www.initiative-communiste.fr vous propose de prendre connaissance de cette tribune de Raoul-Marc Jennar, démontrant que de plus en plus nombreux sont ceux qui – militants, intellectuels etc… – confirment que le PRCF avait raison : pour s’en sortir, il faut sortir de l’UE, cette prison des peuples, cette dictature du capital
Yanis Varoufakis est un homme remarquable et estimable. Un homme de conviction et de tempérament. Un homme qui sait de quoi il parle lorsqu’il s’agit d’économie et de finances. C’est sans nul doute parce qu’il était en capacité intellectuelle et morale de ne pas s’en laisser compter par les gangsters de l’Eurogroupe que les médias toxiques ont distillé de lui une image caricaturale destinée à le discréditer.
Son rôle dans le crise grecque – qui est d’abord et avant tout une crise de l’UE – et sa visite en France cet été, avec la captation médiatique réalisée autour de lui par deux personnalités de gauche qui, chacune à leur manière, se veulent atypiques, ont créé ce qu’on pourrait appeler « un moment Varoufakis ». Il se prolonge avec sa présence à la fête de L’Humanité ce prochain week end. Avec tout le respect que m’inspire la personnalité de Varoufakis, j’entends montrer les dangers de son propos. Surtout parce qu’ils inspirent des acteurs politiques français qui cultivent l’ambiguïté dès qu’il s’agit de l’UE.
Il s’est beaucoup exprimé ces derniers temps. Je retiens surtout son discours de Frangy en Bresse qu’il a intitulé « Notre printemps d’Athènes » (23/8), un entretien à L’Obs (21/8) et un autre à la revue Ballast (1/9).
D’abord, il nous faut nous enrichir de l’expérience vécue par cet homme qui s’est retrouvé seul – les pantalonnades de Michel Sapin n’ont impressionné personne – face aux 18 autres membres de l’Eurogroupe. Il nous en a appris beaucoup sur cette réunion des ministres des finances de la zone euro dont les pouvoirs sont aussi grands que l’est son caractère totalement illégal. Quand Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroup (et par ailleurs membre du groupe de Bilderberg à l’initiative de bien des projets de démantèlement de l’Etat social et de soumission des peuples aux firmes privées), décide de convoquer une deuxième réunion de ce groupe sans la Grèce, l’avis juridique, fourni après la protestation de Varoufakis, apporta la précision suivante : « l’Eurogroupe n’existe pas dans le droit européen. C’est un groupe informel et par conséquent aucune règle écrite ne peut contraindre son président. » Ainsi donc, l’organe central de la zone euro, qui prend des décisions qui affectent lourdement nos politiques économiques et sociales, ne repose sur aucune forme de légalité. Cela s’appelle un coup d’Etat permanent.
Varoufakis nous a rappelé aussi que les premiers mot du sinistre Docteur Schäuble à la première réunion de l’Eurogroupe après la victoire de Syriza furent « les élections ne peuvent changer quoi que ce soit ». Une autre d’exprimer ce qu’un autre chrétien- démocrate, Jean-Claude Juncker, affirmait à peu près au même moment à un journal français : « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens ». En clair, cela signifie, qu’il n’y a plus lieu de voter si ce n’est pour manifester son accord avec tout ce qui est décidé par l’Union européenne. On oublie qu’un prédécesseur de Juncker, Romano Prodi, un ancien de Goldman Sachs, déplorait que « les gouvernements nationaux sont tributaires des cycles électoraux de leurs pays» (11.10.2000). Qui peut douter encore que le déni de démocratie soit la ligne de force des dirigeants européens ?
Enfin, Varoufakis a rappelé que les propositions de la Grèce – bien plus consistantes et sérieuses que ce que les médias toxiques ont raconté – n’ont jamais été examinées par les ministres des finances de l’Eurogroupe, pas plus que son plan de 60 pages conçu avec la collaboration d’experts renommés des USA, de Grande-Bretagne, d’Allemagne ; un plan que Tsipras n’a pas osé envoyer aux autres premiers ministres des pays de la zone euro, par peur d’effrayer la Troïka. L’Eurogroupe et la Troïka n’avaient qu’un objectif : empêcher que le gouvernement Syriza réussisse et, par là-même, démontrer que les élections ne peuvent rien changer. Parce que l’Union européenne est un espace où il ne peut y avoir des choix contraires, du débat, des alternatives. L’UE est un espace a-politique où triomphe le rejet de toute alternative.
On saura gré à Varoufakis d’avoir partagé cette expérience qui conforte dans le concret un constat de plus en plus partagé : l’Union européenne est l’instrument du patronat destiné à étouffer la démocratie et à soumettre les peuples aux firmes privées.
Aussi, on sera d’autant plus étonné d’entendre, de la part de Varoufakis, des propos où il appelle à « démocratiser la zone euro », où il se présente comme un « Européaniste dévoué », où il proclame que « l’Europe est un tout indivisible », où il rappelle que « le gouvernement grec se considère comme un membre permanent de l’Union européenne et de l’union monétaire », où il répète que « les Allemands, les Grecs ou les Français n’existent pas ; nous sommes tous des Européens face à une crise éminemment européenne ».
Etrangement, celui qui dénonce de manière irréfutable la volonté de l’Eurogroupe d’empêcher toute alternative, se résigne à affirmer lui aussi qu’il n’y a pas d’alternative : « une fois que vous avez créé une union monétaire, vous ne pouvez plus revenir en arrière en empruntant le même chemin à l’envers, car ce chemin n’existe plus. » Et d’en déduire qu’il n’est « pas favorable » aux propositions de Frédéric Lordon ou de Jacques Sapir et qu’il faut « réparer ce que nous avons ».
Parce qu’il est Grec et appartient à une des nations fondatrices de la civilisation européenne, parce qu’il appartient à un petit pays victime, comme l’ont été d’autres en Europe, des grandes puissances qui ont fait la loi sur le continent pendant des siècles, parce qu’il y a un élément de fierté pour un peuple d’un petit pays à appartenir à une entité d’envergure mondiale, Varoufakis est viscéralement attaché au projet de l’Union européenne. Dont acte.
On regrettera toutefois qu’il écarte d’emblée, au nom du danger nationaliste et du risque de fragmentation de l’Europe, toute idée de construire une autre union des peuples d’Europe rendue possible seulement par la dénonciation des traités européens et de leur interprétation extensive par la Cour de Justice de l’Union européenne. Comme si les politiques de l’Union européenne et les institutions conçues pour les mettre en œuvre ne constituaient pas aujourd’hui le plus grand danger de la renaissance du nationalisme et de l’opposition des peuples d’Europe entre eux. Le dogme de la concurrence qui met en compétition les peuples de l’UE, l’impossibilité inscrite dans les traités de toute harmonisation fiscale et sociale qui en est le corollaire, l’impuissance des peuples à encore décider de leur destin, tout cela fournit aux extrêmes-droites nationalistes et identitaires des arguments décisifs bien plus menaçants pour la cohésion de l’Europe.
Le discours de Varoufakis représente dès lors une tentation dangereuse parce qu’il entretient, une fois de plus, l’illusion qu’une autre UE est possible. Comme son crédit médiatique est grand, il capte l’attention de ceux qui, à gauche, entretiennent la confusion des esprits et brouillent à dessein leur message sur l’UE. Il retarde d’autant la prise de conscience à gauche de la nécessité de sortir de l’UE, non pas comme une fin en soi, mais comme le seul moyen de construire l’indispensable union des peuples qui le souhaiteront ; une union où, en lieu et place de la concurrence, la souveraineté populaire sera le principe moteur.
10 septembre 2015