L’ex-patron de RSF double le FN sur sa droite, quoi de plus normal ?
par Maxime VIVAS, Thierry DERONNE – 7 mai 2015
Venezuela. Le 28 mai 2007 à 10 heures. Robert Ménard, personnalité mondialement super-médiatisée donnait une conférence de presse antichaviste à l’hôtel Hilton de Caracas. Depuis l’arrivée d’Hugo Chavez au pouvoir, le Venezuela ne comptait aucun journaliste tué, ou emprisonné, aucun journal censuré ou fermé (pas même RCTV !).
Ailleurs, en Amérique-latine, ils tombaient comme des mouches (moins qu’en Irak, tout de même). Mais Robert Ménard, financé par des officines écrans de la CIA, n’allait pas embêter ses sponsors avec ça.
La conférence se passa assez mal pour lui, d’après ce que m’en ont dit Christophe Ventura (de « Mémoire des luttes ») et notre collaborateur Romain Migus, car des journalistes eurent l’effronterie de lui demander où il était en 2002 quand les putschistes fermaient des médias, brisaient leur matériel, pourchassaient, frappaient et arrêtaient des journalistes vénézuéliens. La vérité est que RSF soutenait le putsch, comme on le verra ci-après sous la plume de notre ami Thierry Deronne, journaliste en poste à Caracas.
Venezuela. Le 28 mai 2007 à 10 heures. Au moment précis où Robert Ménard déblatérait au Hilton de Caracas, je me trouvais dans le bureau de Eleazar Diàz Rangel, directeur du quotidien vénézuélien : Ultimas Noticias (Dernières Nouvelles). C’est un quotidien qui compte par son prestige (on peut le comparer à ce que fut Le Monde de Beuve-Méry) et par son tirage (près de 300 000 exemplaires au Venezuela et des lecteurs dans pratiquement tous les pays latino-américains, le troisième tirage sur toute l’Amérique latine où l’on trouve des pays immenses et très peuplés comme le Brésil, l’Argentine, le Mexique). Même si Eleazar Diàz Rangel était un ami de Chàvez, ce journal s’attache à observer une neutralité politique concrétisée par la publication de points de vue et de tribunes d’auteurs de tous bords. Ses journalistes couvrent pratiquement tout l’éventail des opinions politiques en présence dans le pays. Dans ses pages, une sorte d’équilibre existe, que chaque camp conteste peu ou prou, mais qui tranche dans le paysage médiatique du Venezuela où la presse a souvent la forme d’un outil de propagande musclée.
Pour tout dire, Ultimas Noticias compte dans ses rangs un peu plus de journalistes hostiles à Chávez que de « chavistes » et le décompte des articles et tribunes politiques montrent que le pouvoir est légèrement désavantagé.
Pour les besoins d’écriture de mon livre sur RSF, j’enquêtais depuis deux ans sur cette ONG (sic) qui, avec un acharnement terrible, avait pris pour cible le Venezuela. J’avais arraché ce rendez-vous via une journaliste de Ultimas Noticias dont le mari fit ses études à Toulouse où je vis. Mon objectif était d’obtenir de ce journal qu’il ne se contente pas de rendre compte de la conférence de presse ménardienne, mais qu’il donne à lire un point de vue sur RSF. J’ai donc raconté au doctor Eleazar Diàz Rangel, ce que je savais de cette « ONG » française. Je me recommandai de sa journaliste avec qui j’avais dîné à Caracas quelques jours plus tôt et de Thierry Deronne. Il me laissa parler pendant une demi-heure, puis décrocha son téléphone pour faire venir dans son bureau un photographe et un journaliste.
Le lendemain, une page intérieure de Ultimas Noticias était divisée en trois partie : publicité et deux articles sur RSF. Le premier, orné d’une photo de l’escritor francès, annonçait en gros et gras caractères que RSF sert les intérêts des Etats-Unis d’Amérique et était souligné d’un sous-titre sur ses sources de financement (suivez mon regard). Le second, en dessous, deux fois plus court et coiffé d’un titre maigre, apprenait aux lecteurs que, selon Ménard, la « fermeture » (sic) de RCTV est une décision politique.
Depuis, Reporters sans frontières a résolument classé Últimas Noticias parmi les journaux chavistes. Ce qui peut tromper les citoyens français, mais pas nos frères latino-américains.
Maxime Vivas
EN COMPLEMENT : Quand Robert Ménard coordonnait la tournée européenne d’un putschiste, par Thierry Deronne.
Au Venezuela en avril 2002, le monopole privé de la télévision transmet en jubilant le décret du coup d’État qui abolit parlement, constitution et autres institutions démocratiques. Les journalistes mènent la chasse aux opposants en direct, sur un ton haletant, en compagnie de la police, et font le black-out sur la résistance croissante de la population. Les médias privés vénézuéliens qui ne cessaient de parler de liberté d’expression, montrent leur vrai visage en participant étroitement á l´organisation d´un coup d´État sanglant, heureusement déjoué en 48 heures par le peuple descendu dans la rue.
Quelques mois plus tard, la correspondante de RSF à Caracas, Maria José Pérez Schael, évoquera dans le journal vénézuélien El Universal ces militaires putschistes d´extrême-droite : « mon coeur vibre à la vue des militaires insurgés, ces hommes vertueux qui défilent sous nos couleurs nationales » (sic). Un autre correspondant de RSF, Ewald Scharfenberg, directeur de IPYS-Venezuela, a reçu le 18 septembre 2007 le prix annuel de la NED, National Endowment for Democracy (qui est de notoriété publique une société-écran de la CIA) pour sa « courageuse lutte en faveur de la liberté d´expression ».
Une aube de septembre 2002 : d’une voiture qui longe un parking d´une filiale régionale de Globovision, des inconnus jettent quatre cocktails molotovs. De l’autre côté, quelqu’un les éteint. Pas de victimes. Pas de dégâts. Voitures intactes. Globovision dénonce, à grand renfort d’images, « l’attentat bolchevique à la grenade ». « L’attentat » en question se produit à quelques heures de la visite d’une commission tripartite OEA, Fondation Carter et PNUD qui enquête sur la liberté d’expression au Vénézuéla. La une d’El Nacional exhibe aussitôt une lettre-éclair de Robert Ménard, président de Reporters sans frontières, qui met en demeure le gouvernement vénézuélien de « mettre fin á la violence contre la presse ».
Août 2003, dans l’Est huppé de Caracas, klaxons et pétards éclatent. L’employée de la boulangerie, qui vient de passer la tête par la porte pour jauger un ciel à la pluie, interroge les clients du regard. La chaîne privée Globovisión appelle la population à une nouvelle bataille contre le « dictateur Chávez ». Que s’est-il passé ? La Commission nationale des Télécommunications, dans une opération qui serait routinière aux États-Unis ou en France, a retiré quelques émetteurs-relais installés sans permis légal. Sur les écrans, pour les téléspectateurs cela ne change rien. Globovision n´a jamais cessé d’émettre. Ce qui n´empêche la chaîne d´affirmer à l´antenne : « Nous sommes fermés ! ». Et la chaîne « fermée » de démarrer fébrilement une séance non-stop d’« information » live sur fond de musique d’action, sur le thème de « l’atteinte a la liberté d’expression »… aussitôt relayée internationalement par RSF.
En mai 2007 la concession hertzienne de la chaîne commerciale RCTV, qui diffuse telenovelas, programmes de sexe et films US, et qui est surtout connue pour avoir co-organisé un coup d´État d’extrême droite sanglant en 2002, expire légalement. L´État rend cette fréquence au service public et crée Tves, chaîne culturelle, informative, éducative. Pour sa part RCTV revient sur le câble en juillet 2007. La « fermeture de RCTV, dernière télévision indépendante par Chavez » annoncée par David Pujadas au 20 h. de France 2 sur base d´infos de RSF, vaut donc ce que valait le « Salvador Allende ennemi de la liberté d´expression » de 1973. Alors que RCTV n´a jamais été fermée et qu´elle continue de transmettre librement sa programmation habituelle, Robert Ménard mobilise la droite du Parlement européen pour dénoncer la « fermeture de la chaîne », coordonne la tournée européenne des dirigeants de RCTV et prend l´avion pour tenir une conférence de presse á Caracas et y dénoncer… « l´atteinte à la liberté d´expression de la part du gouvernement Chávez ».
Au Venezuela, en octobre 2007, la liberté d´expression est totale. L’opposition possède l’écrasante majorité des médias. Les « enquêtes » et les « preuves » de la corruption du président Chavez fleurissent depuis huit ans dans le moindre kiosque á journaux au moindre coin de rue. Le dénigrement de la démocratie participative et la dénonciation de la « militarisation du régime » sont retransmis du matin au soir par des centaines de radios commerciales á travers tout le pays. L’exclusion raciste et la haine de classe sont intactes à Globovision, Venevision, Televen, RCTV et leurs filiales qui occupent 80 % du spectre radioélectrique vénézuélien. Pourquoi RSF valide-t-elle les « informations » de ce quasi monopole privé des médias ? Maxime Vivas démontre les financements nord-américains, en particulier de la NED.
Le Venezuela, en tant qu´expérience démocratique de gauche en rupture avec le néo-liberalisme, gêne les puissants de ce monde et leurs transnationales médiatiques. Dès ses premiers rapports en 2000, RSF parle de Hugo Chavez comme d’un futur Castro. Quelques années plus tard, dans le premier numéro de sa revue « Médias », le directeur de RSF Robert Ménard écrit : « Les « alters « ont toutes les indulgences pour l’ex-putschiste Hugo Chavez, ce caudillo d’opérette qui ruine son pays mais se contente – pour l’instant ? – de discours à la Castro sans trop de conséquences réelles pour les libertés de ses concitoyens ».
RSF n’existait pas encore quand Armand Mattelard (membre du conseil scientifique d’Attac), analysant l’alliance des grands médias et de la SIP (Société interaméricaine de presse) dans le renversement d’Allende, écrivait : « L’enquête judiciaire sur l’administration du journal El Mercurio, accusé d’irrégularités fiscales, a servi de prétexte pour dénoncer de soi-disant mesures coercitives contre la « presse libre ». (..) Le message émis par la presse de la bourgeoisie chilienne revient á sa source, renforcé par l’autorité que lui confère le fait d’avoir été reproduit á l’étranger. (..) Nous sommes en présence d’une SIP tautologique. Sa campagne n’est qu’un immense serpent qui se mord la queue. »
Il était temps d’enquêter sur la stratégie politique de Robert Ménard. Maxime Vivas nous en donne enfin les clefs.
Thierry Deronne, vice président de Vive TV.
Caracas, le 10 octobre 2007.
Préface de « La face cachée de Reporters sans frontières », de Maxime Vivas .
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