de sous-marins français à l’Australie). Bref, l’asymétrie résultant de la loi d’inégal développement détectée par Lénine dès 1916 ne caractérise pas moins la mondialisation que la démondialisation capitalistes, lesquelles forment comme les « moments pendulaires » de la respiration capitaliste et impérialiste quand elles ne fonctionnent pas simultanément au seul avantage de l’Hégémon états-unien du monde capitaliste : « je suis libre-échangiste, ouvrez VOS marchés ! je suis protectionniste, vous êtes bons pour MES droits de douane… ».
Du reste, Lénine signalait déjà que les deux tendances du capitalisme contemporain, la tendance à l’hyper-impérialisme (en termes modernes, à la mondialisation sous l’hégémonie d’un leader capitaliste planétaire) et/ou la tendance à l’accentuation des contradictions inter-impérialistes (donc à la « démondialisation » placée elle aussi sous hégémonie US) agissent à la fois complémentairement et concurremment, en un mot « pôlairement », en fonction des évolutions quasi sinusoïdales du système capitaliste, de l’évolution de ses marchés, de ses rapports de forces internes et de ses crises à répétition. Même si, à en croire Lénine, les tendances du capitalisme mondial à se fracturer et à produire des guerres inter-impérialistes l’emportent plutôt, en moyenne, sur la durée et en général, sur les tendances qui poussent le monde capitaliste à s’unifier, tant ce système structurellement explosif, foncièrement non régulable et hautement générateur de crises, est systémiquement incapable d’équilibrage et d’harmonisation internes, fût-ce à son seul profit.
Il n’est donc pas plus juste, stratégiquement parlant (nous ne parlons pas ici de tactique politique au jour le jour comme un pays en transition révolutionnaire doit être prêt à y recourir), pour le mouvement ouvrier et anti-impérialiste, de miser sur « la » mondialisation que de parier sur « la » démondialisation du système ; dans les deux cas, on a toujours affaire à une même guerre capitaliste-impérialiste menée contre les peuples avec des moyens différents selon les moments. Du point de vue du mouvement ouvrier et populaire, la tâche est toujours d’abattre globalement le capitalisme-impérialisme-hégémonisme ainsi que l’ensemble de ses outils politico-économiques, tantôt libre-échangistes et mondialistes, tantôt protectionnistes et antimondialistes, tantôt les deux à la fois. Et pour nous qui, géographiquement parlant, sommes européens, cela signifie qu’à terme une future Europe-forteresse protectionniste et dotée d’une « armée européenne » ne serait pas meilleure pour notre classe et notre pays que ne l’est l’actuelle UE libre-échangiste et mondialiste avec son « économie de marché ouverte dont la concurrence est libre et non faussée ».
[1] Extrait d’une étude à paraître de Georges Gastaud intitulée Dialectique de la forme et de l’essence en matière économique