FIERTE ENSEIGNANTE, OU ES-TU ? – Décembre 2015- Floréal, enseignant syndicaliste retraité
Il arrive souvent, hélas, que des enseignants soient injuriés, voire molestés dans l’exercice de leur mission par des élèves déboussolés ou par des parents d’élève que la droite sarko-macronienne excite jour après jour contre ces « fainéants de fonctionnaires ». Devant de telles exactions, des agents de la RATP ou de la SNCF stopperaient aussitôt les trains et les syndicats feraient le siège de leur direction, responsable non seulement de la sécurité des usagers, mais de la défense de ses agents publics, de leur intégrité physique et de leur honneur professionnel.
Dans l’Education nationale il en va tout autrement. En cas d’agression grave, les directions syndicales publieront peut-être un communiqué de presse éploré, toujours très courtois et « gentillet ». Mme Vallaud-Belkassem lira peut-être en baillant ce communiqué… si l’affaire a fait quelque bruit médiatique… Quant aux enseignants, cesseront-ils seulement le travail ? : « Y a-t-il eu dépôt d’un préavis de grève ? », diront certains ; « halte à la récup politique ! », pontifieront d’autres ; « je suis en retard sur mon programme », dira, angoissé, l’éternel premier de la classe… « Gare aux amalgames ! », conclura le « sage » de la salle des professeurs déguisant en prudence humaniste son refus de heurter l’autorité… D’autres encore auront le « bon réflexe » : s’inspirant des « bonnes pratiques », ces « novateurs » s’interrogeront gravement : « quelle réponse pédagogique convient-il d’apporter à la violence ? », je ramasse les copies dans deux heures ; à quoi la réponse sera toute trouvée : encore plus d’E.P.I., je vous prie, encore plus d’A.P., de P.P.R.E.-passerelles et d’autres bricolages UNSA-certified aussi bien-pensants que pédagogiquement improbables… Pour finir, seule une minorité « mal vue » aura bougé en défendant tout le monde comme ce fut trop souvent le cas après tant d’actes de violence, voire de suicides enseignants induits par les conditions de travail exécrables et par le mépris général dans lequel est tenue la profession…
Quant à nos libres médias bouffeurs de profs, ils n’interrompront même pas leurs attaques contre les fonctionnaires « surprotégés »* et ils continueront, comme si de rien n’était, de sommer le gouvernement d’accélérer la casse du statut de la fonction publique mis en place par Maurice Thorez en 1945-47. Mais qui rappellera, au niveau syndical, que ce statut fut institué parce qu’en effet, les enseignants et les autres fonctionnaires personnifiant l’Etat-nation, ils accomplissent à ce titre des missions de confiance au service du pays et que cela les met en position d’être diffamés, blessés, voire tués au titre de leurs fonctions. Et c’est d’autant plus vrai qu’aujourd’hui, certains rejettent violemment l’idée même d’une nation et d’une école laïques (Daesh ne vient-il pas d’appeler ses partisans fanatiques à tuer les enseignants laïques ?). Qui rappellera en outre que, sans le statut des fonctionnaires qui permet à ceux-ci de refuser un ordre inhumain (ce type de commandement s’est vu sous Pétain et pourrait se revoir ô combien avec l’accès au pouvoir de forces « brun marine »…). Un statut qui, en liant l’emploi à un concours national anonyme et à une qualification – et non au recrutement ou au congédiement à la tête du client par un chef d’établissement parfois sous influence – perme théoriquement à chacun – s’il a un peu de courage – d’enseigner l’économie, la philosophie, l’histoire, le français, les sciences naturelles, etc., sans se demander si les contenus enseignés sont conformes à ce que pense le MEDEF local, à ce que prêche l’intégriste voisin ou à ce que prône le gouvernement en place, et cela sans avoir d’autre souci en tête que la démonstration, que l’expérience scientifique, que la libre discussion, la tolérance mutuelle et la motivation éclairée des élèves : et sans cette relative indépendance statutaire du professeur (indépendance par rapport aux pouvoirs, pas par rapport aux savoirs démontrés et à l’esprit critique !), que peut bien signifier le mot si dévoyé de « laïcité », sinon l’obéissance servile aux idées consensuelles à la mode – si fausses qu’elles soient scientifiquement –, à la dictature implicite du « surtout pas de vagues ! » et du conformisme idéologique imposé en dehors de tout débat par la classe dominante ? C’est-à-dire le contraire de ce que voulaient les Condorcet, Le Pelletier, F. Buisson et les autres concepteurs de l’école publique ?
Enseignants, cessons donc de mettre la tête sous l’aile. Les « valeurs de la République » ne se défendent pas par des envolées lyriques qui ne coûtent pas cher aux gouvernants et qui ne les empêchent pas de détruire les postes, de rogner les statuts, de casser les disciplines scolaires et les diplômes nationaux sans pour autant SOUTENIR les professeurs quand ils sont confrontés à des élèves violents, à des parents arrogants ou à cette autre forme de violence qu’est la remise en cause par les politiques et par les hiérarchies administratives du professionnalisme des maîtres, de leur savoir universitaire, voire de leur civisme, bred de tout ce qui fonde leur autorité et leur rayonnement devant leur classe.
Mais d’abord quand on nous injurie, quand on nous frappe, quand on nous menace de mort, réapprenons à croiser les bras, à faire grève sur le tas, à nous comporter en travailleurs, en citoyens, en hommes et en femmes véritables : c’est le meilleur exemple éducatif que nous puissions donner à nos propres élèves qui se montrent fiers de nous dès lors que nous nous montrons fiers de ce que nous sommes : des travailleurs dignes de respect !
* « Surprotégés » comme le sont ces personnels de santé qui se sont pressés spontanément dans les hôpitaux parisiens pour soigner les victimes d’attentats, comme ces agents d’EDF qui grimpent aux poteaux pour réparer les lignes lors des tempêtes ou ces cheminots qui n’en finissent pas de ravauder avec des bouts de ficelles le matériel de moins entretenu du réseau ferré livré à Maastricht… Mais quel ministre remercie jamais les profs, les agents EDF, les infirmières, les ingénieurs de l’Equipement ou les pompiers, comme sont très normalement remerciés les agents des forces de sécurité ?