Jimmy’s Hall Voilà ce qui semble être, selon ses propres dires, le dernier film du réalisateur britannique Ken Loach. D’Hidden Agenda à It’s a free world, en passant par Sweet Sixteen, Les dockers de Liverpoool, ou Bread and roses, Loach dépeint avec un remarquable talent, par le long-métrage ou le documentaire, la (sur)vie, l’amour, les luttes, des gens du peuple. Sans mélo, sans omettre les failles, les faiblesses, mais toujours avec cette profonde tendresse pour les victimes d’un système capitaliste inhumain.
Dans son Jimmy’Hall, Ken Loach et son scénariste Paul Laverty reprennent le chemin de l’Irlande, qu’ils avaient quitté en 1922 en pleine guerre civile, dans le superbe Le vent se lève. L’histoire se déroule en 1932, lors de l’accession au pouvoir d’Eamon de Valera, ex-insurgé de 1916, ex-président de la République irlandaise clandestine, ex-chef des forces anti-Traité de la guerre civile. Une période charnière de l’histoire de l’Irlande, qui voit se succéder espoirs et désillusions.
Le film s’inspire de la vie du militant communiste Jimmy Gralton et débute sur son retour dans son Leitrim natal, après dix ans d’exil aux Etats-Unis. Sur place, il est sollicité par ses anciens compagnons et par une nouvelle génération de jeunes gens, afin de rouvrir le « Pearse-Connolly Hall », véritable Maison du peuple, dont le nom honore deux des principaux chefs de l’insurrection de 1916, où se succèdent cours de danse et de boxe, initiation à la littérature et au dessein, mais aussi discussions politiques.
Sur place, Jimmy et ses camarades se retrouvent rapidement en bute aux forces réactionnaires à l’œuvre dans l’Irlande des années 1930. L’Eglise tout d’abord, qui voie dans le dancing un dangereux outil de dévoiement de la jeunesse catholique, et n’hésite pas à menacer tout individu se risquant dans les pas de Jimmy…
Plus complexe est le rôle joué par l’Armée républicaine irlandaise (IRA). Depuis la guerre civile celle-ci est divisée entre une aile droite qui soutient les propriétaires terriens et glisse vers le fascisme par le biais de l’association des « Camarades de l’Armée » (plus connue sous le nom de « Chemises bleues » et dirigée par Eoin O’Duffy, un des ex-responsables des forces pro-Traité de la guerre civile), et une aile progressiste, grande perdante de la guerre civile, proche des idées socialistes et communistes et de la petite paysannerie, qui appuie et sollicite Jimmy et ses camarades.
Loach et son équipe font preuve d’une réelle finesse d’analyse politique, de mise en scène (remarquable scène de danse entre Jimmy et son amour de jeunesse), et nous prouve qu’il n’y a pas de contradictions entre les loisirs, la culture, et la lutte. La boxe comme le jazz, les poèmes comme la musique traditionnelle irlandaise, servent d’outils d’émancipation lorsqu’ils sont pris en main par les forces de progrès.
Un film poignant, aux acteurs exceptionnels, que nous recommandons à nos lecteurs et camarades.
Ken Loach nous montre plus que jamais, que « ceux qui vivent sont ceux qui luttent ».
« Pour aller plus loin, un conseil de lecture pour une vision synthétique du conflit : Roger Faligot, La résistance irlandaise, 1916-2000, éditions Terre de Brume, 2e édition 1999″.
critique par Taki