Le PRCF n’idéalise pas l’école de naguère et il ne renie nullement l’effort des communistes qui, comme Célestin Freinet, Henri Wallon et bien d’autres, ont renouvelé la pédagogie sans la couper d’une pensée et d’une pratique révolutionnaires. Mais il faut dénoncer ceux qui accaparent les médias pour colorer de « pédagogie » et de « scientificité » faisandées l’empilement des contre-réformes scolaires.
C’est dans cet esprit que nous publions l’analyse ci-dessous qui dénonce une entreprise de charlatanisme idéologique destinée à culpabiliser celles et ceux qui continuent d’enseigner dans les pires difficultés.
Les vérités de Céline Alvarez
Ce matin sur France Inter, Céline Alvarez en appelle à la révolution pédagogique, affirme que l’éducation n ‘est pas une question de moyens et continue à décrire son expérience en termes de réussite de tous les élèves …
A en croire Céline Alvarez, sa pédagogie est capable des meilleurs résultats (« une petite fille de quatre ans qui avait 28 mois de retard d’apprentissage a rattrapé ce retard en 6 mois et l’a même dépassé de 8 mois de plus »). Son expérience n’ayant pas encore donné lieu à une publication qui permette d’en apprécier les effets et les résultats, nous ne pouvons qu’en examiner les principes.
Nature
« Le système scolaire entrave le fonctionnement naturel de l’enfant ». L’idée n’est pas nouvelle de vouloir fonder une pédagogie sur la nature de l’enfant. En son temps, Rousseau contribua à modifier la représentation culturelle de l’enfance au nom d’une « nature » dont il voulait qu’elle prescrive toute action éducative. Pour ce faire, Rousseau inventa Émile, enfant idéal, vivant à l’abri des influences perverses de la société. Car cette idée d’éducation naturelle nécessite à la fois de modéliser une nature enfantine universelle et de l’opposer aux constructions culturelles au travers desquelles la société a progressivement construit l’organisation d’une éducation assumée collectivement.
La première question est évidemment celle de la réalité de cette nature enfantine, ce que Céline Alvarez appelle le « fonctionnement naturel de l’enfant » car il n’aura échappé à personne que l’enfant scolarisé à l’école maternelle a déjà construit, au travers de ses relations sociales, une représentation de l’école, du savoir, de l’apprentissage. Et, il n’y a pas besoin d’être un spécialiste de la sociologie, pour constater que cette construction s’inscrit dans une forte dépendance des environnements sociaux, culturels et familiaux et que le « fonctionnement naturel » de l’enfant est déjà largement différencié dès son plus jeune âge. De ce fait, nous ne pourrons jamais affirmer une nature enfantine unique et donc nous devrons renoncer à l’universalité d’une méthode pédagogique. Les certitudes de Céline Alvarez ont oublié que la diversité sociale et culturelle des enfants nous contraignait à ne penser la pédagogie que dans la complexité, les incertitudes, le doute et la contradiction.
On peut toujours rêver d’avoir construit la méthode idéale et s’étonner de ne pas recueillir l’immédiate adhésion de tous. On peut suspecter que la résistance à une vérité qu’on pense inscrite dans l’évidence du fonctionnement humain, ne puisse obéir qu’à de vils intérêts ou d’imbéciles résistances. Mais si Céline Alvarez s’était intéressé à l’histoire des idées éducatives, elle aurait perçu la relativité des vérités qu’elle énonce, car elle n’est pas la première à penser avoir découvert les principes d’une réussite éducative systématique. Se rend-elle compte, qu’en réalité, ce qu’elle considère comme une intangible certitude, est lié à un contexte particulier et que ses idées sont en réalité le produit d’une société qui en permet l’émergence pour un ensemble de raisons qui n’ont pas toujours une relation directe avec les enjeux qu’elle croit défendre? Céline Alvarez, que certains journalistes qualifient de pédagogue révolutionnaire, produit en définitive de l’idéologie, au sens marxiste du terme, c’est-à-dire qu’elle transforme des réalités contingentes, sociales et économiques, en caractéristiques universelles et naturelles de l’être humain. Et cela n’est pas sans lien avec une société qui préfère ignorer l’influence de ces réalités économiques et sociales pour se réfugier dans l’idéologie d’une égalité naturelle que la bienveillance suffirait à faire naitre.
A ceux qui pourraient penser que ce lien entre la pédagogie défendue par Céline Alvarez et les idées libérales relèverait d’une exagération de ma part, je rappelle juste que d’autres ont fait le lien : le poste d’ATSEM supplémentaire qu’elle avait exigé et que la mairie de Gennevilliers avait refusé de financer avait été pris en charge par l’association « Agir pour l’École », association présidée par le directeur de l’Institut Montaigne, think tank clairement dédié à la défense du libéralisme.
Motivation
C’est sur un postulat de fondement naturel que fonctionne, dans les écrits de Céline Alvarez, la notion de motivation pour laquelle elle affirme que « l’être humain n’apprend pas ce qui ne le motive pas et que tant qu’on impose les sujets, l’enfant ne peut pas apprendre ».
Voilà ressurgir le diktat de la motivation comme condition incontournable de l’apprentissage, considérée ici comme une donnée intrinsèque de la personnalité alors qu’elle est d’évidence une construction sociale, une résultante de l’action de l’enseignant, de l’interaction entre enseignant et élèves et entre élèves. Le travail de l’enseignant n’est pas de répondre aux seules motivations « naturelles » mais de construire les motivations nécessaires pour permettre des apprentissages. Et cela procède d’équilibres complexes dans lesquelles l’enseignant ne peut contenter des dynamiques motivationnelles parce que l’enjeu fondamental n’est pas de motiver à une activité mais de construire une volonté d’apprendre, de permettre à un enfant de découvrir les enjeux émancipateurs du savoir. Le travail intellectuel qui, à partir de l’activité, construit les savoirs, permet la conceptualisation, développe le jugement, acquiert les connaissances est loin de pouvoir se résumer à une dynamique de la motivation. Il demandera même le recours à l’exigence et peut-être à la contrainte. Entendons-nous bien, il ne s’agit ici ni de défendre une école de l’asservissement à l’adulte, ni de justifier des pratiques qui substituent la violence, fusse-t-elle verbale, à une conception de l’exigence qui doit se fonder sur le respect de l’enfant, la prise en compte de ses difficultés et qui ne méprise aucunement le plaisir de l’apprentissage et de la connaissance.
Mais à défaut de poser la question des contraintes, en considérant la motivation comme une donnée nécessaire a priori, l’école contribuera à renforcer les écarts entre ceux qui construisent, hors de l’école, les motivations nécessaires à la réussite et ceux qui n’y parviennent pas. Quant à supposer que la richesse d’un environnement scolaire suffira à compenser ces différences, c’est ¨revenir à la naïve conception que l’apprentissage pourrait se suffire d’une immersion dans les activités. Le fait d’agir suffirait pour apprendre aux conditions que l’adulte montre à l’enfant et lui fournisse des encouragements bienveillants. C’est peut-être vrai quand il s’agit des quelques apprentissages moteurs élémentaires qu’affectionne particulièrement Céline Alvarez : apprendre à boutonner, à fermer une fermeture éclair, à boucher un flacon ou à faire le ménage …(voir sur You Tube). Mais cette richesse de l’environnement suffira-t-elle pour des tâches plus complexes?
Sciences
« On peut penser une éducation sur des bases scientifiques qu’aujourd’hui on connaît »
Nul ne peut nier l’apport des sciences à l’éducation mais la question est de poser les conditions pour que la relation entre la recherche scientifique et la pratique enseignante puisse aider à améliorer la qualité de l’enseignement et faciliter les apprentissages.
La première de ces conditions est de ne pas oublier que dans la connaissance scientifique des activités humaines intellectuelles, nous sommes loin d’une unanimité qui permettrait de fonder scientifiquement une méthode pédagogique. Je ne veux pas faire preuve ici d’un relativisme absolu qui douterait de toute découverte scientifique mais affirmer la nécessité préalable de rechercher des consensus entre chercheurs, à l’instar de ce que le CNESCO a organisé en mars 2016 sur l’apprentissage de la lecture.
La seconde condition est de considérer que ces consensus permettent, tout au plus, de dégager des recommandations mais ne peuvent aucunement suffire à prôner une méthode universelle, capable de résoudre l’ensemble des problèmes. Il ne faut pas oublier que ce qui constitue le frein majeur à la prise en compte de ces recommandations et donc à la construction d’une relation entre savoirs scientifiques et pratiques enseignantes, c’est justement l’existence de certitudes méthodologiques et les stériles querelles qu’elles génèrent. Le grand paradoxe des propos de Céline Alvarez, c’est de fustiger les querelles de méthodes pour en défendre une nouvelle. Mais c’est que les méthodes précédentes étaient dans l’erreur. Là aussi un peu d’histoire des idées éducatives montrerait que c’est souvent en fustigeant le caractère fermé des méthodes en cours, que s’organise la défense de celle qui justement pourra les remplacer toutes!
La troisième de ces conditions est de percevoir la problématique d’apprentissage dans l’ensemble des questions qu’elle pose. Vouloir chercher les réponses dans le champ d’une seule discipline est une impasse assurée : les questions de l’apprentissage ne peuvent se résoudre dans les seuls savoirs de la neurologie.
Céline Alvarez a choisi de renoncer à enseigner au bout de quelques années pour devenir le chantre de ce qu’elle considère comme une vision nouvelle de l’éducation. Heureusement plus nombreux sont les enseignants qui font un tout autre choix, celui de poursuivre leur mission compliquée, parfois hésitante, souvent contrainte par la complexité de la réalité. Ceux-là ne se contentent jamais de l’idéalité des principes et lui préfèrent un travail quotidien porté par la volonté déterminée d’améliorer, au jour le jour, le service public pour qu’il permette une plus grande égalité et une véritable émancipation intellectuelle, culturelle et sociale.