Fillon, Macron, Valls le Pen et Cie ne jurent que par le démantèlement de la Secu.
Alors que le gouvernement, pour satisfaire aux exigences de privatisation du secteur de la santé pour répondre aux diktats de l’UE c’est-à-dire aux ordres du patronat, ne cesse de faire peur aux citoyens en brandissant le « trou de la Sécu », pourquoi ne pas parler des raisons de ce trou : cadeaux aux multinationales qui ne payent plus des milliards d’euros de cotisation sociale, explosion du coût des médicaments pour gaver de profits un secteur pharmaceutique privé qui affiche des taux de profitabilités insolants.
Combien de travailleurs savent par exemple que le taux de cotisation à l’assurance-maladie a pratiquement doublé de 1945 à 1979, mais qu’il n’a pas bougé depuis, alors que la productivité, elle, explosait ? Dans le même temps, Fillon prévoit de renvoyer vers l’assurance privée les soins pour « la petite maladie ». Au delà de l’exclusion des soins pour les plus pauvres, il faut rappeler que cette politique n’a qu’un but, permettre au Capital de prendre encore plus de profits sur les 450 milliards d’euros de la sécurité sociale. B Friot fait ainsi remarquer que le régime général distribue 350 milliards de prestations (de santé, de vieillesse et d’AF) pour 11 milliards de coûts de gestion, et que les mutuelles et institutions paritaires complémentaires – institutions privées – en distribuent à peine 28 pour … le même coût de gestion! De fait à l’inverse, supprimer le remboursement des soins par les complémentaires et confier leur remboursement au seul régime général permettrait d’économiser plus que ce que la doxa appelle « trou de la sécu ».
Paul Monmaur a livré à Initiative Communiste une solide réflexion sur la branche santé de la protection sociale.
Réflexion sur la branche santé de la protection sociale et sur le coût des médicaments anticancéreux
Paul Monmaur (*)
La branche santé de la Sécurité sociale et le coût des médicaments anticancéreux sont des thèmes récurrents dans le discours politique dominant et à la Une des médias de masse. Généralement, ils font l’objet d’un traitement succinct et réducteur. Or, dans le contexte économique et social inquiétant que nous connaissons aujourd’hui et compte tenu de leur importance cruciale pour la santé publique, en général, et pour la survie des patients atteints de pathologies cancéreuses en particulier, ces thèmes méritent que leur soit réservé un plus, une analyse plus critique.
C’est l’objectif que tente d’atteindre la modeste contribution qui suit dont l’unique ambition est d’essayer d’alimenter la réflexion et de susciter un débat démocratique, au sens propre du terme.
La protection sociale.
”Notre système de santé prend en charge à 100 % les soins contre le cancer”. Cette déclaration, reprise en boucle, correspond à ce qu’on peut entendre sur les ondes ou lire dans la presse non spécialisée. Toutefois, elle ne correspond pas tout à fait à la réalité puisque la réforme de l’assurance maladie de 2005 a institué une participation forfaitaire de 1 € à chaque consultation ou acte médical qui est à la charge de l’assuré. De même, depuis 2008, la loi a instauré une franchise de 0,5 € par boite de médicament ou par flacon, et par acte paramédical (hors hospitalisation), et 2 € pour les transports sanitaires (hors urgence). Or, les personnes atteintes d’une affection de longue durée (ALD) ne sont pas exonérées, par le régime général, de ces participations forfaitaires ni des franchises. Puisque nombre de mutuelles ou de complémentaires ne les prennent pas en charge, les patients sont donc contraints de les acquitter.
Des remboursements insatisfaisants
Même si les sommes considérées, pour l’heure plafonnées à 100 € par an et par personne, peuvent paraître modiques à première vue, elles le sont moins dès lors que l’on prend en considération le traitement à vie de pathologies lourdes et chroniques ainsi que la multiplication des frais des déplacements courts consécutifs qui restent à la charge des patients.
Les deux récentes réformes mentionnées plus haut nous invitent à réfléchir sur la pérennité de la branche santé de la Sécurité sociale qui a été et reste encore un remarquable système de protection contre la maladie pour l’ensemble de nos concitoyens. C’est un bien commun. Un rapide examen de son historique nous permet de constater que la Sécu (santé, allocations familiales, retraites, etc.) qui a joué un rôle crucial dans la reconstruction sociale de la France dans l’après-guerre a fait et fait encore l’objet d’attaques virulentes sur le fond. Ce faisant, elle est gravement menacée dans ses principes fondateurs et dans les missions qui lui ont été originellement fixées. Ce qui suit confirme, incontestablement, cette vue et, par voie de conséquence, encourage vivement à une mobilisation populaire pour la sauvegarde de cette remarquable institution.
La Sécu, une conquête sociale inestimable
La Sécurité sociale a été créée par ordonnance en octobre 1945. Comme d’autres l’ont déjà écrit dans les mêmes termes ailleurs, toutes les conditions étaient réunies pour une rupture avec le passé : un programme social inspiré du Conseil National de la Résistance sous-tendu par la volonté de mettre l’homme au centre de tous les choix, un rapport de forces favorables pour l’appliquer (un puissant Parti Communiste et 5 millions d’adhérents à la Confédération Générale du Travail – CGT – ), une classe ouvrière grandie par sa lutte héroïque dans la Résistance, une oligarchie déconsidérée par sa grave collaboration avec les nazis, le régime collaborationniste de Vichy gravée dans la mémoire collective. S’y ajoutent des hommes capables d’incarner ce mouvement, comme, par exemple, le communiste Ambroise Croizat ministre du travail et de la Sécurité sociale qui a été le véritable moteur politique de la mise en place de la Sécurité sociale, le gaulliste Pierre Laroque, haut fonctionnaire talentueux chargé de la partie technique de la mise en œuvre et des salariés engagés, Cégétistes notamment, qui ont joué un rôle central dans la construction et la gestion des caisses locales. Bref, des conditions qui fondent tout changement sociétal majeur.
La jeune institution était financée par les cotisations des salariés et les cotisations des employeurs.
Le financement de la jeune institution, assuré par les cotisations des salariés et celles des employeurs reposaient donc sur les actifs et non sur l’impôt. Elle était gérée par l’ensemble des partenaires sociaux représentés par les syndicats de travailleurs et les organismes patronaux dans la proportion de ¾ et ¼, respectivement. Les salariés avaient donc la totale maîtrise de la gestion d’un budget égal voire supérieur à celui de l’Etat français. Le régime général donnait droit aux malades, quel que soient la nature de leurs pathologies et le montant de leurs cotisations calculées en % du salaire, d’accéder aux soins ! Ce faisant, il donnait une forte impulsion au développement de la médecine, des hôpitaux et de la recherche médicale. Bref, la ”SECU” était née. Fondée sur la base de valeurs humanistes telle que « l’universalité », la « solidarité » et la « démocratisation » des progrès et découvertes des sciences du vivant, elle mettait définitivement l’homme à l’abri du besoin. Il s’agit là d’une conquête sociale historique à portée considérable.
Tentative de démantèlement
Mais, durant les « trente glorieuses » qui ont suivi, le rapport de forces entre les masses populaires et les élites politiques, universitaires, économiques et financières s’est progressivement retourné en faveur de ces dernières. Le Mouvement des Entreprises de France (MEDEF) qualifie aujourd’hui les cotisations patronales de ”charges sur les entreprises”, un dysphémisme destiné à faire accepter, dans l’inconscient populaire, l’idée que les allègements constamment demandés par les chefs d’entreprises sont légitimes. Ce revirement dans le rapport des forces est dû, pour l’essentiel, à l’immense activisme politico- médiatique des oligarques français bien sûr, mais aussi européens et étatsuniens qui se retrouvent unis dans cette tâche de reconquête du pouvoir et de sa confiscation à leur profit. La Sécu, cette remarquable construction sociale solidaire et universaliste, édifiée par des hommes d’exception, et inscrite dans la loi, a alors été soumise à des attaques vindicatives incessantes qui se poursuivent aujourd’hui. L’excellent documentaire cinématographique de Gilles PERRET, intitulé « La Sociale », sorti en salle le 9 novembre 2016, retrace les grandes lignes des conditions dans lesquelles a émergé la Sécu dans une période socialement féconde de l’histoire contemporaine mais aussi les lourdes menaces qui planent sur elle. Un film documentaire à ne pas manquer.
Il n’est pas question ici de décrire, par le menu et de façon exhaustive, les assauts successifs qu’a subis la Sécurité sociale depuis sa création. Le résumé, même succinct, des plus marquants d’entre eux suffit à appréhender la nature et l’étendue de leurs effets.
Une offensive conséquente contre la Sécu a été conduite par le gouvernement du général de Gaulle qui imposa, en 1967, la parité entre représentants des salariés et ceux du patronat à la tête de la Sécu. Cette réforme est une étape clé dans l’évolution de cette institution car elle donnait, de facto, le pouvoir absolu à ces derniers qui bénéficiaient du soutien des syndicats ”réformistes” acquis à leur cause, tel que la Confédération Française Démocratique du Travail (CFDT) ou encore la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (CFTC). Les salariés étaient dépossédés des prérogatives gestionnaires qui étaient les leurs jusque là, dépossession qui s’est faite au détriment de tous les assurés sociaux, notamment des plus démunis.
Dès lors, l’assurance maladie a pris une place déclinante dans le financement de divers soins, notamment bucco-dentaires, oculaires, et auditifs considérés comme soins de confort. A titre d’exemple, sa participation dans les soins bucco-dentaires est passée de 36% à 33 % entre 2006 et 2014 selon un rapport récent de la Cour des Comptes. Ce désengagement de l’institution a conduit les Français qui en ont les moyens financiers à recourir aux mutuelles ou complémentaires privées, afin d’obtenir un meilleur remboursement des frais croissants de santé. Les plus pauvres, de plus en plus nombreux, renoncent à ces soins ce qui n’est pas sans conséquences sur leur état sanitaire et sur la qualité de leur vie. Les principes fondateurs de la protection sociale, c’est-à-dire l’universalité et la solidarité, s’en trouvent donc significativement ébranlés.
La réforme accomplie par le gouvernement d’Alain Juppé marque une nouvelle inflexion, forte et régressive elle aussi, dans la trajectoire de la protection sociale. Alors que le taux des cotisations à l’assurance maladie a pratiquement doublé entre 1945 et 1979, il n’a plus augmenté depuis. Pour compenser cette stagnation du taux de cotisation mais aussi les exonérations de la part patronale accordées dans le but ”d’inciter” à l’embauche, A. Juppé a créé, en 1996, la caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES) qui fait appel, sous forme d’emprunts, aux marchés des capitaux ! C’est ce déficit, comblé principalement par l’emprunt, que la Doxa appelle le « trou de la Sécu ». Au motif de le résorber, les politiques néolibérales successives ont pris un certain nombre de mesures antisociales comme la création d’un nouvel impôt (CRDS, 1996), le déremboursement d’un nombre croissant de médicaments, une participation forfaitaire des assurés par acte médical et une franchise sur les médicaments, les actes paramédicaux et les transports.
Un déficit en trompe l’œil
Or il existe d’autres pistes capables de combler le déficit dont il est question. Par exemple, selon le sociologue et économiste Bernard Friot le régime général distribue 350 milliards de prestations (de santé, de vieillesse et d’allocations familiales) pour 11 milliards de coûts de gestion, alors que les mutuelles et institutions paritaires complémentaires en distribuent à peine 28 pour le même coût de gestion ! Supprimer le remboursement des soins par les complémentaires et le confier au seul régime général permettrait d’économiser 17 milliards, donc plus que le fameux « trou de la Sécu » artificiellement créé et maintenu !
En outre et en toute rigueur, seule une hausse massive du taux de cotisation (et donc des salaires bruts pour qu’elle n’ait pas d’impact à la baisse sur les salaires nets) peut permettre de renouer avec l’amélioration continue du système de santé que nous avons connue dans les années 1960-70 et de faire face aux surcoûts des thérapies innovantes. La création d’un salaire universel suggérée par le sociologue et économiste Bernard Friot, soumis à cotisation, consoliderait durablement le système.
Dans le but d’éponger une dette publique « largement illégitime » qui frappe de plein fouet les intérêts des classes populaires, l’Etat réduit drastiquement le budget de la fonction publique hospitalière. Il en résulte la fermeture de spécialités médico-chirurgicales, de blocs opératoires, une réduction massive du nombre de lits ainsi que la suppression de plusieurs milliers de postes. Le personnel médical et paramédical en place, sommé de faire du rendement, voit s’accroître sa charge de travail et l’étendue de ses responsabilités augmenter. Il est surmené. Nombreux sont celles et ceux qui sont « descendus manifester » dernièrement dans la rue pour dénoncer des conditions de travail de plus en plus insupportables et la détérioration croissante dans l’accueil des patients. La chirurgie ambulatoire est généralisée dans toute la mesure du possible, ce qui revient à faire supporter aux familles non équipées et non préparées les soins post-opératoires… Une double peine pour elles ! Alors qu’un plan triennal de 3,5 milliards d’économies supplémentaires sur les hôpitaux est mis en œuvre, l’évasion fiscale évaluée à 60 ou 80 milliards par an, n’est que parcimonieusement et mollement traquée et les fraudeurs quasiment jamais condamnées. Des sommes considérables qui pourraient financer toutes les urgences sociales et plus encore.
Plébiscité par l’aile droite du parti ”Les Républicains » lors des primaires de novembre 2016 et candidat à l’investiture suprême de 2017, l’ultralibéral François Fillon est en position d’être élu président de la république. Proche d’Henri de Castries ex PDG du géant d’assurance privée AXA et président du groupe Bilderberg, François Fillon est porteur d’un projet de réforme majeure et radicale de la Sécu qui, selon lui, « prend l’eau de partout » (sic) ! Si elle venait à être mise en œuvre, cette réforme porterait, sans aucun doute, un coup fatal à l’assurance maladie. En effet, cette dernière se concentrerait sur le remboursement des hospitalisations et du traitement des affections lourdes et de longue durée, abandonnant aux mutuelles et assurances privées le remboursement de toutes les autres dépenses de santé, notamment celles dites de la ”médecine de ville”! Si l’on prend en compte la participation de 1 € et la franchise sur les médicaments dont il a été question plus haut, ce nouveau dispositif ferait peser un reste à charge de plus en plus lourd sur les ménages. Il serait insupportable pour les plus modestes d’entre eux contraints alors de renoncer aux soins sanitaires de base.
Par ailleurs, des praticiens alertent les pouvoirs publics sur le fait qu’il y a des maladies courantes qui sont facilement traitées et ce, à coût réduit, dès lors qu’elles sont prises en charge dans la phase précoce de leur développement. Si, en revanche, elles n’étaient pas ou étaient mal soignées à leur émergence, elles pourraient, sur le long terme, évoluer en pathologies graves et durables exigeant le recours à des thérapies lourdes et extrêmement coûteuses. C’est le cas, en particulier mais non exclusivement, des maladies contagieuses (tuberculose, grippes classiques ou aviaires, etc.) qui, de surcroît, ne manqueraient pas de se propager rapidement à partir de quelques foyers circonscrits, et de s’étendre en pandémies incontrôlables. On entrerait donc là dans un cercle qui, au regard du plan comptable pour ne considérer que lui, ne serait pas vraiment vertueux ! C’est le moins que l’on puisse dire.
Mais ce n’est pas tout. Le projet de réforme Fillon concerne aussi le financement de la Sécu. Celle-ci serait financée par l’impôt, via une augmentation de plusieurs points de la TVA qui est, rappelons-le, un prélèvement obligatoire très inégalitaire. Parallèlement, l’impôt sur la fortune (ISF) serait supprimé ! Des idées qui sont aussi celles de l’aile droite du MEDEF. L’Etat qui a la totale maîtrise de la gestion des fruits du fisc pourrait alors librement décider, au motif d’économies, de soutenir financièrement les secteurs publics qu’il estime prioritaires, cela au détriment des autres considérés comme secondaires ou temporairement moins urgents. Dans un contexte d’austérité chronique qui s’accentue, la santé n’échapperait sûrement pas à la logique de cette politique comptable régressive. Pour mémoire, c’est l’impôt qui finance la protection sociale dans la plupart des autres pays européens. Or, les peuples concernés ”envient” le système de santé français fondé sur l’universalité, la solidarité et la non discrimination, alors même qu’il est honni par les élites politiques, oligarchiques et patronales de l’Union Européenne (UE). Organe très influent de l’Union – quoique ses membres ne soient pas élus – la ”Commission” exerce d’énormes pressions en faveur de la privatisation et de la mise en concurrence des biens communs que sont les organismes publics. Il y a donc péril en la demeure !
Assurances privées, une escroquerie sociale
Il n’échappe d’ailleurs à personne que les politiques libérales visent, à terme, à remplacer l’assurance maladie universaliste et solidaire par des assurances contractées individuellement auprès d’organismes privés qui poseraient bien entendu leurs conditions, cela au cas par cas.
Source de juteux profits, ce système segmenterait les populations, les désuniversaliserait et les désolidariserait ! C’est ce système qui prévaut aux Etats-Unis. Alors que ce pays est le plus puissant du monde, il compte, comparé aux Etats les plus développés de la planète, le pourcentage le plus élevé de citoyens contraints de renoncer aux soins médicaux courants, y compris ceux de première nécessité, faute de pouvoir les payer.
C’est ce vers quoi nous allons et c’est la situation que nous connaîtrons s’il n’émerge pas, en France, et ce rapidement, une prise de conscience populaire autour de laquelle s’organiserait une résistance forte et déterminée capable de s’opposer à ces graves dérives ou, pour le dire plus simplement et sans détour, au démantèlement planifié du système de protection sociale hérité du Conseil National de la Résistance. A l’évidence, les malades atteints du cancer et ceux victimes d’autres pathologies lourdes et chroniques sont les mieux placés pour lancer un appel à la mobilisation et au militantisme créatif, indispensables au succès de ce combat.
”Nous avons, en France, la chance que notre système de santé prenne en charge à 100 % les soins contre le cancer ” est une autre déclaration qui est très médiatisée. Le mot « chance » est celui qui est quasi systématiquement utilisé par des élites politiques, oligarchiques et patronales, lorsqu’elles parlent de la Sécu à la française. Comme si on avait tiré, par un heureux hasard, le numéro gagnant d’une généreuse tombola divine. Or la Sécu n’est pas un privilège qui nous vient du ciel. C’est exactement le contraire comme on l’a vu plus haut. Ignorer ces faits ou ne pas les divulguer ouvre un boulevard à ceux qui, par intérêts partisans et par médias interposés, s’emploient activement à occulter l’histoire contemporaine et à endormir la mémoire collective populaire afin de mieux démanteler notre système de protection sociale que le monde entier nous envie.
Le coût des médicaments anticancéreux.
”On ne peut qu’inviter toutes les parties prenantes décisionnaires dans les coûts des médicaments à se réunir autour d’une table dans le seul intérêt du patient que nous sommes tous potentiellement amenés à être un jour”. Une déclaration bien rodée d’hommes politiques et de journalistes invités sur les plateaux de télévisions aux heures de grande écoute, mais un vœu pieux dans un contexte où les pouvoirs publics tendent à abandonner l’essentiel de la recherche/développement, de la fabrication et de la distribution du médicament à une économie privée mondialisée dont le moteur est la recherche du profit et son optimisation.
Le médicament n’est pas une marchandise comme une autre
Les sociétés pharmaceutiques ne sont pas des entreprises philanthropiques, ce qu’elles ne revendiquent nullement d’ailleurs. Elles fondent leurs activités sur la base de la loi du marché libre et sont mues par la recherche du profit maximum dont elles versent une partie sous forme de dividendes à des actionnaires plus intéressés par le chiffre d’affaires de la société que par les retombées sanitaires des médicaments qu’elle produit et met sur le marché.
Ce point de vue trouve une parfaite illustration dans les scandales sanitaires médiatisés du Médiator et de la Dépakine qui agitent aujourd’hui le monde médical et les milieux d’affaires pharmaceutiques. Il se trouve aussi conforté, et ce largement, par le prix insoutenable et injustifié des nouveaux médicaments contre le cancer, celui de l’Imatinib (Glivec) notamment qui, en vertu de son effet thérapeutique révolutionnaire, est retenu ici comme exemple. Il faut rappeler que la facture liée à la politique actuelle des prix du médicament participe significativement au creusement du déficit structurel de notre système de protection sociale.
Un chantage de l’industrie pharmaceutique
Dans un article publié le 30 mai 2013 dans la prestigieuse revue scientifique américaine ”Blood”, 119 experts en leucémie myéloïde chronique (LMC) attirent l’attention sur le prix anormalement élevé des médicaments innovants contre le cancer et dénoncent le prix exorbitant du Glivec produit en 2001 par le laboratoire pharmaceutique Novartis. A cette date, son prix, calculé en fonction de celui de l’Interféron qui était alors le traitement standard, a été évalué à 30 000 dollars par an. Comme le coût d’introduction d’un nouveau médicament sur le marché est estimé à 1 milliards de dollars, tout frais inclus, y compris la publicité, le retour sur investissement du Glivec était pleinement réalisé en moins de 3 ans. Et ce, sur le seul sol des Etats-Unis. Le surplus est donc allé et va toujours aux dividendes versés aux actionnaires et au ”capital”.
En raison de l’efficacité inattendue du Glivec, Novartis a fait exploser son prix qui est passé, en quinze ans, de 30 000 à 120 000 dollars annuel, sans que le service médical rendu ait été amélioré. Une étude a révélé qu’en 2012, la vente de ce médicament dégageait un revenu annuel de 4,7 milliards. Le jackpot ! Or, aux USA où il n’y a pas de couverture sociale universelle, le prix exorbitant de certains médicaments est la raison la plus fréquente d’une mauvaise observance et de l’interruption inappropriée du traitement par les patients. Elle est aussi la cause de nombreuses faillites familiales… En France il est en grande partie responsable du déficit structurel de la Sécurité sociale ; en Grande Bretagne, il est à l’origine du déremboursement de traitements efficaces. Bref, en Europe, il met en danger les systèmes de protection sanitaire et, dans les pays émergents, il contraint les patients pauvres à renoncer aux soins de première nécessité.
Une solution les génériques ?
Dans plusieurs articles récents, des professionnels de la santé tirent la sonnette d’alarme et proposent des pistes pour juguler l’explosion du prix des médicaments anticancéreux afin de sauver les organismes de protection sociale existants et permettre l’accès aux soins de millions de malades précaires de par le monde. La plus efficace, en tout cas dans l’immédiat, est sans doute celle prévue par l’article L613-16 du code de la propriété industrielle et les accords de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) selon lesquels le gouvernement peut légalement autoriser les laboratoires pharmaceutiques concurrents à produire des génériques des anticancéreux dont les prix de vente sont surévalués. Mais rien ne prouve que cette solution ait la capacité de s’imposer durablement tant les firmes pharmaceutiques, majoritairement privées, se retranchent derrière le secret des affaires, arguent des sommes gigantesques en valeur sociétale créées par les médicaments de dernière génération, et connaissent le prix que sont prêts à payer les patients pour leur survie. Ces derniers sont les otages de l’industrie du médicament qui, de ce fait, pèse un poids déterminant face aux experts médicaux, aux politiques et hauts fonctionnaires – loin d’être tous exempts de conflits d’intérêts – impliqués dans les négociations multilatérales pour la fixation des prix.
Un contingentement intentionnel
Enfin, il existe, et ce de plus en plus fréquemment, des ruptures d’approvisionnement des médicaments ”essentiels” dues à une demande croissante de pays qui acceptent de payer le meilleur prix. Il y a également un contingentement de médicaments vitaux organisé par les laboratoires pharmaceutiques et/ou les distributeurs grossistes afin de maintenir les prix à leur niveau le plus élevé. Jusque là épargné, le Glivec est aujourd’hui victime de cette stratégie de marketing intentionnelle des industriels pharmaceutiques, cela en violation de l’article 12 de la loi du 25 mars 1964 sur les médicaments stipulant une obligation de disponibilité continue des produits de sorte que le pharmacien puisse répondre à tout moment à la demande d’un patient. Afin d’optimiser les profits, certains médicaments sont fabriqués sur un seul site, excentré de surcroît, éloigné des sources naturelles d’approvisionnement en matières premières et exposé à des arrêts d’activités fréquents en raison des mouvements sociaux déclenchés par des salaires à bas coût et/ou d’exécrables conditions de travail. Ces situations à hauts risques mettent en danger la vie des patients atteints de maladies fatales.
Nous devons garder présent à l’esprit que les firmes pharmaceutiques ont un libre accès aux données scientifiques produites par les organismes de recherches publics et les universités. Fruits d’une recherche dite fondamentale généralement financée par des fonds publics, des fondations, des donations et des mécénats, elles sont exploitées par des industriels sans véritable contrepartie financière. C’est d’ailleurs suite aux travaux pilotes fondamentaux du professeur Brian Druker, directeur du Knight Cancer Institut de l’Université des Sciences et de la Santé de l’Orégon, USA, que le développement de l’Imatinib (commercialisé par la firme suisse privée Novartis sous le terme de Glivec) a pris un essor considérable en raison de son efficience dans la lutte contre la LMC. Il sert aujourd’hui de modèle phare aux recherches fondamentales, appliquées et cliniques conduites dans le domaine de l’Oncologie.
De par le monde un combat commun
Sur la base des observations et considérations qui précèdent, nous devons exiger, au nom du bien commun qu’est la santé, que la loi du 25 mars 1964 sur le médicament soit respectée mais aussi et surtout que la recherche-développement, la fabrication et la distribution des médicaments d’intérêts majeurs pour lesquels il n’y a pas d’alternative thérapeutique, soient totalement pris en charge par les pouvoirs publics et les services publics dont l’une des principales missions est de garantir la protection des citoyens, de tous les citoyens.
En parallèle à ces exigences légitimes, les associations de patients atteints d’affections de longue durée doivent redoubler d’effort et dans leurs échanges avec leurs homologues européennes bien sûr, et partout ailleurs afin de porter des propositions similaires au niveau européen et international, le phénomène des prix insupportables et injustifiés des médicaments efficaces et les ruptures intentionnelles de leur approvisionnement n’étant pas limité au seul territoire national.
Le 12 décembre 2016
Paul Monmaur, universitaire, retraité.