Alors que chacun constate en France – etat d’urgence, système politique verrouillé par les trois partis du système capitaliste FN, LR & PS, dictature capitaliste de plus en plus brutale excercée par l’Union Européenne sous la menace de l’Euro – combien la démocratie est en pratique inexistante pour les travailleurs, l’un des meilleur hommage qu’on puisse rendre à Fidel Castro, c’est de faire connaitre autour de soi les institutions cubaines, un pays souverain, internationaliste, au socialisme adapté aux conditions du 21ème siècle
Katrien Demuynck
Le socialisme constitue une rupture par rapport au modèle économique du capitalisme et ses institutions, mais aussi par rapport à la conception de l’État capitaliste et du rôle des partis. Pour comprendre le socialisme, nous devons essayer de penser en dehors du cadre habituel (capitaliste).
Pour se faire une idée de ces nouvelles institutions et relations, il est intéressant de visiter Cuba. C’est une expérience socialiste proche de nous sur le plan culturel et dans le temps. Le but n’est bien sûr pas de considérer l’approche cubaine comme un modèle à imiter. Les Cubains ne la considèrent pas non plus comme un modèle mais comme un projet révolutionnaire. Ils modifient aussi régulièrement leur société. Aujourd’hui, ils réforment leur économie. Mais l’expérience cubaine peut probablement nous inspirer dans la recherche d’une nouvelle société pour les 99 % de la population.
La société socialiste cubaine ne s’est évidemment pas établie clé sur porte le 1er janvier 1959, le jour de la victoire de Fidel Castro et de ses partisans sur la dictature de Fulgencio Batista. Elle s’est développée au fil des ans, par essais et erreurs, et est encore en développement. Raúl Castro déclare : « Il n’y a jamais eu de révolution sans erreurs et il n’y en aura pas. Les révolutions sont l’œuvre de gens et de peuples qui ne sont pas parfaits, qui sont en plus confrontés pour la première fois à d’énormes défis. C’est pourquoi je pense que nous ne devons pas avoir honte de ces erreurs. Il serait grave et dommageable de ne pas prendre en considération ces erreurs et de les analyser pour en tirer de chacune les leçons et les corriger à temps[1]. »
Les institutions cubaines
L’État cubain établit une distinction claire entre les organisations politiques, les organisations sociales ou les organisations de masse et les institutions d’État. Il n’existe que les organisations politiques légalement reconnues : le Parti communiste (PCC, Partido Comunista de Cuba) et l’Union des jeunes communistes (UJC, Unión de Jóvenes Comunistas). Les organisations sociales sont assez nombreuses. Les plus importantes sont les Comités de défense de la révolution dans les districts (CDR ou Comités de Defensa de la Revolución), la Fédération des femmes (FMC, Federación de Mujeres Cubanas), le syndicat CCT (Central de Trabajadores de Cuba) et la Fédération des étudiants universitaires (FEU, Federación Estudiantil Universitaria). Il existe aussi de nombreuses autres organisations professionnelles, environnementales, culturelles, etc.
Les institutions de l’État se composent des administrations et conseils communaux et provinciaux, du parlement, du gouvernement et du pouvoir judiciaire. Chacun de ces trois groupes joue un rôle spécifique dans la société cubaine. Nous allons décrire chacune de ces organisations et examiner leurs fonctions, responsabilités et relations mutuelles.
Les organisations politiques
Le Parti communiste tel qu’il existe actuellement n’a été fondé qu’en 1965, après un long processus d’unification des trois organisations politiques révolutionnaires : le Mouvement du 26 Juillet de Fidel Castro, le Directorio Estudiantil et l’ancien Parti communiste, le PSP ou Partido Socialista Popular. Cette leçon sur l’importance cruciale de l’unité, les Cubains l’ont apprise de leur première guerre d’indépendance (1868-1878). La résistance anticoloniale s’était divisée en diverses fractions qui ont été petit à petit neutralisées par le colonisateur espagnol. Avant d’entamer la seconde lutte pour l’indépendance en 1895, José Martí[2] a uni les différents mouvements dans le Partido Revolucionario Cubano. Cette fois, le combat allait mener à la victoire, malgré la mort prématurée de Martí[3]. L’importance de maintenir un seul parti dans la situation actuelle a été confirmée lors de la Conférence du PCC en janvier 2012[4].
Les organisations de jeunesse étaient alors déjà unifiées. Peu après la révolution a été créée l’Asociación de Jóvenes Revolucionarios (Association de la jeunesse révolutionnaire) devenue lors de son premier congrès en 1962 l’UJC, l’Union de la jeunesse communiste. Elle représentait l’avant-garde des jeunes qui avaient activement contribué à l’édification de la nouvelle société.
L’unification du Parti a été un peu plus difficile[5]. La direction du Mouvement du 26 Juillet était marxiste-léniniste, mais au sein du mouvement coexistaient différents points de vue idéologiques. Il en était de même au Directorio Estudiantil. Quant au PSP, le parti communiste traditionnel, il est entré très tard dans la révolution armée. Il disposait cependant de cadres qualifiés et expérimentés. Après une première tentative d’unification avortée, un parti unifié a été fondé en mars 1962, le PURSC ou Parti unifié de la révolution socialiste de Cuba. Le 3 octobre 1965, s’est finalement tenu le Congrès de fondation du PCC. Un Comité central a été élu et l’ancien président du PSP, Blas Roca, a cédé sa place au nouveau président du PCC, Fidel Castro.
La place du parti a été déjà clairement définie par Fidel Castro en 1962 : « Un appareil révolutionnaire n’existe pas pour et par cet appareil révolutionnaire. Il existe par et pour les masses révolutionnaires. C’est sa raison d’être. La révolution est faite par et pour les masses. C’est la raison d’être d’un parti. Et tout son prestige et toute son autorité viennent de son lien réel avec les masses. Ce parti n’aura aucune autorité envers les masses parce que c’est un parti, mais il sera un parti par l’autorité et le prestige qu’il reçoit des masses[6]. »
Les organisations sociales
Une des priorités de la direction révolutionnaire a été de dynamiser les organisations de masse existantes et d’en créer de nouvelles. Deux organisations existantes ont joué un rôle décisif dans la révolution, à savoir le syndicat CTC et la fédération des étudiants universitaires FEU.
La CTC, fondée en 1939, est actuellement l’une des plus grandes organisations sociales du pays, avec près de trois millions de membres. Il existe 18 fédérations syndicales différentes. On devient membre sur une base volontaire. La CCT est une organisation autonome qui, financièrement, fonctionne aussi de manière entièrement autonome sur base des cotisations de ses membres. Tous les cinq ans se tient un Congrès syndical, qui élit la nouvelle direction. À partir de cinq travailleurs, une délégation syndicale peut être établie. 96 % des travailleurs cubains sont membres de la CCT. Le syndicat est reconnu comme l’une des principales forces pour défendre les intérêts de la population, et donc de la révolution au sein de la société cubaine[7].
La Fédération des étudiants universitaires FEU date de 1922 et a déjà bâti une solide tradition révolutionnaire au cours des décennies précédant la Révolution. Aujourd’hui, elle regroupe tous les étudiants universitaires de Cuba, et ce, grâce à l’accès à l’enseignement pour plus de 110 000 jeunes[8].
Dans les premières années de la révolution, plusieurs nouvelles organisations importantes se sont constituées. L’une des plus importantes, avec le plus d’impact dans la société au fil des ans, est la Fédération des femmes FMC[9]. La mise en place de la FMC en 1960 a été un choix stratégique dans la lutte pour la construction d’une nouvelle société, contre le paternalisme séculaire et le machisme donc pour l’égalité des femmes. La Fédération a unifié divers groupes de femmes révolutionnaires. Au cours de son existence, la FMC ne s’est pas limitée à la défense des droits des femmes, mais elle a aussi donné une impulsion à la conquête de l’égalité des droits pour les personnes d’orientation sexuelle différente. Aujourd’hui, la FMC compte environ 4 millions de membres.
Le 28 septembre 1960, Fidel Castro appelait à constituer des comités dans chaque quartier pour protéger la révolution. C’est alors que plusieurs explosions ont retenti durant un discours. Il s’agissait d’actes de sabotage contre la révolution, fréquents dans les premières années. Grâce à la création des CDR[10], la population entière s’est mobilisée pour le projet révolutionnaire. Au départ, il s’agissait d’abord de prévenir les attentats et la terreur organisés par les contre-révolutionnaires. Aujourd’hui, les principales tâches des comités de quartier consistent à appeler à participer aux élections, à donner du sang, à organiser des fêtes de quartier, à découvrir à temps des problèmes sociaux, à nettoyer et garder le quartier propre, etc. Les CDR regroupent aujourd’hui près de 8 millions de Cubains.
En mai 1961 a été fondée l’ANAP, l’organisation des petits paysans, qui encadre plus de 330 000 membres des coopératives, s’appuyant sur une organisation paysanne révolutionnaire qui avait pris forme avant la révolution.
À côté de ces organisations, il en existe d’autres, comme les anciens combattants, les élèves du secondaire et du mouvement de jeunesse Pionniers (OPJM, Organizacion de Pioneros José Martí) et une série d’organisations à orientation professionnelle ou sociale.
Grâce aux organisations sociales, la population est sensibilisée, organisée et mobilisée. Les organisations sociales jouent un rôle crucial dans la société cubaine. Nous y reviendrons plus loin. Voici un exemple de 1994, au plus fort de la « période spéciale ». Dans la lutte contre la crise économique et pour le maintien des acquis sociaux, le gouvernement a voulu introduire un impôt sur les salaires. Cette mesure a été rejetée par plus de 80 000 parlements ouvriers, organisés par le syndicat dans les entreprises[11] et, sur cette base, elle n’est pas passée au parlement. Il ressort de cet exemple que le syndicat ou d’autres organisations sociales mènent une action autonome sur leur terrain.
Les institutions d’État et le pouvoir populaire
Le pouvoir populaire, Poder Popular, les institutions d’État de Cuba, datent de 1976. Après la prise de pouvoir révolutionnaire en 1959, le parlement fantoche du dictateur Batista a été démantelé. Le nouveau conseil des ministres a reçu la compétence législative. La Constitution progressiste de 1940, qui n’avait jamais été en vigueur, a été restaurée. Le 7 février 1959, le gouvernement a annoncé la Loi fondamentale de la République qui organisait temporairement la vie institutionnelle. Le gouvernement a approuvé les lois nécessaires pour mener à bien le programme de la révolution. Au cours de cette période initiale, des partis politiques différents étaient encore autorisés, pour autant qu’ils n’étaient pas contre-révolutionnaires. Pendant ce temps, ça et là des expériences de démocratie participative ont été menées. Sur cette base, une Constitution et des institutions d’État totalement nouvelles ont été élaborées.
La Loi fondamentale est restée en vigueur jusqu’à ce que la nouvelle Constitution ait été approuvée par référendum en 1976. C’était la première Constitution socialiste dans l’hémisphère occidental. Un avant-projet a été discuté publiquement tout au long de l’année 1975. Plus de 6 millions de personnes y ont participé. 60 des 141 articles ont été amendés. Un référendum national sur la Constitution a été proposé le 15 février 1976. 98 % des électeurs y ont pris part et 97,7 % ont voté pour.
À deux reprises, la Constitution a été modifiée. Une première fois en 1992, à nouveau après une large consultation de la population. Cuba était alors en pleine « période spéciale », la grave crise économique provoquée par l’effondrement des relations commerciales avec l’Union soviétique et le bloc de l’Est ainsi que le renforcement du blocus américain. Pour faire face à la crise, il a été décidé de ne pas recourir à des lois-cadres ou à des pouvoirs spéciaux, mais de renforcer la démocratie. Depuis 1992, les conseillers provinciaux et les membres du parlement sont directement élus (auparavant ils étaient cooptés) et ils sont également révocables par leurs électeurs.
Le 10 juin 2002, les organisations sociales cubaines ont proposé à nouveau un référendum en réponse au projet Varela, avancé par la dissidence proétasunienne[12]. Le référendum a décidé que le caractère socialiste de la Constitution cubaine et le système politique et social révolutionnaire qui en résulte étaient irréversibles. Plus de 8 millions d’électeurs ont approuvé le référendum les 15, 16 et 17 juin 2002. Le 12 juillet, le Parlement a voté en session extraordinaire l’amendement présenté. Cela a donné naissance à la Constitution que l’on connaît aujourd’hui[13].
Le rôle du Parti, des organisations de masse et de l’État dans le socialisme cubain
Quel est le rôle spécifique du Parti, de l’État et des organisations sociales à Cuba et quelles sont leurs relations mutuelles ? Une chose est certaine : la démocratie socialiste participative à Cuba assure que les dirigeants cubains jouissent jusqu’à ce jour d’une très grande légitimité et d’un large soutien au sein de la population.
Le Parti
Depuis l’unification des forces révolutionnaires dans un parti politique, le PCC[14], en octobre 1965, il n’y a qu’un seul parti politique actif à Cuba. Ce parti joue un rôle complètement différent de celui des partis dans le système électoral capitaliste.
Selon la Constitution cubaine, le PCC martiste[15] et marxiste-léniniste, qui a organisé l’avant-garde de la nation cubaine, constitue la force dirigeante suprême de la société et de l’État. Il organise et oriente les efforts communs vers l’édification du socialisme et du progrès vers une société communiste.
La Constitution cubaine décrit ensuite l’Union des jeunes communistes comme l’organisation d’avant-garde de la jeunesse cubaine. Celle-ci peut compter sur la reconnaissance et sur le soutien de l’État dans sa fonction de promouvoir la participation active des jeunes dans la construction du socialisme et pour guider adéquatement les jeunes pour qu’ils deviennent des citoyens conscients, capables de prendre des responsabilités croissantes dans la société[16].
On pourrait penser qu’il s’agit d’une position d’un pouvoir fort. Il convient de relativiser cela : la population cubaine a également le droit constitutionnel de s’opposer à quiconque ne respecte pas la Constitution, y compris par la résistance armée.
Cependant, le maintien du rôle dirigeant du PCC dans la société cubaine dépend bien moins d’un article de la Constitution que de la façon dont ce dernier fonctionne et est constamment renforcé par de nouvelles forces. À Cuba, le fait d’être membre du Parti ne procure aucun traitement préférentiel. Cela ne permet pas de s’enrichir. Au contraire, être membre du Parti signifie surtout un plus grand engagement social. Dans toutes les entreprises, le Parti organise régulièrement des réunions de recrutement. Tout le monde peut y participer, membre ou pas du parti. C’est à cette occasion qu’un travailleur peut proposer que son collègue devienne membre du Parti, s’il estime qu’il ou elle entre en compte par son engagement social. Ainsi, le Parti essaie d’avoir dans ses rangs l’avant-garde, les personnes les plus engagées, socialement reconnues et respectées. Il va de soi que le candidat doit être d’accord de devenir militant du Parti. La perte de liens avec la base de la part d’un militant du Parti peut conduire à son exclusion du Parti[17].
Cette façon de travailler explique sans aucun doute en grande partie pourquoi le PCC, après plus de cinquante ans de révolution, jouit encore du plus grand respect de la part de la population. La forme de recrutement assure également que la majorité des membres sont des travailleurs. Elle garantit un parti de qualité et en lien direct avec la population. Et la population elle-même à son tour veille à la pureté des rangs du Parti. Le PCC compte environ 800 000 membres aujourd’hui. Au cours des dernières années, des efforts ont été menés pour assurer la représentation des femmes dans les instances dirigeantes. Aujourd’hui, elles représentent 41 % des membres du Comité central.
Le PCC fonctionne sur le principe du centralisme démocratique. Cela équivaut à un équilibre entre la plus grande démocratie interne possible et une discipline consciente vers l’extérieur. La direction est toujours collective, mais la responsabilité est individuelle. De cette façon, une pleine liberté d’opinion et de discussion est associée à l’unité d’action de toutes les organisations du Parti. Tous les responsables du PCC sont élus, de la base au sommet. Avant d’élire quelqu’un, les personnes qui connaissent le mieux le candidat sont consultées, notamment ses collègues de travail, ses voisins du quartier.
La Constitution reconnaît le Parti comme force motrice de la révolution, non comme gestionnaire du pays. Dans le socialisme cubain, le Parti ne joue aucun rôle électoral. Il a bien un important rôle idéologique, pédagogique et économico-politique.
Au niveau idéologique et pédagogique, le Parti oriente la société cubaine par l’exemple puissant de ses membres et par sa force de persuasion. Le PCC joue depuis le début un rôle majeur dans la formation de l’ « homme nouveau »[18], un concept développé par Che Guevara. Le socialisme renverse l’échelle des valeurs du capitalisme. À la place de l’individualisme, de la cupidité et du consumérisme que le capitalisme stimule de manière effrénée, le socialisme met en avant la solidarité, l’altruisme et la durabilité. Évidemment, cela n’est pas acquis en un clin d’œil. Le Parti joue un rôle décisif pour stimuler le débat public sur les valeurs socialistes et contre les abus comme la corruption ou le vol.
C’est par exemple aussi le cas en ce qui concerne l’attitude envers les homosexuels au sein de la société cubaine. Déjà en 1975, des personnes clés au sein de la direction du Parti voulaient préparer le terrain au mariage homosexuel. Le projet de Constitution mentionnait le mariage comme « l’union entre deux personnes ». Cela n’a cependant pas été accepté par la population. Après discussion et amendements, c’est devenu « l’union d’un homme et d’une femme ». Entre-temps, pendant de nombreuses années, une sensibilisation de la population s’est faite, notamment par l’enseignement, les films et séries télé. Un élément important a été le film primé Fresa y Chocolate (Fraise et Chocolat) des célèbres réalisateurs cubains Tomás Gutiérrez Alea et Juan Carlos Tabio. Ce film de 1993 — l’année au cours de laquelle l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a supprimé la mention de l’homosexualité comme une maladie — raconte l’histoire du sympathique Diego, homosexuel, qui quitte finalement l’île, et de David, rigide militant de l’UJC, qui évolue progressivement. Lorsque le film est sorti dans les salles ici, beaucoup de gens pensaient qu’il s’agissait d’un essai contre-révolutionnaire. « Comment se fait-il que le Parti cubain l’ait autorisé ? », se demandaient-ils. Ce qu’ils ne savaient pas, c’est que le thème avait été choisi par le département idéologique du Parti, dans le but de lutter contre la discrimination des homosexuels au travail et même dans les rangs du Parti. Il est prévu bientôt qu’une proposition d’autoriser le mariage homosexuel puisse être soumise au vote du parlement cubain.
Outre son rôle idéologique et pédagogique, le Parti joue un rôle économique et politique. Le socialisme n’est pas un système d’autorégulation comme le capitalisme. Il s’agit surtout d’appliquer de la réflexion, de la planification et du contrôle, sur base du marxisme. Le Parti joue ici un rôle important comme spécialiste du marxisme. Le Parti dispose d’un vaste réseau d’écoles dans lesquelles sont formés les membres du Parti comme les non-membres qui assurent des fonctions dirigeantes. Le Parti est également l’organisateur du débat sur les orientations politiques et économiques dans la population. Un bon exemple est l’approche de l’actualisation du modèle économique de la révolution cubaine, qui sera développé plus loin.
Le Parti évalue constamment et révise ses propres méthodes de travail, style de travail, politique de cadres et liens avec les organisations de masse. En témoigne à nouveau la Conférence du Parti en janvier 2012. Il s’agissait de réaffirmer le centralisme démocratique, la direction collective et l’importance absolue du lien avec les masses. La conférence a décidé que le Parti devait retourner au cœur de ses tâches politiques et idéologiques, contre les tendances paternalistes par lesquelles les dirigeants du Parti effectuent le travail à la place du Poder Popular (le niveau administratif). La relation avec les organisations sociales a été aussi examinée. Le respect pour le fonctionnement autonome et démocratique a été réaffirmé. Les membres du Parti au sein de ces organisations ont pour tâche principale de soutenir le bon fonctionnement et pas de prendre les décisions à la place de ces organisations.
La tâche principale a été définie comme celle de l’idéologie révolutionnaire et de promouvoir les valeurs éthiques et humanistes comme base de la pratique révolutionnaire. Le document de base très autocritique a été discuté et amendé au cours de 65 000 réunions du Parti et de l’UJC. Plus d’un million d’amendements ont été transmis. La version finale a été approuvée par les délégués de la conférence. Ainsi, le PCC travaille à son renouvellement, à préserver son caractère d’avant-garde et à garantir le maintien de la reconnaissance et du respect de l’ensemble de la population.
L’appareil d’État
Comme indiqué plus haut, le PCC n’est pas un parti électoral. Il ne prend pas part aux élections. La Constitution cubaine exclut expressément les organisations politiques de la participation. Le Parti ou l’UJC n’ont pas le droit de proposer des candidats ou de faire campagne pour eux. Ils ont un autre rôle décrit ci-dessus. La Constitution cubaine qualifie le parlement élu, l’Asamblea Nacional del Poder Popular, de pouvoir suprême de l’État[19].
Les électeurs proposent les listes
Au niveau communal, l’électorat est divisé en districts d’environ 2 000 électeurs. Contrairement à notre système multiparti représentatif, où les directions des partis déterminent qui est sur la liste et à quelle place, les citoyens cubains décident eux-mêmes de leurs listes. Dans les réunions de quartier, la population choisit directement les candidats. Les candidatures sont retenues ou non par vote à main levée. Toute personne qui a le droit de vote peut proposer des candidats dès l’âge de 18 ans. Par mandat, on peut proposer minimum deux jusqu’à huit candidats sur la liste. La propagande électorale n’existe pas. Les candidatures sont affichées avec une photo et un bref curriculum vitae dans des lieux en vue du quartier. Les élections communales ont lieu tous les deux ans et demi. Le vote est libre et secret, à partir de 16 ans. Pour être élu, il faut obtenir plus de 50 % des voix. Il en résulte que l’on retrouve une partie de la population dans les conseils communaux. À ce niveau, environ un tiers des élus sont des membres du Parti. Les élus sont amovibles et doivent au moins deux fois par an rendre des comptes devant leurs électeurs.
Au niveau provincial et national, il n’est pas possible de présenter directement des candidats, car on ne peut connaître personnellement les gens à cette échelle. Ce sont des commissions électorales qui proposent des listes. Aux dernières élections en 2013, plus de 61 000 personnes ont participé à ces commissions.
Les membres de la commission électorale sont les délégués des grandes organisations sociales ; ils se trouvent toujours sous la direction du syndicat CTC. Les organisations sociales proposent des candidats pour la liste sur base d’un quota selon leur nombre de membres. Les candidats sont dès lors choisis par les membres. En 2013, selon ce processus, environ 2 millions de personnes étaient concernées. Sur la liste, il y autant de candidats que de mandats à pourvoir. La moitié d’entre eux doivent être aussi choisis par les conseils communaux, c’est-à-dire directement par la population. Les conseils communaux doivent aussi approuver les listes. Ici aussi, il faut obtenir plus de 50 % des voix pour être élu. Si un candidat n’obtient pas la moitié des voix, le mandat reste vacant ou bien la procédure pour ce mandat doit être recommencée. Les élections provinciales et nationales sont organisées tous les cinq ans, à la suite des élections communales.
Malgré le fait que le vote ne soit pas obligatoire, environ 97 % des électeurs participent. Il y a 10 % de votes blancs ou nuls. Un élu doit rendre des comptes au moins deux fois par an devant ses électeurs. Tout comme dans les conseils communaux, on retrouve une partie de la population dans les conseils provinciaux et au parlement. Dix des quinze présidents des conseils provinciaux sont des femmes. Au sein du parlement, environ deux tiers des élus sont membres du Parti. Sans système préférentiel, 48,9 % des élus de 2013 sont des femmes.
Le Parlement se réunit deux fois par an pendant une semaine. Si nécessaire, des réunions supplémentaires peuvent être convoquées. Le travail parlementaire se réalise en commissions. Un siège parlementaire ne procure aucun revenu supplémentaire. Les membres du parlement obtiennent un congé politique pour s’absenter de leur emploi.
Le parlement cubain est la plus haute instance de l’État. Les élus du peuple assument à la fois les fonctions législatives et exécutives. Le Parlement choisit parmi ses membres le Conseil d’État, le président et les vice-présidents du Conseil d’État. Le Conseil d’État représente le parlement entre les sessions. Actuellement, Raúl Castro est le président du Conseil d’État. Le Parlement élit également les ministres, sur recommandation du Conseil d’État. Les ministres sont des spécialistes dans leur domaine. Ils peuvent être remplacés s’ils ne conviennent pas, mais ils peuvent aussi rester en fonction au cours de plusieurs législatures.
Le Parlement élit les juges de la Cour suprême et les procureurs. Le pouvoir judiciaire est indépendant dans sa jurisprudence, mais il rend périodiquement au Parlement des comptes de son fonctionnement.
Les récentes réformes économiques : exemple du rôle du Parti, des organisations de masse et de l’État dans la société cubaine
Cuba est souvent dépeint comme un pays non démocratique parce qu’il n’a qu’un seul parti. Mais en réalité, le peuple cubain est impliqué dans un débat constant sur la façon d’améliorer la société, de corriger à long terme ce qui ne va pas. Cela s’est passé au milieu des années 80 lorsqu’on a dû examiner les effets négatifs de la copie de certains mécanismes soviétiques dans l’économie. Ou encore dans les années 90, lorsque des mesures économiques urgentes ont dû être prises pour faire face à l’importante crise économique. Cuba a perdu alors d’un seul coup ses liens économiques avec le Comecon, tandis que les États-Unis, avec les lois Torricelli et Helms-Burton, ont fait pression sur le monde entier pour empêcher tout commerce avec l’île révolutionnaire. La philosophie derrière cette implication de toute la population est toujours la même : améliorer la société sur base du consensus le plus large possible sur les mesures à prendre.
Déjà en novembre 2005, le PCC a lancé le débat sur la corruption et sur la question de l’adhésion au principe socialiste « salaire contre travail ». Ce débat a été interrompu par la maladie soudaine de Fidel Castro, suivie par la reprise de l’attitude agressive du régime Bush aux États-Unis. En 2007, le PCC a relancé le débat de société[20]. Il a été mené à tous les niveaux et parmi tous les groupes de la population, les travailleurs, les étudiants, les gens des quartiers. Chacun a pu donner son avis sur ce qui pouvait être amélioré et comment résoudre les problèmes. La population n’a pas été tendre sur le fonctionnement des ministères comme l’Agriculture, les Transports, les Services ou le Logement. Ils ont demandé davantage de discipline dans ces ministères. Ils voulaient « en finir » avec les financements bloqués et avec la corruption existante, bien que sur une petite échelle. Ils se sont plaints de la bureaucratie parfois excessive.
Toutes les idées, critiques, suggestions de toute nature pouvaient également être lancées. Le débat n’a pas été seulement mené au sein du Parti. Il a été lancé dans toutes les organisations sociales. Un simple Cubain, membre de son CDR ou comité de quartier, du syndicat, de l’organisation étudiante ou de l’organisation des femmes, militant ou non du Parti, a eu la possibilité de faire entendre sa voix à tous ces niveaux.
Cet exercice a duré près d’un an. De toutes les remarques, critiques et suggestions, le Parti a tiré un document de base pour la discussion, une première version du document de base pour le sixième Congrès du PCC et les directives pour actualiser les directives économiques de Cuba. Ce document a été à nouveau discuté par l’ensemble de la population : au sein du Parti et de l’UJC, mais aussi au sein de toutes les organisations sociales. De ces discussions sont venus à nouveau plus d’un million d’amendements. Le texte original a été complètement retravaillé sur base de cette consultation à grande échelle de la population. De cette façon, un consensus croissant est recherché sur la voie à choisir. Toute la procédure est supervisée et dirigée en grande ligne par le PCC.
En avril 2011 s’est tenu le 6e Congrès du Parti à partir du document de base entièrement retravaillé. Les délégués ont mené la discussion sur base de ce document et ont pu encore proposer les derniers amendements. Cela a conduit à l’adoption d’un texte fondamental[21] qui définit dans quelle direction la révolution cubaine va être dirigée sur le plan économique.
L’ensemble du processus, qui conduit à un certain nombre de réformes importantes, a confirmé en même temps la planification de l’économie et le socialisme pour une période de cinq ans. En cela, le PCC a joué pleinement son rôle nourricier et dirigeant au niveau de la société et il a mené la discussion en vue d’atteindre le consensus le plus large possible. À ce stade, il s’agissait du rôle direct du Parti et de la contribution des organisations sociales.
Depuis avril 2011, le projet est entre les mains des élus au parlement. Les parlementaires travaillent en commissions et en assemblée plénière à une nouvelle législation pour transposer le document d’orientation dans la politique concrète. Ils savent qu’ils peuvent compter sur la grande majorité des gens qui les ont élus.
Historienne de formation, Katrien Demuynck (katrien.demuynck1959 at gmail.com) est coordinatrice du mouvement Initiative Cuba Socialista. Elle a reçu plusieurs distinctions à Cuba pour son travail de journaliste.
[1] Discours de clôture de Raúl Castro à la Conférence du PCC, 29 janvier 2012, http://www.cuba.cu/gobierno/rauldiscursos/2012/esp/r290112e.html.
[3] La victoire a été immédiatement confisquée par les États-Unis qui sont intervenus et ont directement négocié avec les Espagnols et placé l’île sous un statut semi-colonial.
[5] Voir K. Demuynck, M. Vandepitte, De Factor Fidel, Garant, 2008, p. 36.
[6] F. Castro Ruz, Reunión en el Comité Provincial de las ORI en Matanzas, Cuba Socialista, II, no 9, mai 1962, p. 12.
[7] Information sur http://www.cubasindical.cu et http://www.trabajadores.cu/.
[11] M. Vandepitte, De Gok van Fidel, EPO, 1998, p. 79.
[15] L’idéologue et combattant de la liberté José Martí est reconnu à Cuba comme l’un des fondateurs des idées de la révolution en termes de valeurs éthiques, d’anti-impérialisme et de latinoaméricanisme. Voir K. Demuynck, M. Vandepitte, De Factor Fidel, Garant 2008, p. 94 ainsi que l’article intéressant de J.L. Canizares Cardenas en http://www.nodo50.org/cubasigloXXI/congreso08/conf4_canizaresc.pdf.
[16] Articles 5 et 6 de la Constitution cubaine, http://www.cuba.cu/gobierno/cuba.htm.
[17] E. Suárez Pérez, « De la vie du Parti communiste de Cuba », Études marxistes, no 79, 2007, pp. 73-74.
[19] Article 3 de la Constitution cubaine, http://www.cuba.cu/gobierno/cuba.htm. Toutes les informations sur la loi électorale cubaine se trouvent ici : http://www.parlamentocubano.cu/index.php?option=com_content&view=article….
[20] Voir l’interview d’Elio Gámez : http://www.cubanismo.net/cms/nl/artikels/interview-met-elio-g-mez-vice-v….