On entend souvent dans les débats politiques, et mêmes économiques, que si la France sortait de la zone euro, sa dette publique exploserait inéluctablement.
- l’endettement de la France
Ainsi, Benoist Apparu (ancien secrétaire d’Etat, ancien Député, ancien Ministre et actuellement Maire de Châlons-en-Champagne) a pu déclarer : « Demain matin nous sortons de l’euro. […] Ça fait du jour au lendemain 400 milliards d’euros de dette ! ». Du jour au lendemain ? Vraiment ? Eh bien non, ce constat est tout simplement faux. Il est fondé sur un argument économique bancal : la dette publique française est détenue en majorité par des étrangers et la dévaluation de la nouvelle monnaie ferait automatiquement augmenter la dette. Afin de simplifier les choses, je ne vais m’intéresser qu’à la dette de l’Etat, qui représente 80 % de la dette publique totale (2 000 milliards d’euros), et étudier l’impact d’une dévaluation sur cette dernière ceteris paribus [1].
Quel est le schéma de pensée qui fait dire qu’une sortie de la zone euro ferait obligatoirement croître la dette ?
En France, les 2/3 de la dette de l’Etat sont détenus par des non-résidents. Or, si on abandonnait l’euro, la nouvelle monnaie (disons le nouveau franc, noté nfr) serait dévaluée afin de rendre les entreprises françaises plus compétitives, d’accroître le volume des exportations et in fine de relancer la croissance économique. Mais comme la dette est détenue à 2/3 par des non-résidents, une dévaluation entrainerait une hausse importante de la dette. En effet, 2/3 de 1 600 milliards font 1 067 milliards (= montant de la dette détenu par les non-résidents). Une dévaluation de 20 % ferait augmenter la dette sur ces 1 067 milliards de 213 milliards. En conclusion, si on dévaluait le nouveau franc de 20 %, la dette augmenterait de 13 %, ce qui est, il est vrai, relativement élevé.
Mais ce raisonnement est inexact. Pourquoi ?
En fait, que la dette soit détenue par des Français ou des étrangers, la dévaluation n’a pas d’effets directs sur elle. Lorsque l’Etat français s’endette, il le fait en euro via l’Agence France Trésor, qui émet différents titres en fonction de la maturité de l’emprunt : les BTF pour le court terme (inférieur à un an), les OAT pour les moyens et longs termes (2, 5 et 10 ans ou plus). Prenons un exemple concret : imaginons que l’Etat émette une obligation sur 10 ans à hauteur de 1 000 € avec un coupon annuel de 1 %. Que ce soit un Américain ou un Français qui l’achète, l’Etat français doit verser à son créancier 10 € chaque année pendant 10 ans (et la 10ème année rembourser en plus le capital de 1 000 €).
Or, d’après de le principe de la lex monetae, chaque Etat est souverain pour définir sa propre monnaie, la changer et déterminer ses taux de conversion entre l’ancienne et la nouvelle monnaie. Ainsi, sa dette, qui est libellée dans l’ancienne monnaie (€), devient convertible en la nouvelle monnaie (nfr) au taux fixé par la loi.
De plus, 97 % de la dette française est émise en contrat de droit français. Cela signifie qu’en cas de conflit entre l’État et ses créanciers, ce conflit se réglerait devant les tribunaux français. Un tel litige pourrait avoir lieu principalement si l’euro continuait d’exister malgré la sortie de la France de la zone euro, car la monnaie dans laquelle elle aurait émis sa dette existerait toujours. Mais d’une part, si la France sort de la zone euro, il est très probable que cette dernière explose et d’autre part, si ce n’est pas le cas, l’Etat français a de grandes chances de remporter ses procès devant les tribunaux français (situation comparable au sketch de Coluche « le Flic » où des policiers frappent des manifestants qui pour porter plainte doivent se rendre au commissariat…). Concernant les 3 % de dette émise en contrat de droit international, on trouve, après calcul, une hausse finale de 2,4 % de la dette.
Donc, après avoir renoncé à l’euro, si on prend comme taux de conversion 1 € = 1 nfr, en reprenant l’exemple plus haut, l’Etat devra payer à son créancier Américain ou Français 10 nfr chaque année (et en plus le capital de 1 000 nfr la 10ème année). Par conséquent, qu’on ait 1 $ = 1 nfr ou 1 $ = 100 nfr (après dévaluation), cela importe peu. En fait, une dévaluation aurait même un effet positif sur la dette : comme elle renchérit le prix des importations et provoque une inflation importée, la dette devient plus facile à rembourser.
Dernier exemple afin d’illustrer mon propos : avant l’introduction de l’euro en 1999, la France avait une dette libellée en franc qui était détenue à 25 % par des non-résidents. Le passage à l’euro au taux de conversion 1 € = 6,55957 frs (qui correspond donc à une hausse de la valeur de la monnaie nationale) a-t-il fait baisser la dette ? Absolument pas : au 4ème trimestre 1998, la dette de l’Etat était de 631 milliards d’euros et au 1er trim 1999, de 645 milliards, soit une hausse de 2,30 % (cette hausse est même au-dessus de l’évolution moyenne trimestrielle entre 1996 et 2002). La seule différence ici est qu’au lieu d’avoir fixé 1 fr = 1 € pour ensuite réévaluer l’euro, la hausse de la monnaie a été directement incorporée dans le taux de conversion, ce qui ne change fondamentalement pas grand chose. En voici la preuve avec une dévaluation :
Dans un souci de simplicité, imaginons un pays A dont la monnaie actuelle est l’€, dont la dette est de 1 000 € et le PIB de 1 000 €. Soit également un boulanger habitant A dont le salaire mensuel est de 100 € et qui vend ses baguettes 1 € l’unité. Le taux de change actuel est donné à 1 € = 1 $. Un Américain importe donc des baguettes au prix de 1 $ l’unité. Soit enfin abc la nouvelle monnaie de A. A décide de changer de monnaie et de dévaluer sa nouvelle monnaie de 100 % par rapport à l’ancienne (1 € = 2 abc).
Voici un tableau récapitulatif de l’impact d’un changement de monnaie sur le niveau de la dette et la compétitivité d’un pays selon qu’il dévalue ex ante (incorporée dans le taux de change : cas 1) ou ex post(après avoir posé 1 € = 1 abc : cas 2) :
Données | Cas 1 | Cas 2 |
Dette Etat | 2 000 abc | 1 000 abc |
PIB | 2 000 abc | 1 000 abc |
Dette/PIB | 100% | 100% |
Salaire du boulanger | 200 abc | 100 abc |
Prix baguette à l’unité | 2 abc | 1 abc |
Taux change abc/$ | 2 = 1 | 2 = 1 |
Prix d’1 baguette pour l’acheteur américain | 1 $ | 0,5 $ |
Effets sur la dette ? Sur les exportations ? | Non | Non |
Sur les exportations ? | Non | Oui (positif) |
En conclusion, quand une dette est en grande majorité émise en contrat de droit national et qu’un pays dévalue sa nouvelle monnaie, on n’a pas, en vertu de la lex monetae et toutes choses égales par ailleurs, d’effet négatif sur la dette (on observe au mieux une amélioration de la compétitivité du pays).
Fabien Pirollo
Fabien Pirollo est diplômé de l’ESCP Europe avec une spécialisation en économie. Il est actuellement chargé de mission à la Communauté d’Agglomération des Hauts-de-Bièvre.
Voir en ligne : http://www.economiematin.fr/news-fr…
La question de la sortie de l’Euro a une dimension technique. Mais, elle a pris une dimension politique. On sait que de nombreux français, en particulier chez les plus de 50 ans, sont hostiles à cette solution car ils craignent d’en supporter le coût. L’opinion publique est actuellement convaincue que l’Euro représente bien un obstacle à la croissance et au développement du pays, mais elle est hostile à une sortie, en raison de cette inquiétude exploitée par une presse faisant assaut de prédictions catastrophistes. C’est pourquoi cette question doit être abordée publiquement. D’un part, il convient de commencer un travail de pédagogie pour convaincre de la faisabilité d’une telle sortie. D’autre part il faut aussi éviter de se trouver enfermé dans ce que l’on peut appeler « l’option grecque » : un refus de l’austérité et un refus d’une sortie de l’Euro. Ces deux propositions sont en réalité contradictoires. Mais, elles présentent pour tout gouvernement qui accepterait de se situer dans cette alternative le risque de se dédire sur les deux terrains.
A. Le constat.
Il est donc important de pouvoir avoir un débat sur la question de l’Euro en dehors de tout contexte catastrophiste. C’est une nécessité pour la démocratie, mais c’est aussi une nécessité pour que l’option d’une sortie ne soit pas bloquée par avance par de fausses prédictions. Lors de la réunion publique que j’ai eu le 6 mai avec Xavier Ragot, un certain nombre de thèmes ont pu être abordés et des convergences sont apparues sur plusieurs de ces thèmes. Ces thèmes portent à la fois sur le bilan que l’on peut tirer de l’Euro, mais aussi sur les perspectives de sa sortie.
I. Il convient de rappeler tout d’abord ce que l’Euro a coûté à l’économie française[1].
- L’Euro est directement responsable de 30% du chômage actuel, en raison de l’effet de freinage qu’il a exercé sur la demande et sur l’activité de la France, depuis la seconde moitié des années 1990. Le chiffre de 30% a été avancé par Ragot, sur la base des calculs de l’OFCE. Il est plus que probable que l’on puisse l’étendre non seulement aux demandeurs d’emplois de la catégorie A mais aussi à ceux des autres catégories.
- L’Euro est indirectement responsable, par le biais des politiques d’austérité qui ont été imposées de puis 2011 pour ramener la compétitivité de l’économie française au niveau de l’Allemagne sans procéder à une dépréciation monétaire, d’environ 20% du chômage actuel[2]. Ici encore cette estimation a été validée par Xavier Ragot. Mais, les effets de l’Euro ne s’arrêtent pas là.
- L’Euro est aussi responsable, dans le long terme, d’une accélération du processus de désindustrialisation de la France, dont le coût (hors les effets de (a) et (b)), en terme de restriction de la demande par baisse relative des salaires due à la place des services dans l’économie, peut-être estimé à 15% du chômage. On mesure que cette désindustrialisation s’est accélérées dès le début des années 1990, soit à partir du traité de Maastricht et de la nécessité pour la France de se « qualifier » pour l’Euro. Il convient donc de comprendre que les effets négatifs de l’Euro se sont fait sentir avant sa création officielle (1999), par le cadre macroéconomique qu’il a imposé et qu’il légitime. Il n’est pas évidemment le seul responsable de cette désindustrialisation, mais il a incontestablement accéléré le phénomène. On peut donc lui imputer de 5% à 10% du chômage lié à la baisse de la demande solvable résultant du transfert d’emplois industriels vers des emplois de service.
C’est donc au total de 60% à 65% du chômage qui est causé – directement ou indirectement – par l’Euro. Ceci est confirmé par des études plus anciennes qui insistent sur la dimension dépressive de l’Euro[3]. Il convient alors de souligner le coût tant humain que financier de ce chômage pour la France. La question du coût financier est ici importante. Les chômeurs et quasi-chômeurs ne cotisent aux caisses sociales qu’une fraction de ce qu’ils auraient cotisés s’ils avaient un emploi. Par ailleurs, l’Etat prend en charge une partie des prestations pour certaines catégories, justement pour « aider » des chômeurs à retrouver un emploi. Mais, ce faisant il crée des « emplois aidés » qui coûtent chers et dont le débouché vers de l’emploi stable est des plus limités. En réalité, le chômage a un coût induit sur l’équilibre des régimes sociaux qui est considérable. Il a aussi un coût direct élevé à la fois dans le développement de pathologies liées au travail (stress au travail, burn-out) mais aussi de pathologies directement liées à la privation d’emploi.
II. Il convient, ensuite, d’insister sur ce que l’Euro coûtera, en chômage et en austérité, pour pouvoir être maintenu.
- Contrairement à ce que l’on affirme, la France n’a pas encore appliqué l’ensemble des mesures qui seront imposées par la zone Euro. De ce point de vue l’ampleur de l’ajustement est resté limité par rapport à ce qu’ont subi la Grèce, l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal. L’impact dépressif, qui a été limité sur la période 1999-2008 par une déficit budgétaire important[4], devrait être bien plus fort dans les 3 à 5 ans à venir, sans que cela ait un impact positif, car la baisse de la demande en France qui en résultera aura pour effet de faire baisser la demande dans l’ensemble de la zone Euro. Ces mesures sont explicitement évoquées par certains politiciens (comme Fillon et Juppé) mais aussi de manière en réalité très transparente par des membres du gouvernement, comme on a pu le constater avec Emmanuel Macron ou François Rebsamen.
- Compte tenu du multiplicateur fiscal estimé pour la France par le FMI[5], il faut donc s’attendre, si l’on procède aux coupes budgétaires prévues et programmées ainsi qu’à de nouvelles qui s’imposeront, à une stagnation de la croissance, voire une baisse, jusqu’en 2018-2020, qui devrait entraîner une baisse du revenu médian de 10% à 15% et une hausse du chômage (cat. A) au-delà des 4 millions[6].
- Mais, ceci n’inclut pas l’effet induit sur les déficits (tant des systèmes sociaux que budgétaire) par le chômage de masse et par la faible croissance. De nouveaux plans d’austérité seront « nécessaires » si la France reste dans l’Euro. Leurs effets cumulatifs entraînera une baisse totale du revenu médian de 15% à 20% et pousser le chômage (cat. A) à 4,5 millions et le chômage réel vers les 6 millions.
Non seulement l’Euro a coûté très cher à la France, même si ce coût a été réparti largement sur une large part de la société par le budget public, mais ce coût va s’amplifier dans les prochaines années et conduire au démantèlement total du système social français. Ce démantèlement ne se manifeste pas seulement par la réduction des prestations sociales et des retraites, mais aussi par un démantèlement général de tous les services publics, en particulier dans la santé et dans l’éducation. Les « économies » réalisées dans ces services auront des conséquences extrêmement importantes à moyen et long terme sur la société française. La combinaison de la stagnation (ou de la réduction) des revenus directs et de la régression des revenus (et droits) indirects provenant de l’étiolement des services publics va pousser la société française vers une crise extrêmement profonde.
III. Il convient enfin de rappeler que l’Union Economique et Monétaire n’est pas principalement une monnaie, mais avant tout un système assurant la domination de la finance libéralisée, et censé « discipliner » les sociétés, c’est-à-dire les obliger à se conformer aux dogmes sociaux du néo-libéralisme.
C’est l’idée d’un gouvernement des sociétés par des normes et des règles qui a été imposée sous le couvert de mesures dites « techniques » et donc prises au nom d’une rationalité indiscutable. De ce déni de démocratie, à la fois massif et subtil découle une bonne part de la crise des institutions européennes qui n’osent pas se déclarer comme ouvertement anti-démocratique ni affronter leur image dans les différentes opinions publiques. Ceci introduit une autre dimension dans le coût politique de l’Euro, un coût qui naturellement n’est pas quantifiable mais qui n’en existe pas moins. Cette dimension politique de l’Euro ou plus précisément de ses conséquences, mais elles ont été parfaitement voulues par un certain nombre des promoteurs de la monnaie unique, pose un problème majeur de légitimité et de démocratie au sein de la zone Euro. C’est aussi l’une des raisons du rejet de cette solution.
L’Euro est en réalité un système qui aboutit à sortir les questions économique de la sphère politique souveraine nationale, et à y assujettir l’ensemble des questions sociales. Ce discours sur les conséquences passées et futures de l’Euro doit être constamment rappelé pour convaincre les français que la poursuite de l’Euro ne leur offre qu’un avenir de restrictions et de misère.
B. La gestion de la sortie de l’Euro.
Il est évident par ailleurs qu’une sortie de l’Euro doit être gérée, et implique des mesures à la fois techniques (pour certaines d’entre elles), financières et macroéconomiques. Il convient donc, si l’on a pris conscience des problèmes tant actuels que futures, tant économiques que politiques, que soulève l’existence de la monnaie unique, de regarder les mesures qu’il conviendra de prendre. Ces mesures sont connues en réalité, mais d’un petit cercle de spécialistes. Une partie du discours « alarmiste » joue justement de l’ignorance dans laquelle est maintenue une grande partie de l’opinion. On présente la sortie de l’Euro comme un « saut dans l’inconnu », ce qu’elle n’est pas. On affirme que le « choc financier » sera terrible et sera combiné à un « choc économique » qui pourrait provoquer un recul important de la production et un accroissement du chômage. Ces affirmations sont en réalité des mensonges. Et ces mensonges sont proférés par des personnes qui, le plus souvent, sont particulièrement bien placées pour connaître les faits. Ceci est particulièrement grave.
Non qu’il ne puisse par ailleurs exister des incertitudes, plus ou moins importantes, en fonction de la politique macroéconomique qui sera adoptée, sur l’évolution de l’économie française. On peut discuter de l’ampleur des effets positifs (de 3% à 6% de croissance), de leurs effets d’entraînement, de leur durée (de 3 à 5 ans). Mais ces incertitudes sont en réalité du même ordre que celles qui accompagnent toute politique macroéconomique. Par ailleurs, une sortie ou une dissolution, de l’Euro aura des conséquences sur le système monétaire internationale. Il faut présenter alors les alternatives possibles à ce niveau.
I. Mesures techniques et financières.
Une partie du débat s’est focalisé sur les procédure techniques par lesquelles on peut passer d’une monnaie à une autre. En fait, ces procédures sont assez simples et ce problème sera réglé rapidement.
- La monnaie fiduciaire. On appelle « monnaie fiduciaire » les pièces et les billets. La production des billets est simple à décider (une nouvelle matrice électronique) et elle peut être achevée en trois semaines, avec l’approvisionnement des distributeurs. Dans l’intervalle, les billets en euro seront tamponnés d’une lettre « F ». Les pièces portent déjà sur une de leur face la mention du pays d’émission.
- La monnaie scripturale. Il faudra opérer une conversion au taux de 1 pour 1 de la totalité des comptes bancaires (comptes courants et comptes d’épargne). Cette opération, que équivaut à une manipulation informatique devra avoir lieu le jour même du changement.
- Les mesures financières. Ces mesures financières sont très nettement les plus importantes. Instinctivement, on se dit que le risque est que l’on ait des dettes en monnaies étrangères alors que les avoirs vont se déprécier avec le cour de la nouvelle monnaie. Mais, une règle (et une jurisprudence) du droit international distingue non la monnaie mais le lieu d’émission de la dette. Autrement dit, cette dette est-elle émise en droit français, ou allemand, ou britannique, ou singapourien, etc…En fait, l’idée d’un fort accroissement des dettes à la suite d’une sortie de l’Euro, et d’une dépréciation de la nouvelle monnaie française, idée qui est souvent avancée par les adversaires d’une sortie de l’Euro, ne repose pas sur des bases sérieuses. On le voit en regardant précisément les questions de la dette publique, la dette des ménages et les dettes d’entreprises.
- La question des dettes publiques. La dette publique française est composée à 97% de titres émis en droit français. La Lex Monetae, qui est un principe du droit international, implique leur conversion automatique dans la nouvelle monnaie ayant cours légal en France.
- Les dettes des ménages. Les dettes des ménages sont très majoritairement (à 98%) des dettes émises en droit français. Le même principe s’y applique. Les ménages auront donc des avoirs et des dettes en Franc pour la même valeur nominale que leurs avoirs et dettes en euro. Le problème des frontaliers, qui ont pu souscrire une dette en droit étranger peut poser un problème local.
- Les dettes des entreprises. Il faut faire ici la distinction entre les dettes des Petites et Moyennes Entreprises et celles des groupes internationalisés. Les études faites par différentes sociétés de gestion obligataires montrent que dans une proportion écrasante les dettes des PME ont été souscrites auprès de banques françaises. Pour les groupes internationalisés, si une partie importante de leur endettement est en droit étranger (britannique ou américain), une large partie de leur chiffre d’affaires est aussi en monnaie étrangère. Diverses simulations ont été faites dont les résultats vont d’un équilibre global à l’apparition de pertes globales (pour l’ensemble des entreprises) d’un montant de 2 milliards de dollars. Ces pertes doivent être rapportés aux profits réalisés par ces grands groupes et apparaissent en réalité insignifiantes.
- La question des banques et des sociétés d’assurance. L’internationalisation du secteur bancaire et assurancielle français est importante, avec des opérations importantes sur l’Italie, sur la Belgique, et dans une bien moindre mesure sur l’Espagne. Mais, une sortie de l’Euro par la France entraînerait en fait un éclatement de cette zone. On verra que l’Italie devrait elle aussi sortir de l’Euro et laisser sa monnaie se déprécier, l’écart devant être de 5% à 10% avec la France. Ici encore des estimations ont été faites en 2012 et en 2014. La conclusion est que pour l’ensemble du secteur financier français les pertes ne devraient pas excéder 5 milliards d’Euros (actuels). Par contre, certains établissement connaitraient des problèmes plus sérieux alors que d’autres réaliseraient des profits. Il importera donc, pour pouvoir réaliser une gestion globale du secteur financier des effets d’une sortie de l’Euro, de procéder à une nationalisation temporaire de ce secteur (banques et assurances).
II. Les mesures macroéconomiques.
- La question de l’inflation induite ou « importée ». On présente ce risque comme un risque majeur comme si la dépréciation de la monnaie entraînait immédiatement une hausse des prix annulant les effets positifs de cette dernière. En réalité, la hausse des prix induite est une fraction faible de la dépréciation, et cette hausse des prix n’est pas immédiate mais s’étend sur plusieurs années. Dans le cas d’une dépréciation du « nouveau » Franc de 20%, et en tenant compte des effets de la dépréciation des autres monnaies (en Espagne, Italie, Portugal….) l’effet de hausse des prix global devrait être de 8%, réparti sur trois ans. Plus de la moitié de cet effet se manifesterait dans la première année, puis baisserait rapidement (4,5% la première année, 2,5% la deuxième et 1% la troisième). Cela implique que si les prix libellés en francs sont de 80% des anciens prix en euros (à l’export), trois ans après, et en supposant les autres causes de l’inflation stable, ils seraient à 86,5%. Le gain de compétitivité de la dépréciation monétaire continuera donc de se manifester.
- L’élasticité de la demande. L’effet d’une dissolution de l’Euro sera d’entraîner certaine monnaie à se déprécier et d’autres aux contraires à s’apprécier. On aura des effets positifs sur les pays dépréciant leur monnaie et des effets négatifs sur les pays connaissant une forte appréciation. L’élasticité de la demande et de l’offre doivent être étudiées attentivement. On sait, par expérience, que cette élasticité n’est pas identique entre les pays, et qu’elle n’est pas stable mais dépend de l’ampleur de la dépréciation (ou de l’appréciation) de la monnaie. De ce point de vue, deux dépréciations de 10% ne sont pas équivalente à une dépréciation de 20%. Il convient donc de préciser les ordres de grandeur de ces mouvements. Par ailleurs, si le volume de la demande peut décroitre dans un pays connaissant une forte appréciation de sa monnaie (l’Allemagne), le niveau monétaire de cette demande se réduira moins que le volume, en raison de l’effet d’appréciation. Ces éléments nous disent (à travers de nombreuses simulations) que l’on aura un effet positif sur tout une série de pays France, Italie, Portugal, Espagne et Grèce) et un effet négatif moins important que ce que l’on peut penser sur l’Allemagne et les pays du « bloc allemand ». Un éclatement de l’Euro aura donc des effets positifs sur la croissance, sur la réduction du chômage, mais aussi sur les finances publiques. Si des débats continuent (et continueront) quant à l’ampleur de ces effets positifs, leur réalité est aujourd’hui indiscutable. Alors que la France fait environ 50% de son commerce extérieur hors de la zone Euro, la dépréciation de l’Euro de l’automne dernier en engendré une forte croissance au 1ertrimestre de 2015. C’est dire ce qu’une sortie de l’Euro accompagnée d’une forte dépréciation pourrait engendrer.
- Il y aura-t-il une « guerre des monnaies » ? C’est l’une des objections que l’on entend au sujet d’un éclatement de la zone Euro. Une « guerre des monnaies » signifierait que certains pays fassent une surenchère dans le domaine de la dépréciation. Mais, en réalité, on peut mesurer le niveau que devraient atteindre les différentes monnaies dans une Europe « post-Euro ».
Graphique 1
Source : OCDE, FMI et CEMI-EHESS
Ce que nous apprend ce graphique, où l’on combine à la fois les effets de l’inflation (par rapport à l’Allemagne) et les gains de productivité (par rapport à l’Allemagne) c’est l’ampleur des dépréciations. Par rapport au taux de change de l’Euro, ces dépréciations devraient être les suivantes.
Tableau 1
Ampleur des dépréciations monétaires dans le cas
d’une sortie de l’Euro
Dépréciation | Dépréciation relative à l’Allemagne sans contrôle | Dépréciation par rapport à la France (avec contrôle). | |
France | -20,0% | -40,0% | 0 |
Espagne | -17,5% | -37,5% | +2,5% |
Portugal | -12,5% | -32,5% | +7,5% |
Italie | -27,0% | -57,0% | -7,0% |
Grèce | -25,0% | -55,0% | -5,0% |
Allemagne (avec contrôle) | 0,0% | +20,0% | |
Allemagne (sans contrôle) | + 20,0% | 0 |
On voit que l’écart entre le Franc et les autres monnaies (sauf cas de l’Allemagne) est assez faible, ce qui n’était pas le cas quand avait été publié l’étude faite pour la Fondation Res Publica (2013)[7]. Les différences ici correspondent aux évolutions des situations entre la fin de 2012 et la fin de 2014. Le « bloc » Espagne, Portugal et Grèce apparaît bien plus resserré. Par contre, la situation de l’Italie s’est détériorée.
On constate aussi, mais ceci correspond aux résultats obtenus dans différentes simulations, que la situation de l’Allemagne est très différente selon qu’elle acceptera ou n’acceptera pas un contrôle des capitaux.
En fait, la « guerre des monnaies » n’apparaît pas comme nécessaire ni, bien entendu, inéluctable. Mais, ceci passe par l’introduction de contrôles des capitaux.
4. Faudra-t-il un contrôle des capitaux ? il est néanmoins clair qu’il faudra adopter un régime de contrôle des capitaux (mais pas de contrôle des changes) et que les Banques Centrales adoptent des « cibles » de taux de change réel pour la période suivant la sortie de l’Euro. Le contrôle des capitaux aura pour but d’éviter que les marchés financiers ne commencent à « jouer » sur les cours des monnaies. Ce contrôle doit restreindre les mouvements des capitaux de court et très court terme, tout en laissant libre les mouvements de long terme qui correspondent à des flux d’investissement. Compte tenu du fait que pratiquement la totalité des mouvements de capitaux sont gérés électroniquement, la mise en place de ces contrôles serait en réalité bien plus facile aujourd’hui qu’elle ne l’avait été dans les années 1980. Une fois ces politiques mises en place, il deviendrait possible, si un accord politique se dessinait entre certains pays de l’ex-zone Euro, d’aboutir à une « co-fluctuation » des taux de change, avec des révisions périodiques (tous les ans) pour tenir compte de la détérioration ou de l’amélioration du taux de change réel (soit le taux nominal corrigé de l’inflation et de la productivité). En fait, il serait possible d’aboutir à un système monétaire « européen » (ou sur une partie de l’Europe) qui respecterait les spécificités nationales en matière de modèle social et de modèle productif, qui garantirait la flexibilité nécessaire pour que chaque pays puisse s’ajuster en cas de crise et qui dans le même temps serait relativement stable par rapport à l’extérieur. Nous aurions l’équivalent du Système Monétaire Européen mais sans les inconvénients qu’il avait à l’époque[8]. L’explicitation d’un objectif en matière de taux de change réel pour les Banques Centrales, combiné à des objectifs en matière d’inflation (avec la définition d’un taux d’inflation structurel) et d’un objectif en matière de stabilité du système bancaire et financier donnerait à la fois une flexibilité bien plus importante à ce nouveau système et imposerait un dialogue constant entre l’autorité politique et la Banque Centrale. Les mesures économiques et financières qu’il faudra donc techniquement mettre en œuvre dans le cas d’une dissolution de la zone Euro dessinent en réalité un mécanisme plus souple et plus robuste que la monnaie unique, et ceci sans les aspects dépressionnaires qui sont connus à cette monnaie unique.
5. Qu’est-ce qui prendra la place de l’Euro ?
- La question des monnaies de réserve. On sait qu’en matière de monnaie internationale de réserve, l’Euro n’a pas été capable de concurrencer le dollar des Etats-Unis. La part dans les réserves de change des Banques Centrales correspond en fait à ce que représentaient le DM et le Franc avant la mise en place de l’Euro. Cette monnaie n’a donc pas été un substitut, et encore moins un concurrent, au dollar, en dépit de ce que l’on entend parfois.
Graphique 2
Part des devises dans les réserves des Banques Centrales
Source : FMI
- 2. Les monnaies de transaction financière internationale. Si le dollar jouit d’une force pour l’instant écrasante comme monnaie de transaction financière, il est désormais concurrencé non par l’Euro mais par le Yuan. L’Euro n’a pas réussit à s’affirmer de manière internationale, et il est maintenant contesté non seulement par le Yuan chinois mais par diverses « petites » monnaies.
- 3. Un nouveau « Bretton Woods » est il possible ? On sait que les accords de Bretton Woods, qui n’ont été appliqués qu’a partir de la fin des années 1950, ont été rendus caduc en 1973. Nous vivons, depuis cette date, dans un autre système, que l’on peut appeler celui d’un étalon Dollar qui en voie de décomposition. Une nouvelle conférence internationale s’impose mais les Etats-Unis font tout ce qu’ils peuvent pour l’empêcher. La décision des pays européens de constituer la « zone Euro » (l’union économique et monétaire) a correspondu en réalité à une désertion du débat international. De fait, en même temps que l’Europe se repliait sur la construction de l’Euro, elle acceptait via les règles tant financières que commerciales de l’OMC la suprématie américaine. Cette double capitulation a fait de l’Union européenne un « non-acteur » en ce domaine. La dissolution de l’Euro aura pour conséquence immédiate d’obliger un certain nombre de pays à reprendre pied au sein de ce débat international.
C. Les alternatives politiques.
Les alternatives sont donc les suivantes : soit rester dans l’Euro tel qu’il est (avec les conséquences économiques et sociales catastrophiques qui en découlent), soit imposer un changement de la gouvernance de l’Euro, mais qui implique que l’Allemagne accepte de transférer aux pays du « Sud » de la zone Euro de 220 à 250 milliards d’euros par an sur une période de dix ans (soit de 80% à 100% de son PIB), soit sortir de l’Euro. Cette dernière solution apparaît comme le choix du réalisme et du pragmatisme face à l’immobilisme (Euro tel qu’il est) ou l’irréalisme (« imposer » à l’Allemagne de transférer entre 8% et 10% de son PIB par an). Il faut cependant indiquer que la gestion concrète de cette sortie impose un certain nombre de règles qu’il faudra strictement observer.
I. Les propositions de référendums sur ce sujet particulier, telles qu’elles figurent au programme de certains partis (le FN) ou dans les discussions au sein d’autres partis (le PdG mais aussi Syriza en Grèce[9]) doivent être proscrites, à la fois pour des raisons de faisabilité et des raisons politiques.
- La tenue d’un référendum sera en réalité techniquement impossible, car la spéculation la plus débridée sera immédiate et l’on ne peut fermer les marchés financiers pendant plus de quelques jours.
- Par ailleurs, un référendum sur une sortie de l’Euro donnerait lieu à toutes les manipulations politiques possibles et ne correspondrait pas à une réelle échéance démocratique.
- Un gouvernement élu sur le constat que l’on a fait de la nocivité de l’Euro doit considérer qu’il a reçu mandat d’évaluer toutes les possibilités y compris celle d’une sortie de l’Euro. En fait, l’Euro a été présenté comme une mesure purement technique et c’est donc d’un point de vue purement technique qu’il faut aborder son démantèlement. Or, la procédure référendaire n’a de sens que si elle porte sur des questions politiques.
Si l’on peut très légitimement envisager un référendum sur l’appartenance à l’UE (la Grande-Bretagne va y procéder) pour obtenir un mandat particulier sur ce point, il faut rejeter le piège du référendum sur l’Euro. L’Euro est une mesure à dimension technique et financière qui ne se prête pas du tout à un référendum.
II. La nécessité de discuter de la possibilité d’un démontage concerté doit être affirmée ; mais il ne faut pas que ceci puisse aboutir à une paralysie de la décision préjudiciable à l’économie et à la liberté de décision.
- L’option d’un changement de gouvernance doit être mise sur la table, mais en précisant les implications réelles de ce changement. En particulier, il faudra préciser l’ampleur des transferts qui devraient être consentis par certains pays si l’on voulait que la zone Euro fonctionne.
- L’option d’une dissolution concertée de la zone Euro doit aussi mise être sur la table, car cette solution est incontestablement la meilleure.
- Mais, la période de proposition et de négociation doit être réduite à 48h-72h ici encore pour éviter le long enlisement que l’on connaît actuellement en Grèce. Le gouvernement (ou la Présidence) français doit proposer ces solutions à ses partenaires en leur demandant des engagements de principes. En cas de refus ou d’absence de position claire il doit s’estimer dégagé de toute obligation envers ses partenaires.
- Un fois la période de proposition écoulée, il faudra que la France prenne ses responsabilités.
La période de négociation doit donc être courte. Elle peut couvrir une réunion de l’Eurogroupe. En tout état de cause elle ne doit pas excéder une semaine à partir de l’élection.
III. Des garanties doivent être avancées répondant aux soucis légitimes des français.
- La garantie des dépôts bancaires (en monnaie nationale), pour les particuliers comme pour les entreprises, et ce sans limite de somme doit être réaffirmée. Ceci n’est pas entièrement satisfaisant du point de vue d’une analyse en termes de justice sociale. Mais, ici encore, ce qui prime est bien la notion de « confiance ». De ce point de vue, une garantie pour la totalité des dépôts apparaît bien plus apte a convaincre la population de l’engagement du gouvernement plutôt qu’un système certes théoriquement plus juste mais bien plus complexe à mettre en œuvre de garanties différenciées. De ce point de vue la « justice » des mesures dépendra en réalité de leur capacité à engendre la confiance.
- La possibilité d’une nationalisation temporaire du système bancaire doit être envisagée. Ici encore, il est certain que des mesures différenciées, nationalisation pour certains établissements, contrôles pour d’autres, seraient en théorie justifiées et sans doute plus adaptées. Mais, la différence entre le monde théorique et le monde réel est que dans ce dernier apparaissent des « frictions » qui compromettent les mesures en apparence les meilleures mais aussi les plus complexes. Il conviendra de faire simple et robuste. C’est pourquoi, la nationalisation temporaire de l’ensemble des banques et des assurances sera très probablement la mesure la plus robuste et susceptible de produire les effets les plus positifs.
- Les systèmes d’assurance-vie doivent être garantis en monnaie nationale avec si nécessaire un échange des obligations des pays de la Zone Euro par des obligations publiques françaises.
Ceci répondra aux préoccupations immédiates des épargnants mais aussi des entrepreneurs français en garantissant les sommes nominales déposées dans le système bancaire et en garantissant que ce dernier fonctionne bien de manière continue.
[1] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012. [2] Artus P. « France : il faudrait pouvoir faire baisser tout le nominal », Flash-Economie, Natixis, n°206, 13 mars 2014. [3] Bibow J., « Global Imbalances, Bretton Woods II and Euroland’s Role in All This », in J. Bibow et A. Terzi (dir.), Euroland and the World Economy: Global Player or Global Drag?, New York (N. Y.), Palgrave Macmillan, 2007 [4] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012. [5] O. Blanchard et D. Leigh, « Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers », IMF Working Paper, WP/13/1, FMI, Washington D.C., 2013. A. J. Auerbach et Y. Gorodnichenko « Measuring the Output Responses to Fiscal Policy », American Economic Journal: Economic Policy 2012, Vol. 4, n° 2, pp 1–27. [6] A. Baum, Marcos Poplawski-Ribeiro, et Anke Weber, « Fiscal Multipliers and the State of the Economy »,IMF Working papers, WP/12/86, FMI, Washington DC, 2012 [7] Sapir J., Les scénarii de dissolution de l’Euro, (avec P. Murer et C. Durand, ) Fondation ResPublica, Paris, septembre 2013. [8] Sapir J., Faut-il sortir de l’Euro ?, Le Seuil, Paris, 2012. [9] Kouvelakis S., « L’Heure de la Rupture », in https://www.ensemble-fdg.org/content/grece-lheure-de-la-rupture