Pour une orthographe française une et indivisible – par Aymeric Monville, 4 février 2016
La simplification de l’écriture chinoise par les communistes, la réforme du cyrillique par les bolcheviques : l’histoire regorge de réformes progressistes et même populaires de la graphie. On peut également invoquer des contextes spécifiques de lutte des classes dans la langue comme la défense du démotique contre la katharevousa, c’est-à-dire du grec populaire contre le grec académique.
Est-ce de cela qu’il s’agit avec l’orthographe simplifiée de 1990 qui va désormais faire son entrée fracassante dans les manuels scolaires à la rentrée prochaine ?
NON. Bien au contraire.
Les réformes précitées intervenaient avant l’alphabétisation de masse. Elles étaient le prélude à une homogénéisation de la langue sur tout le territoire, promesses d’un traitement égalitaire des citoyens devant la loi.
Ce que la réforme de 1990 devenue force de loi en 2016 entérine c’est un français à deux vitesses. Les deux graphies sont correctes, nous dit la ministre de la Culture, celui avec accent circonflexe et celui sans ; celui qui écrit « nénuphar » et l’autre qui se contente de « nénufar », celui qui écrit « événement » et celui qui se rappelle que, malgré qu’on en ait, la graphie n’a jamais correspondu à la prononciation.
Evidemment il y aura toujours un français plus correct que l’autre, celui qu’a poli une nation millénaire, ayant eu accès à l’enseignement primaire pour tous depuis plus de cent ans, mais qui deviendra la propriété de quelques-uns et non un trésor pour tous.
En laissant entrer un français au rabais dans les manuels scolaires, on souscrit à cette idée gauchiste (au sens très politique que lui donnait Lénine) que la langue – et toute norme avec elle – est fasciste.
C’est évidemment le contraire. Dans ce domaine, pour paraphraser Lacordaire, c’est la norme qui libère et la liberté – ou plutôt le laxisme – qui opprime. C’est parce qu’il y a une norme qu’on peut éviter autant le relâchement que le snobisme, autant le « patois » en bas que l’hermétisme en haut.
Le français est à ce titre l’une des langues les plus normées du monde, pour des raisons historiques évidentes.
Nous formions il y a peu une nation où il était devenu difficile de stigmatiser selon les origines sociales de par l’établissement d’un français non châtié mais normé, à l’écrit comme à l’oral.
La langue était par elle-même porteuse d’histoire et de sens. Elle signifiait la fraternité et le progrès.
L’histoire a commencé avec l’invention de l’écriture, qui entérinait l’établissement des classes sociales et la division du travail. D’un côté les scribes aptes à nommer et dénombrer les possessions du maître, de l’autre le peuple.
Ne retournons pas à ces temps obscurs. Ne laissons pas l’histoire s’écrire à notre place.