dimanche 15 février 2009, par Comité VALMY http://www.comite-valmy.org/
On sait depuis longtemps que les élections ne sont pas synonymes de démocratie. Les plébiscites des régimes bonapartistes et fascistes aussi bien que les élections bidons de toutes les tyrannies de ce monde en sont de bons exemples. Elles ne servent qu’à donner un vernis « démocratique » à des régimes qui bafouent la démocratie la plus élémentaire, dans tous les sens qu’on peut donner à ce terme. Sans que les choses soient complètement comparables, il y a dans le « Parlement européen » quelque chose du même ordre.
L’organisation de la prétendue unité européenne (sous tous ses avatars successifs, CECA, Marché Commun, CEE, UE, etc.) a été construite comme une institution ayant pour objectif la* défense du mode de production capitaliste en Europe* (face d’abord à la « menace soviétique ») et c’est tout naturellement qu’elle est devenue l’arme de choc pour détruire tous les acquis sociaux et même les maigres éléments de régulation de l’État keynésien. Inutile de s’étendre sur ce sujet longuement développé dans les colonnes de ce site.
L’objectif de l’UE n’est pas et n’a jamais été la construction d’un peuple européen, maître de son destin, ni même une fédération d’États qui uniraient leurs forces à partir d’objectifs politiques et sociaux communs. Il n’y a ni politique étrangère commune, ni intérêts économiques communs. Le démantèlement des tarifs communautaires (qui permettaient un embryon d’attitude commune sur le marché mondial) et le ralliement aux principes du libre marché global (avec un accord transatlantique qui continue de se négocier) démontrent à l’envi que même du point de vue capitaliste, il n‘y a rien qui s’appelle « union » ou « unité » européenne. Comme l’a très bien dit Mme Merkel (une des rares vrais dirigeants politiques en Europe), « Jedem seine Scheise ».
Les institutions politiques européennes ne sont par conséquent rien d’autre qu’une machine à contraindre les peuples à renoncer à toutes revendications sociales et même à la simple souveraineté. Et le Parlement européen, un parlement croupion typique, n’est qu’un élément de cet machinerie et nullement un organe par lequel on pourrait espérer transformer de l’intérieur la nature de l’UE pour en faire selon les paroles creuses de la gauche de gauche, une « Europe démocratique et sociale ». Donc, autant est stupide le mot d’ordre général « élections piège à cons » – ce mot d’ordre que défendait Krivine avant de se présenter à la présidentielle de 1969 – autant la question vaut d’être posée de savoir si on doit ou non participer aux élections européennes de juin prochain. Je sais bien qu’on me ressortira le petit Lénine de poche : le chef de bolcheviks était favorable à la participation à la douma d’Empire. Alors pourquoi pas le Parlement européen ? J’y vois trois raisons qui, sans être absolument déterminantes, poussent à ne pas voter en juin prochain.
1. Nous avons voté en 2005 contre le TCE et tout le monde, à commencer par les dirigeants français, s’est assis sur notre « non ». Les Hollandais ont également voté « non » et cela n’a pas eu plus d’effet. Les dirigeants de l’UE ont concocté un nouveau traité, le traité de Lisbonne, une version encore plus obscure de feu le TCE, avec consigne de ne pas le soumettre au vote populaire. Mais les Irlandais, seuls convoqués aux urnes, ont encore voté « non ». Qu’à cela ne tienne ! Ils revoteront… Peut-être pas sur le traité de Lisbonne (la ficelle serait grosse). En fait, ils devront sans doute voter une modification de la constitution qui dispenserait le gouvernement irlandais de consulter le peuple pour ratifier … le traité de Lisbonne. Alors que reste-t-il à dire à ces dirigeants, à toutes ces élites européistes, sinon d’aller se faire f… ? Que peut-on penser d’autres, sinon que ces élections européennes sont une mauvaise farce ?
2. *Le Parlement européen n’est pas un Parlement mais seulement une caricature de Parlement qui ne représente aucun corps politique.* Les corps politiques existants sont les nations et non un fantôme de peuple européen. La participation à ce prétendu parlement est donc simplement une caution politique à un dispositif radicalement étranger à toute philosophie républicaine et démocratique. Prétendre qu’on fera des élections européennes un référendum contre le traité de Lisbonne, c’est une plaisanterie. D’une part, la mécanique électorale empêche qu’arrive au Parlement européen une majorité qui pourrait refuser le traité de Lisbonne. Et quand bien même ce serait le cas, cette majorité serait impuissante puisque le traité de Lisbonne est justement un traité et non une loi du prétendu parlement européen. Le problème n’est pas dans la question de savoir si une majorité européenne plus favorable pourrait advenir ou ce qu’elle pourrait ou non faire. Le problème est qu’aucune majorité européenne ne peut imposer à un des peuples d’Europe, fût-il très minoritaire de renoncer à sa liberté. En affirmant qu’on veut une nouvelle majorité européenne contre Lisbonne, on avalise du même coup précisément ce qui a permis Lisbonne. La seule unité européenne possible, admissible d’un point de vue principiel, est une association d’États souverains sur le modèle kantien de la « paix perpétuelle »(*) et non une machine dans laquelle on force les nations à s’unir comme les princes d’ancien régime mariaient leurs fils et leurs filles.
3. Il n’y a aujourd’hui aucun parti, aucun front qui puisse incarner une alternative sérieuse à cette «union européenne » à la botte de l’empire américain et dont la seule défense est cette coalition
impérialiste qu’est l’OTAN. « L’Europe démocratique et sociale » est slogan fumeux, dans le meilleur des cas. Après tout, les gouvernements rétorqueront que l’Europe est démocratique puisque les gouvernements sont, en gros démocratiquement élus et que la majorité d’entre eux a accepté le traité de Lisbonne. Elle est également sociale, puisque le libre marché à permis aux ouvriers slovaques et tchèques de construire les voitures de PSA, obligeant ainsi ces nantis de salariés des pays riches à partager leur richesse avec les pauvres des ex-PECO… Une liste aux élections européennes qui mériterait qu’on se déplace pour voter pour elle devrait au moins dénoncer le traité de Maastricht et ses compléments d’Amsterdam, Dublin et Barcelone, c’est-à-dire tous ces traités qui détruisent les services publics, organisent la privatisation de la santé et disloquent toute protection sociale. Une liste qui mériterait qu’on se déplace pour voter pour elle proposerait des éléments au moins de retour à l’indépendance nationale (sortie de l’OTAN, droit pour un État de nationaliser les secteurs qu’il estime stratégique et de leur accorder l’aide qui lui semble bonne, exclusion de l’éducation et de la santé, des transports, des télécommunications et de l’énergie des règles du libre échange, etc.). Force est de reconnaître que pour l’heure une telle liste n’existe pas. Les listes existantes soit bavardent sur des luttes qu’elles sont bien incapables d’organiser soit en appellent à une autre Europe pour sortir les peuples de la crise. Et attendant cette autre Europe, qu’est-ce qu’on fait ? Mystère.
Pour toutes ces raisons, à l’heure qu’il est, il me semble judicieux de faire comme vont certainement le faire nos concitoyens dans leur majorité, c’est-à-dire voter avec ses pieds.
Denis Collin (*) J’ai suffisamment développé ce point ailleurs et notamment dans mon Revive la République (A. Colin, 2005) pour n’y pas revenir plus en détail ici.