Merci Patron ! En ce début d’année 2016, grâce à la mobilisation populaire François Ruffin et l’équipe de Fakir sorte un petit bijou de cinéma. Car tous les ingrédients d’un grand film y sont. De l’émotion, de l’action, du suspense et une belle histoire ; des personnages et des dialogues ; et une mise en scène juste et efficace.
Synoptique :
Pour Jocelyne et Serge Klur, rien ne va plus : leur usine fabriquait des costumes Kenzo (groupe LVMH), à Poix-du-Nord, près de Valenciennes, mais elle a délocalisé en Pologne. Voilà le couple au chômage,criblé de dettes, et qui risque désormais de perdre sa maison
C’est alors que François Ruffin, fondateur du journal Fakir, frappe à leur porte. Il est confiant : il va les sauver. Par l’amour, il ira porter le cas Klur à l’assemblée générale des actionnaires de LVMH, bien décidé à toucher le cœur de son PDG, Bernard Arnault. Mais ces David frondeurs pourront-ils l’emporter contre un Goliath milliardaire ?
Du suspense, de l’émotion, de la rigolade : nos pieds nickelés picards réussiront-ils à duper le premier groupe de luxe au monde et l’homme le plus riche de France ?
De l’Arnaque à Roger et moi, du thriller et de la comédie dans un documentaire
A la lecture du synoptique, on pourrait se dire que François Ruffin nous livre une version française de Roger et Moi, ce film où Mickael Moore pourchasse à travers les Etats-Unis le PDG de General Motors… www.initiative-communiste.fr vous laissera la surprise mais Ruffin son équipe et les acteurs de ce film nous offrent un documentaire qui développe un vrai scénario de thriller servi par des dialogues mémorables, et nous emmène bien au delà du documentaire du maître américain ! Vous avez beau dire, y a pas seulement que du cinéma dans ce film… y’a autre chose !
Il y a un vrai film. Ou plutôt un film vrai. Renoir disait du cinéma que « L’art du cinéma consiste à s’approcher de la vérité des hommes, et non pas à raconter des histoires de plus en plus surprenantes » . Merci Patron ne raconte pas une histoire. Non car dans la salle à manger des Klur, sous les ors de l’assemblée générale des actionnaires LVMH au Carrousel du Louvre, Ruffin ne triche pas ni aucun de ses acteurs.
La Sincérité, la vérité et la justesse, du rire et du courage, de la combativité et de la dignité, de la solidarité et de l’émotion, de l’action oui il y a de tout cela en même temps dans ce film. Film militant ? assurément. Mais dont les acteurs sont les forces réelles de notre société.
Merci Patron, un film d’action …. de classe
Film documentaire ? sans doute, mais surtout Merci Patron c’est un film d’action.
A ma droite, la classe capitaliste. Son patron emblématique, Bernard Arnault, ses méthodes d’exploitation, ses armes d’exploitation (délocalisation et dumping social, on remercie sans doute l’Union Européenne et l’Euro à Poix du Nord et dans toutes ces régions frappées par la désindustrialisation… ou pas !)
A ma gauche (la vraie) : des syndicalistes de combats, des travailleurs, un journaliste non pas indigné mais engagé…
La classe capitaliste attaque…. Ruffin se saisit de ce film pour à la fois montrer et surtout aider à organiser la riposte de la classe des travailleurs.
Lutte des classes, Film de classe !
Cinéaste ? Ruffin, modeste s’en défend ! Mais ce film qui vous saisit de la première à la dernière minute est une réussite. Logique. Ruffin réalisateur de classe sort un film de grande classe ! Merci Patron : un art qui n’est pas au service des maîtres mais servi avec maestria par et pour les travailleurs. Ce qui se conçoit bien, se montre clairement et les images pour le montrer se filment aisément. Pas besoin de dissertation d’intellectuels ici ou de « décodage » des faits. Loin des codes du documentaire « bourgeois », affichant leur sérieux universitaire, Merci Patron c’est un film d’avant garde qui en film de classe parle à tous le monde.
Parce que depuis la salle à manger des Klur, Ruffin film le combat de classe. Dur, incertain, courageux, émouvant ou drôle … Et c’est bien cette « vérité des hommes » – la lutte des classes – qui se révèle à la lumière du projecteur. Cette lutte des classe qui est partout. Celle qui non assumée de défaites en reniements nous plonge nous la classe des travailleurs dans la misère et la désespérance. Celle qui résistance de classe – condition de jour meilleurs – qui peut renaitre partout pour peu que l’on allume l’Etincelles, que l’on se rassemble et que l’on s’organise. Avec son film, Ruffin ne donne pas de leçon, pas de solution. Il agit et invite à l’action. Collectivement, avec organisation, même si cinéma oblige cette force collective qui n’existe que grâce à l’organisation n’apparait pas de façon aussi manifeste dans le film. Film qui pourtant, ne serait ce que par la nécessité de son financement participatif est bien la preuve de la nécessité du collectif et de son organisation pour permettre l’action.
Facétieux, lors des avants premières – et devant des salles combles enthousiastes – Ruffin demande aux spectateurs de sortir tous ensemble, pour ressentir notre force collective, ce potentiel qui ne demande qu’à être concrétisé par un peu d’engagement et d’organisation… pour se mettre, tous ensemble, en ordre de bataille. « car ce sont les minorités agissantes qui fond l’histoire » et que « tous ensemble, à la fin c’est nous qu’on va gagner ! »
Chiche ? car l’heure n’est plus seulement aux discours où à la discussion, mais bien à l’engagement et à l’action. Tous ensemble c’est bien dans ce sens que les militants du PRCF prennent leurs responsabilités et ont lancé des propositions pour se rassembler et agir (lire la lettre ouverte aux personnalités). Oui, chiche !
JBC pour www.initiative-communiste.fr site web du PRCF
La Bande Annonce :
Quelques commentaires de ceux qui l’on vu en avant première :
Merci Patron est un documentaire qui fait un bien fou. D’abord parce que c’est drôle, très drôle. Et puis parce qu’il prouve que les « minorités agissantes » ont plus de pouvoir qu’il n’y paraît. Une première pierre pour un monde meilleur …
Il a des films qui vous marque, « Merci Patron » Objet Filmé Non Identifié est un de ceux là. Je l’ai vu plusieurs fois en avant-première et c’est toujours une bonne bouffée de fraicheur, d’optimisme, de rire et surtout un film anti résignation. En cette période où le ciel est bouché voici un bel éclat de soleil qui annonce un joli printemps. Courrez-y !
Je l ai vu a Chambéry, salle comble, j ai même failli pas rentré, y a avait plus de place, tout avait disparu en prévente. J avais fait 30km avec trois copains, on était donc 4 à avoir bien les boules de ne pas pouvoir rentrer. Heureusement après une longue attente, avec l’aide de Monsieur Ruffin, avec un grand M, nous avons pu forcer un peu le passage. Merci pour cette soirée Francois, ce film prouve que malgré leur fric et leur pouvoir, les patrons ont peur du peuple. Il prouve aussi qu’ensemble, rien n’est impossible. Film à voir absolument, et en plus on se marre
La carte et les dates des avant-premières :
Notre film, « Merci patron ! », continue sa tournée en avant-première mondiale, avant sa sortie en salle le 24 février. On continue d’organiser la campagne, la liste sera mise à jour régulièrement.
En janvier, François Ruffin, réalisateur de « Merci patron ! » fait le déplacement :
- le 21 à Grenoble, au cinéma le Club, 20h15
- le 23 à Chambéry le Haut, au Forum Cinémas, 17h
- le 25 à Lille, au cinéma le Métropole, 20h
- le 26 à Colmar, au Colisée, 20h
- le 27 à Nancy, au Caméo Saint-Sébastien, 20h15
- le 28 à Metz, au Caméo Ariel, 20h
- le 28 à Muzillac, au cinéma Jeanne d’Arc, 20h (avec Vincent Bernardet, journaliste à Fakir)
- le 29 à Strasbourg, au Star, 20h
Et en février ça continue presque tous les jours, toujours en présence du réal’ :
- le 1er à Montpellier, au Diagonal, 19h45
- le 2 à Perpignan, au Castillet, 19h30
- le 3 à Avignon, à l’Utopia, 20h15
- le 4 à Marseille, au ciné Les Variétés, 19h30
- le 6 à Amiens, au ciné Saint-Leu, 19h
- le 8 à Paris, salle Olympe de Gouges, à 18h30
- le 10, au Mans, au ciné Les cinéastes, 20h
- le 11 à Caen, au Lux, 21h
- le 12 à Rennes, au TNB, 21h
- le 14 à Bordeaux, à l’Utopia, 20h
- le 15 à Agen, au ciné les Montreurs d’images, 20h30
- le 16 à Toulouse, à l’Utopia, 20h30
- le 17 à Frontignan, au Ciné Mistral 20h30
- le 18 à Port-de-Bouc , au ciné Le Méliès, horaire à confirmer
- le 19 à Nantes, au ciné Le Condorde, 20h45
- le 20, à Poitiers, au ciné Le TAP à 20H30
- le 21 à Pau, au ciné Le Méliès, 18h
- le 22 à Chelles, au Cosmos, 20h30
- le 25 à Montreuil, au ciné Le Méliès, horaire à confirmer
- le 29 à Fontenay-sous-Bois, au Kosmos, 20h30
Pour suivre la tournée, la sortie en salle et toutes les actu de « Merci patron ! » :
Le mot de Fakir :
Par votre abonnement, vos achats en kiosque, votre soutien, c’est vous qui avez financé cette superproduction. On tenait donc à vous prévenir d’emblée, même si, malheureusement, pour assister à la séance, il faudra re-payer quand même.
On espère que vous allez vous régaler, que ça vous donnera envie d’y entraîner cousins, copains collègues, lors de la sortie nationale, le 24 février.
Et que ça vous redressera le moral. Parce que, c’est pas la joie.
C’est le bordel dans la gauche, et les militants ont le moral miné.
Alors voilà, contre cette morosité, on vous propose cette « Arnaque » en version lutte des classes, une bande de pieds nickelés ch’tis qui a, pour de vrai, piégé le groupe LVMH et son PDG, Bernard Arnault, l’homme le plus riche de France.
Cette farce, menée par des ouvriers, une déléguée CGT, redonne de la joie. Ça ranime le moral. Ça chasse, pour une heure au moins, la morosité.
Ce film ne sera pas diffusé un dimanche soir sur TF1. On n’aura pas de pub dans le métro et sur les bus.
Mais on a mieux que ça, on a vous. Et si ce film vous plaît, c’est vous qui allez en faire un succès, en le relayant auprès de votre entourage, en déposant nos petits papiers à votre boulot, ou à la bibliothèque, ou à votre Amap, en nous en réclamant d’autres, ou en likant sur facebook…
Encore tous nos remerciements : sans vous, on ne pourrait rien. Avec vous, on peut beaucoup, faire un journal, des livres, un film.
Et c’est pour ça qu’à la fin c’est nous qu’on va gagner !
Sur la fermeture de l’Usine ECCE à Poix du Nord en 2007 :
C’est à Poix-du-Nord que se trouve Ecce, la dernière usine en France qui fabrique des costumes masculins haut de gamme pour des marques comme Kenzo et Givenchy. Les ouvrières y étaient 400 en 2003. Elles ne sont plus que 147 aujourd’hui. Rescapées de deux plans sociaux.
Pour aller à Poix-du-Nord, il n’y a pas de gare, pas de train. On vous dit : «Des bus à Poix-du-Nord ? Il doit passer une navette toutes les cinq heures.» A vingt-cinq kilomètres de Valenciennes, Poix-du-Nord est un village en pleine campagne. «Cagibi». Des champs, des maisons rouges en brique, une église. «C’est joli, Poix-du-Nord. Le problème, c’est pour y aller. C’est les transports.»
On trouve tout de suite l’usine Ecce, un grand bâtiment blanc. C’est le centre du hameau. Après, pour travailler ici, il n’y a plus rien…
Maria : «Pour venir travailler, on prend le bus de l’usine. Il nous emmène le matin et il nous reprend à 17 heures. Il y en a qui ont une heure de transport. On vient de partout ici. Du Valenciennois, de l’Avesnois. Trouver du travail dans le Nord, c’est tout le problème.»
Maria habite Raismes, ville minière sinistrée, près de Valenciennes où le nombre d’actifs est comptabilisé à cinq personnes ! Elle fait soixante kilomètres aller et retour par jour. A 17 heures, elle ne veut pas rater le bus de l’usine. C’est le seul qui passe.
Maria : «Vous parlez à une rescapée. On a déjà connu deux plans sociaux. En 2003, il y a eu 140 licenciements. 80 en 2006. ça fait des années que l’on se bat. En 2003, on a occupé l’usine pendant trois semaines. On avait mis des matelas par terre. On allait se laver dans le cagibi. On était sales. Je suis restée quinze jours complets, ici, jour et nuit. Tout le monde venait nous emmener à boire et à manger. Je dois encore avoir du rhum de 2003 dans le placard.» L’employeur, Lucien Delvaux, qui détient plusieurs usines de textile, a annoncé la fermeture de l’usine Ecce pour 2007.
Toute la production va être délocalisée vers les pays de l’Est.
C’est l’exemple d’une délocalisation catastrophique, une de plus, dans cette région du Nord où il n’y a pas de travail.
Marie-Hélène : «On est payées au Smic. J’ai trente-trois ans d’ancienneté comme la plupart des gens de l’usine. On a fait toute notre vie dans l’usine. On y a passé plus de temps que chez nous. On a fait la fortune de Biderman dans les années 70. Puis celle de Delvaux qui a repris l’usine en 90. Et qu’est-ce qu’on nous dit ? Qu’on est trop chères par rapport aux pays de l’Est. On a un savoir-faire. Et notre savoir-faire va disparaître. Là, on est ensemble. Mais quand on va être à la porte, on va se retrouver seule. Je ne dors pas parce qu’on va se retrouver sur le carreau.» Le plan de sauvegarde de l’usine vient juste d’être annoncé.
Annie : «On s’y attendait. Mais c’est le jour du coup de massue. Vous revenez en juillet. Ça sera fini. Terminé.»
Bruit. Dans l’usine, toutes les ouvrières et les chefs d’atelier sont des femmes. Le directeur est un homme, il y a deux mécaniciens. Tout le travail se fait dans un seul grand atelier où on entend le bruit des machines et des discussions. L’atelier est bruyant, il est vivant. Il y a une bonne ambiance. Et il y a du mérite à ce qu’il y ait cette bonne ambiance, le jour du coup de massue.
Dans l’atelier, il y a la coupe, le thermocollage, les piqueuses qui cousent et les presseuses qui repassent les costumes, jusqu’à la perfection.
Nadia qui est presseuse : «Quand on travaille à la presse, on peut avoir la tête qui part ailleurs. On peut parler avec une copine. Personnellement, je préfère être presseuse que piqueuse. S’il y a un faux pli, on peut toujours le rattraper. A la presse, une erreur se rattrape. Mais quand on est piqueuse, il n’y a pas de marge d’erreur possible. On coud un point en trop et c’est toute la pièce qu’il faut recommencer.»
Marie-Christine : «Là, vous avez Pascale. Elle travaille manuellement. Il y a des choses qu’on ne peut pas coudre à la machine. Ce sont des opérations tellement minutieuses. Elle fait les coutures à un millimètre près. Elle ne peut pas se tromper.»
Pascale : «Je fais les revers, les cols de chemise, les incrustés. Les incrustés, ce sont ces petites ganses qu’il faut coudre.»
Maria : «On dit les petites mains. Mais il y a des filles qui ont des mains d’or, ici.»
Les tissus viennent d’Italie. Les ouvrières produisent 200 pièces par jour. «On est fières de ce qu’on fait. On regarde les costumes. On se dit, c’est du beau travail. Regardez l’intérieur de cette veste, la doublure, les petits détails. Tout ce travail qui est caché, qu’on ne voit pas. C’est nickel. Tout est contrôlé.»
Sur les portants, il y a des vestes noires Kenzo, des smokings Kenzo, des gilets blancs, des vestes Givenchy et des vestes d’été en lin Azzaro.
Maria : «Vous savez, moi, avec ce qui nous arrive, ces vestes, je ne peux plus les supporter.»
Seules. Un costume Kenzo coûte 110 euros au prix usine. Dans les pays de l’Est, 25 euros. Ces chiffres parlent tout seuls. Il n’y a pas beaucoup de mystère quand on délocalise. Marie-Hélène : «On nous a mises en concurrence avec les pays de l’Est. Mais on nous paye au Smic. On ne peut pas nous payer moins cher.» Les costumes sont flamboyants sur les portants et ils contrastent avec l’atelier où on n’a pas fait de folie d’investissement.
Annie : «Ici, il n’y a que 7 ou 8 salariées qui ont moins de 40 ans.»
Maria : «J’ai 53 ans. Je n’ai pas même pas l’âge de partir en préretraite. Qu’est-ce que je fais ? Il y a quelqu’un qui me le dit ?»
La majorité des femmes de l’usine sont des femmes seules. Très peu de celles qui ont été licenciées lors des plans précédents ont retrouvé du travail.
Annie : «On en a une qui est chez Toyota, dans le Valenciennois. Du costume, elle est partie dans les boîtes de vitesse. Il y en a qui ont suivi des formations d’aide à la personne pour être aide-soignante. Marie a fait une formation pour devenir chauffeur d’autobus et puis ensuite une autre pour conduire les tramways. C’était toutes des femmes divorcées avec des enfants qui ne pouvaient pas rester sans travailler.»
Nadine : «On a déjà vécu des licenciements. On en a connu des déménagements. On disait : « Ce n’est pas une voiture qu’il faut acheter. C’est une caravane. »»
Annie : «Quand on pense à ce qui se passe chez Alcatel. Nous, on est une goutte d’eau. Qui va s’intéresser à nous ?»
A 17 heures, le bus passe les prendre, devant l’usine. C’est Carole qui le conduit. Elle a mis la radio qui parle de la mort de Lucie Aubrac.
Maria : «Il faut toujours se battre. Si on ne se bat pas, on n’a rien. On va négocier.»
A Poix-du-Nord, le coeur lourd des salariées d’Ecce
Ça n’a duré que quelques minutes, mercredi, une des dernières fois qu’on verrait ça à Poix-du-Nord. Dans l’atelier, un grand hangar laid éclairé au néon, la pause a sonné, driiiiiiiing, comme à l’école. Les ouvrières ont laissé les machines à coudre, quitté les fers à repasser et elles ont marché jusqu’à la cantine, toutes. Une petite armée de 142 femmes en blouse de toutes les couleurs, qui avance vite, en bavardant. Des filles avec des mains d’artistes, qui n’ont pas l’air de s’en douter. Les dernières en France à fabriquer du prêt-à-porter haut de gamme pour homme, les costumes Kenzo et Givenchy. A les voir descendre l’escalier de l’usine, ciseaux autour du cou, on se dit qu’une usine qui vit, ça fait un drôle d’effet. Le 31 juillet, il n’y aura plus personne dans l’escalier.
L’usine Ecce de Poix-du-Nord, près de Maubeuge, ferme. Le donneur d’ordre, LVMH, demande à son sous-traitant Ecce de baisser ses prix. En Pologne, un costume Kenzo coûte 30 euros à fabriquer, contre 100 euros pour les ouvrières de Poix-du-Nord, selon Béatrice Cayen, de la CGT. «On va pas travailler pour un bol de riz.» L’usine fabrique autour de 120 pièces par jour.
«Bichonne». Les salariées se sont battues, et mercredi LVMH aurait concédé une promesse d’achat de 6 000 pièces l’an prochain, dégressive jusqu’en 2010. Mais personne ne croit vraiment que l’usine pourrait être sauvée pour autant.
Dans l’atelier, les fers font psshiii, les machines à coudre vrrrrr. Les ventilateurs tournent et ne suffisent pas à rafraîchir l’air. D’un poste à l’autre, on crie pour se parler. Le costume, elles le font par morceaux, comme un puzzle. Rabats, poches stylo, épaulettes, doublures, surpiqûres, col, doublure col. Et au bout un costume. Cathy laisse courir le tissu sous l’aiguille, comme un jeu : «Du millimètre près.» Marie-Christine : «Une poche poitrine et deux poches rabat, le tout 27 fois dans l’heure.» Pascale coud des cols. «Mao, percaline, manteau, c’est ce qui donne de la gueule au vêtement.» Bernadette aux épaulettes : «56 paires à l’heure.» Béatrice coud la vignette Givenchy noire sur la doublure. Francine presse les cols. Nadine les coutures intérieures. Une fille fait les boutonnières : «Alors là, c’est oeil de lynx !» Rosemay épluche : elle enlève un par un les fils qui traînent encore sur les costumes terminés. Gloria repasse : «On est habitué à voir du beau. C’était un privilège de travailler ce qu’on a travaillé. J’aime ce que je fais. Je serais restée jusqu’à la retraite.» Béatrice : «Tu te donnes. On nous a fait évoluer sur des produits vachement compliqués.» Gloria : «A la maison, si je dois faire une retouche sur un habit, je vois la différence, incroyable. J’ai l’impression d’une loque.» Véronique «bichonne» : elle repasse encore, après celles qui ont déjà repassé.
«Diable rouge». Le 10 mai, Marie-Hélène Bourlard a foncé à la tribune de l’assemblée générale des actionnaires de LVMH au carrousel du Louvre pour demander des comptes à Bernard Arnault. Pour ça, il a fallu d’abord être actionnaire. Elle a acheté une action, sur une idée de François Ruffin, journaliste de Là-bas si j’y suis, l’émission de Daniel Mermet, sur France Inter. «86,10 euros, plus les frais de dossier, à peu près 100 euros.» En gros, un dixième de son salaire. «Il paraît qu’ils m’appellent le diable rouge», rigole la syndicaliste, par ailleurs militante communiste. Elle raconte le face-à-face qu’on a entendu mardi sur France Inter (1) : «Quand les gorilles se sont approchés, j’ai dit : »Reculez, je suis actionnaire », et j’ai montré mon badge. Ils m’ont pas donné le micro, alors j’ai parlé sans. Mon coeur battait fort. Pendant que Bernard Arnault parlait de son bilan, je me suis approchée de la tribune. J’ai demandé aux actionnaires de baisser leurs dividendes pour qu’on garde notre travail. Quand je suis partie, ils ont applaudi.»«Je sais pas s’ils applaudissaient ce que j’avais dit, ou s’ils étaient contents que je parte.» Après avoir menacé de sit-in pour empêcher l’accès aux magasins Kenzo, elle obtient «la promesse d’une table ronde dans les quinze jours avec les syndicalistes, LVMH, Ecce, et les élus locaux. On l’attend toujours.»
Mercredi, LVMH aurait donc quand même promis d’acheter 6 000 pièces l’an prochain. «A condition qu’on arrête d’emmerder LVMH», lance Marie-Hélène, dans la cantine remplie d’ouvrières. Rires. Le matin même, avec les autres syndicats, elle avait rencontré Jean-Damien Waquet, le directeur général d’Ecce sur le site logistique de Prouvy, près de Valenciennes, à une quarantaine de kilomètres de Poix. Croisé dans les couloirs, le directeur a refusé de raconter à Libération la teneur de cette réunion.
Petite victoire. Selon la CGT, ces pièces de costume permettent le transfert de 40 emplois à Prouvy. A condition d’obtenir des départs en préretraite, il ne resterait plus que 28 à 38 salariées qui resteraient sur le carreau. Les moins polyvalentes, celles qui connaissent moins de dix postes différents dans l’usine. Avec, pour les plus âgées, jusqu’à 60 000 euros de prime de départ prévus dans le plan social.
Et après ? «Poix-du-Nord fermera quand même», estime la CFDT. Maria Dussart, déléguée, s’inquiète : «80 kilomètres aller-retour avec un Smic, comment elles vont faire pour aller à Prouvy, celles qui habitent ici ? » Elle n’a pas de voiture. Pour elle, c’est deux bus, le tram, et un quart d’heure à pied. «Aucune direction n’est jamais revenue sur une fermeture. Il faut se battre pour que les gens aient un projet derrière. Sinon, les gens n’auront rien, et la casse sera pire.»
La CGT parle d’une petite victoire. «On n’a pas une solution identifiée pour tout le monde. On continue à se battre pour la survie du site», assure Marie-Hélène Bourlard. Dans l’atelier, une femme s’approche petite, énervée. Prouvy, elle voudrait bien y aller. «Je suis une des plus jeunes. Je peux pas partir en FNE. J’ai pas dix postes. Je fais partie des 28 !» Elle tourne les talons, puis revient, le souffle court. «Je préfère prendre mon compte que d’être licenciée. Pour éviter l’affront.»
(1) www.la-bas.org