
Une réflexion de la Commission éducation du PRCF.
La place faite aux personnes en situation de fragilité est une mesure essentielle de la qualité d’une société. Disons-le tout net : les sociétés capitalistes obtiennent en la matière un zéro pointé.
Le capitalisme prétend à une accumulation illimitée du capital fondée sur l’exploitation de l’homme et de la nature. Avec le capitalisme, le travail – ou plutôt la force manuelle et intellectuelle de travail – devient une marchandise produisant plus de richesse qu’elle n’en consomme, sa valeur d’échange (le salaire) étant tendanciellement réduite au strict nécessaire pour que le salarié puisse se présenter à nouveau au travail le lendemain. Ce surplus de valeur engendré par le travail constitue la plus-value, et à terme le profit. Dans ce cadre, le rôle de l’école n’est pas de former l’être humain ou le citoyen, mais bien d’être l’auxiliaire d’un marché du travail, en œuvrant au renouvellement de la force de travail de demain, tout en garantissant l’employabilité des parents, en les soulageant de la garde de leur progéniture.
Dans ce cadre, la classe capitaliste poursuit des objectifs contradictoires :
- Employer des travailleurs en pleine forme physique et mentale pour maximiser leur force de travail / Réduire au minimum le coût de reconstitution de cette force de travail.
- Attendre de l’école qu’elle forme des élites (secteur privé et payant) / Réduire le coût de l’éducation des classes populaires (secteur public)
Ces intérêts contradictoires expliquent pourquoi les sociétés capitalistes offrent si peu de place aux personnes handicapées : elles sont parfois inexploitables, et, quand elles sont exploitables, leur faible pouvoir de négociation les rend particulièrement vulnérables à la surexploitation. Le capitalisme s’inscrit donc structurellement dans un double mouvement de ségrégation et d’exploitation des personnes handicapées.
Les conquêtes sociales du XXᵉ siècle, fruits des luttes communistes, ont permis d’améliorer la situation par le rapport de force collectif. Elles ont imposé l’idée que la société doit collectivement investir pour leur faire une place. Les conquis d’hier, dans un contexte de réaction sur toute la ligne depuis la chute du bloc socialiste, sont sans cesse davantage abimés et le capital n’a de cesse que de transférer sur le camp du travail les dépenses que celui-ci avait réussi à lui imposer par la lutte collective.
Ces combats ne sont pas neutres : ils sont des combats de classe. L’exemple de l’école est emblématique : la classe dominante a habilement détourné une revendication juste – l’égalité de droit et de dignité – pour la pervertir et s’en servir comme levier pour diviser les travailleurs, diminuer leurs droits et accroître leur exploitation.
En 2005, la loi dite de l’inclusion scolaire a été imposée par Jacques Chirac. Cette loi allie cynisme, maltraitance, exploitation et injustice. Il est indispensable d’examiner ses ressorts et ses effets pour sortir du débat biaisé et délétère qu’elle impose.
Cynisme
Qui peut accepter qu’un enfant, du seul fait de son handicap, soit privé d’enseignement ou mis à l’écart ? Personne, et les communistes moins que quiconque. Cela posé, examinons les objectifs réels et les effets matériels de cette loi.
La loi de 2005 fait de l’accueil des enfants en situation de handicap en milieu scolaire ordinaire la règle, plutôt que dans des structures spécialisées dotées de personnels formés et de matériels adaptés. Elle veut « permettre une participation effective des personnes à la vie sociale ». L’idée semble belle : permettre à tous les enfants d’apprendre à vivre ensemble dans les mêmes lieux. Mais ce n’est pas ce qu’elle met en œuvre. En effet, si elle fait de la scolarisation en milieu ordinaire un principe, elle ne fixe aucune règle contraignante quant à l’encadrement nécessaire pour permettre aux élèves handicapés d’être effectivement instruits ET accompagnés sur le plan médical ou social.
C’est donc bien l’accueil qui est au centre de cette loi, et non l’instruction ni l’intégration. Le vivre ensemble est donc un prétexte. Preuve en a encore été donnée en 2023 par le duo Macron-Attal qui a détruit le principe du collège unique au profit du tri social et de la ségrégation scolaire à l’intérieur même du collège, instaurés par le « Choc des savoirs ». Dans les groupes de niveau faible, on retrouve ainsi une proportion alarmante d’élèves à besoins particuliers.
Le budget par élève révèle une réalité accablante :
- Un collégien de classe « type » bénéficie d’un investissement de 7 000 euros par an.
- Un élève de Section d’enseignement général et professionnel adapté (difficultés scolaires graves, cursus spécialisé en collège) : 13 000 euros.
- Un élève en Unité locale d’inclusion scolaire (cursus au sein d’une classe type avec des heures détachées et un enseignant spécialisé) : 14 000 euros.
- Un élève en Dispositif des Instituts Thérapeutiques Educatif et Pédagogiques : 35 000 euros.
- Un élève en Institut médico-éducatif : 40 000 euros.
Ces statistiques montrent que les structures spécialisées offrent cinq fois plus de moyens qu’un simple parachutage en classe « type », même avec l’appui d’un AESH (accompagnant d’élèves en situation de handicap) précaire et sous-formé.
La loi de 2005 n’a pas pour objectif de garantir une intégration effective ou un soutien adapté. Son seul but est l’accueil, sans considération des conditions. Il s’agit de retirer, à moindres coûts et en s’appuyant sur les structures disponibles sans investissements que sont les établissements scolaires de secteurs qui maillent déjà le territoire, les enfants des foyers parentaux pour que ces derniers puissent être disponibles pour le marché du travail.
Un enfant scolarisé en milieu ordinaire n’a pas accès à un éducateur, à un psychologue, à un ergothérapeute, ni à un médecin spécialisé. Non : il dispose d’enseignants non spécialisés et, au mieux, de quelques heures d’aide d’un AESH recruté sans formation et payé au SMIC.
De plus, depuis la Loi de 2005, l’État n’a eu de cesse d’appauvrir la formation des enseignants spécialisés. La formation de ceux-ci était différenciée (capa-sh pour le premier degré et 2ca-sh pour le second degré). De plus, elle proposait plusieurs options en fonction des troubles des élèves concernés : déficients auditifs, visuels, handicap moteur, difficultés scolaires, troubles des fonctions cognitives. Depuis 2017, la formation est la même pour tous les enseignants qu’ils soient en école, collège ou lycée et les options ont été supprimées, le volume horaire restant le même (14 semaines de formation).
Faut-il se battre pour continuer cette prétendue école inclusive qui conduit à diviser par cinq les moyens alloués à ces enfants ? Ou faut-il militer pour leur offrir un accompagnement réellement adapté, dans des structures intégrées mais spécialisées ?
Voilà les questions qu’il faut poser plutôt que d’installer le débat sur des bases malsaines visant à diviser les travailleurs du service public et ses usagers en instruisant un procès en validisme contre les courageux travailleurs de l’enseignement réclament un accès effectif et non un service public dégradé pour tous et en premier lieu pour les élèves handicapés.
Maltraitance
Les élèves en classe « type » ne bénéficient souvent d’aucun accompagnement adapté. Le baromètre de l’inclusion 2024 révèle que les enseignants accueillent en moyenne six élèves à besoins éducatifs particuliers par classe. Cette surcharge rend impossible l’adaptation à chaque élève.
Comment concilier le besoin de calme d’un élève souffrant de troubles de l’attention avec les cris d’un autre, atteint d’autisme et lui même en détresse du fait du bruit de la classe ou d’un environnement matériel agressif pour lui ?
Non, les enseignants ne pointent pas cette inclusion qui n’en a que le nom par « validisme » (c’est-à dire par volonté d’exclure les porteurs de handicaps), mais bien parce qu’ils constatent les souffrances qu’une inclusion mal pensée inflige à tous : élèves handicapés, élèves valides et enseignants eux-mêmes.
Bien sûr, les instituts ne sont pas exempts de critiques et l’on trouve des exemples de maltraitance et de carence dans l’enseignement dans les IME par exemple. Mais il ne faut pas croire que la scolarisation en milieu ordinaire évite la maltraitance ou permet un apprentissage scolaire effectif. Loin de là. Il faut sur ce sujet éviter le déni : les mêmes causes structurelles produisent les mêmes effets.
Ainsi, les enseignants constatent que loin des ambitions hypocritement annoncées, les élèves handicapés ne se voient offrir pour toute scolarité que le parcours chronologique standard. Parcours au terme duquel, après être passés de classe en classe sans avoir pu progresser faute d’un accompagnement adapté effectif, ils sortent du système scolaire avec peu voire aucune qualification. Le seul bénéfice de ce parcours est de permettre, par l’accueil à moindre coût, l’exploitation des parents. Prétendre qu’il s’agit là d’une scolarité normale est au mieux un sophisme, au pire une manipulation.
Seul le mépris de classe qui s’exerce contre les travailleurs de l’enseignement conduit à vouloir faire taire à tout prix leur parole, ou à vouloir la salir par des accusations fausses de volonté discriminatoire. C’est d’ailleurs une violence typique des néolibéraux capitalistes, faite en premier lieu aux élèves, mais aussi à leurs enseignants, que de contraindre des jeunes à suivre une scolarité dans des conditions matérielles qui empêchent toute réussite. Et tout cela pour imputer l’échec aux jeunes et à ses enseignants, réputés pour les premiers ne pas avoir su bénéficier de leur scolarité, pour les autres ne pas avoir su s’adapter.
Il s’agit là d’un drôle de paradoxe : à ceux qui demandent que la société fasse place à la différence, en mettant en place des parcours adaptés donc différents, les défenseurs auto-proclamés (et dans les faits de façade) de « l’anti-validisme n’ont que cette injonction paradoxale à répondre : « adaptez-vous et formez-vous » et faites-vous remplacez par l’IA générative…
Exploitation
Le budget de l’Éducation nationale a stagné ou diminué en euros constants depuis 2005, malgré l’augmentation des effectifs d’élèves et l’explosion du nombre d’élèves en situation de handicap (+170 %). Pour répondre à cette inclusion, le nombre d’AESH a été multiplié par 24. Pourtant, avec plus de 35 élèves handicapés par AESH, ces personnels sont en situation de précarité et d’impuissance.
Dans le même temps, l’institution exige des enseignants qu’ils assument, en plus des missions qui leur étaient déjà dévolue, toutes celles qui étaient assurées dans l’enseignement spécialisé. Cela n’est bien sûr pas possible. Pourtant, il n’est pas possible non plus pour les professeurs de ne pas s’occuper des élèves en situation de handicap. Il leur faut donc en partie se muer en psychologue, ergothérapeute, psychométricien, éducateur etc. Rappelons qu’ils n’ont pas choisi ces métiers, qu’ils ne sont donc pas formés pour ni n’ont la volonté de l’être et qu’en plus, leur rémunération a baissé pour faire face à l’euro-austérité et au besoin de la pseudo-inclusion.
C’est donc triple peine.
Quel serait le temps de travail et la juste rémunération pour un professionnel qui maitriserait autant de compétences différentes et les mettrait en œuvre non dans le cadre individuel mais collectif ?
(Il faut d’ailleurs aussi, en responsabilité, se poser une double question : même dans un monde idéal, cela serait-il effectivement réalisable ? Et surtout cela serait-il soutenable pour une société que de rémunérer par exemple un enseignant ergothérapeute et psychologue pour s’occuper collectivement de 28 enfants dont seuls 6 auraient besoin de ses compétences spécialisées ? La spécialisation et la division des tâches est une nécessité dès lors qu’une société se développe et progresse.)
Le coût de l’accueil (on parle bien d’accueil et on a expliqué pourquoi plus haut) des élèves handicapés n’est donc pas assumé par la société entière, ce qui est un vrai scandale. Il pèse sur tous les élèves, qui voient l’investissement qui leur est affecté diminuer afin de compenser le surcoût que le reste de la société – et en particulier les bourgeois qui ont choisi l’austérité de Maastricht et les critères de convergence et de stabilité du TFUE (ex traité de Rome) – ne veut pas payer.
Comment être étonné que, dans toutes les réunions d’enseignants, la prétendue inclusion soit désignée pour ce qu’elle est, en premier lieu, pour ces travailleurs : une source de souffrance et d’épuisement professionnel ? La situation des AESH précaires, recrutés sans qualification et sous-payés, est elle aussi scandaleuse.
Le surcoût de l’inclusion est donc absorbé par une baisse des ressources pour l’ensemble des élèves et par une surexploitation des enseignants et des AESH.
Injustice
87 % des élèves handicapés sont scolarisés dans le public, contre 13 % dans le privé sous contrat, alors que ce dernier accueille 18 % des élèves français. Pire, seuls 23 % des collèges privés disposent d’une ULIS, contre 44 % des collèges publics.
Le privé, largement financé par l’État, est dispensé de l’effort collectif au nom de l’inclusion. Une fois encore, les enfants des classes populaires paient le prix des choix politiques, tandis que ceux des bourgeois en sont protégés.
Là encore, la non-application du « Choc des savoirs » dans les collèges privés montre qui fait le choix du séparatisme. La véritable mise à l’écart, c’est celle qui frappe les enfants de la classe ouvrière qu’ils soient valides ou non. La première des discriminations dans une société capitaliste, c’est de naitre prolétaire !
Division
Cette loi cynique divise parents et enseignants en partisans et opposants d’une inclusion biaisée, détournant ainsi le débat des vrais enjeux tout en dégradant pour tous les usagers, en situation de handicap ou non, la qualité du service public rendu :
- Une austérité destructrice imposée par l’Union européenne.
- Une société capitaliste qui refuse d’assumer ses responsabilités envers les plus fragiles.
Pour progresser, il faut dépasser ces divisions et lutter ensemble, valides et handicapés, pour une société réellement inclusive, fondée sur la satisfaction des besoins et la solidarité. Cela nécessite une rupture avec le capitalisme, qui exploite et exclut systématiquement les plus faibles.

Conclusion
Loin de répondre aux défis de l’inclusion, la loi de 2005 perpétue l’exploitation et la division. Exigeons des moyens adaptés pour une école à la hauteur des besoins de tous ! Cela passe par un nécessaire soutien de la société envers ceux qui font l’École, c’est-à-dire ceux qui y travaillent et qui sont les premiers à proposer des solutions concrètes pour permettre une intégration – et non une inclusion – harmonieuse et effective des élèves en situation de handicap dans l’école. Intégration qui passe par la nécessaire reconnaissance des différences et des investissements qu’elle nécessite pour construire une école et une société réellement solidaire.
À chacun selon ses besoins, de chacun selon ses possibilités. Cela nécessite un changement de société, donc de renverser le capitalisme pour aller vers le communisme. Cela nécessite, dans un premier temps, d’affronter l’austérité imposée par l’UE, qui détruit notre service public d’éducation et sa capacité à donner à tous les élèves ce qu’ils sont en droit d’obtenir. Cela nécessite aussi de lutter contre l’exploitation patronale qui conduit à discriminer nos concitoyens les plus fragiles.