www.initiative-communiste.fr vous propose de retrouver les extraits d’un long entretien accordé par Hélène Clément – économiste auprès du CEMI-EHESS, spécialiste de la Russie – autour de la question ukrainienne. Réalisé à la fin aout, de larges extraits de cet entretien ont été publiés par Initiative Communiste. Bien sûr, sur différents sujets, les militants communistes du PRCF ne partagent pas nécessairement tout de l’analyse proposée ici, mais c’est l’occasion de donner entendre un point de vue d’une économiste spécialiste de la Russie, proche du terrain, de mettre en relief l’absence de diversité d’opinion des grands médias relayant, en invitant des experts appointés choisi avec soin, unanimement les éléments de langage établis par l’empire euro-atlantique à Washington et Bruxelles ou au siège de l’OTAN.
IC : Quel est votre parcours, et quelles sont vos fonctions actuelles ?
Hélène Clément : Je suis économiste, habilitée à diriger des recherches. Je suis rattachée auprès du laboratoire de recherche du CEMI-EHESS (Centre d’étude des modes d’industrialisation de l’école des hautes études en sciences sociales).
Actuellement en disponibilité d’un poste de maître de conférences, j’habite la plus grande partie de l’année avec ma famille en Russie. Mon mari est français comme moi et nous nous sommes installés en Russie depuis 2007. Nous partageons un intérêt pour le pays, sa culture, son dynamisme qui transparaissent dans les valeurs éducatives transmises à nos enfants. Ils ont fait une grande partie de leur scolarité dans le système d’enseignement public russe.
Je collabore actuellement à un programme de recherches avec l’Institut de prévisions de l’économie nationale de l’Académie des Sciences de la Russie (IPEN-RAN) sur les stratégies des entreprises françaises intervenant en Russie. Nous observons que les grands groupes qui connaissent le terrain ne se font pas intimider par les agitations de la presse. C’est auprès des PME qui pourraient trouver en Russie des relais de croissance, que la désinformation à laquelle nous sommes habitués de la part des médias traditionnels fait le plus de ravage. Alors que les PME sont les plus frappées par la crise européenne qui s’amplifie, voilà un gaspillage de possibilités lourd de conséquence sur l’activité de notre pays.
IC : Comment en êtes-vous venue à vous intéresser particulièrement à la Russie ?
J’ai étudié le russe au Lycée, ce qui m’a amenée à passer un mois à Moscou en 1978. Déjà à l’époque j’ai rapidement compris que la vision occidentale ne collait pas complètement avec la réalité… Etait-il possible que la propagande soit plus symétriquement partagée qu’on ne le croyait ?
« Dans les années du développement de l’économie néolibérale il était conventionnellement plus à propos de donner une large place aux études sur l’équilibre et l’efficacité ainsi que sur les mécanismes de convergence en Europe pour accréditer les transformations en cours et le passage à l’Euro »
Une fois pris le tournant d’une carrière académique en économie, j’ai orienté mes recherches vers les transitions et les mécanismes dynamiques qui façonnent l’environnement socio-économique. Cette approche allait en sens inverse des points focaux du moment. Dans les années du développement de l’économie néolibérale, portée par l’accélération de la financiarisation, il était conventionnellement plus à propos de donner une large place aux études sur l’équilibre et l’efficacité ainsi que sur les mécanismes de convergence en Europe pour accréditer les transformations en cours et le passage à l’Euro. Il est aisé de comprendre que dans ce contexte, une réflexion sur les incertitudes, les déséquilibres, les entraves à la viabilité des systèmes économiques et les crises était hors du cadre imposé. Les soubresauts du réel ont finalement très peu de prise sur les impératifs de justifications de la théorie économique lorsqu’elle flirte avec l’idéologie. Vous imaginez assez bien comment j’ai pu rester sur ma faim compte tenu de l’évolution des mentalités sur la période… Ainsi se comprend le souhait d’explorer en Russie un terrain de recherche qui ne pouvait renier les mécanismes de transformations et les crises, tout en témoignant d’une expérience qui permettait de retrouver l’espoir que des solutions économiques existent pour assurer l’amélioration des conditions de vie des populations.
Avec nos collègues du CEMI et de l’IPEN-RAN nous avons suivi l’épopée de la Russie depuis le début de la transition des années 90. J’avais pu ainsi visiter régulièrement une grande diversité de recoins du pays… Puis en 2006 nous avons pris la décision de nous installer dans la capitale en famille – une manière d’être sur le terrain et en prise avec le réel. J’assumais ainsi ma différence avec les aspirations standard du milieu académique français qui préfère souvent la distanciation d’avec le réel comme gage d’objectivité. Cette attitude est très marquée particulièrement sur les questions qui touchent à la Russie et bien sûr à l’Ukraine… Il est clair maintenant que cette convention témoigne d’une forte dépendance de la profession à un modèle de pensée et d’analyse anglo-saxon. Cette uniformisation sape les perspectives de diversité pour imposer l’absence d’alternative (TINA *) généralisé.
« il n’y a pas d’alternative ». Associé à l’austérité, le slogan signe le joug d’une authentique dictature de la pensée
L’exigence économique du monde financiarisé qui structure la société européenne impose un déni des liens autres qu’économiques. L’Europe se sent obligée de se précipiter pour signer en catimini le Traité Transatlantique avec les USA (TAFTA) et faire avancer l’OTAN coûte que coûte….faute d’alternative. Cette absence d’alternatives assénée en permanence par nos médias, nos politiques, c’est aussi de ça que j’ai voulu me libérer en venant en Russie. Déjà en économie je n’y ai jamais cru, ce n’est qu’une mystification hégémonique. Associé à l’austérité, le slogan signe le joug authentique d’une dictature de la pensée. A l’opposé, la dictature d’opérette que singent les Pussy Riots est un contre-sens. Elles m’amuseraient plus si elles avaient les tripes de parodier la Troïka en Grèce, parce que l’austérité tue, en Grèce et ailleurs, comme le clament depuis longtemps des scientifiques britanniques dans la revue médicale The Lancet.
Au delà des aspects professionnels nous ressentions mon mari et moi cette absence d’alternatives comme un fardeau capable de briser le futur de nos enfants. Et en sept ans de vie en Russie, nous mesurons combien la réalité en Europe corrobore de plus en plus cette anticipation. La société française semble de plus en plus laissée pour compte, sous l’argument de la crise. Le Français est seul et sommé de l’être de plus en plus, individu certes libre de se choisir en genre mais mesurable, évaluable comme une marchandise en concurrence avec d’autres. L’avenir des jeunes dans cette jungle s’articule entre le renoncement en dehors de l’économie marchandes modulo le RSA, -mais pour combien de temps encore?- et finalement les plans de départs forcés.
En somme notre intérêt familial pour la Russie va de pair avec un retour aux sources et la quête de reconnaissance de capacité collective pour affronter le futur. J’avais besoin de prendre de l’air hors de l’individualisme mortifère. Je me sens un être social et j’ai besoin d’un collectif, et de tisser des liens. C’est comme une mission spirituelle, intellectuelle, culturelle tout à la fois dans l’espace et dans le temps. Je ne suis pas un touriste qui passe, qui consomme, qui profite…je voyage par circonstance quand je peux «servir», dans beaucoup de régions de Russie et dans son voisinage. En février dernier, j’étais dans le Donbass pour une conférence. Déjà mes collègues universitaires revendiquant leur parenté cosaque m’annonçaient qu’ils se préparaient à Résister, à reprendre le flambeau de la victoire de 1945 que le gouvernement provisoire de Kiev remettait en cause. Ils feraient des milices, disaient-ils, et en même temps ils souhaitaient qu’on discute d’une coopération commune sur des contrats de recherches européens… ! J’étais seule à mesurer l’aspect contradictoire de ces souhaits et combien il était tyrannique de leur demander de choisir entre leur identité, leur histoire et la coopération avec des Européens… Comment pouvaient-ils comprendre ? Eux qui croyaient que la victoire sur le nazisme, nous l’avions remportée ensemble, et que ça devait créer des liens !… Je restais dubitative en songeant qu’ils étaient en première ligne pour être les nouveaux bouc- émissaires. On venait d’apprendre que le gouvernement Ukrainien avait signé en janvier avec la Royal Dutch Shell un contrat de 10 milliards de dollars pour être le principal prospecteur et exploitant du gaz de schiste dans l’est de l’Ukraine (cf: Shell and Ukraine Finalize $10 Billion Shale Gas Contract). On sait maintenant aussi que Exxon est aussi présente aux côtés de la société Burisma Holdings, principale société de fracturation hydraulique de l’Ukraine. Elle appartient à Ihor Kolomoïsky, un oligarque ukrainien proche du vice-président américain Joe Biden, dont le fils a été nommé membre du conseil de direction de Burisma Holdings.
Des ce début d’année, il était ainsi dans l’air que l’Est de l’Ukraine était promis à la fracturation hydraulique, le problème qu’il allait falloir que les autorités de Kiev résolvent était celui de la population en trop sur les sites d’exploitations…personne alors ne se doutait des implications.
Si vous souhaitez plus d’information me concernant je vous renvoie à un article publié en juin dans la Voix de la Russie,«Vivre en Russie : une leçon d’espoir et de résilience pour une économiste dans le réel». Il est repris sur mon blog : http://viableco.hypotheses.org
IC : Dans les grands médias français, Vladimir Poutine est presque toujours décrit comme un monstre froid qui tiendrait à la fois de Staline et de Pierre Le Grand. Qu’en pensez-vous?
D’après le classement publié par le magazine américain Forbes, le Président russe est l’homme le plus influent du monde… Pour le Huffington Post c’est l’« homme médiatique numéro un » et la » personnalité internationale de l’année 2013 » pour le Times. De quoi nourrir nombres de comparaisons et de rancœurs!
De mon point de vue, le rôle international de Vladimir Poutine est le symbole d’une action collective menée par la diplomatie russe afin de promouvoir un monde multipolaire où la souveraineté des pays serait préservée. Cette cohérence affichée, alliée à la préservation d’une tradition d’excellence, assure le succès dans les enjeux géopolitiques contemporains qui portent tous en germe leur part de chaos. Le rayonnement de la Russie s’affirme dans son voisinage et au delà, au sein des BRICS et de l’OCS (Organisation de coopération de Shanghai)- OCS dont les voix s’élargissent et s’affirment. Serguei Lavrov, le Ministre des affaires étrangères de la Russie incarne cette excellence et ce volontarisme au service de son pays.
« Les Russes peuvent ainsi conjurer le pire des maux pour un peuple qui est de se sentir trahi. »
Bien sûr, moins connue en Occident parce qu’elle prend le contre pied des caractérisations hâtives, est certainement la capacité du Président russe a être poche de son peuple. Les anecdotes et les témoignages ne manquent pas : il participe régulièrement à un intéressant exercice appelé Ligne directe, une émission qui dure environ quatre heures. A peine moins d’une centaine de questions sur des sujets les plus divers lui sont posées en direct par les auditeurs et le public. Le Président russe se livre à ce jeu coutumier avec facilité, sympathie et même connivence….la population a pris l’habitude de suivre avec intérêt ces échanges et il lui arrive aussi de «vibrer» lors des conférences de presse du Président (texte.et vidéo YouTube). Peut on imaginer exercice de démocratie directe similaires avec nos élites européennes ou même françaises? Ni Herman Van Rompuy ni Catherine Ashton ne cherchent à nous faire vibrer… le pourraient-ils d’ailleurs ? Pourtant je suis d’avis que c’est cette façon de faire en prenant les gens au sérieux qui assure au Président russe sa popularité et la confiance de son peuple. Les Russes peuvent ainsi conjurer le pire des maux pour un peuple qui est de se sentir trahi.
Le résultat statistique est édifiant, et a aussi de quoi faire encore rager nos médias et nos élites. Au Président de la Fédération de Russie, moins de 20% d’opinions défavorables, alors qu’en France moins de 20%, c’est tristement le pourcentage de Français satisfaits de leur Président… Cherchez l’erreur!
La presse occidentale a aussi pris le réflexe de mettre en doute la liberté d’information en Russie. A l’heure du net et de l’internet libre – ce qui est le cas en Russie à la différence de nombreux autres pays bien moins stigmatisés – que signifie cette accusation? D’ailleurs cette même presse occidentale apprend en ce moment la leçon à ses dépens : la désinformation ne passe plus grâce aux réseaux et aux blogues.
Galvanisée par une presse qui se fait fort de traquer les manquements aux droits de l’homme, certes de façon un peu sélective, les Français continuent à tenir et à croire à leurs privilèges démocratiques qui les placent bien au dessus de toute ambition concurrente. Loin de moi et de la Russie, l’idée de tenter de leur donner des leçons sur ce registre, si chèrement payé. Je sais simplement que le sens des mots diffère selon les contextes et que l’universalisme occidental s’accommode mal de la tolérance, surtout au sujet de la démocratie, matière à imposer par la force si besoin est, selon la culture politico-stratégique de l’OTAN, avec frappes préventives à la clef et sanctions économiques pour amorcer. C’est entré dans les habitudes!
« Cette morale [de l’UE] fondée sur le principe de la concurrence doit s’imposer uniformément «pour tous» parfois avec des forceps, et elle imprime sa marque dans l’éducation, les rapports sociaux qui deviennent chaque jours plus durs et pesants »
Nous n’allons pas rouvrir le débat sur les droits de l’homme contre la dignité humaine, ni encore du relativisme moral garant de libertés individuelles contre la liberté humaine comme ferment du lien collectif. Le point de vue que je partage avec les Russes, mais aussi encore avec certains Français, je le pense encore, est que la somme des intérêts particuliers ne fait pas le bien commun, véritable socle de la société et source de joie d’être ensemble. Les Russes le résument habituellement par l’idée du «Nach», qui signe la reconnaissance que l’individu appartient au groupe, qu’il en est digne et qu’il y sera accueilli et protégé… Une onction de respect réciproque. Cette position est issue d’une conception anthropologique et philosophique considérée comme désuète par des contemporains «dans le vent», parce qu’elle se situerait aux antipodes de la morale européenne. Cette morale fondée sur le principe de la concurrence doit s’imposer uniformément «pour tous» parfois avec des forceps, et elle imprime sa marque dans l’éducation, les rapports sociaux qui deviennent chaque jours plus durs et pesants, à l’école comme sur les lieux de travail : l’individu post-crise sera radicalement autonome, contractualisé et finalement peut-être bien trop déterminé pour être vraiment libre. Il sera acteur du tourisme ou devant les fourneaux selon les orientations qui s’annoncent dans le panorama économique de ce que nos alliés voudront bien nous autoriser à garder comme activité légitime (c’est-à-dire le tourisme et la gastronomie).
En Russie c’est la géographie qui explique en premier lieu le sens et l’importance du collectif : les contraintes naturelles pèsent, le collectif est ce qui fait résister mais aussi gagner contre la fatalité du déterminisme.… L’Histoire et les crises surmontées en attestent. L’individu n’est rien dans l’immensité et la solitude, le réel penche en faveur de ce qui chez nous passe pour officiellement ringard…On comprend ainsi la dissonance !
Beaucoup de choses se déclinent alors sous cette divergence de vues que la presse se plait à exacerber par la caricature du prêt à penser imposée par les figures politico-médiatiquement correctes.
L’hystérie en la matière sembla à son comble -ce n’était qu’un début !-, lors des jeux de Sotchi (NDLR cf : Sotchi: l’hystérie médiatique anti-russe et anticommuniste) pour embuer les manœuvres de l’EuroMaïdan afin que nul n’y suppose une ingérence autre que «démocratique». La distribution de biscuits par Madame Nuland en était l’assurance ! Seule ombre au tableau, l’envie irrépressible de ces «femmes éminemment bonnes» de téléphoner (V. Nuland et C. Ashton)… en oubliant que la technologie des grandes oreilles n’est pas encore la chasse gardés de la NSA (« Fuck the EU! – Exactly! » – YouTube et Catherine Ashton-Courrier international).
IC : L’annexion de la Crimée est présentée par les mêmes médias comme le début d’une expansion russe vers l’ouest…
Un article signé de J. Mearsheimer, paru dans l’édition de septembre-octobre 2014, du Foreign affairs ( Pourquoi la crise ukrainienne est la faute de l’Occident) souligne que les États-Unis et leurs alliés européens partagent l’essentiel de la responsabilité dans la crise ukrainienne. Depuis de nombreuses années, la racine du problème est l’élargissement de l’Otan – en dépit des promesses faites à Gorbatchev lors de l’éclatement de l’URSS. C’est un élément central d’une stratégie visant à arracher l’Ukraine à l’orbite russe et à l’intégrer à l’Occident. En préliminaire à l’intégration dans l’OTAN, lorsqu’elle n’est pas encore possible, le « changement de régime » par des «révolutions colorées» fut systématique. C’est la politique que l’Occident a menée aussi en Ukraine. La proposition d’association faite par l’Union européenne qui a été à l’origine de la crise contenait également des clauses relatives à la politique de défense. Elle visait à forcer ce pays, que l’on savait pourtant profondément divisé, à choisir entre l’Europe et la Russie. Dans un sondage national conduit en décembre 2013, 48% des personnes interrogées ont dit que Ianoukovitch avait raison de ne pas signer et 35% qu’il avait tort (85 % dans l’Ouest du pays).
Ainsi, c’est l’Ouest qui avance vers la Russie en dissimulant de moins en mois sa menace. L’OTAN, en s’élargissant inexorablement, accroît sans cesse ses manœuvres militaires, implante ses bases et ses fusées toujours plus prés des frontières russes. Il ne s’agit pas que d’une question de langage ou de menace, c’est bien réel. Il est de notoriété publique que le Département d’État US a «investi» 5 milliards de dollars pour asseoir le «partenariat avec l’Ukraine» en assurant la chute du gouvernement ukrainien, suivant un complot rendu public par l’enregistrement de la communication entre l’ambassadeur U.S. en Ukraine (Geoffrey Pyatt) et l’assistante au Secrétariat d’État (Victoria Nuland).
On constate aussi largement que les USA alimentent la propagande et la désinformation antirusse. L’épisode de l’explosion de l’avion Malaysien en atteste : il a servi à nourrir la délation, et les vraies informations sont depuis classées «secret défense», parce que beaucoup trop «sensibles» pour être divulguées au grand public, qui ne pourrait pas comprendre !
Dans l’apologie du dénigrement et de la haine de la Russie, la stratégie US n’a de cesse de réitérer le coup d’État en Russie d’octobre 1993, qui a auguré une période de sinistre mémoire pour le pays : appauvrissement généralisé de la population, et montée des mafias du fait de l’arrivée au pouvoir de réformateurs zélés en matière d’austérité, conseillés par des experts américains idoines. Récemment un colloque à Paris «1993, un octobre oubliée» a éclairé ce sujet que nos médias nous avaient quelque peu dissimulé. Rares sont les Russes prêts à se laisser faire une nouvelle fois.
De façon plus pragmatique, posons-nous la question qui s’est posée à un Criméen lambda qui se soucie de l’avenir de ses enfants : votre gouvernement vous annonce des nouvelles baisses de salaires et de retraites dans le cadre d’un plan d’austérité du FMI, et brutalement s’ouvre pour vous le choix de rejoindre votre pays d’origine, dont la grande majorité d’entre vous partage la langue et la culture, et qui s’inscrit dans une dynamique de développement – les classes moyennes y voient leur pouvoir d’achat croître sans arrêt depuis plus de 15 ans ! Comparons cette perspective à la poursuite de 23 ans de gouffre politique en Ukraine avec de vaines promesses interprêtées comme une adhésion à l’Europe et à l’Euro pour demain… Un demain qui ne vient jamais et qui a provoqué un dépérissement économique majeur. Si vous étiez Criméen, vous choisiriez quoi ? Certainement comme les 96% de la population de Crimée : le rattachement à la Fédération de Russie.
Pour rendre compte de la situation d’aberration ambiante à Kiev et voir qu’elle ne date pas d’hier, je mentionne cette anecdote : en 2000, lors d’une mission économique à Kiev, j’ai eu l’occasion d’entendre des experts américains dont l’opinion était relayée par les journalistes, et qui disaient aux Ukrainiens de ne pas se soucier de mettre en place des programmes monétaires adaptés à leur situation économique parce que dans deux ans ils seraient dans l’Euro. J’étais sans voix !
Il faut savoir aussi qu’en Crimée, les force navales de Russie sont installées de très longue date, suivant des accords renouvelés à long terme… Il est faux de parler d’invasion militaire russe, comme nos médias sans mémoire le prétendent.… Les militaires étaient déjà là!
La Crimée a demandé son annexion, pas uniquement par opportunisme économique, mais aussi du fait de la peur. Il y a eu des provocations (menace sur la reconnaissance du Russe comme langue administrative, « trains de l’amitié » venant de l’ouest du pays, remplis de compatriotes ukrainiens amateurs de reconstitutions historiques à balle réelles…). Les agissements des bataillons punitifs gazant et brûlant à Odessa et bombardant les populations civiles au phosphore cet l’été nous ont montré que la crainte n’était pas infondée.
Ce n’est pourtant pas la chaleur de l’été qui a terrassé les capacités d’indignation de nos concitoyens européens, mais plus le souffle venu des USA. Bel exemple d’alignement et d’aliénation orchestrés une nouvelle fois par les traditionnels chiens de garde en parfaits oiseaux de malheur.
Un sondage d’opinion des populations de Crimée récemment effectué par un centre américain – ce qui est pour le moins significatif – montre que l’enthousiasme des Criméens pour le rattachement à la Russie tend à se renforcer encore depuis le référendum. A ce rythme l’Europe peut craindre une contagion pire que celle d’Ebola ! L’austérité tue en Europe et, qu’on le veuille ou non, les néo-nazis en Ukraine ont commis des agressions qui ne peuvent plus se dissimuler, visant un nettoyage ethnique anti-russe, emprisonnant les réfractaires à la conscription et persécutant çà et là par habitude et précaution… Il suffit de relire l’histoire pour ne plus craindre uniquement l’amplification de la crise économique !
IC : Qu’y a-t-il de vrai dans la grille de lecture dominante » Gouvernement pro-Europe de Kiev contre insurgés pro-russes du Donbass ? »
D’abord sur la question du vol MH17, les informations existent mais sont maintenant classées «secret défense» ce qui acte le fait qu’elles sont mises hors de la grille de lecture autorisée. Ainsi il est politiquement incorrect de se poser la question. Circulez il n’y a rien à voir ! Le théâtre de la communication doit passer à une autre scène. La provocation n’a visiblement pas marché ni du côté russe ni du côté de forces US ! On peut même penser que c’est le Pentagone n’a pas pu se laisser convaincre à engager troisième guerre mondiale contre la Russie… Chauffer les populations comme il se doit n’a servi à rien. Et puis l’histoire les rattrape, les chaos précédemment orchestrés se sont rappelé à leurs initiateurs… En Irak et en Syrie, rien n’est fini et ça explose aussi à l’intérieur des USA. Gageons que les néoconservateurs et les tueurs à gages en tout genre vont inventer de nouvelles provocations pour arriver à leurs fins chaotiques.
La question de communication qui accapare les spécialistes est maintenant de faire passer la nécessité de s’allier à Bachar El Assad pour anéantir les gentils rebelles d’hier en Syrie, à qui on fournit des armes, et qui se sont transformés en vrais coupeurs de tête. Il n’était pas venu à l’esprit de nos communicants polarisés par les armes chimiques que les témoignages faisant état de tortures et de décapitations l’année dernière pouvaient être fondés. Question de panorama !
Cette année la mode n’est plus à s’intéresser aux armes chimiques, qui pourtant sont expérimentées sur les populations dans l’Est de l’Ukraine (bombes au phosphore) par les troupes du gouvernement de Kiev, que l’UE et les USA ont mis en place.
Pratiquement tous les médias et même Médiapart sont pris au piège de leur désinformation. Ce que voient les lecteurs de plus en plus, ce sont des insinuations et des accusations grotesques qui discréditent leurs auteurs. La palme est certainement à décerner au journal allemand Die Welt qui a même accusé la Russie d’être responsable de l’irruption du virus ébola ! (cf. Russland hat Ebola zur Waffe gemacht). Par chance, à l’heure du net, les blogs se relayent à réinformer les curieux .
Plus concrètement, le discours de discrédit vis à vis des combattants du Donbass qualifiés péjorativement de «pro-russes» s’embourbe dans des réalités de terrain. Elles devraient forcer les observateurs à mettre l’accent sur la nécessité de négociations plus constructives et non à mettre de l’huile sur le feu. Le réalisme finira par s’imposer compte tenu que les troupes de Kiev sont en passe d’être vraiment défaites, en dépit des mercenaires et de leurs conseillers US.
Ainsi se font-elles anéantir face à des combattants qui défendent leur terre, leur vie et celle de proches. Réalisons aussi qu’ils revivent les actions glorieuses de leurs grands parents sur les mêmes terrains et contre les mêmes adversaires. Facile d’imaginer l’écart d’incitation au combat des deux côtés, entre la gloire des combats des «partisans » et la promesse de l’austérité made in FMI ! Il n’est pas surprenant que trois bataillons entiers aient pu être reconstitués avec les déserteurs de l’armée de Kiev pour combattre aux côtés des troupes du Donbass. En plus des hommes, c’est aussi du matériel en grande quantité qui est récupéré par les combattants du Donbass. Kiev, qui dirige l’expédition punitive qualifie de terroristes les insurgés du Donbass, tout comme étaient qualifiés de terroristes les résistants français par les nazis. Il y a des parallèles qui ne laissent pas indifférent et qui traduisent le manque de réflexion des élites qui utilisent les mots.
Incompétence, ignorance, amateurisme ? En tout état de cause, c’est un vrai problème que nos instances européennes aient pu parier sur cette mascarade ! On apprend même d’un responsable européen que l’impact prévisible sur l’économie européenne des sanctions contre la Russie n’a fait l’objet d’aucune étude. Eh oui, tout le monde devait être en vacances !
Progressivement, la campagne organisée par Washington afin de diaboliser la Russie est démystifiée. Par exemple, un groupe de professeurs hollandais a écrit une lettre ouverte au président russe Vladimir Poutine le 12 août, dans laquelle les signataires ont officiellement demandé pardon pour les mensonges de propagande répandus par les médias occidentaux (An open letter from the Netherlands to Putin… We are sorry!(futuristrendcast.wordpress., anglais, 05-08-2014).
IC : L ‘Ukraine de Porochenko est-elle viable à votre avis ? Risque-t-elle d’éclater, ou de connaître bientôt de nouvelles insurrections ?
Il y a une imbrication de problèmes économiques et militaires qui rendent la situation totalement non viable dans le cadre présent.
Une chose est sûre, les Ukrainiens ont une capacité de résistance hors du commun… Depuis son indépendance, soit plus de 20 ans, ce pays pourtant considéré comme une riche région (terres noires, ressources minières, industries) ne connaît pas de rebond économique. La population est prête à croire n’importe quoi par désespoir. A mon sens, c’est ce qui explique « Maïdan» avec en plus les avantages financiers retirés des participations aux manifestations «démocratiquement subventionnées».… Difficile d’imaginer pour nous Français, si prompts à manifester que d’autres peuples doivent être payés pour descendre dans la rue ! Telle est pourtant la réalité qui transparaît dans les témoignages des participants. Pour trouver une excuse valable, arguons qu’il faisait parfois -10 degrés lors de l’épopée Maïdan !
On peut aussi comprendre que la population se demande comment passer l’hiver dans le contexte présent. Les mesures d’austérité du FMI touchent les plus démunis alors que les oligarques associés officiellement au pouvoir poursuivent leurs détournements financiers comme d’ordinaire. Ils devraient normalement donner des gages aux bras armés du régime, mais il semble que même cela se fasse pas sans mal. L’appât du gain est plus fort et alimente les tensions et la dissidence. Ces mentalités sont cause d’instabilité majeure pour la suite. Les « captations » très traditionnelles en Ukraine expliquent le sous-équipement et l’indigence des troupes combattantes de l’armée. Les moyens manquent ou sont détournés. En effet une part conséquente du budget du pays a été engloutie par les opérations OAT (opération anti-terroristes) dans l’Est et le résultat n’est pas concluant. L’État ukrainien déjà en faillite avant l’offensive punitive vers l’Est ne peut subsister qu’avec des perfusions constantes de ses alliés américains et européens. Pourront-ils être à la hauteur des besoins ? La situation économique, contrairement aux prévisions trop optimistes, ne s’améliore pas chez nous, il faut bien en prendre conscience. En Europe la déflation (cf. draghi-speaketh-RWE) est maintenant un fait établi par Mario Draghi, notre banquier central, après plusieurs mois de déni et d’aveuglement.
Le pire pour les élites ukrainiennes et leurs commanditaires est que la prise de contrôle escomptée sur les ressources énergétiques potentielles du pays – fameux gaz de schiste pour lequel, dès janvier les compagnies étrangères avaient amorcé le marchandage – devient de plus en plus hypothétique. Comment alors rembourser les avances et les services rendus ? Il semble bien en effet que le gouvernement de Kiev ait déjà négocié les ressources de l’est du pays avec ses «partenaires» étrangers les plus actifs en contrepartie d’une pression d’intimidation sur les Russes et de la discrétion adéquate quant aux méthodes musclées employées pour faire table rase des populations encombrantes. Les « droits-de-l’hommistes », comme les nomme parfois Régis Debray, sont priés de regarder ailleurs ! L’Ouest ne sera pas épargné par le marchandage à cause des ambitions de Monsanto et du quitus donné par les instances internationales pour les OGM…. (cf Ukraine : pendant que les fascistes soutenus par l’UE célébrent les collaborateurs nazis, Mosanto installe ses OGM)
La conscription (3ème vague) ainsi que les listes des morts et des blessés ont provoqué de l’agitation dans de nombreuses régions au centre et aussi à l’ouest de l’Ukraine. Ce sont souvent les femmes et les mères qui manifestent. La répression et la surveillance suivant les méthodes qui ont fait leurs preuves dans des situations analogues permettent de contenir le mécontentement. Mais jusqu’à quand ?
L’effondrement de la monnaie ukrainienne montre que l’affrontement militaire tourne assez nettement à l’avantage des troupes du Donbass. Les spéculateurs, après avoir fait confiance aux ronds de jambes du gouvernement de Kiev, vendent en masse. La panique n’est pas que financière, des Ukrainiens d’autres régions se rallient aux troupes du Donbass et les sabotages des infrastructures ne sont pas rares. (…)
Les déserteurs de l’armée ukrainienne échappés des chaudrons (encerclements) fuient vers la Russie, et certains rejoignent les rangs de la résistance du Donbass. Rien d’étonnant, on connaît déjà ces épisodes dans nos livres d’histoire (enfin les vieux). La refonte des programmes prend un tour nouveau quand on comprend ce qui se rejoue avec la bénédiction des instances européennes : oublier pour ne pas transmettre à ses enfants.
La situation sur le terrain s’impose comme une vérité. Cette panique contamine les soutiens occidentaux et européens à qui les oligarques de Kiev avait assuré d’une victoire rapide. On connaît la chanson… Il y a 100 ans aussi la guerre devait être courte ! Aux abois à cause des défaites du Donbass et de la prodigieuse incompétence pour conduire cette guerre “anti-terroriste” qui devait se réduire à une boucherie type épuration ethnique bien organisée pour libérer la place au forage et à l’exploitation de gaz de schiste. Le montage géopolitique UE/USA est radicalement compromis. Combien de fronts supplémentaires devra ouvrir l’OTAN pour sauver la face ou disparaître?
La seule issue est le mensonge sur l’intervention russe et le bombardement de l’OTAN. Tel est le scénario-catastrophe mainte fois joué qui fait envie à beaucoup d’esprits agités. Mais cette fois en gros, car jusqu’à présent cette stratégie n’a pas réussi à gagner une seule guerre…. L’OTAN ne sait que perdre alors l’ultime tentative de revanche ? Les frappes atomiques préventives que nous promettent les USA régulièrement avec l’espoir que les Russes soient tous « des jokers ». A voir l’efficacité de leurs cousins du Donbass et leurs livres d’histoire remplis de faits glorieux, j’en doute…
Gardons l’espoir d’un miracle – pour conjurer les malins et leurs jeux atomiques ! – et qu’en Europe des gouvernements indépendants et des peuples souverains puissent briser la haine et le mensonge encore une fois. Que mordent la crise économique et les conséquences des restrictions pour créer la dissension émancipatrice et amorcer la résistance de ceux qui ne veulent pas de fin à l’Histoire.
Plus encore que la voracité économique, c’est finalement le retour d’un certain vocabulaire qui choque (cf. The Vineyard of the Saker: Are You A Passive Supporter Of Racially-Motivated Killing, Ethnic Cleansing And War-Crimes?). Trouver çà et là dans les qualificatifs des membres des autorités de Kiev l’emploi du vocable de sous-homme pour désigner les Sémites et les Slaves, ceux que nos medias qualifient de pro-Russes est devenu une habitude. C’est encore une manière de ressusciter la haine et la peur du communisme dans le contexte pour faire plus authentique ! Une chose est sûre, nous ne sommes pas dans la délicatesse des procédés. C’est peut-être ce dernier point qui laisse le plus perplexe dans le contexte d’aggravation de la crise économique et sociale en Europe. Une fuite en avant semble avoir commencé ! Le déni permet d’en retarder les actes de résistance mais le Net est là pour restaurer l’information.
Dans l’intervalle relisons pour l’espoir, la Chute de Paris d’Ilya Erenbourg, plus qu’un roman c’est un témoignage d’une époque dans ses aspects psychologiques les plus complexes mais toujours d’actualité…et la surprise est que l’espoir est au bout de façon prémonitoire pour la date de publication de l’ouvrage 1942 !
Notes d’Initiative Communiste
* TINA : « There is no alternative » (il n’y a pas d’alternative): formule par laquelle Margaret Thatcher avait coutume de « justifier » sa politique néolibérale sans avoir à argumenter.