En Aout 2010, Léon Landini – résistant FTP MOI, président de l’amicale des bataillons Carmagnole Liberté, président du PRCF – écrivait une lettre ouverte à Nicolas Sarkozy après son discours de Grenoble, sur la question de la nationalité.
Cette lettre est aujourd’hui plus que jamais d’actualité
Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République
Le 10 août 2010
Léon Landini à
Monsieur le Président de la République
Palais de l’Elysée
55, rue Fg Saint-honoré
PARIS 75008
Monsieur le Président,
C’est choqué ! que j’ai pris connaissance du discours que vous avez prononcé le 30 juillet dernier à Grenoble.
En effet, ce jour là, vous avez déclaré : « Que la nationalité française puisse être retirée à toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique ».
Retirer la nationalité française à toute personne d’origine étrangère ?
De quelles personnes s’agit-il exactement ? Comment allez-vous déterminer « l’origine étrangère » d’une personne ? Allez-vous, comme l’ont fait les gouvernements fascistes de Pétain et Laval à l’encontre des juifs, remonter jusqu’à la troisième génération ?
Et dire que je pensais, je croyais, j’étais convaincu qu’en devenant Français, (que ce soit par naturalisation ou de toute autre façon), on avait acquis les mêmes droits, les mêmes devoirs et les mêmes obligations que tous les autres Français.
Voici qu’avec votre discours, je découvre avec stupeur, que vous considérez qu’il y a deux sortes de Français. Les uns Français-Français et les autres demi-Français et susceptibles à tout moment, selon le bon vouloir d’un président de la République, de garder ou de perdre cette nationalité.
Il s’agit là d’une véritable offense faite à l’égard de ceux qui, étrangers ou d’origine étrangère, ont dans les années 40 combattu l’occupant les armes à la main et acquis, souvent grâce à leur héroïsme, la nationalité française.
Après votre déclaration, Il apparaît indispensable de rappeler les immenses sacrifices consentis au cours des deux dernières guerres par ceux que l’on appelait alors « Les coloniaux » et dont les enfants ou les petits-enfants, aujourd’hui Français, sont les premiers visés par cette nouvelle loi, que vous voulez nous imposer.
Les immenses nécropoles se trouvant sur le front de l’Est, aussi bien que celles se trouvant devant Rome ou Monte-Cassino, prouvent que des dizaines et des dizaines de milliers de « coloniaux morts pour la France» reposent loin de leur terre natale.
Le souvenir de leur sacrifice devrait vous permettre d’avoir un peu plus de retenue et de traiter avec un peu plus d’égards la progéniture de ces soldats très souvent « malgré eux », qui ont perdu leur vie, afin que notre pays puisse reconquérir son indépendance et sa liberté.
Votre volonté de « dénaturaliser » « toute personne d’origine étrangère qui aurait volontairement porté atteinte à la vie d’un policier, d’un gendarme ou de toute autre personne dépositaire de l’autorité publique » va-t-elle s’arrêter là ? Quelle garantie avons-nous que, par la suite, la même sanction ne frappera pas ces mêmes personnes parce qu’elles auront fait grève et occupé leur usine ? Ou bien encore parce qu’elles auront simplement participé à une manifestation que vous n’auriez pas appréciée ?
Le ministre de l’Intérieur, le sieur Brice Hortefeux, qui a déjà été condamné le 4 juin dernier à 750 € d’amende par un tribunal pour injure raciale, nous montre le chemin que votre gouvernement désire prendre.
Il demande d’étendre la déchéance de la nationalité française aux cas d’excision, de traite d’être humains ou d’actes de délinquances graves.
Qu’appelle-t-il actes de délinquances graves ? Ne serait-ce pas précisément ce que je viens d’évoquer quelques lignes plus haut ?
Je constate avec amertume et colère que certains membres de votre gouvernement utilisent à l’égard des immigrés, à peu près le même langage et les mêmes méthodes que j’ai connus avant et pendant l’occupation.
Votre gouvernement qui se prétend le défenseur de « L’identité nationale » détruit chaque jour d’avantage la « spécificité » française, jusqu’à notre langue qu’il malmène afin de la faire disparaître.
En tant qu’ancien combattant volontaire de la Résistance, comment ne serais-je point révolté, lorsque j’apprends qu’un de vos proches, Denis KESSLER, ait pu écrire : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire le programme du Conseil National de la Résistance … Il est grand temps de le réformer et le gouvernement s’y emploie », sans que personne dans votre entourage ne le contredise.
Quelles que soient les raisons que vous puissiez invoquer, je trouve scandaleux que l’on puisse menacer de retirer la nationalité française à des d’hommes et à des femmes qui, bien qu’étrangers, ont dans un passé récent représenté l’honneur de notre pays.
En ce qui me concerne, fils d’Italiens, mes parents sont venus en France en 1922.
Je suis né en 1926 dans le Var et j’ai obtenu la nationalité française par option à l’âge de dix ans.
Durant toute mon adolescence j’ai connu les agressions et les insultes racistes.
C’est régulièrement que l’on me criait au visage : « Sale macaroni ! Va dans ton pays ! La France aux Français ! ».
Pourtant en 1942, lorsque la Côte d’Azur fut envahie, les premières bombes lancées contre les troupes d’occupation italiennes entre Marseille et Vintimille, c’est à Fréjus-Saint-Raphaël qu’elles ont explosé.
Celles-ci avaient été préparées par mon frère Roger, de douze ans mon aîné et déposées par moi et mes compagnons tous étrangers ou d’origine étrangère.
En mai 1943, mon père et mon frère furent tous deux arrêtés et effroyablement torturés par les carabiniers italiens.
Je fus arrêté à mon tour à Lyon en mai 1944, et « interrogé » par Barbie lui-même.
Je suis Grand Mutilé de Guerre. (Fracture du crâne, vertèbres cervicales abimées, testicules écrasés etc. ….) Mes états de services, mentionnent une quarantaine d’ennemis abattus parmi lesquels, je le souligne, des représentants du maintien de l’ordre de Pétain.
A la Libération, mon père, mon frère, mes deux sœurs et moi-même, avons tous obtenu la carte de Combattant Volontaire de la Résistance.
Mon frère arrivé en France à l’âge de 10 ans, marié à une Française et ayant deux enfants français, ne fut naturalisé qu’en 1947, il avait 33 ans.
Bien qu’étranger, il fut pendant la Résistance capitaine FTP-MOI, il a été homologué comme Lieutenant de l’armée française avec parution au « Journal Officiel ». Il est Mutilé de Guerre et Médaillé de la Résistance – Depuis son décès, une rue de Saint-Raphaël porte son nom.
Ma sœur Mimi est Chevalier de la Légion d’Honneur et Chevalier dans l’Ordre National du Mérite.
Quant à moi : je suis Grand Mutilé de Guerre – Ancien officier FTP-MOI – Officier de la Légion d’Honneur – Médaillé de la Résistance – Décoré par l’Union Soviétique – Président de l’Amicale des Anciens Francs-Tireurs et Partisans de la Main d’œuvre Immigrée (FTP-MOI) des Bataillons Carmagnole-Liberté et président de diverses associations d’Anciens Combattants.
Je tiens à vous rappeler que les FTP-MOI, composés quasi exclusivement de combattants étrangers ou d’origine étrangère, sont aujourd’hui reconnus par de nombreux spécialistes de l’histoire contemporaine « Comme le fer de lance de la Résistance armée française »
En revanche, une part importante « des bons Français » qui avant guerre insultaient les étrangers, se retrouvaient en prison pour collaboration avec l’ennemi ou dénonciation de résistants. Qui était le plus Français ?
Non, Monsieur le Président, il est intolérable qu’une telle mesure, mettant en cause les gens d’origine étrangère, puisse devenir une loi.
En espérant que vous vous ressaisirez et que désormais en France, pays de la liberté, chaque homme et chaque femme sera traité avec le respect et la dignité qui lui sont dus, sans que le fait d’être d’origine étrangère ne devienne pour chacun d’eux une épée de Damoclès.
Salutations d’un Résistant d’origine étrangère.
Léon LANDINI.