le prochain numéro d’Etincelles, la revue éditée par le PRCF consacrera un cahier à la crise migratoire. En avant première, initiative-communiste.fr vous propose de lire la réflexion suivant du philosophe Georges Gastaud.
A chaque crise politique nationale ou internationale, les médias du capital nous enferment dans une alternative fausse et paralysante. Face aux crises migratoires provoquées par les ingérences impérialistes en Syrie, en Irak, au Soudan, en Libye, etc., il n’y aurait le choix qu’entre deux attitudes :
- celle de « l’Allemagne, honneur de l’Europe» (sic), comme a osé le dire Bernard Guetta sur France-Inter ; trois semaines après avoir étranglé le peuple grec, Mère A. Merkel n’a-t-elle pas déclaré en effet qu’elle « prendrait tout le monde » (peu avant de se rétracter et de sommer les pays périphériques de gérer les migrants en partance pour l’Allemagne !),
- et celle des Guaino, Le Pen, Sarko et Cie qui traitent insidieusement les malheureux qui fuient la guerre et la malnutrition comme des « envahisseurs » en appelant, sous des formes prudentes, à les refouler impitoyablement.
Il va de soi que les communistes ne peuvent accepter cette alternative qui, de fait, associe le cosmopolitisme néolibéral au nationalisme xénophobe pour interdire une attitude véritablement internationaliste.
Bien entendu nous, militants de la solidarité entre les peuples, ne pouvons cautionner une attitude objectivement raciste consistant à laisser se noyer en Méditerranée des milliers de familles et d’enfants en bas âge. Le droit d’asile, conquête de la Révolution française, doit être défendu contre le FN de même que nous défendrons toujours, au nom de la solidarité ouvrière, tout travailleur menacé d’expulsion. Souvenons-nous que nombre de Francs-Tireurs et Partisans de la Main-d’œuvre Immigrée, qui furent la phalange de choc de la Résistance armée française, de Manouchian aux parents de Léon Landini, sont entrés clandestinement en France pourchassés par les régimes fascistes et que ces camarades n’en sont pas moins devenus par la suite des patriotes français « de choc » !
Pour autant nous ne bêlerons pas avec les gauchistes qui, à l’unisson de Merkel ou de l’économiste néolibéral Attali, défendent le « droit » pour n’importe qui de s’installer n’importe où en usant des « quatre libertés de circulation » garanties par Maastricht : liberté pour les marchandises, les services, les capitaux et les hommes, tous dé-localisables à merci en fonction de la recherche du profit maximal. Cette conséquence de « l’économie de marché ouverte sur le monde où la concurrence est libre et non faussée » (article VI de Maastricht, reproduit dans les euro-traités successifs) n’est rien d’autre en effet que le « droit » pour le capital de soumettre tous les pays de la Terre aux sous-enchères sociales permanentes (c’est à qui fera le plus « baisser le coût du travail » chez lui pour « attirer les capitaux »…), de privatiser les services publics, de délocaliser la production industrielle et agricole en déclassant en masse la paysannerie et la classe ouvrière locale, d’organiser la surenchère patronale (les capitaux iront toujours là où les Etats et les autres collectivités publiques les subventionneront le plus aux frais du contribuable)…
Qui ne voit aussi que cette « liberté du renard libre dans le poulailler libre », comme disait Marx, est une incitation permanente à l’impérialisme occidental et à ses alliés féodaux (Arabie Saoudite, Qatar, etc.) à dévaster des pays entiers, à y semer le chaos, « libérant » ainsi des millions d’hommes sur le marché mondial aux esclaves qu’est redevenu le marché de l’emploi depuis la fin du camp socialiste et la liquidation qu’elle a permise des Etats bourgeois plus ou moins anti-impérialistes ? Qui ne voit enfin que ce droit pour l’ « individu libre » d’errer de port en port est « une triste liberté sous les étoiles », comme disait le poète turc Nazim Hikmet : en effet, les émigrants ne partent pas en masse par choix et par plaisir, ils ont à leur trousse la guerre, la haine, le fanatisme et la misère, derrière lesquels il n’est pas difficile de retrouver le capitalisme mondialisé et ses réseaux prédateurs, de l’UE à l’OTAN, du FMI à l’OMC, de la « Françafrique » à l’hégémonie mondiale du dollar…
Au demeurant Merkel et Attali sont on ne peut plus clairs sur la signification, non pas « humanitaire », mais hautement rentable qu’ils veulent faire de la main-d’œuvre qualifiée partie de Syrie (il s’agit souvent de techniciens parlant anglais) : le but du capital allemand est de « discipliner » les revendications salariales, de briser les acquis non seulement des travailleurs du rang (souvent les migrants viennent « de leur plein gré /Vider les poubelles à Paris », comme le chante Pierre Perret), mais ceux des ingénieurs, tout en privant les pays dévastés des compétences nécessaires pour se reconstruire. Ainsi a-t-on brisé l’Afghanistan (où le Parti populaire avait largement promu l’alphabétisation et la mixité à l’Université), désertifié l’Irak, transformé la Libye en champ clos des luttes claniques, et avant eux la Somalie, le Soudan, etc.). Ainsi l’Allemagne « réunifiée » avait-elle réussi à briser la grande industrie performante de la RDA annexée (et aussi, par oligarques interposés, celle des ex-pays socialistes d’Europe) en précipitant sur le marché des millions de travailleurs allemands hautement qualifiés, qui n’avaient pas coûté un sou à la « République de Berlin » et qui seraient tout disposés, par la force des choses, à travailler aux conditions des lois Hartz (qui ont brisé le SMIG et l’indemnisation du chômage en RFA).
Les gauchistes qui croient faire preuve d’internationalisme en soutenant le « droit de s’installer n’importe où » ou en criant – en anglais là encore – « no Borders !, plus de frontières », jouent dans cette affaire les idiots utiles du capital : les Etats impérialistes, France hollandienne en tête – qui ont cassé la Syrie, ne viennent pas en « aide » au peuple syrien quand ils se présentent en pays hospitaliers alors qu’ils ont attisé la guerre civile contre le gouvernement légal dans l’espoir de recoloniser « en douce » cette parcelle de l’ex-Empire français. Les mêmes gauchistes aident le capital euro-mondialisé à briser les nations : celles dont partent les migrants, évidemment, mais aussi celles qui sont censés les accueillir alors qu’en fait, les villes françaises riches ne feront rien, comme d’habitude, pour accueillir les travailleurs (étrangers ou françai, peu importe : « surtout pas d’HLM dans ma ville, ça fait baisser l’immobilier ! ») et que les villes pauvres devront encore se serrer un peu plus, avec toutes les tensions internes que cela provoquera au seul profit du patronat (« diviser pour régner »).
En réalité, la « liberté » de circulation du capital, de la main-d’œuvre et des marchandises n’est démocratique que du point de vue des prédateurs capitalistes. Dans un monde socialiste en marche vers le communisme, les échanges seraient régulés non par la « concurrence libre et non faussée » arbitrée par la guerre impérialiste, mais
- par le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, dont le complément obligé est le droit pour chaque homme de vivre, d’étudier, de travailler au pays, et bien sûr d’émigrer dans la mesure où cette liberté individuelle est compatible avec le développement harmonieux des relations entre les pays (car le développement de chacun a pour limite le développement de tous) ;
- par la planification démocratique des flux économiques, non seulement de biens, mais de main-d’œuvre. Ainsi procèdent déjà, dans la visée du nouvel ordre mondial à construire, Cuba ou le Venezuela : protagoniste de l’ALBA, Cuba envoie au Venezuela ses médecins et ses instituteurs (en un mot ses ressources intellectuelles « excédentaires », car il ne s’agit pas d’en priver le peuple cubain qui a financé leurs études), lequel fournit en retour du pétrole à bas prix à La Havane : ce n’est pas un échange néocolonial, c’est du donnant-donnant, voire du gagnant-gagnant !
- par le droit des peuples à reconstruire leur pays avec le concours de la main d’œuvre qui a été formée sur place. C’est pour cette raison que la RDA avait dû fermer sa frontière berlinoise avec la RFA, qui pillait la main-d’œuvre qualifiée de l’Est en promettant des salaires que l’Est ne pouvait pas payer ; et par le devoir corrélatif des pays qui ont cassé un Etat donné (par ex. des pétro-milliardaires saoudiens s’agissant de la Syrie, mais aussi des magnats franco-anglais du pétrole s’agissant de la Libye…) de financer la reconstruction du pays cassé.
A ce prix les migrations internationales ne seront plus rythmées par les guerres impérialistes dans le Sud et par la casse sociale dans le « Nord » ; elles résulteront d’un brassage internationa fluide, AMICAL et REGULE, fondé sur les besoins de chaque nation, sur le désir légitime de chacun de « voir du pays » et sur la lente fusion harmonieuse de l’humanité en un tout riche de ses diversités assumées. A ce prix, oui, « l’Inter-Nationale » deviendra le genre humain…
Plus que jamais, notre résistance interne à la casse sociale et à la xénophobie ambiante devra donc s’articuler à la dénonciation des guerres impérialistes fomentées par l’impérialisme, et d’abord par le « nôtre », car un peuple qui laisse ses capitalistes détruire d’autres peuples ne saurait que se détruire lui-même !
Georges Gastaud, auteur de Marxisme et universalisme (Delga, 2015).