Si les yeux de toute la planète sont actuellement tournés vers la Palestine, où le régime de Netanyahou poursuit malgré le cessez le feu sa politique expansionniste et génocidaire à Gaza, en Cisjordanie et au Liban, Israël n’a pas l’apanage des crimes de guerre et du nettoyage ethnique. Depuis les années 1990, la République Démocratique du Congo est aux prises avec des milices armées financées et soutenues logistiquement par le Rwanda et l’Ouganda voisins qui se livrent à des massacres particulièrement sanguinaires contre les populations civiles dans la région du Kivu qu’elles entendent contrôler. Ce conflit, dont on estime le nombre de victimes à 4 millions ce qui en fait le plus sanglant depuis la Seconde Guerre Mondiale, est régulièrement qualifié de génocide oublié. Malgré un bilan humain particulièrement drastique, le traitement médiatique brille en effet par son absence, la plupart du temps, ou par son extrême légèreté, quand il faut bien évoquer le sujet (qui n’est cependant que très exceptionnellement jugé digne de figurer en première page, le mépris des éditorialistes pour l’Afrique subsaharienne étant une triste constante).
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Pour comprendre la situation, il vaut d’abord faire un détour par le Rwanda. S’il n’est pas inutile de pointer du doigt la responsabilité de la politique de mise en concurrence des ethnies par les puissances impérialistes coloniales au XIXe siècle (en l’occurrence, les Tutsis, les Hutus et les Twa dans le Rwanda colonisé par les Belges) sans laquelle bien des massacres auraient été évités dans la région, puis celle de la présidence de Juvénal Habyarimana qui a mené une politique raciste de discrimination des Tutsis dans la fonction publique et laissé impunis maints pogroms les visant, le présent conflit trouve son origine en 1994 suite à l’assassinat de ce dernier et des principaux membres modérés de son cabinet qui souhaitaient négocier avec les forces rebelles principalement tutsies de l’Armée Populaire Rwandaise (APR) qui tentent de prendre le pouvoir depuis la fin des années 1980. Les extrémistes hutus, organisés notamment par la tristement célèbre Radio Milles Collines et avec l’aval par le gouvernement par intérim, commettent alors un véritable génocide à l’encontre des tutsis qui fait, en l’espace de 4 mois, un million de victimes, aidés notamment par une passivité complice de la France. La qualification de génocide est indiscutable et le Pôle de Renaissance Communiste en France s’oppose à tout négationnisme ou minimisation sur la question. Notons simplement que de la même manière que le génocide des Juifs d’Europe par les Nazis et la survivance de l’antisémitisme sont régulièrement évoquées par l’Etat d’Israël pour se protéger lorsqu’il est accusé de crimes de guerre et de génocide en Palestine, le président rwandais Kagame invoque fréquemment le génocide de 1994 pour se prémunir des attaques sur sa politique expansionniste, voire pour justifier ses crimes de guerre et ceux des milices qu’il soutient chez ses voisins.
Aidée logistiquement par les Etats Unis et certains Etats voisins, l’APR devenue FPR (Forces Patriotiques Rwandaises) finit par triompher et prend le pouvoir au Rwanda en juillet 1994. Le pays est dans un état catastrophique : beaucoup de civils tutsis comme hutus ont émigré au Zaïre pour fuir les massacres des bandes extrémistes hutues ou les représailles brutales des FPR et l’économie rwandaise est au point mort. Certains militants extrémistes hutus, notamment les milices Interahamwe, comprenant que le pouvoir leur échappait puisque les FPR contrôlaient la majorité du territoire rwandais, ont emboité le pas des civils et stationnent dans les mêmes camps de réfugiés. Ils tentent de se servir de ces camps comme base arrière pour s’emparer à nouveau du pouvoir en menant des opérations de guérilla à la frontière entre le Zaïre et le Rwanda et se livrent à des exactions une ethnie rwandophone de la région, les Banyamulenge, assimilés aux tutsis. Ceux-ci, à l’aide de financements et d’entraînements rwandais, se constituent à leur tour en milices armées, s’attaquant à la fois aux réfugiés hutus (qu’ils appartiennent aux milices Interahamwe ou non) ainsi qu’au gouvernement de Kinshasa, accusé d’incurie. Cependant, la majorité des 2 millions de réfugiés hutus stationnant dans le Kivu sont de simples civils qui n’ont aucune affiliation partisane particulière et subissent des conditions de détention draconiennes, la famine et l’épidémie meurtrière de choléra qui fait rage dans les camps. Parmi eux, nombreux sont les femmes et les enfants.
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La République Démocratique du Congo, appelée à l’époque Zaïre, est alors dirigée par le dictateur atlantiste Joseph Mobutu. Au pouvoir depuis des décennies, il est l’allié traditionnel des Etats Unis dans la région, qui l’ont aidé à prendre le pouvoir en assassinant le leader nationaliste Patrice Lumumba dans les années 1960. Cependant, avec la chute de l’Union soviétique, l’ancien mentor américain devient plus frileux à soutenir un autocrate gênant dont ils n’ont plus besoin. Par sa pratique dictatoriale et autoritaire du pouvoir, par ses nombreux assassinats politiques, par la corruption généralisée de son régime qui a pour seul avantage le maintien d’une certaine stabilité, Mobutu s’est attiré énormément d’ennemis tant à l’intérieur (lumumbistes, ethnies minoritaires) qu’à l’extérieur du pays. Parmi eux, Laurent-Désiré Kabila, lumumbiste et ancien compagnon opportuniste du Che dans son séjour congolais, prend la tête de la coalition visant à renverser le dictateur. Cette coalition, l’Alliance des Forces Démocratiques de Libération (AFDL), est en réalité instrumentalisée et dirigée par le Rwanda et l’Ouganda, qui nient officiellement toute participation mais fournissent un appui logistique, financier et militaire aux rebelles. Quand des troubles éclatent entre les milices Banyamulenge et le vice-gouverneur de la ville de Bukavu, militaires rwandais et zaïrois échangent des tirs au-dessus du lac Kivu. C’est le début de la première guerre du Congo. Rwandais et Ougandais, qui pénètrent dans le pays en même temps que l’AFDL, profitent de l’occasion pour fermer les camps de réfugiés hutus, ce qui constitue en réalité une sorte d’épuration ethnique de la frontière, en invoquant la présence parmi eux d’anciens militants de l’interahamwe (dont nous avons vu plus haut qu’ils ne constituaient pas une majorité des réfugiés). Nombre de réfugiés, chassés toujours plus à l’ouest, périssent dans les massacres ou dans la jungle où ils tentent de se cacher. En parallèle, les Ougandais et les Rwandais exploitent aussi la désorganisation totale qui règne dans le Nord et le Sud Kivu pour allégrement piller la région, particulièrement riche en ressources minières dont le fameux coltan qui sert à la fabrication des condensateurs ; ils s’attirent la complicité de multinationales minières canadiennes et américaines. Les troupes de l’AFDL finissent, en seulement 7 mois, par parcourir l’immense territoire zaïrois et prendre la capitale, Kinshasa, en mai 1997. Laurent-Désiré Kabila se proclame président et adopte le nom actuel du pays, République démocratique du Congo. L’AFDL est immédiatement transformée en armée régulière.
Néanmoins, la population congolaise, dans un premier temp ravie de se débarrasser de Mobutu, s’agace rapidement du gouvernement provisoire constitué par Kabila, dont la plupart des postes stratégiques (défense, affaires étrangères, sécurité intérieure, chef de cabinet) sont octroyés à des tutsis rwandais et ougandais. Ils accusent, en partie à raison, Kabila de n’être qu’un fantoche à la solde de ses puissants voisins, qui ont d’autant plus mauvaise presse qu’ils continuent à piller les régions orientales du pays. Pour contrer ces critiques, en 1998, Kabila décide de limoger ses ministres étrangers et demande à ses anciens alliés rwandais et ougandais de quitter le territoire congolais sous 24 heures. Ces derniers, qui entendent garder le contrôle sur le Congo dont le pillage leur est très profitable, fomentent immédiatement un coup d’Etat (qui échoue) contre le président congolais et relancent leur soutien financier aux milices de l’est du pays, qui se soulèvent aussitôt. C’est le début de la deuxième guerre du Congo, qui, du fait de son ampleur et du nombre impressionnant de belligérants, est parfois surnommée « grande guerre africaine ». Les événements actuels sont dans la continuité directe de cette guerre extrêmement complexe, où les milices financées par le Rwanda, l’Ouganda et le Burundi se livrent à d’innombrables crimes de guerre et actes de barbaries dans le Nord et le Sud-Kivu ainsi que dans l’Ituri. L’objectif du Rwanda comme de l’Ouganda, qui financent chacun plusieurs milices, reste avant tout de s’accaparer les richesses des territoires qu’ils occupent, d’empêcher la nation congolaise de se libérer de leur influence et de favoriser les populations tutsies dans la région. Rwanda et Ouganda, d’anciens alliés, deviennent rivaux, chacun voulant surpasser l’autre dans l’influence de la politique congolaise. Par ailleurs, les violentes milices issues des mouvements suprémacistes hutus interahamwe entrent elles aussi en action, d’abord en soutien à Kinshasa mais avant tout dans le but de massacrer les tutsis et assimilés. Tous ces acteurs sont encore actifs actuellement, malgré la fin officielle du conflit en 2003. Joseph Kabila, qui a remplacé son père à la tête de l’Etat congolais après un trouble assassinat en 2001, engage en effet des négociations tant avec les Etats voisins qu’avec les diverses bandes armées qui aboutissent à la création d’un gouvernement d’unité nationale qui intègre les représentants des principales milices rebelles, transformées en partis politiques. L’Ouganda, avec lequel la RDC a négocié séparément, retire également officiellement ses troupes. Cependant, les bandes sont toujours actives dans le Nord Kivu, le Sud Kivu et l’Ituri. En outre, l’Ouganda et le Rwanda continuent à financer des milices, à tenter de s’approprier le coltan et à conserver une influence sur le Congo, si bien qu’on considère qu’immédiatement après la fin de la seconde guerre du Congo, la guerre du Kivu commence.
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Il serait ici trop long de résumer les multiples acteurs et rebondissements de la guerre du Kivu, qui est encore plus nébuleuse que la guerre précédente, si c’est possible ! Notons l’irruption sur l’échiquier de plusieurs forces djihadistes, liées à Daesh, qui combattent tant les forces gouvernementales congolaises que les forces rwando-ougandaises et les milices extrémistes hutues et tentent de tirer parti de la désorganisation totale de la région pour imposer un califat islamiste. Les milices racistes hutues, du fait d’un retournement d’alliance de Kinshasa qui s’allie en 2009 aux forces rebelles tutsies pour bouter ces milices hors du Kivu, forment, elles aussi, désormais un camp autonome. L’accord entre les milices financées par le Rwanda et le gouvernement congolais aboutit, le 23 mars 2009, à l’intégration de celles-ci dans l’armée régulière congolaise. Cependant, ces milices ne sont devenues loyalistes qu’en parole et continuent en réalité à administrer de facto la région, à y faire régner l’arbitraire, à y commettre des crimes de guerre et à détourner le minerai au profit du Rwanda. Le gouvernement congolais, conscient de la supercherie, tente alors de muter les militaires et administrateurs pseudo-loyalistes dans d’autres régions du pays, pour les couper de leur base. Il espère ainsi enfin regagner une pleine souveraineté sur la région. Or, les milices refusent toute mutation et reprennent les armes, forment le fameux mouvement du 23 mars, arguant que le gouvernement congolais n’a pas respecté cet accord de paix. Ce sont ces milices qui, depuis deux ans, toujours avec des financements rwandais et ougandais, se lancent dans de violentes offensives dans la région, notamment avec la prise de Goma et la tentative de marcher sur Kinshasa.
Le fameux miracle économique rwandais, s’il est dû en partie à une véritable lutte contre la corruption et à d’avantageux crédits américains, doit beaucoup au pillage du coltan congolais. De la même manière qu’Israël, dont il est un fidèle allié, le Rwanda poursuit une politique expansionniste et entend contrôler, par proxy, la vie politique de ses voisins pour asseoir ses intérêts politiques et économiques. Comme en Israël, les politiques écologistes et féministes de l’Etat sont mises en avant par le gouvernement pour se peindre en bon élève, en gestionnaire modèle et éluder la question de ses atteintes documentées aux populations civiles innocentes. Comme en Israël, la douloureuse mémoire d’un génocide est utilisée pour faire écran et couper court à toutes les questions légitimes de la communauté internationale sur des massacres qui pourraient mériter d’être qualifiés de génocide par leur systématicité et leur brutalité. Comme pour Israël, du fait du soutien du camp euro-atlantique qui se contente d’opposer de maigres protestations diplomatiques sans les suivre d’effets, le Rwanda et l’Ouganda restent pratiquement impunis de leurs exactions. Seule la courageuse Afrique du Sud a pris position contre l’ingérence du régime de Kagamé en RDC. Notons aussi le soutien des communistes de la région, en premier lieu nos camarades du Parti communiste marxiste kenyan, au gouvernement congolais.
En tant que léninistes, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est un principe avec lequel nous ne saurions transiger. C’est pourquoi nous soutenons la lutte du gouvernement congolais contre toutes les milices qui occupent les régions orientales du pays. Nous dénonçons l’ingérence du Rwanda et de l’Ouganda et leur lien, qu’elles continuent à nier, avec les milices M23. Nous nous joignons aux protestations de l’Afrique du Sud. Lutter contre l’influence ougando-rwandaise au Congo, c’est aussi lutter contre le camp euro-atlantique, fauteur de guerre et misère, poursuivant une escalade exterministe mondiale qui pourrait s’avérer fatale pour l’humanité toute entière. Nous accusons les impérialistes d’être directement responsables du conflit, d’abord par leur politique ethniciste durant la période coloniale, puis par leur passivité face aux crimes de guerre commis par leurs alliés. Les richesses des pays du Sud ne doivent pas remplir les poches des actionnaires des monopoles impérialistes, ni celles des puissances régionales voisines, mais bien des peuples qui les exploitent.
Cartographie, rapports de l’ONU et documentation
Les rapporst accablants de l’ONU au conseil de sécurité de l’ONU [ https://main.un.org/securitycouncil/fr/sanctions/1533/panel-of-experts/expert-reports]
source : https://suluhu.org/wp-content/uploads/2021/03/kst-ags-full-2020-en.pdf