Tu passes une soirée avec quelques connaissances hasardeuses, disons dans un jardin, autour d’un barbecue, l’été.
Immanquablement, la discussion s’engage autour des « évènements récents ». Il y a toujours des évènements récents. Très vite remplacés par d’autres. Puis par d’autres encore. Et caetera…
Tu t’aperçois vite que ces convives d’un soir basent leur jugement sur les échos médiatiques qui leur sont, inévitablement, parvenus. Et que ce jugement a été établi dans l’immédiateté d’une information discontinue, qui empêche toute analyse logique.
Toi, tu inscris ces évènements dans la durée, allez, lâchons le mot : dans l’Histoire. Le décalage est patent. On commence à te regarder avec un mélange d’intérêt et d’incompréhension.
Très vite, on essaie de te cadrer : on te sort des noms. Ceux du moment : Arlette Laguiller ? Besancenot ? Mélenchon ? Bon, tu voudrais élever le niveau. Tu lâches le mot. Le gros mot : communiste.
Tu devines alors un soulagement, teinté de moquerie, dans l’entourage. C’est bon, on t’a cerné : Staline, le goulag, Georges Marchais, la dictature castriste, Pol Pot, et ce petit relent de sueur qui remonte des usines oubliées… Has been. Grave.
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Tu commences à t’amuser. Pour épater la galerie, tu sors un autre gros mot pour tenter d’expliquer ton point de vue. Tu leur dis : « Je suis marxiste ».
Ça commence à sentir le soufre. Et la merguez brûlée. Personne n’a jamais songé, dans cet aréopage, à se définir politiquement, encore moins philosophiquement. Car, et c’est là que tu as l’air un peu bête, ces gens sont libres.
Tu apparais donc comme prisonnier d’une idéologie et, tel un religieux aveuglé par sa foi, tu fais figure de dogmatique. La discussion s’anime, l’ennemi est en confiance, car il n’est rien de plus aisé que de démonter un dogme. En effet, la réalité étant dans le mouvement, toute tentative de vouloir fixer une vérité définitive est vouée à l’erreur.
C’est justement ce que tu dis. Te voilà contraint d’expliquer les fondements du marxisme, comme on soufflerait sur des braises. On te propose un verre de rosé. Non. Du rouge !
Le marxisme est justement le contraire d’un dogme, car il est fondé sur l’observation scientifique des faits concrets, de leur évolution ; la « politique » et l’Histoire, comme la matière et ses atomes, c’est le mouvement. Le moteur de ce mouvement est la lutte des classes, exemples indiscutables à l’appui. Tu dis : c’est le matérialisme.
Une saute de vent t’enveloppe soudain d’une fumée épaisse et grasse. Matérialiste ? Te voilà sottement attaché aux biens de ce monde, soucieux d’acquérir une grosse voiture et un beau téléphone, grossier jouisseur sans morale ni hauteur de vue.
Tu remontes donc le courant, et à l’antique débat philosophique. Le matérialisme s’oppose à l’idéalisme. Et voilà, tu passes encore pour un rabat-joie. Car l’idéalisme, c’est positif, même si ça sert à rien.
Tu mords dans la baguette dégoulinant de graisse et de colorant. Rouge. Et, sentencieux, tu déclares : « La preuve de la merguez, c’est que je la mange ! »
Un ange passe. Tu en profites. Tu casses toutes les illusions, en martelant les faits, rien que les faits ! Tu les enchaînes les uns aux autres, détruisant les lubies, pourfendant les ignorances, explosant les préjugés, démontrant qu’ils ne sont là que produits de l’idéologie dominante et façons de justifier son statut social et son confort intellectuel.
Un jeune assimilé cadre, social-démocrate qui s’ignore, ne sait plus que dire pour te convaincre qu’il est possible de mettre un peu de social dans le système. L’étudiante en master de trucologie, et qui se croyait en démocratie, vacille. Le chômeur diplômé qui envisageait son avenir après la crise ne voit plus très clair. La nuit tombe, les guerres ne sont plus si humanitaires, l’entreprise n’est plus trop citoyenne, et Hollande n’est plus à gauche… Un monde s’écroule. Il n’y a plus une seule goutte de rosé…
Pour détendre l’atmosphère, on parle d’autre chose. Mais le cœur n’y est plus. Les communistes, ils prennent la tête. Au loin, le tonnerre gronde…
Chacun rentre chez soi, pour plonger dans un sommeil profond. Mais sous les cendres, le feu couve… Rouge.
(Georges Gastaud est un philosophe qui ne se contente pas d’interpréter le monde. Il sera présent dans nos studios mercredi, et nous évoquerons avec lui le contenu de son dernier ouvrage : Marxisme et Universalisme, aux Editions Delga. Voir ici : http://editionsdelga.fr/portfolio/georges-gastaud/)
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