Georges Gastaud, secrétaire national du PRCF, a accordé l’interview suivant à la rédaction d’Initiative Communiste, journal du PRCF.
Initiative Communiste : comment vois-tu le « moment actuel » sur le plan international ?
Georges Gastaud : la situation est très grave car l’impérialisme est d’une agressivité sans mesure. Les USA poussent à la guerre contre la Russie avec leur volonté d’armer les fascistes de Kiev et leur encouragement implicite à Porochenko, qui persécute le PC ukrainien et qui viole délibérément le cessez-le-feu. Et voilà qu’entre mille autres provocations impérialistes, on parle d’une force occidentale d’occupation en Libye, déstabilisée par l’aventure scandaleuse provoquée par Sarkozy et BHL,ces derniers paradent et ce sont les peuples, y compris ceux du Nord de la Méditerranée frappés par les fanatiques, qui paient les pots cassés.
Cela dit, l’impérialisme n’est pas tout puissant et nous, marxistes, devons toujours partir du point de vue de la pratique. Or les peuples résistent. Impossible de tout mentionner, mais il faut se réjouir du changement de pied d’Obama sur le blocus, même si rien n’est fait : nos camarades du PC de Cuba savent parfaitement que c’est un changement tactique et que le but est de passer de la tactique d’Achille (prendre Troie d’assaut) à celle d’Ulysse (le Cheval de Troie), mais Raul le dit et chacun sait bien dans le PC Cubain que l’impérialisme n’a pas changé de nature. Bref, la résistance change de forme, mais c’est tout un même un recul réjouissant de « Tio Caïman » !
En Ukraine, le fait le plus marquant est la résistance populaire du Donbass, la force tranquille des communistes ukrainiens persécutés mais pas abattus, la défaite militaire de l’armée fasciste, le fait que le couple Merkholland a dû courir en catastrophe chez le « dictateur » Loukachenko, qu’ils tentèrent de renverser il y a peu, pour négocier un cessez-le-feu.
Ne nous laissons surtout pas aller à sous estimer l’impérialisme mais commettons encore moins l’erreur inverse qui serait de le croire invincible.
IC- Et plus spécifiquement en Europe ?
Georges Gastaud : La nature dictatoriale de l’UE atlantique saute de plus en plus aux yeux. La « construction européenne », qui est en fait une déconstruction-destruction des Etats souverains et des acquis ouvriers, est de plus en plus fascisante. Pas seulement parce qu’elle soutient les gouvernements pro-nazis de la Baltique ou de l’Ukraine, ni parce que toute l’UE se couvre de partis racistes et xénophobes, dont le prototype est celui de Budapest. Elle criminalise le communisme, nie le rôle de l’URSS dans la victoire de 45 (des cérémonies de commémoration de la libération d’Auschwitz-Birkenau par l’Armée rouge dont la Russie est exclue, dont l’Allemagne est la vedette et où Porochenko est invité méritent quel épithète ???), et, par son comportement au Proche-Orient et en Palestine occupée où elle soutient de facto à l’agresseur israélien, elle crée les conditions d’un affrontement terriblement réactionnaire entre le bloc euro-atlantique et les créatures fanatisées du Qatar et de Riyad. Le but est évidemment de dévier la colère sociale et les résistances patriotiques, démocratiques et légitimes vers le prétendu « choc des civilisations ».
Cela dit, là encore, l’élément sur lequel nous devons prendre appui, ce sont les résistances populaires. En Grèce, le projet de Syriza de sortir de l’austérité sans quitter l’UE et l’euro est manifestement utopique mais le peuple pousse et un puissant parti communiste existe. Notre rôle en France est évidemment, outre le soutien naturel au KKE et au PAME, de riposter vivement à notre propre gouvernement d’étrangleurs, à ces Sapin et autres Hollande qui proclament qu’il ne faut pas alléger la prétendue dette d’un euro. Rappelons-nous le mot de Liebknecht, « l’ennemi principal est dans ton propre pays ». Il faut soutenir les révoltes populaires de masse contre l’austérité, Belgique, Italie, Espagne, voire Allemagne (cheminots), sans parler des nouvelles luttes salariales de masse en France, même si elles sont inconséquentes car, comme l’a toujours dit Lénine, « les masses ne viennent jamais au socialisme seulement par la propagande, elles doivent se convaincre par leur propre expérience » ; c’est pourquoi tout à la fois le PRCF critique vertement « l’Europe sociale » des partis réformistes, Front de gauche inclus de ce point de vue, mais il s’adresse aux travailleurs et il les appelle à construire les conditions d’une première manif nationale unitaire des communistes et des patriotes progressistes le 30 mai prochain à Paris pour SORTIR de l’euro, de l’UE, de l’OTAN, dans la perspective affichée de rompre avec le capitalisme et de marcher au socialisme.
IC – Et en France ?
Georges Gastaud : Les tendances sociopolitiques indiquées par le PRCF se confirment et s’aggravent. Il y a encore fort peu de temps, même des communistes et des progressistes niaient la fascisation politique qui s’opère en confondant fascisme achevé et processus de fascisation, fascisation et lepénisation (celle-ci n’est qu’une dimension de la question qu’il ne faut pas banaliser ni exagérer au point d’oublier tout le reste). Dans les années 30, quand Dimitrov, Thorez et l’Internationale communiste ont caractérisé la fascisation, ils ont indiqué qu’il fallait distinguer les forces fascistes proprement dites, qui arrivent généralement au pouvoir dans une confrontation aiguë avec les forces de la démocratie bourgeoise agonisante, et le processus de fascisation : celui-ci s’opère pour l’essentiel dans le cadre de la démocratie bourgeoise et du prétendu « État de droit » qui d’ailleurs est de moins en moins respecté par nos gouvernants (qui se sont assis sur le référendum de 2005, qui violent chaque jour la loi laïque de 1905 qui interdit à des représentants de l’Etat de participer à des cultes, qui ricanent quand on évoque devant eux les lois, en principe contraignantes, qui sont censées protéger la langue française contre le tout-anglais des affairistes, etc.). Comment nier que la France actuelle, derrière une démocratie d’apparat où les conjurés du Parti Maastrichtien Unique se succèdent pour accomplir le plan d’ajustement structurel européen, devient rapidement un État policier et que la chasse aux terroristes n’est qu’un prétexte pour fliquer toujours plus, l’école et la vie publique ? Quant au lepénisme, il tend à fusionner avec la fraction la plus droitière de l’UMP comme le montrent tous les sondages qui indiquent que de bas en haut, la perméabilité est totale entre le FN et l’UMP, d’où notre expression d’ « U.M.’ Pen ». Cette fascisation est d’autant plus perverse qu’elle s’opère derrière le thème de la liberté d’expression et de la laïcité, alors que les médias actuels excluent les forces progressistes anti-UE de tout accès large aux antennes et que Wolinski et Charb eussent été très surpris de voir cette forme de mobilisation obligatoire derrière tout le gratin euro-atlantique, le tout pimenté du massacreur Netanyahou, du ministre intégriste de la « justice » saoudite et du brunâtre Porochenko… La liberté d’expression, la laïcité, ce n’est pas l’unanimisme obligatoire derrière les puissants, c’est le droit de dire non de manière argumentée, de « ne pas céder à la réaction » au lieu de « lui céder » comme disait Politzer.
Mais là encore, nous devons voir les choses sous l’angle pratique et dialectique. Du côté du peuple, les luttes offensives sur les salaires se réveillent et notre travail de communistes et de syndicalistes de classe est de les fédérer : routiers, ouvriers de Renault, ouvrier du bâtiment, salariés de l’aéroportuaire, enseignants, « tous ensemble et en même temps » en ciblant l’euro-austérité et pas seulement tel ou tel exécutant « socialiste ». La grave crise de la CGT n’a pas seulement révélé l’ampleur lamentable des dérives internes facilitées par la dérive réformiste des dernières années, elle a aussi, et c’est très positif, permis une véritable insurrection interne des syndicalistes de lutte qui veulent la démocratie, contestent le fumeux « syndicalisme rassemblé » et exigent une ligne claire, démocratiquement fixée.
Du côté de la construction politique, l’appel des Assises du communisme qui invite à construire une manif unitaire contre l’euro, l’UE, l’OTAN dans la perspective du combat anticapitaliste, qui fait référence au CNR et au Front antifasciste, patriotique et populaire peut devenir quelque chose d’historique si tout le PRCF s’en empare (diffusons aux entreprises et aux manifs anti-Macron le tract généraliste du PRCF !), si le comité des Assises du communisme décide rapidement de dispositions pratiques, si l’appel s’internationalise (bons échos d’Espagne et de Pologne pour le moment), si tout est fait pour impliquer des syndicalistes (le FSC vient de décider de soutenir), si nous expliquons tous correctement que l’union des communistes, le rassemblement des syndicalistes de lutte, le front patriotique, antifasciste et populaire des progressistes s’articulent entre eux, sont complémentaires et non pas concurrents. A ce sujet, on est toujours un peu surpris quand on entend certains milieux progressistes qui récusent désormais « en soi » la notion même de gauche en confondant la gauche établie – qui certes, est passée avec armes et bagages au capital et à l’UE – et les valeurs de gauche héritées de Robespierre, de Varlin, de Jaurès, du CNR, de Croizat (indépendance nationale, coopération internationale, antifascisme et antiracisme, laïcité, République indivisible, paix, progrès social, égalité hommes-femmes et aujourd’hui, défense de l’environnement contre le profit-roi). Ces notions il ne faut pas, en pleine fascisation-droitisation de la société, les abandonner aux usurpateurs de l’état-major socialiste (ou aux « opposants » autoproclamés « frondeurs »). Il faut les assoir sur un socle de classe, faire de la classe ouvrière et du monde du travail le centre du rassemblement populaire, comme y invitait d’ailleurs le programme « Les Jours heureux » défendu par le CNR. Élargir dans l’action le rassemblement des communistes, celui des patriotes progressistes, ce n’est pas limiter le rassemblement, c’est l’empêcher d’être tué dans l’œuf par des forces qui n’aiment pas le monde du travail et dont certaines flirtent avec le FN : triple « ligne rouge » avec tous ceux qui se commettent avec l’extrême droite avons-nous toujours affirmé !
IC – Et la visée socialiste dans tout cela ?
Georges Gastaud. : nous sommes entièrement fidèles au mot de Lénine « on ne peut avancer d’un pas si l’on craint d’aller au socialisme ». A notre époque, contrairement aux conditions existantes au sortir de la seconde guerre mondiale, la construction d’un nouveau CNR et la sortie de l’UE ne peuvent que dresser contre elles toute la grande bourgeoisie dont le programme de classe (et de casse !) édicté par le MEDEF (tout marxiste devrait avoir lu le manifeste « Besoin d’aire » du MEDEF) est d’en finir avec l’Etat nation, avec sa langue, avec ses institutions « jacobines », avec son industrie nationale (le « produire en France »), ses acquis de 36 et de 45, sa loi laïque de 1905 et j’en passe. Nous communistes, c’est-à-dire militants de la classe travailleuse, savons parfaitement que pour mener jusqu’au bout le programme d’émancipation nationale et sociale de la France il faudra la révolution socialiste. Certains patriotes progressistes « antilibéraux » n’en sont pas encore conscients, bien sûr, sinon ils seraient communistes. C’est l’expérience des affrontements de classes nationaux et internationaux accompagnant une sortie progressiste de l’UE atlantique qui permettra à des millions de femmes et d’hommes qu’à terme, il n’y a de choix qu’entre l’euro-dissolution/fascisation de la France et la conquête par les travailleurs du pouvoir politique et la socialisation des grands moyens de production, c’est-à-dire avec le socialisme. Tout cela ne s’impose pas par des proclamations dérisoires, il faut donner au peuple de France menacé de désarroi politique des points d’appui immédiats pour résister et contre-attaquer. La manif du 30 mai, à condition de ne pas prédire son échec avant d’avoir agi pour son succès, peut en être un pour qu’émerge en France un regroupement politique pluriel, réunissant les communistes « euro-critiques » les plus actifs sur le terrain, mais ne les isolant nullement des syndicalistes de lutte, des républicains patriotes, des antifascistes, de la jeunesse, etc.
Alors, n’hésitons pas, « la preuve du pudding c’est qu’on le mange » et la preuve du mouvement populaire anti-UE, c’est qu’on prend partout des dispositions pratiques pour le concrétiser.
IC- et le PRCF pour conclure ?
Georges Gastaud – il est globalement à l’offensive sur tous les fronts, encore peu visible, la censure médiatique est pesante, mais porteurs d’avenir et sa prochaine conférence nationale tournée, non pas vers les états d’âme ou vers l’auto-proclamation magique et dérisoire, mais vers l’action, le combat, le terrain, la classe laborieuse, les luttes, l’union des communistes, des internationalistes, des patriotes progressistes, des JRCF en reconstruction, de notre site internet et de nos revues à l’offensive *, devrait en apporter une nouvelle preuve.
*ndlr : ses médias connus et reconnus s’imposent et rencontrent un succès certain, tel www.initiative-communiste.fr qui poursuit sa croissance et compte désormais parmi les 10 sites politiques les plus influents de France, à tous de se mobiliser pour faire tomber le mur de la censure et informer les travailleurs : soutenez les, abonnez vous à Initiative Communiste et à Etincelles.
Entretien réalisé le 16 février 2015
Georges Gastaud, philosophe marxiste, syndicaliste est l’auteur de nombreux ouvrages :
- Sagesse de la révolution, Le Temps des cerises, 2008.
- Lettre ouverte aux ‘bons Français’ qui assassinent la France, Paris, Le Temps des cerises, 2005.
- Mondialisation capitaliste et projet communiste : cinq essais pour une renaissance, Temps des cerises, 1997.
- Patriotisme et internationalisme, éditions du CISC , 2010.
- Essai sur la renaissance communiste – Éditions d’Étincelles, 2004.
- Communisme, vers quel avenir? (collectif, Le Temps des cerises en 2002).
- Sur la dialectique de la nature (revue Étincelles, 2005)
- Ressourcer l’économie marxiste. Sur le concept de travail productif, 2002. Numéro spécial de la revue Étincelles sur l’économie (n°5, mai 2002).
- Le marxisme est-il une ontologie? – Débat avec Lucien Sève, G. Gastaud et Y. Quiniou, revue La Pensée, n°275, mai 1990.
- Lettre ouverte au physicien Gilles Cohen-Tannoudji sur la signification philosophique du rapprochement entre cosmologie et physique des particules. Revue La Pensée, n°259, septembre 1987.
- Et la révolution, c’est pour quand? – Participation à un débat organisé dans Commune, n°11, septembre 1998. Participation de F. Hollande, R. Hue, A. Krivine, D. Gluckstein, L. Sève, G. Gastaud, F. Combes, J.-J. Karman, etc.
- Pour une analyse révolutionnaire de la contre-révolution, in Octobre 1917, causes, impact, prolongements (Actuel Marx/Confrontation, P.U.F.).
- La vie éphémère, commentaire par G. Gastaud de la réflexion d’Épicure sur la mort; in Cahiers philosophiques, n°31, juin 1987.
- Exterminisme et criminalisation/ Pour une lecture anti-impérialiste du Projet de paix perpétuelle d’Emmanuel Kant., N° Spécial dÉtincelles (cahier n°2, supplément au n°1 dÉtincelles).
- Notre héritage n’est précédé d’aucun testament (René Char). Réflexion sur l’héritage communiste, Étincelles, Janvier 2001.
- Actes du colloque de Malakoff sur le 80ème anniversaire du Parti Communiste Français. Organisé par G. Gastaud. Participations d’H. MArtin, H. Alleg, R. Lefort, P. Thorez, etc.
En Espagnol: participation à Propuesta comunista, revista politica del PCPE, n°43, janvier 2005.
- Le livre noir de l’anticommunisme et de la contre-révolution / Éditions du CISC, 2007, préface de G. Gastaud, avec des contributions de H. Alleg, S. Amin, R. Herrera, R. Gonda, P. Lévy, A. Lacroix-Riz, M. Vrazel, Z. Wiktor, etc.
- Dialectique et bioéthique. article de Raison présente, revue de l’Union rationaliste.