Sur la place de la République à Paris mais aussi partout ailleurs en province, Nuit Debout a été un formidable moment d’expression, de débat, d’échange. Donnant la parole aux travailleurs – et les militants du PRCF sont venu apporter leur pierre à l’édifice – à des travailleurs du monde entier.
Rassemblés, tous ensemble, Contre la Loi Travail et son monde. Une loi travail qui s’appelle Loi El Khomri en France, Job Act en Italie, Loi Peeters en Belgique. Ces lois qui servent à faire voler en éclat les droits des travailleurs, à déréguler le « marché » du travail ont toutes la même origine, les ordres de l’Union Européenne. Ainsi la Loi Travail fait suite aux ordres données par la Commission Européenne au gouvernement français dans ses recommandations par pays. Des ordres confirmés par le président de la Commission Européenne, JC Juncker qui a déclaré en France que « la Loi El Khomri est le minimum que l’on puisse faire » sic.
Cette loi travail vise au dumping social, à la mise en concurrence de tous contre tous. Et elle a des précédents en Europe. Notamment en Allemagne avec les Lois Hartz, déclinaison outre rhin de la même stratégie d’offensive du Capital contre les salaires, contre la classe des travailleurs pour une « économie toujours plus compétitive ». Alors bien sûr – comme en a déjà rendu compte www.initiative-communiste.fr, les travailleurs allemands sont solidaires de la lutte menée en France. C’est ce qu’est venu expliquer Werner Rügemer, philosophe et journaliste allemand, à Nuit Debout Paris le 30 juin dernier dans une intervention qu’il a accepté que www.initiative-communiste.fr reproduise.
Loi Travail, chômage et politique de l’ Union Européenne –
Le mouvement social contre la Loi Travail en France : important pour une relance démocratique
Werner Rügemer, Nuit Debout, Bourse de Travail, Paris 30. juin 2016
philosophe et publiciste, journaliste, www.werner-ruegemer.de
D‘ abord je remercie Nuit Debout République d’ avoir organisé cette conférence. J’ espère qu‘ une coopération continue en résultera.
D’ abord une remarque générale: L‘ Union Européenne n’ est pas seulement une affaire européenne. L’ UE est gouvernée et co-gouvernée par exemple par l’alliance militaire de l’OTAN dominée par les Etats Unis, par le Fonds Monétaire International FMI, qui fait partie de la “Troika”, par des services secrets américains, par des grands propriétaires et investisseurs surtout anglo-américains dans des entreprises importantes en Europe, par les trois grands agences de notations et autres acteurs.
Les “réformes” des lois du travail en Allemagne Fédérale
En Allemagne le gouvernement du chancelier Gerhard Schröder a conduit en 2000 la réforme dite l‘ Agenda 2010: l‘ Allemagne devait ainsi être “réformée”, transformée en un territoire “plus compétitif”, “plus concurrentiel”.
Cette réforme faisait partie de la “Stratégie de Lisbonne” de l‘ UE lancée également à l’orée des années 2000. L’Union Européenne devait devenir “l‘ espace économique le plus compétitif du monde”. Le gouvernement allemand en était le pionnier : en Allemagne et au sein de l’Union Européenne.
La réforme contenait les éléments classiques néolibéraux: 1. diminuer les taxes pour les entreprises privées et les riches; 2. réduire les dépenses de l‘ état; 3. donner plus de libertés pour les acteurs financiers et les entreprises privés – la dite “dérégulation” ou „dé-bureaucratisation”; et 4. réformer les lois du travail: Le parlement vota quatre lois (“Hartz-Gesetze”) permettant d’étendre le travail intérimaire; instituant différentes formes d’ activités en temps partiel nommées aussi jobs mini et midi; la restriction des indemnités chômage comprenant aussi des sanctions financières et des mesures de travail obligatoire; finalement l’ agence pour l’emploi a été transformé en une agence sur le modèle privé et avec la présence permanente de conseillers privés.
Ces lois ont été accompagnées par une politique de communication positive: Les régressions sociales sont ainsi nommées “réformes“ pour évoquer de manière démagogique un parallèle avec les réformes réelles des années 1970 sous le chancelier social démocrate Willy Brandt; emploi et travail sont remplacées par “job”, les chômeurs sont nommé “clients” (Kunde) et ils ne vont plus à l’ office du travail mais au “jobcenter”. Les statistiques du chômage et du nombre d’emplois sont manipulées par exemple en utilisant différents groupes comme les malades et les sanctionnés qui n’ ont toujours pas de travail mais qui ne sont plus comptés comme chômeurs. Les chômeurs constituent la source pour pourvoir une grande partie des boulots intérimaires, mal payés et de court terme.
Activités du secteur privé
En même temps les propriétaires des entreprises ont fait usage de leurs nouvelles libertés; ils quittent leurs fédérations (branches professionnelles) et préfèrent les conventions sur les conditions de travail élaborées au niveau de l’entreprise; ils externalisent et morcellent les entreprises en des douzaines et des centaines de petites entreprises ; ils engagent de nombreux sous-traitants quand ils ne les créent pas eux-mêmes ; ils préfèrent des conventions avec des petits syndicats qui s’appellent chrétiens ou des petits syndicats “jaunes”; ils installent une représentation des employés excluant les syndicats.
Entre temps les avocats spécialisés en droit de travail et en communication , les détectives, les agences de publicité et de surveillance constituent une branche de services professionnels. Les chefs d’ entreprises s’ en servent pour lutter contre les syndicats et les ouvriers les plus actifs. Cette branche est nommée d’ après le modèle américain “union busting”, ce qui signifie littéralement “Éradicateur de syndicats”. Appartiennent à cette branche aussi des instituts universitaires qui sont en réalité payés par des entreprises ou des fédérations patronales. Ces instituts préparent et promeuvent les changements des lois de travail et organisent des entrainements pour les managers.
Les influences des acteurs internationaux
Les soit disant “réformes” n’ étaient pas seulement une idée allemande. Pendant la phase préparatoire le chancelier allemand était invité par les banquiers de Wall Street. Son conseiller et ami personnel était Sandy Weil, le chef de Citibank.
Dans la commission qui préparait les changements des lois de travail (“Hartz-Kommission”) étaient nommés les conseillers du cabinet McKinsey, mais aussi les entreprises qui étaient le plus intensément liées au marché américain, Deutsche Bank et Daimler Chrysler, la fondation du holding multimédia Bertelsmann agissait comme conseiller externe. Les entreprises des secteurs automobiles, financiers, pharmaceutiques, media etc. profitent dans leurs filiales américaines aussi des standards en matière de droit du travail inférieurs à ceux en vigueurs alors en Allemagne, des standards qui sont les plus bas dans le capitalisme dit développé. Les investisseurs américains comme allemands voulaient avoir les standards américains aussi en Allemagne.
L’ex-chef de Deutsche Bank, Hilmar Kopper, était nommé mandataire spécial du chancelier pour la recherche d‘ investisseurs surtout aux Etats Unis qui ensuite achetaient des entreprises en Allemagne ou en devenaient les co-propriétaires actifs.
Pour la „réforme“ de l‘ office du travail en une agence „moderne“ le gouvernement social démocrate et vert mandatait les conseillers de Bearing Point, Accenture et McKinsey.
Entretemps la plupart de la propriété des grandes entreprises en Allemagne (DAX 30, équivalent allemand du CAC40) et beaucoup d‘autres sont passées dans les mains du capitalisme anglo-américains.
Conséquences en Allemagne et en Europe
L‘ Allemagne est ainsi devenue au sein de l’UE le plus grand territoire de travail précaire et de bas salaires. Des centaines de milliers d’ employés doivent être aides par des aides publiques. Un nombre croissant de retraités doivent travailler parce que leurs pensions sont trop basses. Des millions d’ employés travaillent 45 heures par semaine ou beaucoup plus alors qu’en même temps d’ autres millions sont forcés à travailler à temps partiel. La valeur des heures supplémentaires non payées par an est d’au moins 40 milliards Euro – et ce sont seulement les heures supplémentaires documentées…
Les chômeurs subissent eux une situation de chantage et en mémé temps il sont instrumentalisés pour mettre sous pression ceux qui ont un emploi. Les employés des jobcenter eux-mêmes sont débordés par la bureaucratie. Ils deviennent démoralisés ou cyniques. Ils sont forcés de ne plus rendre des services auxquels les chômeurs ont droit – l’ état même viole ses propres lois.
La pauvreté est en marche. A peu près un millier de soupes populaires en Allemagne distribuent tous les jours des produits alimentaires pour une partie de ceux qui ont faim. La léthargie politique et culturelle se répand. La réceptivité pour des paroles nationalistes et racistes s’en trouve largement avivées
Le mécanisme du dumping social entre employés et chômeurs et entre entreprises se reproduit aussi à l’ extérieur – entre les états membres de l’ UE, par exemple entre l’ Allemagne et la France. Ce dumping par définition n’ arrive jamais à un résultat suffisant qui satisferait les capitalistes. Par cela le caractère démocratique, constitutionnelle et social de la société est détruit.
Relance européenne pour les droits universels de l’homme
Comme en France ce sont surtout des gouvernements socialistes ou sociaux démocrates qui ont mis en œuvre ce genre de „réformes”. En Grande-Bretagne c’ était Tony Blair avec son “New Labour”. En Allemagne les propositions de telles “réformes” étaient déjà faites depuis les années 1980 par des membres du gouvernement chrétien-liberal. Mais c’est seulement le gouvernement social démocrate et vert qui les a réussies, avec ses relations américaines et la complicité de hauts fonctionnaires et de syndicats.
L’ UE connait beaucoup de crises. Le Brexit par exemple est important surtout comme protestation – certainement par des motifs très divers – des employés et des chômeurs contre une Europe injuste. La crise du travail et le chômage de la majorités des peuples européens est la plus occultée, la plus déformée de toutes les crises de l’ UE, et d’ ailleurs aussi des Etats Unis. Et c’ est pourquoi il est absurde de combiner ces deux régions encore plus étroitement par des traités dits de libre échange (TTIP, CETA).
Le capitalisme transatlantique ne peut pas et ne veut pas créer du travail pour tous. Et les emplois qu’ il crée violent les droits universels de l’ homme. La résistance contre la Loi Travail en France devrait donner enfin l’ impulsion pour la résistance coordonnée en Europe, comme part de la relance de la démocratie, des droits constitutionnels et sociaux en Europe.