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Vive Saint-Just et mort aux vaches !
Qu’il pleuve ou qu’il vente,
que les têtes tiennent encore provisoirement sur nos épaules,
qu’elles se balancent élégamment à la pointe des piques, sous nos fenêtres,
ou qu’elles palpitent au fond des paniers,
le 21 janvier reste l’anniversaire
qui, sous la douce responsabilité de Jean Ristat, Grand
Vitrier des Vigilants de Saint-Just,
nous rassemble, unis et fraternels,
en ce lieu mémorable où le sang de Capet, les années passant, n’en finit pas de couler et de roucouler pour le plus grand plaisir de nos yeux et de nos oreilles républicaines.
Vive Saint-Just et mort aux vaches !
Chacun sait qu’il y a, aujourd’hui, dans notre douce Europe, plus de rois qu’il n’y en avait en 1793,
et que, par conséquent, plus que jamais sont nombreux, en Europe, les peuples composés d’hommes se disant « libres »,
mais qui n’en sont pas moins, en droit et en fait, des
« sujets »,
qui aboient de bonheur au passage des carrosses !
Les Britanniques,
à la monarchie cousue d’or, décadente, religieuse, adultérine et homicide,
tiennent le premier rang dans cet abominable musée des Horreurs politiques,
qui,
à partir des monarchies régnantes dans le Nord,
monarchies qui se cachent, de même que l’anglaise,
sous le masque cynique des « monarchies constitutionnelles » et d’une aristocratie de pacotille,
dégringole du nord au sud de l’Europe européenne,
dans le silencieux tintamarre qu’y font, inextricablement mêlés,
les listes civiles,
les cours de la Bourse,
les taux de change,
les scandales princiers,
les affaires étouffées,
le secret bancaire,
les comptes numérotés,
mille parlementaires, dix mille fonctionnaires agissant en laquais du capital apatride,
le socialisme pour rire,
et les portes commandées électroniquement qui coulissent sans bruit sur la salle des coffres où s’élèvent les montagnes d’or sur lesquelles rois, reines, financiers et commissaires européens posent leur cul,
dégringole, dis-je, du nord au sud de l’Europe,
pour s’achever en Espagne,
à Madrid,
dans la mascarade la plus répugnante,
mascarade encore dégouttante du sang d’un million de morts,
républicains,
communistes,
non communistes,
areligieux, irréligieux, athées,
catholiques basques et catalans,
internationalistes venus des quatre coins du monde,
idéalistes de tous les idéaux,
anarchistes de toutes les anarchies,
sacrifiés par Franco,
torturés, fusillés, garrottés, enfouis dans les fosses communes par Franco,
et parfois déterrés pour être fusillés, par Franco et ses alliés nazis,
afin que le bras droit du généralissime, successeur adulé, préféré, désigné,
Juan-Carlos Bourbon,
se retrouve, le jour venu, roi d’Espagne !
Goya, même Goya n’imagina rien de plus drôle, car lorsque dans les années 1820 il fit le portrait du roi Charles IV et de sa famille, il déclara, nous dit notre vieil ami Paul Claudel, qu’il voulait exposer à nos yeux « le cocu débonnaire ! …le pitre suprême ! …le soleil couchant de la monarchie ! »
Hélas ! À pitre, pitre et demi… Ce soleil épuisé n’a pas encore fini de se coucher dans un crépuscule rouge du sang d’un million de républicains assassinés !
Formons le voeu ardent que, de Londres à Madrid, la dignité humaine poursuive ses batailles et que les combattants avides d’échapper au joug de cette vermine couronnée,
les Irlandais, les Gallois, les Écossais ; surtout les Écossais !
les Wallons, les Flamands, les Belges ; surtout les Belges !
les Castillans, les Andalous, les Asturiens, les Catalans, les Basques ; surtout les Catalans et les Basques !
renversent ces tristes survivants d’un monde aboli, et connaissent enfin les joies indicibles de la liberté !
Chacun sait que Louis XVI, le 21 janvier 1793, les mains liées derrière le dos et le col de la chemise largement échancrée, ayant monté les marches qui conduisaient au couperet, mais ayant oublié de faire dire quelque chose à Marie-Antoinette, qui attendait son tour à la Conciergerie, s’adressa au bourreau Sanson, qui s’apprêtait à le faire basculer dans la lunette, et lui dit, poliment : « Monsieur, quand vous aurez fini de faire ce que vous avez à faire, puis-je vous demander de transmettre un message à la reine ? »
À quoi l’homme du peuple répondit avec une égale politesse : « Monsieur, je ne suis pas là pour transmettre vos messages, je suis là pour vous décapiter. »
Retenons la leçon.
La politesse, la bonhomie, la prétendue dévotion au bien public des rois, ne sont que mensonges, poussière, poudre aux yeux ; cela vaut pour les rois et pour tous ceux qui les soutiennent, prétendus démocrates, qu’ils soient conservateurs, populistes, travaillistes ou socialistes !
La politesse du peuple vient du coeur. Elle salue aujourd’hui les républicains qui ont tranché le cou à l’Ancien Régime, et appelé les hommes à vivre véritablement leur liberté.
Vivent la liberté et ses symboles !
Et vive, symboliquement, dans nos esprits, le plus symbolique de ces symboles,
qui, le 21 janvier 1793, creusa un abîme infranchissable entre le passé et l’avenir,
vive la guillotine !
Pierre Bourgeade
Romancier, photographe et homme de théâtre Pierre Bourgeade vient de mourir à l’âge de 82 ans.