Les faits récents
Ces derniers jours (le 15 août) par différents canaux et la grande presse Thierry Lepaon revient sur les circonstances qui ont conduit à sa démission du poste de secrétaire général de la CGT en janvier dernier.
Son expression s’appuie sur l’affirmation reprise par les instances de direction de la CGT et son successeur, Philippe Martinez selon laquelle il n’aurait pas été informé à l’époque du montant des travaux effectués dans son appartement de fonction, ni ceux effectués dans son bureau.
En somme, il y aurait donc eu un complot contre lui conduit par des « traîtres », sans motif avéré, et dont il demande qu’ils soient écartés de toute responsabilité dans la CGT.
Et, face à cette campagne publique de mise en cause, l’idée l’a tenaillé pour sortir de cette situation de mettre fin à ses jours.
Enfin la publication d’un livre, « La vie continue », est annoncée pour ce mois de septembre
Quelques rappels
Sur le plan strictement humain on ne peut que compatir avec Th. Lepaon et ses proches dans l’incontestable épreuve qu’il a traversé durant plusieurs semaines.
Et dans l’expression qui a été la nôtre durant cette véritable crise c’est aux questions de fonds, à ce qui a trait à la stratégie et à l’orientation de la CGT que nous nous sommes fondamentalement attachés en réclamant avec d’autres l’ouverture d’un véritable débat et l’organisation d’un congrès extraordinaire.
Car derrière les feux braqués sur un homme, compte-tenu de ses responsabilités, c’était déjà la place et le rôle de la CGT dont il était question.
Car son orientation et son intervention compte-tenu de ce qu’elle représente historiquement constituent un véritable enjeu, et pour les travailleurs et pour la bourgeoisie et ses commis.
Ce dont l’ampleur et le contenu des réactions des militants et des organisations a témoigné à l’époque.
Mais avec ce qui s’annonce, avec la publicité dont cette initiative bénéficie, avec l’exigence d’une mise à l’écart de militants dont l’identité n’est pas révélée d’autres questions se posent.
Car outre le fait qu’on puisse douter de l’ignorance des devis concernés c’est tout le contexte de l’activité, des positions et déclarations de Th. Lepaon qui a rendu crédible pour nombre de militants l’existence de dérives de dirigeants coupés des bases militantes et enclins à mimer les comportements en vogue dans les classes dirigeantes : train de vie, exigences matérielles et de rémunération, entre-soi élitiste … voire compromissions avec l’adversaire de classe.
En effet, c’est à partir de faits avérés et incontestables, de dérives constatées que l’opinion de nombre de militants s’est forgée :
- fait avéré, la co-signature par Th. Lepaon, en tant que membre du Conseil Economique social et environnemental et J.-M. Geveaux, alors Président UMP du Conseil général de la Sarthe débouchant sur un « diagnostic partagé » à propos de l’ouverture à la concurrence des TER.
- déclaration avérée, en février 2014 au Nouvel économiste selon laquelle : « Il n’existe à la CGT aucune opposition de principe face au patronat. L’entreprise est une communauté composée de dirigeants et de salariés; là encore, je regrette que les actionnaires fassent figures d’éternels absents – et ces deux populations doivent pouvoir réfléchir et agir ensemble dans l’intérêt de leur communauté. ».
- fait avéré, le fourvoiement dans les structures et clubs type « Le Siècle » , « le Quadrilatère », « Confrontations » où se rencontrent hommes d’affaires, intellectuels, journalistes et syndicalistes et cela sans le moindre mandat de l’organisation. Alors que ces think-tank comme on dit sont de notoriété des lieux de collaboration de classe.
- fait avéré, l’acceptation de la formation « d’élites syndicales » par l’institut de formation de la Confédération Européenne des Syndicats (CES) conformément à l’ » idéologie syndicale européenne » c’est-à-dire conformément à ce qu’en attend l’oligarchie européenne et la Commission européenne, le bailleur financier (45 000 euros environ en 2008 pour un stage de trois jours qui réunit une vingtaine de participants)!
- Et comment ne pas mentionner outre un salaire autour de 5000 euros (ramené en pleine tempête médiatique à 4000 car il fallait bien faire quelque chose) les pratiques de direction fondées sur un entourage de collaborateurs et de conseillers court-circuitant les organes de direction.
Toutes choses entre autres, donc propres à instiller le doute sur la fermeté d’un engagement sans failles en phase avec les valeurs historiques d’une CGT dont l’efficacité et le prestige reposent essentiellement sur des références de classe et la fidélité aux intérêts des travailleurs. Une CGT donc foncièrement indépendante des puissances d’argent et des forces d’influence à leur service, et fondamentalement antagoniste des intérêts du patronat, des classes dirigeantes et de leurs structures et institutions de domination.
Comment donc interpréter ce qui se passe à présent et ce qui se prépare?
La manière dont s’est réglé la crise de la CGT en février 2015 avec l’élection de Ph. Martinez à la tête de l’organisation et la mise en place d’un nouveau bureau confédéral n’a pas réglé les problèmes sur le fonds.
Les orientations qui président à l’activité et au choix des actuels dirigeants remontent aux choix opérés au début des années 90.
Alors dans un contexte de défaite politique et idéologique du mouvement ouvrier au plan national et international, sous la pression des événements et la crainte de l’isolement un tournant de type réformiste a été effectué, marqué par l’adhésion à la CES sous le patronage de la CFDT et de Nicole Notat : « syndicalisme rassemblé « , engagement dans la politique de « négociations », « dialogue social », une CGT enfin raisonnable porteuse de « propositions » …ne cultivant pas la pratique de « la chaise vide » et le culte de la grève …
Dans le même moment ou débarrassées pour l’heure de l’hypothèse d’une alternative globale à leur politique d’exploitation les classes dominantes donnaient libre cours à leur appétit de profit et engageaient résolument les politiques de remise en cause de tous les conquis issus du rapport des forces de la Libération.
Or ce tournant historique les dirigeants de la CGT de l’époque ( Louis Viannet, Bernard Thibault …) l’ont toujours nié prétendant rester fidèles aux principes de masse et de classe de l’organisation et procéder simplement à une modernisation indispensable.
Et ce déni continue à présent.
SAUF que compte-tenu de l’enracinement des principes de classe dans la CGT, des structures et des militants de plus en plus nombreux se sont élevés contre ces dérives et ont réclamé une réorientation de l’organisation conforme à son identité propre et à ses traditions.
On l’a vu en particulier au 50e congrès avec la forte critique de la pratique du « syndicalisme rassemblé » et justement à l’occasion de « l’affaire Lepaon » où se sont très fortement exprimées les critiques sur les orientations imprimées par la direction confédérale et l’exigence de l’ouverture en grand d’un débat sur les orientations fondamentales de l’organisation tant en matière d’intervention revendicative, de la nature de la résistance face aux contre-réformes en cours qu’en matière de liens à l’international.
Et nous en sommes donc toujours là!
Des forces s’affrontent à l’intérieur de la CGT, les unes se réclamant de la continuité des choix effectués au début des années 90 donc de caractère réformiste, les autres réclamant un débat de fonds, un inventaire des résultats des choix de ces 20 dernières années en vue d’une réorientation tenant compte de l’impasse dans laquelle nous nous trouvons et de l’affaiblissement du mouvement syndical dans son ensemble dont la « modernisation » des années 90 était censée nous tirer.
C’est à cette aune qu’il convient selon nous d’apprécier l’initiative de Th. Lepaon.
S’il affirme ne pas voir de comptes à régler avec la CGT il n’en pointe pas moins ceux qu’il considère comme des « traîtres » dont il réclame la mise à l’écart.
C’est donc qu’il entend peser sur les choix des hommes à un moment crucial d’un important congrès de l’organisation.
La publicité donnée à cette initiative, l’annonce de la publication d’un livre donnent donc à cette intervention un relief particulier.
N’entend-on pas ainsi par en haut et médiatiquement peser sur les débats qui vont s’engager?
N’entend pas continuer à substituer à un débat de fonds portant sur les orientations un débat portant sur les personnes, les comportements, mettant sur le devant de la scène la confrontation entre clans; tout cela de nature à écarter la masse des militants peu enclins à se livrer à ce genre de pratiques et soucieux de se concentrer sur l’efficacité à donner à l’outil syndical?
N’entend pas intervenir de la sorte en faveur des forces réformistes pour le maintien du statu-quo en matière d’orientation?
Nous avons tenu à mettre en garde dans ce qui pourrait, si on laissait faire, s’apparenter à une entreprise de diversion destinée à contourner l’indispensable confrontation des idées :
-
oui ou non la direction de la CGT a-t-elle opéré un tournant réformiste dans les années 90?
-
en adhérant à la CES et en prétendant peser à l’intérieur sur ses orientations de collaboration a-t-elle réussi?
-
Quel est le bilan revendicatif de ces 25 dernières années?
-
Quelles contre-réformes avons nous été en mesure de bloquer et quelles nouvelles conquêtes avons nous été en mesure de promouvoir?
-
Ne nous sommes nous pas laissé enfermer dans le cadre d’ une Union européenne jugeant inéluctables les contre-réformes et imposant violemment ses choix de classe comme on vient de le voir avec la récente crise grecque?
-
Un certain nombre de structures et de militants ne se sont-ils pas laissé gagner par un esprit de collaboration en contradiction avec les principes dont la CGT continue à se réclamer?
Voilà les questions que nous souhaitons voir mises en débat à l’occasion du 51e congrès qui doit se tenir en avril 2016 et qui nous paraissent incontournables.
19 août 2015 – source : http://www.frontsyndical-classe.org/2015/08/thierry-lepaon-le-retour-et-pour-quelles-fins.html