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www.initiative-communiste.fr vous propose de retrouver gratuitement une des articles du numéro 161 d’Initiative Communiste d’Octobre 2015 !
Luttons contre la malinfo !
Après avoir travaillé à France 2, le journaliste Gilles Balbastre a décidé de prendre son indépendance : il notamment a participé à la création de journaux militants, comme « PLPL » et « Le Plan B », et tourné des documentaires qui dénoncent l’intoxication médiatique comme « Les nouveaux chiens de garde* », en 2011. Son dernier film s’en prend aux mensonges journalistiques sur la SNCF.
Etabli à Lille, il n’en a pas moins conservé son accent bordelais et sa faconde méridionale. Initiative Communiste l’a rencontré pour un entretien.
Initiative Communiste : D’où est venue l’idée de fonder « PLPL » ?
Gilles Balbastre : A l’origine, c’est une réaction à la couverture du mouvement de 1995 contre le plan Juppé, qui a d’ailleurs inspiré à Pierre Bourdieu des écrits sur la télévision. Pierre Carles s’est mis à tourner des films sur le sujet. Pierre Rimbert a publié un livre : « Libération, de Sartre à Rothschild ». Tout cela participe d’une critique politique, et non corporatiste, des médias.
Puis, Rimbert a rejoint le Monde Diplomatique, dont Serge Halimi est devenu le directeur, et je me suis mis à travailler sur « Les nouveaux chiens de garde » : du coup, « Le Plan B », qui avait succédé à « PLPL », a cessé de paraître, car nous n’avions pas assez de moyens pour continuer.
Armes idéologiques
La plate-forme NADA (« Nous Avons Des Armes »), créée à ce moment, tire son origine de la réaction haineuse des médias aux luttes des travailleurs de Goodyear et PSA-Aulnay. C’est de là que vient l’idée de faire un film sur le traitement médiatique des mouvements sociaux – plus précisément, d’une fête de Lutte Ouvrière où se trouvaient Pierre Rimbert et Jean-Pierre Mercier [responsable CGT à PSA-Aulnay, ndlr]. Notre but est de créer des médias alternatifs.
IC : Quel a été l’impact des « nouveaux chiens de garde » ?
GB : Le livre de Serge Halimi paru en 1997, qui portait ce titre, s’était déjà vendu à deux cent mille exemplaires. Le film est le documentaire français le plus vu depuis « Etre et avoir » il y a treize ans, avec vingt-cinq mille entrées officielles (les spectateurs des projections militantes ne sont bien sûr pas comptabilisés). Ses répercussions syndicales ont été importantes : le film a éveillé ou réveillé l’attention des militants aux questions politiques et au problème des médias, et leur a permis de comprendre que le syndicalisme ne se limite pas à la défense des salariés. La CGT a organisé des projections militantes, notamment dans les comités d’entreprise de l’EDF : depuis trois ans, l’été, elle organise quatre à cinq semaines de tournées et d’ateliers, et certaines projections attirent quatre-vingts personnes en plein mois d’août, ce qui prouve une accélération de la prise de conscience. Trente mille DVD du film ont été vendus, et quatre-cents débats organisés autour de lui ! Malheureusement, après le succès, on n’a plus occupé le terrain.
Pour une info bio !
IC : Qu’est-ce c’est au juste, un « média alternatif » ?
GB : Il faut lutter contre la malinfo comme contre la malbouffe : elle nuit à la santé mentale et à l’environnement démocratique. Réclamons de l’info bio fabriquée par des journalistes élevés en plein air, sans conservateurs ! Il existe des formes alternatives de production de nourriture : les AMAP (Associations de Maintien d’une Agriculture Paysanne) : les consommateurs achètent un abonnement à un paysan, et reçoivent en échange des paniers de fruits et légumes de saison. Pourquoi pas des AMIP (Associations de Maintien de l’Information Progressiste), des sites d’info prépayés, comme Médiapart ?
IC : Médiapart, c’est Plenel, un ancien dirigeant du journal Le Monde : ça n’est pas vraiment bio !…
GB : D’accord, mais au moins c’est indépendant.
IC : Formellement, mais pas idéologiquement !
GB : C’est vrai, Plenel a ses défauts, mais Médiapart n’est pas lié aux grands financiers, comme les grands médias qui ne sont même plus démocratiques au sens le plus large. Chez eux, le minimum syndical de l’information n’est pas respecté – ne je parle pas d’idéologie, mais de qualité de base : ce n’est pas seulement une info avec laquelle nous ne sommes pas d’accord idéologiquement, ce n’est plus de l’info du tout ! C’est comme les fruits et légumes de supermarché ! C’est de la production à flux tendu, de l’info jetable (on traite le sujet pendant quelques jours, jamais plus), conçue dans des conditions de concurrence exacerbée, du marketing du fait divers spectaculaire, d’où une lecture du monde complètement dégradée. Et beaucoup d’information sont tout simplement fausses !
Gestion politique de l’émotion
Mon documentaire « Cas d’école » en montre un exemple frappant : une élève d’un collège de Lens se suicide la veille de la rentrée de janvier. Immédiatement, sans enquêter, La Voix du Nord affirme que la cause de sa mort est une affaire de harcèlement scolaire et soutient les parents de la gamine, qui portent plainte contre l’établissement au motif que l’administration et les professeurs n’auraient pas fait leur travail. Et les autres médias ont suivi la même ligne. Les journalistes n’en démordront jamais. Après le non-lieu prononcé par le juge suite à l’enquête de police, la Voix du Nord a fait dans le « Tous pourris ». Et les bons résultats du FN aux départementales qui ont suivi n’étaient pas sans rapport… La gestion politique de l’émotion au lieu de la raison, c’est fasciste. Sarkozy faisait le coup : un fait divers, une loi sécuritaire.
Dès la rentrée des vacances de noël, des caméras de télévision étaient plantée devant le portail du collège ! Deux enseignants étaient justement membres du « Plan B ». L’une me téléphone et me dit : « Gilles, on est en train de vivre des travaux pratiques sur les médias ! » Un an plus tard, une édition de l’émission de télé « Envoyé spécial » en a remis une couche, et quelques mois après, c’est « 52 minutes » piégeait le principal-adjoint avec une caméra cachée, alors qu’il n’avait accepté l’entretien qu’à la condition de ne pas être filmé !
Détournement de colère
« Cas d’école », que j’ai fait avec Laurent Bonelli, un sociologue du Diplo, décode l’affaire. Les reportages sur le harcèlement sont en fait de faux sujets. Un élève du collège Jean Jaurès de Lens a beaucoup moins de chances d’être harcelé que de se retrouver au chômage un jour. Les politiques adorent parler du harcèlement parce que cela fait diversion. Les ministres de l’éducation Chatel et Peillon ont beaucoup travaillé sur « la violence à l’école », et Vallaud-Belcacem fait pareil : le sujet fait peur, et détourne la colère populaire contre les professeurs. A Lens, après cinq jours de harcèlement médiatique, une manifestation de haine contre les enseignants a traversé la ville pour se disperser devant le collège ! Cela m’a rappelé ce que m’a dit un rédacteur en chef de Paris quand je travaillais à France 2 : « Quand on veut un truc bien crade, on pense tout de suite à vous, dans le nord ! »
Le film « Cas d’école » n’a coûté que cinq mille euros : on écoute des membres du personnel éducatif du collège, réunis autour d’une table. Rien à voir avec « Les nouveaux chiens de garde », qui est dix fois plus cher, à cause des nombreuses images d’archives payantes !
Des sardons sur les rails
IC : Ton dernier film s’intéresse à la SNCF…
GB : « Vérités et mensonges » est le titre d’un film d’Orson Welles sur le plus grand faussaire de l’histoire de l’art. L’onde de résonnance des « Nouveaux chiens de garde » a permis de développer un réseau syndical. « Vérité et mensonge sur la SNCF » n’a pas été fait par NADA : c’est une commande du Comité d’Etablissement Régional SNCF 59-62 de la CGT et du cabinet Emergences, qui est lié à la CGT et travaille sur la souffrance au travail. Le film a été tourné parallèlement à une étude d’Emergences sur la souffrance des salariés après les réformes ferroviaires de 1997 et 2014, menée par le sociologue Julien Kubiak.
C’est un film « sardon » contre Guillaume Pepy : il reprend le ton sardonique du Plan B et montre que le PDG de la SNCF ment constamment – notamment dans l’émission « Les quatre vérités » ! C’est culotté de la part de la CGT ! Le film est visible en ligne. Nous projetons des suites sur d’autres sujets : « Vérité et mensonge » sur l’hôpital, sur le code du travail…
* Réalisation : Gilles Balbastre et Yannick Kergoat (Acrimed), auteurs : Pierre Rimbert, Serge Halimi et Renaud Lambert, du Monde Diplomatiques, anciens fondateurs de « PLPL » et du « Plan B ».