par Alex Falce, syndicaliste, et Georges Gastaud, ancien secrétaire du cercle des JC de Beausoleil
Les militants azuréens et monégasques du P.R.C.F. s’associent à l’émouvante cérémonie d’hommage que l’Union des Syndicats de Monaco a récemment dédiée à son fondateur et ancien président, le camarade Charles Soccal, militant du PCF, député progressiste de Monaco, organisateur inlassable de la classe ouvrière et des autres salariés de la Principauté (bien plus nombreux et combatifs qu’on ne croit : 45 000 salariés affluent chaque jour de France et d’Italie vers la gare de Monaco pour y faire tourner les services, les usines, les commerces, le port, les hôtels, etc.).
Cet homme sympathique, modeste, jovial, aimé de tous… mais redouté du patronat, a toujours donné son vrai sens caché à cette phrase de l’hymne monégasque : « Despuei tugiu aquella russa gianca / Esta l’amblema de nostra libertà » (« depuis toujours cette couleur rouge est l’emblème de notre liberté »).
Honneur à « Coco » et continuons son combat !
Ci-dessous, l’hommage prononcé par Betty Tambuscio, ancienne présidente de l’U.S.M. qui succéda à C. Soccal lors de son décès prématuré.
Hommage de l’USM à Charles Soccal, par Betty Tambuscio ancienne présidente de l’Union des Syndicats de Monaco
Si nous sommes ici aujourd’hui c’est parce que pour l’Union des Syndicats de Monaco l’oubli n’est pas de mise.
Notre combat c’est aussi le combat contre l’oubli, l’oubli de nos origines, de notre itinéraire, l’oubli dans lequel voudraient nous plonger les tenants de cette société capitaliste. Forts de leur domination sur le salariat ils occultent notre histoire, celle du mouvement ouvrier, absente des livres et des programmes scolaires, des émissions télévisées, des manifestations culturelles.
Ils entretiennent et cultivent l’amnésie collective pour mieux se prémunir contre la révolte des travailleurs qu’ils croient avoir soumis définitivement à leur loi, la loi du marché, la loi de l’exploitation.
Nous connaissons bien cette volonté à Monaco où le syndicalisme a dû se frayer un chemin dans la clandestinité dès 1936.
II nous appartient donc de scruter le passé, de nous relier à nos racines, de retrouver la source qui semble avoir disparu dans le sol pour ressurgir bientôt dans un bouillonnement subversif de luttes et de liberté.
Si nous sommes là aujourd’hui c’est donc pour un rendez-vous avec l’histoire, celle de notre Organisation.
Qui était donc Charles Soccal dont les travailleurs et leurs enfants ne liront le nom ni dans les manuels scolaires, ni au détour d’une rue, ni dans un square ?
Nos militants sont en droit de poser cette question, eux qui pour la plupart ne l’ont pas connu.
Et nous avons le devoir de répondre. Devoir de mémoire. Devoir d’héritage. Qui était donc Charles Soccal ?
Charles Soccal, ce jeune homme sur le port de Monaco qui rencontre un marin.
Au sortir de la guerre. Une rencontre suffit parfois à changer le cours d’une vie, à lui donner du sens. Celle-ci fait de lui un communiste.
Charles Soccal, le communiste, épris de philosophie marxiste, de dialectique, de matérialisme historique, féru d’économie politique, avide de connaissance.
Charles Soccal membre du PCF dont il fut pendant longtemps un dirigeant fédéral actif, parfois critique, dans sa soif de changer le monde. Charles Soccal dont l’engagement communiste sera le socle de tous ses autres engagements.
Charles Soccal, le fondateur du Mouvement d’Union Démocratique avec d’autres monégasques non communistes mais épris comme lui de développement démocratique, de libertés, de progrès social, et d’indépendance nationale.
Charles Soccal qui, ainsi, par delà le temps montre la voie d’un autre Monaco à ses compatriotes. Charles Soccal, le Conseiller National, élu à deux reprises, unique membre de l’opposition dans l’hémicycle. Seul dans une Assemblée hostile, où il menait de rudes batailles avec l’énergie puisée dans l’Organisation Syndicale, tel Antée ce terrible lutteur de la mythologie grecque reprenant des forces chaque fois qu’il était en contact avec la Terre, sa mère. Les deux jambes solidement campées sur le sol de son bureau, c’est ainsi que Coco me définissait lui-même son action d’élu, de militant élu, d’élu militant.
Charles Soccal qui en deux législatures présenta à lui seul 25 propositions de lois sociales, pour que son pays reconnaisse aux travailleurs le rôle et la place essentiels qu’ils occupent dans le développement et le rayonnement de Monaco.
Charles Soccal le Législateur, amoureux de la langue française, du mot juste, de la rigueur et de la précision, du texte, lui qui n’avait que le certificat d’étude.
Charles Soccal qui concevait son action politique et parlementaire comme un instrument au service des salariés, au service de l’action collective et du peuple de Monaco. Assurément, la vingtaine de lois sociales votées en deux législatures a vu le jour grâce à l’alliance de deux actions puissantes et indissociables : celle de l’intelligence collective de masse, conduite par l‘Union des Syndicats de Monaco, et celle du combat talentueux de Soccal au sein du Conseil National.
Charles Soccal, enfin et surtout, Secrétaire Général puis Président de l’Union des Syndicats de Monaco de 1946 à 1995.
Charles Soccal, incarnation de l’USM pendant près de 50 ans.
Charles Soccal dirigeant syndical, mais avant tout militant, Coco, comme l’appelaient ses familiers.
Si ce sont indiscutablement les masses qui font l’histoire, si l’oeuvre sociale est indéniablement collective, c’est bien aussi l’alliance du « je » et du « nous » qui donne à cette histoire collective une singularité et une originalité là où elle se déroule, dans le temps où elle se déroule.
C’est cette alchimie entre la personnalité de Charles Soccal et la conscience collective de son époque qui a suscité l’inventivité de l’Union des Syndicats de Monaco indispensable à la combativité du mouvement ouvrier monégasque.
L’histoire de l’USM ne serait pas ce qu’elle est sans Charles Soccal. Et Charles Soccal n’aurait pas été ce qu’il a été sans l’existence, la vie, riche et diverse de cette Organisation dans laquelle il a puisé sa force. Cette force, qui trouvait sa source dans l’enthousiasme de ses convictions, enrichies et confortées par l’apport d’une myriade de contacts avec autrui, si chers à son coeur, dans l’Union des Syndicats.
Cette Union des Syndicats de Monaco, une et plurielle, qui a conquis la protection sociale, les jours fériés, le 5% monégasque, les accords de mensualisation, la retraite à 60 ans, la retraite complémentaire, les indemnités de chômage, la 5ème semaine de congés payés, cette USM qui a traversé les pires revers en 1952 et 1980, autant de luttes dans lesquelles l’infatigable combativité de Charles Soccal a toujours entraîné les autres dans un même élan solidaire.
Cette Union des Syndicats qui, sous sa conduite inspirée, a toujours affronté l’adversité sans aucune compromission.
La contribution personnelle de Coco, pour forger une conception originale de notre Organisation n’est plus à démontrer, ni son apport à la construction de l’unité au sein de l’USM, fondée sur la compréhension de l’autre, la tolérance, l’esprit d’ouverture, mais en même temps sur la fermeté eu égard à nos convictions et nos fondamentaux.
Oeuvrant avec pugnacité pour la promotion des femmes aux responsabilités syndicales, dans une période où le machisme était encore vivace, il a su travailler aussi avec ses amis à la mise en place de sa relève, songeant à la pérennité de l’Union des Syndicats de Monaco.
Charles Soccal, Coco, l’ami, à l’écoute, accueillant, ouvert, un « hymne à la joie » à lui tout seul, incomparable optimiste, généreux, mais aussi capable de colères tonitruantes contre les adversaires de la classe ouvrière et des travailleurs.
La dimension de l’homme est immense parce qu’il a été tout cela à la fois.
Ca n’est nullement faire preuve d’une admiration excessive, ni ignorer les contradictions propres à chaque être humain, que souligner cet apport de Charles Soccal à l’oeuvre collective.
Mais, si le personnage de Charles Soccal est aussi d’une brûlante actualité c’est parce qu’il a su faire de nous ses héritiers.
Il nous a légué les instruments pour continuer à creuser le sillon, la boussole pour nous frayer un chemin. Transmission de sa fougue et de son ardeur militante,
voire révolutionnaire, transmission du souci de l’analyse et de la synthèse, de sa force d’anticipation et de conviction. Transmission de l’exigence du travail et de la réflexion collectifs qu’il comparait à une symphonie pour laquelle chaque instrument de l’orchestre est indispensable à la réalisation du tout. Passion de l’Union des Syndicats de Monaco, « patriotisme » disait-il de l’Union des Syndicats de Monaco.
Et, ensemble, nous avons appris à nous servir de ces outils, sans lui, à prolonger leur utilisation, à faire oeuvre nouvelle avec eux, à trier ce qui appartient définitivement au passé, essayant de comprendre l’oeuvre qui se prolonge et ce qu’elle appelle.
Ces biens immatériels légués nous les avons intégrés, conservés au fond de nous, pour en faire chaque jour bon usage en conservant aussi la liberté d’agir autrement, d’innover, de faire face à l‘événement ne sachant ce que lui aurait fait, mais répondant à la question en conscience et en responsabilité.
Nous avons accepté cet héritage. Nous avons dit oui. Il le savait. Il savait que l’héritage était accepté. Et l’héritage a été consciemment assumé. Il continue d’être assumé. Même par celles et ceux qui parmi nous ne l’ont pas connu, l’héritage est assumé. Comme luimême et ses compagnons avaient assumé l’héritage laissé par ces travailleurs qui avant guerre avaient bravé l’interdit. Car nous sommes tous les héritiers de celles et ceux qui du fond des âges, depuis Spartacus, depuis l’esclave insoumis, depuis les révoltes paysannes duMoyen Age s’insurgent contre l’exploitation de l’homme par l’homme jusqu’à la forme actuelle de cette exploitation.
C’est notre filiation, et nous nous inscrivons résolument dans cette lignée.
Oui, dans chacun de nos combats Charles Soccal continue de vivre et de lutter avec nous. Car nous n’avons pas trahi.
Oui, en acceptant l’héritage et celui de la multitude d’anonymes qui nous ont précédés dans cette lutte pour la condition et la libération de l’homme, nous avons confirmé l’USM dans ses ambitions transformatrices des rapports sociaux et offert aux travailleurs de Monaco les moyens et l’opportunité, en défendant leurs intérêts collectifs, de prendre aujourd’hui, et demain, leur part pour que la classe travailleuse assume universellement l’avenir et la sauvegarde de l’humanité.
C’est le présent. C’est l’enjeu. C’est le sens de nos vies et le sens de l’histoire.
En cela, pour tout cela, et pour les raisons que chacun évoquera dans le dialogue muet de son for intérieur, vingt ans après sa disparition, nous pouvons exprimer notre gratitude en mémoire de Charles Soccal.
A cette intention, je vous invite à respecter une minute de silence. Merci Coco. »
Monaco, le 7 septembre 2015
Betty TAMBUSCIO, ex-Présidente de l’USM