Tiré de http://la-sociale.viabloga.com/
Par Denis Collin Vendredi 27/02/2009
La presse d’opposition (?) en France ne cesse de pilonner sur le même leitmotiv: le président de la république est en gros « à côté de ses pompes », il est impuissant face à une crise qui le dépasse et réduit à la gesticulation. Pour les syndicats, après la rencontre du 18 février, où les bonzes syndicaux lui ont servi de faire-valoir, « le compte n’y est pas ». M’sieur Sarkozy, encore un effort ! La « parti de gauche » s’en prend à Nicolas Sarkozy qui « s’obstine dans l’erreur ». Et ainsi de suite. Il n’y a qu’une question qui n’est pas posée : le compte pour quoi ? l’erreur par rapport à quoi ?
Car s’il s’agit de mener une politique de sauvetage du capitalisme, Nicolas Sarkozy ne fait pas pire que ses collègues européens. Il fait ce qu’il peut. En garantissant les banques contre l’effondrement qui les menaçait, il a colmaté les brèches et s’en est tenu à ce que lui demandaient les dirigeants du capitalisme financier. Le « plan automobile » apportant 6 milliards à Renault et à PSA permet à ces entreprises de restructurer pour faire face à une situation qui sera, de toute façon, très difficile. Dans un premier temps, le président français avait voulu inciter les constructeurs français à mettre un terme à leur politique de délocalisation, en échange des aides de l’État. Avait même été évoquée la possibilité que la production des petites françaises en Tchéquie ou en Slovaquie puisse revenir sur le sol national. Mais les patrons ont remis Nicolas Sarkozy à sa place en lui rappelant que ce n’était pas à l’État de s’occuper de la direction des entreprises, et surtout que toute forme de protectionnisme ouvert ou larvé était strictement interdite par les règlements européens. Les défenseurs d’une Europe supra-nationale, ceux qui disaient encore il y a peu que le principal danger que faisait surgir cette crise était celui d’un renouveau du nationalisme, tous ceux-là sont très mal placés pour faire la leçon au président français… On oppose Sarkozy et Obama, vantant l’Américain audacieux face au Français timoré et incapable de prendre la mesure de la crise. C’est oublier un peu vite que la situation des deux pays n’est guère comparable. Les États-Unis ne disposent pas du tout des dispositifs d’amortissement de la crise dont dispose la France – ces fameux « archaïsmes » que tous les gouvernements, depuis trois décennies au moins, veulent liquider. L’indemnisation du chômage, la protection sociale et le retraites par répartition, même avec les coups subis ces dernières années, évitent que des millions de Français ne soient précipités du jour au lendemain dans la misère. Alors que les ménages américains sont endettés jusqu’au cou, les ménages français restent généralement de bons petits écureuils – ceci d’ailleurs parce qu’ils n’ont pas suivi les conseils que leur prodigue Nicolas Sarkozy depuis l’époque où il était à Bercy. Les États-Unis sont endettés auprès de la Chine et du Japon. L’État, en France, est endetté très majoritairement auprès des Français.
Bref, du point de vue de la gestion du capitalisme, Sarkozy n’est pas pire qu’un autre…
Le problème n’est pas Sarkozy, mais le système dont il est le défenseur et se voudrait le « refondateur », le système capitaliste. Et la crise que nous affrontons n’est pas la crise du sarkozisme, la crise du libéralisme ou une crise due à des imprudents et des escrocs. Ni Kerviel ni Madoff n’auraient pu faire vaciller le capitalisme mondial à eux seuls. Eux et leurs semblables, eux et les moulins à parole qui continuent d’occuper les médias, ils ont joué un rôle mais un rôle subalterne. Ils n’ont été dans cette affaire que les marionnettes contingentes qui ont permis à la nécessité de se réaliser. Depuis les années 80 à l’échelle mondiale et depuis 1989 et la mise en place du grand marché et du « paquet Delors » en Europe, on avait trouvé la martingale gagnante, « la nouvelle création de valeur ». La circulation accélérée du capital devait produire du profit. Construire des usines, produire et vendre, tout cela devenait d’ennuyeux à-coté de l’activité fructueuse par excellence: faire circuler de plus en plus vite le capital pour encaisser au passage un miraculeux « retour sur investissement ». Mais toutes ces astuces, qui ont fonctionné et ne pouvaient fonctionner qu’un temps, n’avaient pas d’autre but que de tenter d’enrayer la baisse du taux de profit dont l’expansion accélérée de l’économie des pays « émergents » est une composante importante – même si ces pays ont pu et continuent d’être un champ d’accumulation du capital. Bref, pour comprendre quelque chose à ce qui se passe il faudrait tout simplement prendre le temps de lire Marx1.
Il faut comprendre en tout cas que les montagnes de dettes d’aujourd’hui (et chaque jour apporte son lot de découvertes inquiétantes), l’accumulation de ces « actifs toxiques » dans tout le système financier ne sont rien d’autre que la richesse d’hier ! Et c’est quand il est devenu évident que les promesses d’hier ne pouvaient être tenues en raison de la situation réelle de l’économie que l’ensemble s’est effondré.
À partir de là, demander à Sarkozy de prendre des mesures, de faire un effort ou je ne quoi encore, sans poser la question de la nature des rapports sociaux de production et des formes de la propriété, c’est tout simplement se moquer du monde. On comprend, certes, le désarroi de la gauche et de sa composante la plus à gauche : depuis vingt ans, elle n’a pas d’autre programme (quand elle n’est pas directement ralliée au capital financier) que de ressusciter ce bon vieux keynésianisme qui se résume à quelques principes simples: stimulation (étatique) de la demande, qui entraîne la croissance (la sainte croissance) et donc ensuite un magot à partager en réservant une part pas trop chétive aux travailleurs. Mais ce montage-là ne marche plus parce qu’il n’y a plus rien à partager dans le cadre des lois du mode de production capitaliste.
Si on veut protéger les salariés des effets ravageurs de la crise, il faut interdire les licenciements. Mais si on interdit les licenciements, le droit de propriété capitaliste est devenu purement formel puisque le capitaliste est privé de son droit absolu, celui qui résume tout le système de domination, son droit d’employer ou de ne pas employer une certaine partie de son capital pour acheter de la force de travail. Et encore, si on interdit les licenciements, il s’ensuit également que les entreprises françaises se trouveront en position de faiblesse sur le marché mondial et alors s’imposent toutes sortes de mesures protectionnistes (ou d’accord avec les pays qui voudraient suivre la même voie de rupture avec la logique capitaliste). Bref, si on veut simplement s’opposer au flot terrifiant du chômage (+90.000 chômeurs officiels en janvier 2009, du jamais vu!), on est déjà sorti de Maastricht, de la concurrence libre et non faussée et du sacré-saint respect de la propriété capitaliste.
Si on veut empêcher la paralysie du pays, il faut permettre aux entrepreneurs qui veulent entreprendre, aux petits et moyens patrons, aux paysans et aux commerçants, d’emprunter de l’argent à un taux qui devrait être proche de zéro (compte-tenu de la déflation qui menace). Donc il faut redonner au politique le contrôle de la monnaie (encore une fois, en finir avec Maastricht) et procéder à la nationalisation du système bancaire, en protégeant les épargnants, et à la création d’une banque d’investissement centrale. Pour réaliser ce programme minimum, il faut tourner résolument le dos à la logique européiste et non pas demander « une autre Europe » ou d’autres quelles billevesées du même genre.
Enfin, il faut dire haut et fort et parce que nombreux sont maintenant ceux qui peuvent entendre ce discours, qu’il est temps, grandement temps, de changer de chemin historique. La reprise de l’accumulation capitaliste (avec l’espoir qu’il en restera quelques miettes pour les dominés) suppose une destruction massive de richesse, destruction qui est déjà en cours avec la récession la plus brutale depuis 1929. Mais la crise de 1929 n’a pris fin que lorsque la machine de guerre s’est mise à tourner à plein rendement, en Allemagne d’abord, aux États-Unis ensuite. L’histoire ne se répète certes pas, mais les raisons qui ont conduit au cataclysme la Seconde Guerre mondiale sont encore à l’œuvre. On n’a pas fait assez attention au fait que Barak Obama après avoir annoncé son plan de relance de l’économie à demandé 200 milliards supplémentaires pour la guerre. Quelles qu’en soient les formes, la course folle pour la reprise de l’accumulation capitaliste prépare de nouvelles et massives destructions, y compris et peut-être d’abord pour la planète.
Et c’est ce qui rend plus urgent que jamais la redéfinition d’un horizon d’espérance, ce qui rend plus nécessaire que jamais la défense du bien commun dans une perspective qu’il faut appeler par son nom, le communisme.