Né en 1805 à Puget-Théniers (06) d’un ancien conventionnel devenu sous-préfet d’Empire, Auguste Blanqui a dévoué sa vie à la Révolution. Moi-même originaire du canton rouge de Puget-Théniers, je lui rends ici ce trop bref hommage à l’occasion du 150ème anniversaire (1866) de son livre Instruction pour une prise d’arme, paru en 1866.
Georges Gastaud, secrétaire national du PRCF, philosophe,
- auteur de Marxisme et Universalisme – Delga 2016
- à paraître Lumières Communes : cours philosophie – Delga
AUGUSTE BLANQUI, PASSEUR D’AVENIR
Blanqui fut un digne successeur de son aîné et compagnon de lutte Buonarotti, le jacobin italien ami de Babeuf qui créa les sociétés secrètes « Carbonari » sous la Restauration. Clandestinement, Buonarotti « passa » aux jeunes générations l’idéal révolutionnaire jacobino-babouviste (fortement réprimé des temps obscurs de Thermidor aux insurrections républicaines du 19ème siècle). Blanqui poursuivit ce travail de passeur d’avenir et fit la jonction entre la grande Révolution française de 1793 (il se réclamait de Georges Hébert) et les insurrections françaises ouvrières-républicaines de 1830 (Trois Glorieuses), de 1839, de février et de juin 1848 et du printemps 1871 (Commune de Paris).
Son œuvre se caractérise à grands traits par quatre aspects récurrents :
- La lutte pour la République sociale. Au président de tribunal qui lui demande en 1839 : « êtes-vous communiste ? », Blanqui répond : « il y a seize siècles, tous les tribunaux de l’époque demandaient aux accusés : êtes-vous chrétiens ? ». Le but de Blanqui est en effet d’établir une République socialiste, voire communiste, où les moyens de production seraient socialisés et les fruits du travail équitablement répartis : « qui fait la soupe doit la boire ! ».
- L’insistance sur une forte centralisation du mouvement révolutionnaire qui, pour échapper à la répression et aux récupérations, doit se regrouper secrètement autour d’un fort noyau révolutionnaire pour prendre le pouvoir à la faveur d’une insurrection. Contrairement à Marx et à Lénine, qui insisteront sur le rôle central des masses, de la classe ouvrière et du parti communiste comme avant-garde de cette classe, l’avant-gardisme unilatéral de Blanqui est marqué par une conception conspirative de l’action révolutionnaire qui le conduira à une succession d’actes héroïques mais désespérés, car trop souvent dépourvus de soutien populaire ; néanmoins, sa détermination révolutionnaire et son sens aigu de l’organisation seront tels qu’aux antipodes de l’arc politique, Karl Marx et Adolphe Thiers verront en lui le chef véritable du prolétariat républicain français. Marx considérait Blanqui comme le chef déterminé et intransigeant qui fit défaut à la Commune et, pour des raisons de classe diamétralement opposées, Thiers partageait cet avis puisqu’il refusa de rendre Blanqui emprisonné aux Communeux, fût-ce en échange de l’ensemble des otages retenus à Paris ;
- Le lien étroit chez Blanqui entre patriotisme et révolution. « Que ferons-nous demain si nous n’avons plus de patrie», écrivait ce penseur dont chaque ligne cingle au visage les gauchistes qui opposent le patriotisme à la lutte pour le socialisme alors que l’ultime journal édité par Blanqui s’appelait La patrie en danger et que la Commune ne fut pas seulement une insurrection sociale prolétarienne, elle démarra sur le refus du peuple parisien de laisser Thiers désarmer Paris pour le compte de l’envahisseur prussien.
- Le courage indomptable au service de la cause, annonciateur de ce que sera plus tard le bolchevisme. Blanqui passa la majeure partie de sa vie adulte dans les geôles de la Monarchie de Juillet, de la République bonapartiste et du Second Empire, puis de la pseudo-« république » versaillaise. Sans jamais baisser la garde, sans rien négocier, en écrivant moult brochures manuscrites (on pense aux futurs Quaderni di carcere de Gramsci) et en se faisant philosophe matérialiste et scientifique accompli, en véritable praticien de ce que nous avons-nous-même nommé « Sagesse de la révolution ». Dans son cachot, il formula même une hypothèse audacieuse sur le devenir des comètes et il brossa une étrange hypothèse cosmologique, dite « L’éternité par les astres », qui n’est pas sans évoquer ce que les cosmologistes actuels appellent le « Grand Rebond » ou le « Multivers ».
Bref, honneur à Auguste Blanqui, cet exemple consommé d’unité entre la théorie la plus exigeante et la pratique la plus héroïque.
Georges Gastaud est l’auteur de « Marxisme et universalisme » (Delga) et de « Patriotisme et internationalisme », militant du PRCF, fils de Résistant, originaire du village rouge d’Ascros, canton de Puget-Théniers.
En hommage à Blanqui, quelques citations qu’on peut glaner dans le récit de Gustave Geffroy préfacé par Bernard Noël et publié par L’Amourier (2015) sous le titre Blanqui, l’Enfermé.
Bien avant Bourdieu, Blanqui penseur de la « reproduction » sociale :
« des enfants de pauvres sont mis au monde indéfiniment pour servir des enfants de riches. Ainsi se constitue de génération en génération ce double héritage parallèle d’opulence et de misère, de jouissances et de douleurs qui constitue les éléments de la société ».
Blanqui penseur de l’exterminisme et de l’anti-exterminisme :
« il faut que l’égalité triomphe ou que l’humanité périsse ».
Parlant des bourgeois versaillais : « la mort plutôt qu’un outrage à la propriété ».
Parlant du désespoir populaire et du contre-exterminisme qu’il engendre : « malheur à toi, société sans entrailles, qui tues le dévouement au cœur du peuple et y fait germer la vengeance ! Personne ne l’aura ! C’est par cette formule d’extermination que tu es parvenue à remplacer la fraternité ! Comment se fait-il que des hommes, parmi nous, aient pris ce dédain, disons cette haine de la patrie, d’aller vendre aux Prussiens la sûreté de nos foyers ? (…). Ces parias portent le véritable deuil de la patrie ».
Blanqui penseur d’une défense révolutionnaire de la nation (rappelons que la famille Blanqui était sarde d’origine) :
la bourgeoisie versaillaise : plutôt Bismarck que la Commune !
« le capital préfère le roi de Prusse à la République. Avec lui il aura, sinon le pouvoir politique, du moins le pouvoir social ». Et aussi : « la patrie meurt, mais la Bourse ne se rend pas ! » ; « on appelle national aujourd’hui tout ce qui sert à détruire la nation ».
Blanqui : d’abord, chasser les collabos :
« le premier acte de la défense est d’écarter ceux qui rendent la défense impossible ».
La révolution continue la nation que la contre-révolution détruit :
« il est impossible d’imposer à la France, telle que l’a faite un passé de 14 siècles, des mœurs, des idées, une croyance complètement étrangères ou opposées à la croyances, aux idées, aux mœurs qui sont le résultat du lent travail d’organisation de ces quatorze siècles. Ce serait dire à la France qu’elle ne serait plus la France, ce serait vouloir changer tout un peuple par une soudaine métamorphise comme dans les Mille et une Nuits on voit des enchanteurs changer un homme en cheval ou en chien avec une parole magique ».
Patriotisme et universalisme:
« ceux qui habitent le pays idéal et réel de la pensée sans frontières, où ils songent à la cause universelle de l’humanité, ceux-là surtout travaillent à cette question de vie ou de mort pour leur pays. La France disparue, quel agent de civilisation détruit ! Quelle défaite pour la cause humaine ! L’accord rapide et violent sur l’idée de patrie se fait donc, à ces minutes périlleuses, entre les patriotes simplistes et les philosophes avides d’avenir ».
La patrie s’appelle résistance:
« les pouvoirs légitimes sont aux mains de qui résiste. Le bulletin de vote aujourd’hui, c’est la cartouche. Aucun autre n’est valable tant que l’étranger n’a pas vidé les lieux. Les départements envahis ou menacés d’invasion prochaine sont frappés d’incapacité politique. Une ville assiégée, aussi longtemps qu’elle combat, représente la nation et la représente mieux que personne. En capitulant, elle déchire son mandat. Si la province cède et que Paris se défende, il est la France. S’il succombe et qu’une province fasse tête à l’ennemi, elle devient à son tour la nation. Là où l’on se bat pour l’indépendance, là est la République et le gouvernement de droit comme de fait. Une assemblée qui traite avec l’étranger maître du pays est à l’état de révolte contre un seul canton qui continue la lutte par les armes ».
La révolution s’appelle patrie et la patrie se nomme révolution:
« on cultive le Prussien comme une ressource contre la « Démagogie ». La « Démagogie » fera tête et ne se laissera pas égorger, qu’on le sache bien. Elle a été débonnaire en 1848. Elle était seule en cause et s’est abandonnée au couteau. En 1870, elle est la Patrie. Elle défendra la patrie avec les ongles et les dents. Aux hurlements et à l’audace de la réaction, elle a compris le danger et les traîtres n’échapperont ni à sa perspicacité ni à sa vengeance ».
Que serait l’Enfer pour un patriote révolutionnaire ?
« Se sentir mourir inutile à son pays qui meurt… Ah si l’enfer existe, il doit être fait de sensations pareilles »…
Blanqui contre l’utopie réformiste :
« la question sociale ne pourra entrer en discussion sérieuse et en pratique qu’après la solution la plus énergique et la plus irrévocable de la question politique et par elle. Agir autrement, c’est mettre la charrue avant les bœufs ».
Sagesse de la révolution ou de l’éternité du matérialiste dans l’hypothèse de ce qu’on nommerait aujourd’hui le « multivers » :
« Ce que j’écris en ce moment dans un cachot du fort du Taureau, je l’ai écrit et je l’écrirai pendant l’éternité sur une table, avec une plume, sous des habits, dans des circonstances toutes semblables ». / « Tout ce qu’on aurait pu être ici-bas, on l’est quelque part ailleurs ».
De la dictature provisoire du prolétariat au dépérissement de l’Etat :
« L’anarchie régulière est l’avenir de l’humanité ».