MOISSON
Roger Bennati
Un sac pour lui, un sac pour toi
Moitié moitié, le poids est juste.
Il a la ferme et le tracteur,
Tu as tes bras et ta sueur,
Un sac pour lui, un sac pour toi.Un sac pour lui, un sac pour toi,
Et la batteuse s’époumone,
Il a la ferme et le tracteur,
Et les engrais et les machines,
Tu as tes bras et ta sueur,
Tu as tes jambes et ton échine.Un sac pour lui, un sac pour toi,
De l’épi mûr le grain ruisselle.
Il a la ferme et le tracteur
Et le curé et le pasteur,
Tu as tes bras et ta sueur,
Tu as tes frères, tu as tes soeurs.Un sac pour lui, un sac pour toi,
Là-haut la paille s’amoncelle
Un sac pour lui, un sac pour toi,
Il a tout mis dans la balance
Et son Pays et son Drapeau,
Et sa légende Indépendance.Un sac pour lui, un sac pour toi,
Et la poussière tourbillonne,
Un sac pour lui, un sac pour toi,
Il a tout mis dans la balance,
Il n’a plus rien où s’accrocher,
L’avenir mène la danse.Un sac pour lui, un sac pour toi,
C’est le vieux blé qu’on vient de battre,
La moisson nouvelle a levé
Que l’orage ne sait abattre.Obsèques de Roger BENNATI – 26 octobre 2015 – Place du Monument-aux-Morts, cimetière de Monaco
Ma sœur et moi-même avons souhaité rendre un hommage public à notre père.
Cela nous a paru naturel – et à son frère aussi bien sûr, notre oncle – tant les idéaux, l’engagement de notre père ont structuré sa vie et ses choix.
Nous avons demandé à Betty Tambuscio, ex-Présidente de l’Union des Syndicats de Monaco, de dresser le parcours d’engagement de notre père et elle a accepté.
Ses camarades de conviction et de lutte, les organisations syndicales et politiques où il s’est engagé activement sa vie durant sont présents et nous les en remercions.
Notre père a été aussi un homme public qui a eu des fonction électives et des responsabilités syndicales qui l’ont amené à côtoyer pendant des décennies les institutions tant françaises que monégasques.
Nous remercions de leur présence ou – et – du dépôt de fleurs :
- Le Conseiller de Gouvernement pour les Affaires Sociales et la Santé
- le Conseil National et son Président,
- le Maire de Monaco et le Conseil Municipal ;
- le Président du Département des Alpes-Maritimes,
- le Maire de Beausoleil et le Conseil Municipal dont la délégation est conduite par le 1er adjoint,
- le Maire de Cap d’Ail et le Conseil Municipal.
Nous remercions :
- l’Union des Syndicats de Monaco,
- L’Union des Retraités de Monaco,
- Le Syndicat Monégasque de l’Audiovisuel,
- Le Syndicat du Commerce,
- L’Association du Personnel de Radio-Monte-Carlo,
- Le PC
Nous remercions ses amis, ses voisins, de simples connaissances de leurs témoignages de sympathie.
Après l’intervention de Betty Tambuscio, je lirai un poème écrit par Roger Bennati dans sa jeunesse, qui rend bien compte des origines familiales de son engagement.
Enfant, il allait passer ses vacances dans sa famille paysanne en Toscane et il racontait qu’au moment du Front Populaire, il s’amusait à creuser des faucilles et des marteaux dans des citrouilles en pleine Italie mussolinienne au grand dam de ses oncles et tantes.
L’incinération se fera dans l’intimité familiale et de ses amis les plus proches.
Roger Bennati était fils de Unico, communiste menacé par les fascistes, qui a dû passer clandestinement la frontière franco-italienne en 1925 et de Elena Caroni, ouvrière en briqueterie en Toscane. Cela peut forger un destin.
Betty, à toi.
Ce qui vient de se produire est immense.
Un beau jour, à l’heure du café, sans crier gare, Roger me récita intégralement un magnifique et long poème de Louis Aragon.
Il était comme ça, Roger…
Oui, ce qui vient de se produire est incommensurable.
Qui nous a quittés ?
Roger, le poète, sensible, communicatif, qui ces derniers temps avait noué amitié avec la charmante tourterelle venue le visiter régulièrement sur son balcon ?
Roger, l’artiste peintre se jouant avec ses pinceaux de la forme des galets ramassés sur les plages de ses baignades ? Roger, le satiriste à la plume acérée, pastichant Jean De la Fontaine, pourfendant l’exploiteur et le riche ?
Qui nous a quittés ?
Roger, le syndicaliste, formidable batailleur, phénoménal dirigeant de l’Union des Syndicats de Monaco et du Syndicat Monégasque de l’Audiovisuel ?
Roger le communiste, ancien Maire de Beausoleil, continuateur d’André Vanco avec, chevillée au corps, une vision ambitieuse pour le Beausoleil du futur au service de l’intérêt général et des humbles ? Roger, le Conseiller Général ?
Qui ?
Roger, le militant habité de rêves humanistes, empli d’une passion dévorante pour changer le monde, Roger à la légendaire distraction, parfois inouïe, tant ce rêveur se moquait des contingences matérielles ?
Qui nous as quittés ?
Roger, le Président d’honneur de l’Union des Retraités de Monaco, dont il fut l’âme pendant tant d’années ? Roger, Ruggero, le journaliste du Patriote Côte d’Azur, signataire d’une multitude d’articles politiques, culturels, syndicaux, échos pertinents de la vie monégasque ?
Roger, l’ami si doux, si merveilleux, souriant et bienveillant ?…
Qui ?… Qui ?…
Ces multiples Roger nous ont tous quittés en même temps, irrémédiablement, laissant derrière chacun d’eux l’empreinte de son talent, de sa force, de son humour, de sa sensibilité, de sa combativité.
Tous nous ont quittés qui s’incarnaient en un seul et unique Roger, lequel fondait leur unité profonde sur sa prodigieuse capacité de théoricien marxiste, d’analyste des situations, locales ou mondiales, sachant distinguer l’essentiel du secondaire, et rendre ainsi accessibles et simples les réalités les plus complexes.
Ses convictions inébranlables qui l’avaient amené à adhérer après guerre au Parti Communiste Français, son infaillible aptitude à comprendre le réel derrière l’apparence, à déceler les contradictions, cette capacité à se révolter et entrer en colère, jusqu’à son dernier souffle, devant chaque méfait concret de l’exploitation capitaliste, tout cela vivait continuellement en lui et l’animait.
La passion de ses propos c’était toujours pour contrer l’adversaire, pour convaincre ses amis, pour éclairer sur le sens et la signification des guerres impérialistes qui déchirent le monde.
La passion, assortie de tolérance, d’acceptation des différences, d’ouverture vers le plus grand nombre pour rassembler.
Mais Roger c’était aussi un formidable homme de terrain, au plus près de la population et des travailleurs, infatigable « distributeur » de tracts dans les boîtes aux lettres, dans la rue, au marché, dans l’entreprise, à la gare, d’une disponibilité sans limite pour ses collègues de travail, ses administrés, ses amis de l’Union des Syndicats de Monaco ou de la section du Parti Communiste, toujours au service des idées qu’il défendait et au service d’autrui.
D’un abord facile, Roger était comme un poisson dans l’eau au milieu des autres, aimé de ses amis, apprécié des commerçants de son quartier, respecté, y compris par nombre de ses adversaires politiques qui reconnaissaient sa rigueur morale, son dévouement pour défendre les humbles, et sa finesse intellectuelle.
Et s’il s’irritait parfois devant notre incompréhension (nul n’est parfait), il était capable surtout d’interminables discussions ou de nombreuses contributions écrites pour transmettre, éclairer ou s’indigner.
Il a ouvert les yeux à quantité de militants, et suscité leur prise de conscience.
Pour beaucoup d’entre nous, Roger était une référence.
Entré comme technicien à Radio Monte Carlo en 1952 il y insuffla une vie syndicale nouvelle puis, avec ses amis, étendit cette activité à l’ensemble des secteurs de l’audiovisuel monégasque pendant près de trente ans.
Saura t-on mesurer l’énergie déployée par Roger, en 1968, comme maître d’oeuvre de la Convention Collective de RMC, la plus avancée de Monaco tant au plan purement social qu’au plan des libertés syndicales.
Et saura t-on évaluer, les prouesses réalisées, avec Renée, pour faire venir à Monaco une pléiade d’artistes lors du XXV ème anniversaire de l’Union des Syndicats, contribuant ainsi à la réalisation d’un gala jugé exceptionnel par la presse de l’époque.
Ses qualités d’anticipation et de visionnaire, encore une fois fondés sur son extraordinaire faculté d’analyse, conduisirent Roger à comprendre avant tout le monde, dès les années 80, qu’il faudrait en passer par un rude combat pour maintenir le centre de gravité de RMC à Monaco, faute de quoi l’indépendance du pays au plan audiovisuel serait fortement compromise.
Et dans ce contexte, il émerveilla certains de ses jeunes collègues par son aptitude à faire vivre la démocratie syndicale, qui conduisit parfois aux actions de grève, au cours d’assemblées générales structurées, où il expliquait, écoutait, répondait à tout, ramenait à l’essentiel pour tirer des conclusions collectives.
Roger, à cette époque, c’était aussi la tempête qui déboulait dans les bureaux de l’Union des Syndicats, un acteur important de l’action contre la loi anti grève de 1980, un « formateur » clarifiant de manière lumineuse les rouages de l’économie capitaliste, le membre passionné et passionnant de la Direction collective de l’USM, un chaînon magistral et en tous points remarquable de la diversité, de la pluralité d’idées et de sensibilités au sein de l’Union des Syndicats de Monaco, de l’unité.
Plus tard, dans les années 2000, pleinement impliqué au sein du Collectif d’Action pour le Droit de Vivre à Monaco unissant trois organisations, dont l’Union des Retraités, dans une mémorable action pour la défense du droit des salariés au logement, Roger fut aussi l’impétueux résistant à ce qu’il qualifia avec indignation de « projet d’épuration économique de la Principauté ».
Et au cours des dernières années, Roger fut l’inlassable laboureur au service de l’Union des Syndicats de Monaco et des travailleurs dans cette courageuse et féroce bataille contre la remise en cause des retraites, ce salaire continué devenu aujourd’hui un enjeu fondamental de la lutte de classe.
De cette lutte de classe il disait d’ailleurs encore publiquement, voici à peine quelques semaines, qu’elle est entrée dans sa phase finale. Car malgré l’âge et la fatigue il ne cessait de transmettre, d’apporter son analyse sur le devenir de la société, du monde, et même de l’espèce humaine. Il demeurait un militant.
Et s’il avait adhéré voici quelques années au Pôle de Renaissance Communiste en France c’est pour y retrouver ce qui, selon lui, a été abandonné par le Parti Communiste Français qui, écrivait-il ce 2 octobre dans son blog « Juvento », « a depuis longtemps éteint son moteur marxiste et semble naviguer à l’estime sur une mer politique de plus en plus agitée ».
Tout le monde sans doute ne partagera pas cette vision de l’histoire. Mais chacun reconnaîtra ici la marque de quelqu’un de pleinement impliqué jusqu’à son dernier jour dans la vie de son temps et pour les enjeux actuels de l’humanité.
« Moteur marxiste » selon Roger, « Boussole » selon Charles Soccal.
Tous deux parlaient du même outil leur servant à décrypter le monde.
L’évocation de Roger Bennati serait impensable, inconcevable, si elle n’était intimement associée au souvenir de son grand ami Charles Soccal. Au souvenir de Coco.
Charles Soccal qui disait : « Avec Roger et Marcel, j’aurais soulevé des montagnes ! »
Au cours des dernières années, je n’ai pas eu une seule rencontre avec Roger sans que le nom de son ami ne soit prononcé. Coco vivait en lui. Et Roger s’est efforcé de continuer à transmettre ce que tous deux avaient en commun, par fidélité à l’ami, à leur identité de vue, à leur pensée philosophique.
Et le 7 septembre dernier, Roger avait tenu à rappeler en public cette « communauté de pensée et d’idées » qui s’exprima d’ailleurs également dans la période où tous deux étaient membres de la direction fédérale du PCF dans les Alpes Maritimes : « C’était pas la peine de discuter entre nous pour savoir ce que l’autre pensait ».
En ce moment si éprouvant pour nous, Roger aurait aimé que nous évoquions cette amitié si importante dans son existence.
« Sans lui », me disait-il récemment, « nous ne serions pas ce que nous sommes » Roger ne m’entendra plus. Mais j’aurais tant voulu lui dire en ce jour : « Roger, sans vous deux nous ne serions pas ce que nous sommes ».
Roger, toi le jeune homme de 89 ans enlevé à l’affection de sa famille et de ses amis,
Roger, si actuel pour avoir vu juste sur les expériences historiques du passé, en refusant le reniement.
Roger Bennati, figure du mouvement ouvrier, figure à part entière de l’histoire de Monaco et du département, Roger, ton combat pour l’homme et sa libération continue à travers tes compagnons de route et d’innombrables amis, syndicaux ou politiques.
Pourvu que nous en soyons dignes !
Betty Tambuscio
Ex-Présidente de l’Union des Syndicats de Monaco
le 26 octobre 2015