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Les questions de santé sont des questions complexes et semées de pièges et faux semblants, et pourtant elles sont des questions auxquelles nous sommes tous confrontés régulièrement du fait de l’inquiétude croissante de la population concernant l’accès aux soins de premiers recours et aux soins hospitaliers. D’où la proposition, de la part de la Commission Santé, de proposer ce recensement des éléments de connaissances essentiels et des arguments utiles pour savoir répondre aux questions et aux affirmations lors des rencontres avec les patients, soignants, usagers.
Sommaire
Les stratégies de privatisation. 2
Un point sur la pénurie de médecins. 4
Oui mais il y a un déficit de la sécu. 5
Quel rapport avec l’Union Européenne ?. 6
Et les soignants étrangers ?. 7
Alors qu’est-ce que vous proposez. 8
Après 1945, suite à la libération et aux applications du programme du Conseil National de la Résistance mené par le PCF d’alors, dont le secrétaire national était Maurice Thorez, le Régime Général de la Sécurité Sociale est créé par fusion des diverses assurances sociales existantes sous l’impulsion du ministre du Travail Ambroise Croizat, suite aux ordonnances du 4 et du 19 octobre 1945, au nez et à la barbe de Charles De Gaulle et du MRP. De 1947 à 1967, le nouveau régime général est partiellement géré par les travailleurs via les représentants syndicaux et financé par une cotisation interprofessionnelle à taux unique.
Cependant, cette propriété collective authentiquement socialiste est un danger pour la bourgeoisie puisqu’elle s’est retrouvée partiellement privée du contrôle de l’outil de production du soin. Par conséquent, la bourgeoisie, via De Gaulle en 1967 puis Juppé en 1996 réussit à reprendre progressivement la main en imposant des parts patronales et un contrôle de l’Etat jusqu’à parvenir à un contrôle total de l’Etat.
Il est à noter que, en régime capitaliste, la propriété publique est une propriété d’Etat, donc une propriété des classes dominantes à travers leur Etat, mise à l’usage des masses laborieuses. C’est un mode de propriété qui mime la propriété publique socialiste, mais la distinction est importante, puisque la bourgeoisie est capable, si besoin, de retirer cet usage des masses et de faire passer les structures de services et de production de la propriété publique à la propriété privée, c’est à dire entre ses mains directement et pour son usage particulier, et c’est précisément le phénomène qui se produit progressivement depuis 40 ans.
Suite à une nouvelle étape dans le développement du capitalisme-impérialisme international, la crise de la stagflation des années 80, le Capital a transformé sa politique Keynésienne de compromis avec le prolétariat en politique néolibérale, refermant la parenthèse historique des “trente glorieuses”. Afin de retrouver de nouveaux marchés et de doper à nouveau un taux de profit en berne, le feu a été déclaré contre les services publics, dont la productivité et les taux de rentabilité sur investissement potentiels en cas de privatisation faisaient saliver le capital financier international, Etats-Unien en tête.
Les stratégies de privatisation
La première stratégie majeure est appelée par les conservateurs Etats-Uniens “starve the beast” (affamer la bête). Elle consiste en une stratégie de sous-financement constitutive des services publics, dans l’objectif de les rendre dysfonctionnels et d’épuiser leurs personnels. Dans un contexte de “libre marché” l’agacement ressenti par les employés et usagers peut être récupérées par des initiatives privées qui viennent profiter de l’appel d’air. Une fois que ces structures privées sont assez implantées, l’Etat bourgeois peut ensuite leur accorder légalement une part plus importante des services devenus marchés, jusqu’à en faire des “acteurs” comme d’autres de l’offre de service, et puis jusqu’à faire de ces services privés la norme, la majorité de l’offre disponible, comparé à un service public réduit à peau de chagrin.
La deuxième stratégie majeure est honteusement intitulée “new public management” (nouvelle gestion publique). Elle consiste à forcer les services publics et leurs employés à se comporter comme un service privé, par la rémunération à l’activité, la destruction de la conscience de service public, l’individualisation des tâches, la gestion rigide par des cadres bureaucratiques selon des normes comptables, la réduction des effectifs sur les secteurs jugés “non rentables” ou “insuffisamment”, les économies de moyens, l’entrée de jargon libéral globish, et autres méthodes. Cette gestion permet de préparer les employés et les usagers du secteur public à accueillir plus facilement l’entrée du secteur privé dans le paysage et les incite à déserter le service public pour le service privé où le confort et la paie seront (au moins pendant un court moment) des arguments alléchants.
Enfin, pour le cas spécifique du système de santé, le rôle clef des assurances complémentaires privées ne doit pas être négligé. Celles-ci jouent le rôle du capital bancaire pour le capital productif, c’est à dire qu’elles permettent d’apporter du capital mobile au secteur privé de la santé. La réduction des remboursements de médicaments et de consultations par le Régime Général de Sécurité Sociale, programmé par l’Etat bourgeois, sert à augmenter le “reste à charge”, c’est à dire part de la dépense disponible à la couverture par l’assurance complémentaire. Par la suite, cette assurance peut proposer des remboursements sur diverses pratiques du privé, que ce soit des soins non remboursés ou des dépassements d’honoraires, et permet donc aux usagers d’avoir accès plus facilement aux prestations du secteur privé, et donc au secteur privé de disposer de davantage de capital monétaire pour réinvestir dans son extension.
Suite à cet exposé, il apparaît évident l’origine des problèmes que nous observons partout. La diminution des remboursements de soins est une nécessité du Capital qui souhaite privatiser le budget de la Sécurité Sociale (795 milliards en 2025, incluant les pensions de retraite etc…). La réforme des retraites, qui est un pas de plus vers le système de retraite par capitalisation (par contrôle direct du capital financier), doit être vu dans ce sens. Le développement désormais monopoliste des grands groupes privés de laboratoires d’analyses (Cerballiance, Synlab, Eurofins, Biogroup Mirialys…) doit être vu comme le précurseur de ce qui est en train de se produire pour les centres d’imageries, les cliniques privées, et les pharmacies. Partout, derrière, se cachent les fonds de pension Etats-Uniens (et parfois Français !) qui progressent dans l’ombre et entre dans les capitaux des petites officines et des petits cabinets d’imagerie.
L’épuisement des soignants est lié à une politique de réduction des moyens et des effectifs dans le cadre de la stratégie “affamer la bête”. Le mécontentement qui peut émerger chez les usagers peut engendrer des frictions et des conflits qui n’ont pas lieu d’être.
Un point sur la pénurie de médecins
La pénurie de médecins n’est pas différente de la pénurie d’autres professions comme les kinésithérapeutes ou les dentistes. L’argument de la répartition des médecins et des déserts médicaux est un argument qui est destiné à occulter la réalité de la diminution programmée des effectifs globaux de médecins via la réduction de la formation initiale en facultés (elle aussi sous-financée). Le fameux “numerus clausus” (entendre sélection d’un nombre maximal de candidats à l’entrée) est une pratique normale de toutes les universités qui ne peuvent pas accueillir tous les étudiants qui s’y présentent sans mettre en danger la formation des étudiants et les formateurs. Le problème n’est pas de sélectionner un nombre d’étudiants, il est d’avoir sciemment décidé de réduire drastiquement ces effectifs dans l’objectif de réduire les prescripteurs (et donc les actes thérapeutiques et leurs remboursements), en coordination avec les ordres de médecins qui espéraient diminuer leur concurrence et s’assurer une patientèle conséquente. Il est à noter que, si le nombre d’étudiants acceptés a été augmenté, il ne l’a nullement été suffisamment au vu des besoins, les conditions de leur formation ne sont pas assurées par des financements suffisants, et en ce sens le “numerus clausus” n’a nullement été aboli, seul son nom a disparu.
Oui mais il y a un déficit de la sécu
Le déficit de la Sécurité Sociale est d’abord un artifice comptable. Un déficit sur un budget voté par les députés est nécessairement un déficit par rapport à ce que ces députés veulent bien nous accorder, et ceci se démontre par le stratagème mis en place sous le nom de CADES (Caisse d’Amortissement de la DEtte Sociale). Plutôt que d’augmenter les sources de financement directe de la Sécurité Sociale ou d’y ajouter de nouvelles, des nouveaux impôts (CRDS, CSG) ont été créés pour financer la CADES qui va ensuite à partir de ces fonds rembourser la dette de la Sécurité Sociale (à hauteur des deux tiers). Cet artifice permet de financer la Sécurité Sociale tout en affichant un niveau de déficit supérieur à ce qui est réellement appliqué, la CADES n’étant pas comptée dans le budget.
De plus, il ne faut pas oublier que la masse énorme de financements du système de santé sont grandement dopés pour deux raisons qui sont directement la cause du capitalisme :
- Le capitalisme est incapable de produire dans sa superstructure une institution qui soit sérieusement capable de s’opposer aux nécessités de l’accroissement du capital pour défendre les intérêts du Travail, je veux parler des organismes de contrôle des conditions de travail et de prévention des maladies futures, nous en soient témoins le dépouillement quasi total des contrôles aux entreprises et la destruction des CHSCT. Il résulte de cette règle que la médecine en régime capitaliste est incapable de prendre la question de la prévention avec tout le sérieux qu’elle mérite et préfère exceller dans la découverte de nouvelles méthodes curatives, beaucoup plus coûteuses pour la collectivité que de mettre en place des séances de sport collectif gratuit par les mairies.
- La part que se taille le privé dans l’offre de soin et les marges qu’il se permet, notamment dans le milieu pharmaceutique ou des dispositifs médicaux où certains prix, pourtant négociés (à huis clos) par le Comité Economique des Produits de Santé (CEPS), sont parfaitement injustifiés et constituent un braquage de la solidarité collective (à titre d’exemple, un flacon de Yervoy de 40mL, une thérapie innovante contre le mélanome, coûte 11480 euros, et ne suffira pas pour une seule injection à un adulte de plus de 67 kilos. Une cure de Yervoy nécessite 4 injections).
Quel rapport avec l’Union Européenne ?
L’Union Européenne, la grande absente des débats, et pourtant la grande coupable derrière le rideau, a un rôle majeur dans la privatisation progressive du système de santé. Il est évident que l’Etat bourgeois, de lui-même, avance les politiques dictées par le Capital pour son intérêt. Mais celui-ci est toujours traversé de contradictions, la résistance des peuples peut être farouche, et certains Etats peuvent mettre plus de temps à appliquer ces politiques que d’autres. Le rôle de l’UE est donc d’agir à la fois comme un gouvernail et comme un catalyseur. Par le rôle coercitif des traités et des directives, l’Union Européenne permet d’imposer des rappels et des sanctions aux Etats qui n’iraient pas assez vite dans les objectifs fixés par elle. Elle est le garant de la diffusion et de la force de la politique austéritaire, et son euro, monnaie “unique”, permet de faire pression sur les Etats en sapant leurs capacités commerciales et donc leur équilibre économique par de savants rééquilibrages des “taux directeurs” (taux d’intérêts des emprunts et de placement de liquidités à court terme qui vont dicter les politiques de financement des grandes banques et indirectement les prix des marchandises).
En 10 ans, l’UE a fait 62 sommations à la France de réduire ses dépenses de santé. Cela montre un véritable acharnement de la part de l’UE à détruire la Sécurité Sociale. Elle qui a inscrit dans ses traités fondateurs qu’elle est une « économie de marché » et installe comme dogme la libre circulation des capitaux ne peut bien évidemment pas voir d’un bon œil des efforts de nationalisation dans un pays membre et fera tout pour briser par la guerre financière et politique de tels efforts. Toute politique souveraine devra donc passer par sa sortie.
L’OTAN, organe de protection militaire des intérêts collectifs de la bourgeoisie financière impérialiste, se fait le relai de la propagande de guerre que la bourgeoisie financière cherche à nous imposer dans sa décision de guerre financière et militaire qu’elle compte mener contre les BRICS, Russie et République Populaire de Chine en tête. En ce sens, l’OTAN se moque des systèmes de santé, mais la bourgeoisie financière qui la soutient adorerait faire d’une pierre deux coups et allouer aux budgets militaires des Etats les fonds qui seraient économisés sur la santé. C’est dans ce sens qu’il faut lire les propos de Mark Rutte, secrétaire général de l’OTAN, qui appelle à prendre dans les dépenses de santé ce qu’il faut pour faire la guerre, et c’est précisément dans ce sens que sont orientées les politiques actuelles.
Les arguments bellicistes doivent être balayés de la main, le peuple de France n’a besoin de faire la guerre à personne, excepté à sa propre bourgeoisie. Tous ces arguments visent à terroriser les populations pour leur faire accepter le pire, l’urgence n’est pas dans l’armement, mais dans nos hôpitaux, dans la misère qui s’abat sur notre pays.
De nombreux pays forment des soignants qui viennent ensuite travailler en France. Cette situation constitue un “vol des cerveaux”, un processus de pillage des ressources humaines de pays qui ont besoin de leurs soignants, souvent bien plus que nous, et ce processus est facilité par le cadre politique et économique de l’Union Européenne. Il est bien entendu hors de question de renvoyer dans leur pays d’origine ceux qui sont ici, puisque, travaillant en France, ils font de fait partie de la Nation Française selon la conception de la 1ère République et de Robespierre. Mais la France doit former suffisamment de soignants pour pouvoir compter sur ses propres forces et arrêter de piller des pays moins bien lotis pour leur permettre enfin de se développer comme il se doit.
Il est à noter que la question des soignants cubains est une question différente. Cuba n’est pas un État néo-colonisé qui se fait piller ses médecins, mais un État socialiste indépendant et souverain qui produit volontairement un excès de soignants dans un objectif humanitaire et internationaliste, des équipes qui sont présentes toute l’année dans de nombreux pays en situation de guerre, de catastrophe naturelle ou de misère extrême. Du fait d’un blocus économique criminel organisé par les États-Unis, Cuba demande généralement en échange des financements et du matériel médical qui lui permettent de faire tourner son propre système de santé (malgré la mise au point sur l’île de 3 vaccins anti covid différents, Cuba se retrouve régulièrement à court… d’aiguilles, qu’elle ne peut pas produire du fait de l’absence de matières premières localement suffisantes et inaccessibles au commerce international du fait du blocus). Par conséquent, l’appel aux soignants cubains est une solution de court terme gagnant-gagnant qui ressemble bien davantage à un véritable partenariat internationaliste qu’à un pillage de ressource asymétrique.
Alors qu’est-ce que vous proposez
Tous les problèmes que nous observons sont les conséquences des règles fondamentales de notre mode de production économique. Les mesures telles que davantage de formation de soignants ou le 100% sécu sont des étapes nécessaires, mais seules elles ne sont que des béquilles que le Capital n’acceptera jamais.
Par conséquent, il est nécessaire que les travailleurs, prolétariat en tête, prennent le pouvoir, imposent leur système politique, mettent en place les politiques de nationalisations et rétablissent le contrôle des masses de la population sur la production nationale et le fruit de leur travail. La nationalisation sans compensation du secteur pharmaceutique et les plans de relance de la production nationale sont des premières étapes nécessaires.
Tous ces changements ne pourront jamais s’opérer si nous restons vulnérables face aux assauts du Capital international qui ne manquera pas d’essayer de briser notre résistance. Pour nous protéger, il est donc nécessaire de sortir de l’UE, de l’OTAN, et de l’euro, pour enfin sortir du capitalisme. Il est à noter que les nationalisations sont considérées par le droit national et international comme des droits fondamentaux de chaque État et que par conséquent il est loin d’être irrationnel ou extrême que de les envisager sérieusement, surtout en cet état de grand péril pour l’état de santé de nos concitoyens.
Antoine, médecin, pour la Commission Santé du PRCF