Par André Prone, Environnementaliste, Poète, Essayiste*
Si l’on en croit la cléricature médiatique, les enjeux de la COP 21 (sigle découlant de l’anglais, Conference Of Parties) sont de trois ordres :
- Un accord juridiquement contraignant,
- Une réduction des émissions de CO2,
- Un réchauffement global limité à 2º C.
Même à supposer que les enjeux soient réellement de cet ordre, nous savons d’ores et déjà que les objectifs qui en découlent ne seront pas atteints. En effet, la contrainte juridique est subordonnée à la seule promesse faite par chaque pays de se conformer à l’accord. Quant au fameux « bien en deçà de 2° C », aucun objectif global chiffré de CO2 n’ayant été inscrit dans le traité, il demeure, au mieux, un vœu pieux. Il s’agit donc, une nouvelle fois, d’une conférence internationale pour rien ou presque.
Mais les vraies questions sont ailleurs :
- Pouvons-nous affirmer avec certitude que le réchauffement climatique n’est pas d’origine anthropique ?
- L’activité humaine a-t-elle pour seule conséquence le réchauffement climatique ?
- L’activité capitalistique est-elle, à elle seule, responsable de la dégradation environnementale ?
Prendre le problème par ce bout revient non seulement à se poser la question de la bonne cohabitation homme/nature, mais de l’impact d’un type de société donnée sur l’homme et la nature et, plus concrètement, de l’impact capitalistique sur l’homme et la nature.
Concernant la première question : certitude ou incertitude de l’origine anthropique du réchauffement climatique, il est possible, en l’état actuel de nos connaissances scientifiques, d’affirmer que l’activité anthropique se surajoute à l’activité tellurique et solaire dans le sens d’une accélération des processus contributifs au réchauffement climatique. Par exemple : la terre a connu de profonds bouleversements climatiques à l’échelle des temps géologiques, passant par différents états (Terre boule de neige et Terre dépourvue totalement de glace). Cette histoire longue et complexe nous montre que le système climatique est un système à l’équilibre avec un certain nombre de « forçages » (constante solaire, paléogéographique, composition chimique de l’atmosphère, paramètres orbitaux, état de surface des continents, etc.). Modifier l’un de ces paramètres revient à déstabiliser le système climatique qui va évoluer vers un nouvel état d’équilibre. Ces déstabilisations successives vont se traduire par des changements climatiques sur différentes échelles de temps. Cette histoire complexe, qu’il nous faut déchiffrer à travers l’enregistrement des contraintes géologiques, géochimiques, cosmologiques et leur modélisation, nous montre que l’échelle de temps pour modifier ces processus est de l’ordre du million d’années ou de la dizaine de milliers d’années. Or, ce que nous observons présentement ne peut résulter que de l’ajout d’une contrainte anthropique à celles déjà existantes puisque les changements enregistrés sont de l’ordre de la centaine, voire de la dizaine d’années.
Pour ce qui est de la deuxième question : l’activité humaine a-t-elle pour seule conséquence le réchauffement climatique, l’affirmation négative de la réponse contient une bonne part des enjeux que le système capitaliste cherche à occulter en nous laissant croire que maîtriser la production de CO2 est la priorité des priorités. Certes, si juguler la production de CO2 est bien la clé de la maîtrise du réchauffement climatique et de la montée du niveau des mers, le réchauffement climatique n’est pas la seule clé de la maîtrise du dérèglement environnemental. Polluer massivement les océans, polluer et épuiser les réserves naturelles d’eau douce à travers le globe, polluer l’atmosphère, dégrader de façon quasi-irréversible les sols à l’échelle planétaire, réduire de façon drastique la biodiversité, etc., sont des facteurs tout aussi déterminants pour conserver la biosphère dans un état d’équilibre susceptible de garantir notre survie et épanouissement en ce monde. Et cela d’autant plus que chaque facteur contributif du dérèglement biosphérique est étroitement dépendant de l’ensemble des autres facteurs.
Enfin, s’agissant de la troisième question : l’activité capitalistique est-elle, à elle seule, responsable de la dégradation environnementale, la nature de la réponse que nous pouvons apporter conditionne la réponse aux deux questions précédentes. Elle est, en quelque sorte, le nœud gordien du tout. Alors, pourquoi peut-on dire que le système de production/consommation capitaliste ne peut être que le problème et non la solution du dérèglement environnemental ? Rappelons tout d’abord, au sens de Marx, que l’accumulation est le fondement même du capital et que celui-ci ne saurait se passer du profit. Le profit, généré par l’activité productive des travailleurs, est sous la dépendante exclusive de la reproduction élargie du capital qui pousse inéluctablement à la crise et à la barbarie. Rappelons aussi que ce système connaît une crise qui va bien au-delà des crises de surproduction classiques. Elle affecte la totalité des rapports économiques, sociaux, environnementaux, sociétaux et culturels, nous faisant dire que nous sommes en présence d’une crise capitalistique généralisée. Dans ce contexte, comment imaginer qu’un tel système puisse opter pour un mode de développement qui cherche à préserver les équilibres biosphériques régissant les états naturels de la planète ?
Le vrai défi environnemental que nous devons relever est un défi de classe qui va bien au-delà des seuls enjeux de la COP 21. Car le « coût vérité » de l’ensemble de ces politiques ne sera pas payé par la Terre mais par les hommes et l’ensemble du monde vivant. Forêts, eau douce, océans, sol, sous-sol, atmosphère et tout le reste, ne sont donc que ponction pour les profits réalisés par l’exploitation du travail salarié, seul producteur de valeur, et toutes les contradictions de ce système qui tend à élimer l’humain n’en sont que plus apparentes. Voilà pourquoi notre conception de la sortie de la crise environnementale ne se conçoit qu’en sortant du capitalisme en crise. Elle présuppose l’unité de l’homme et de la nature (dans l’activité productive et culturelle) autant que la lutte de classe et nous permet de découvrir ou redécouvrir la pleine étendue de la contradiction biosphérique que représente le capitalisme en déclin.
Petite bibliographie d’André Prone.
- Chez PUP éditeur : L’analyse texturale et microstructurale des sols.
- Déjà parus chez l’Harmattan : Pour sortir du capitalisme (1er partie Écomunisme), La fin du capital,
- Pour une critique de la marchandisation ; à paraître en 2016 : Capitalisme et Révolution.