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class= »submitted »>Par Jean-Pierre Thibaudat | Journaliste | 13/05/2009 | 11H30
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Planchon est mort (crise cardiaque). Le vieux lion ne rugira plus.
Je l’avais croisé il y a peu : malgré l’âge -77 ans- perdurait cette impression ancienne que cet homme avait été taillé dans un châtaignier de son Ardèche natale. Il avait du coffre, de la surface. Il impressionnait par sa stature à la Welles, sa constante référence.
Un artiste total
Un curé sachant que le galopin fait le mur de l’institution où il est élève, lui conseille d’aller voir « Citizen Kane ». Sa vie se renverse :
« J’ai fait du théâtre parce que j’avais appris que cet enfant magicien, avant ce film, avait dirigé une troupe de comédiens. »
Citizen Planchon était comme beaucoup d’autodidactes, un boulimique, un insatiable, un touche à tout. Metteur en scène, acteur, auteur, cinéaste, patron.
A Lyon, rue des marronniers, puis à Villeurbanne, il avait écrit dans les années 50, 60 et 70, plusieurs des plus belles pages du théâtre depuis la Libération. Malraux, avec qui il entretenait des rapports compliqués comme avec tous les politiques de droite ou de gauche –bien qu’il fut, instinctivement de gauche-, l’avait plus d’une fois défendu y compris à la tribune de l’Assemblée nationale lorsqu’il était ministre de la Culture. « Un grand homme de théâtre, disait-il de lui, est celui qui ne va pas à la rencontre du public mais en créée un » (je cite de mémoire). Et c’est ce qu’avait fait Planchon dans la région lyonnaise.
Des cars spéciaux pour le théâtre
Juste un exemple, extrait du numéro 2 de « Cité-panorama », le journal du Théâtre de la Cité -c’était le beau nom qu’avait choisi Planchon pour son théâtre entouré d’une équipe de jeunes acteurs qui deviendront grands Tels Jean Bouise ou Isabelle Sadoyan ou de son décorateur René Allio.
Que lit-on dans ce bulletin. Qu’une trentaine de délégués de comités d’entreprises se sont réunis dans le théâtre :
« Ils ont parlé dans le concret de l’intensification des cars spéciaux pour faire venir les spectacles, de la bibliothèque théâtrale à la disposition des entreprises, des expositions dans les usines et de la diffusion de ce journal à 30 000 exemplaires, d’achats de places. »
Que sont devenus ces usines, ces comités d’entreprises, cette envie de théâtre ? Planchon fut l’un des glorieux pères et patrons de la décentralisation dramatique.
Des mises en scène de référence
Mais il fut tout autant un metteur en scène follement novateur, audacieux inventif, à lire les aînés qui tels Jean Jacques Lerrant, le grand critique lyonnais de l’époque, ou cette sommité que fut Bernard Dort ou encore ce ludion qu« était Gilles Sandier.
Son “ Georges Dandin”, son “ Tartuffe ” furent des spectacles de référence ou encore sa “ mise en pièce du Cid ” ou son adaptation gaguesque des “ Trois mousquetaires ”. Mais tout autant sa façon de servir des auteurs contemporains comme Vinaver ou Gatti mais d’abord et surtout Arthur Adamov dont il créa plusieurs pièce ou encore monta un étonnant voyage dans l’œuvre de Ionesco avec Jean Carmet.
Ce spectacle-là je l’ai vu, c’était une soirée pleine d’un cœur blessé, l’histoire d’un homme seul entouré de machines, de fantasmes et d’ombres portées.
Le partage du TNP
Légitimement, prenant la suite de Vilar, on transmit à son théâtre de Villeurbanne, comme il le réclamait, le sigle du TNP, du Théâtre National Populaire. Et c’est à la tête de ce navire qu’il appela à ses côtés le metteur en scène cadet qui, après lui, avait bousculé de son talent le théâtre français : Patrice Chéreau.
Leurs rapports furent difficiles -Planchon était un homme de pouvoir contradictoire- mais féconds. Et le geste magnifique d’un père vers celui qui aurait pû être son fils. Chéreau parti, Lavaudant lui succéda.
De Dort à Bataillon
Planchon fut encore un auteur. Un auteur ardéchois allais-je écrire tant ses pièces sont marquées par la terre et l’histoire de la terre qui l’a vu naître. Cet auteur magnifia l’acteur qu’il était devenu, se formant sur le tas.
Dans une de ses plus belles pièces, “ La Remise ”, il est le vieux Chausson qui a sacrifié sa famille à l’aune d’un rêve. Mais il est plus que cela. “ C’est Prométhée, c’est Lear, c’est Achab de Melville, l’image immémoriale du titan foudroyé ”, écrit l’incomparable Bernard Dort. Cité par Michel Bataillon (qui fut son compagnon fidèle ) dans “ Un défi en Province ” ouvrage monumentale et indépassable sur l’aventure de Planchon et du TNP de Villeurbanne (Editions Marval) et auquel je me plais à renvoyer.
Bataillon raconte aussi dans le détail combien Planchon fut auprès de ses pairs dans leurs luttes pour des lieux, des subventions, un patron, une conscience. Un Ardéchois têtu.
De L’Ardèche à Welles
Si ses pièces s’achèvent souvent sur des veillées, faisait-il remarquer, “ c’est qu’une veillée paysanne c’est du théâtre primitif ”. “ Je suis un dernier à avoir entendu ces bardes, ces sabots chanter un crime campagnard. Les légendes sanglantes furent mes contes de fées ”, écrit-il dans “ Apprentissages ” (Plon) où il raconte sa vie par à coups en consignant sa jeunesse
Planchon fut enfin un cinéaste, celui de “ Louis, L’enfant roi ” par exemple, celui qui aurait voulu créer dans la région lyonnaise une unité cinématographique qui aurait été au cinéma ce que le TNP fut au théâtre. Il retrouvait là son vieux compagnon d’intimité, Welles.
De Rosebud à Lear
“ J’ai partagé le quotidien des miséreux. Ce que j’ai fait de mieux dans la vie, c’est d’avoir mesuré la grandeur de leur rage rigolarde ”, écrit-il dans “Apprentissage ss”. Il eut tout, puis l’âge venu, la veine créatrice amoindrie, il fut nu. Comme Lear. Comme le vieux Lear. “ Apprentissages ”, page 299, s’adressant à sa petite fille Esmé :
« Nous, Rois sans couronne écrasés sous l’empilement des choses qui chagrinent, nous devons méditer Lear. Sur les collines, le prince apprend que le désespoir n’est pas le dernier mot, que les vieux peuvent avoir, comme les jeunes cons, des convictions creuses. Esmé, un vieux est vraiment à jeter aux orties lorsqu’il croit que le jugement désabusé qu’il prononce sur l’humanité est sérieux.
« Pour toi, petite fille, grand père aligne les paragraphes. Pas tous, mais presque. C’est notre secret ».
Son Rosebud à lui.
J’écris ces lignes dans le train de 8h12 qui me conduit à Nancy au festival Passages, voué aux spectacles venus de l’Est. Après Vilar, Planchon fut un des premiers à aller dans les pays de l’Est avec ses spectacles. A manifester par ce geste une solidarité avec les artistes de ces pays et non une compromission avec le pouvoir comme le lui reprocha une gauche aux idées courtes. Il trouvait chez ces artistes rencontrés souvent à la sauvette, une ferveur qui avait été et qui restait la sienne.